Conversation à trois : Pi Ja Ma, Silly Boy Blue & Suzane

Confinement aidant, on continue de sortir de notre boîte à souvenir des petits trésors qu’on n’avait pas eu le temps de partager. Ce soir, on vous propose de découvrir notre interview réalisée avec Pi Ja Ma, Silly Boy Blue et Suzane lors de leur passage commun à l’Arc en Ciel de Liévin. L’occasion de parler musique, Instagram, scène et forcément de la place de la femme dans la musique.

La Face B: Salut! Comment ça va ?

Toutes:  Nickel! 

Silly Boy Blue: Mon train a été supprimé, ils nous ont mis dans un autre wagon, et ensuite il y a eu une alerte à la bombe dans la gare du coup j’en avais un peu marre de cette journée mais finalement je suis arrivée donc tout va bien! 

Pi Ja Ma: Ça va hyper bien! 

Suzane: Je crois avec vécu une journée beaucoup plus fluide que les filles, j’ai eu mon train, tout va bien.

LFB: Vous trois, vous vous connaissiez avant ? 

Suzane: Je découvre mais on s’est s’en doute croisées.

Pi Ja Ma : Oui mais je crois savoir que tu viens d’Avignon? Et ma maman m’a même dit que tu étais passée dans sa boutique de vêtements « Coppelia » 
C’est une dame blonde qui ne me ressemble pas du tout. (rires)

Suzane: Oui tout à fait! C’est énorme, c’est une institution Coppelia pour tout le monde à Avignon.

Pi Ja Ma : Merci, je lui dirais ! Nous avec Silly Boy Blue, on s’est rencontrées à Nancy devant l’hôtel de ville pour Off Kultur et après on a fait un DJ Set ensemble, on a des super vidéos souvenirs! 

LFB: Vous avez des univers très différents mais on va parler de choses qui vont rassemblent et vous ressemblent. J’ai l’impression que vous avez toutes les trois créé un personnage autour de votre musique. Est-ce que c’est un moyen de se protéger ou un moyen d’exacerber la personnalité qui est à l’intérieur de vous ?

Suzane: On aurait pu croire que je me protège à fond derrière mon personnage qui a un côté très carré, en combinaison. Bizarrement dans ma tête c’était plus le cheminement inverse. C’était plutôt de me dire, « ok tu vas avoir un vrai public, c’est un premier rencard, comment tu veux être habillée ? » Cette combinaison que je porte elle est sortie très naturellement de ma tête. M’appeler Suzane et piquer le blase de mon arrière-grand-mère aussi c’était une façon d’être plus libre dans mon écriture, arrêter de jeter des papiers dès que j’écris une phrase. En tant que Océane, j’ose un peu moins. Suzane me permet d’être un peu plus sereine. 

Silly Boy Blue: Je ne savais pas que ce n’était pas ton prénom Suzane !
Je ne me vois pas recevoir des courriers au nom de Silly Boy Blue. C’est cool de pouvoir séparer le nom de ça. Je prends Angèle, Clara Luciani, je ne pourrais pas me faire interpeler par des gens que je ne connais pas, j’aime bien cette distance qu’il y a entre le côté musical et la vraie vie. Ça permet de vachement maîtriser les deux côtés. C’est deux choses différentes avec des similarités car je suis la même personne. Je pense que ça permet de créer quelque chose où tu peux imaginer des tenues, des sons, des manières de te présenter sans te dire « est-ce que ça colle avec ce que je suis ? non, mais ça colle avec ce que je veux dire dans Silly Boy Blue ».

Pi ja ma : C’est une grosse question car je n’ai pas fait la séparation entre moi-même Pauline de Tarragon et la chanteuse. Je mélange tout et tout le temps et je n’ai pas du tout réalisé qu’il y a des choses qui sont du domaine du privé. Si vous voyez mon Instagram vous devez comprendre. Je peux très vite me mettre en Pi Ja Ma au réveil, parler à n’importe qui, faire un peu n’importe quoi et ne pas me poser la question si c’est du domaine du privé. J’ai l’impression de pouvoir faire toutes les choses dont j’ai envie. Que ce soit chanter, m’exprimer, dessiner… Dès que je mets un pied sur scène, j’ai un côté monstre qui sort où je me dis je peux être hyper désagréable, hyper jetée, je peux me foutre à poil ! Il y a vraiment quelque chose qui me libère à fond. En dehors de la scène, que je sois PaulinePi Ja Ma, c’est la même chose. Bon après, quand il y a des gens de ma famille qui m’appellent Pi Ja Ma, ça m’exaspère car j’ai l’impression que je ne les connais pas et je n’aime pas ça mais j’ai plein de copains qui m’appellent Pij’.

Silly Boy Blue: Si je peux me permettre une question qu’on t’a surement jamais posée, pourquoi tu as choisi Pi Ja Ma

Pi ja ma: Justement c’était dans un souci de second degré de base. Je n’avais pas envie que ce soit très sérieux comme projet et je n’assumais pas totalement le fait de faire de la musique donc je me suis dit « avec un nom aussi débile, tu ne peux pas te présenter et les gens ne peuvent pas te prendre au sérieux« . Ils vont te dire « Oui ok donc elle, on va la mettre là« .
Et il y a aussi quelque chose de détente et de no-stress aussi car j’ai toujours aimé les habits très confortables dans la vie et ça balance avec ma personnalité d’angoissée morbide. Il y a aussi un P dans Pi Ja Ma comme dans mon prénom Pauline donc je trouvais que ça avait un sens. 

LFB: Tu parlais d’Instagram, vous êtes toutes les trois très présentes sur ce réseau.

Suzane: J’essaie, mais moi ce n’est pas quelque chose d’ultra naturel non plus. Je pense être moins à l’aise que Pauline à se filmer dès le matin comme elle disait et puis j’ai 28 ans donc je ne suis pas née dedans non plus. Partager ce que les gens partagent en concert je trouve ça trop cool ! Les réseaux ça permet de partager plein de choses que normalement on ne devrait pas voir. J’adore suivre des gens que je trouve ultra marrants mais je ne vais plus communiquer sur des concerts que sur les réseaux.

Pi ja ma : Les labels sont vachement en mode « poste des trucs » mais si ce n’est pas naturel pour toi, ne le fais pas. Parfois tu vois des gens, qui ont eu du succès dans les années 80 et qui arrivent en se filmant mais qui n’arrivent pas à tenir le truc… mais tu es là, « le pauvre, on l’a forcé c’est horrible ». 

Suzane: Quand tu sens qu’on a forcé la personne c’est vite gênant même pour la personne qui regarde alors que lorsque tu sens que la personne l’a fait avec beaucoup de spontanéité, c’est cool!

Pi ja ma : Mais il y a un truc d’addiction. Ça me fait drôle de voir ça chez les gens, par exemple chez ma mère ! (rires)
Après, j’essaie aussi d’en faire une utilisation détournée où je ne suis pas comme « oui je suis trop belle, je suis trop intelligente ». J’essaie même de dire « eh, regardez je suis une boloss comme tout le monde » et ça va.
J’ai aussi fait de superbes rencontres sur Instagram, de gens que j’admirais, même pour faire des premières parties où nous sommes partis en tournée après et ça c’est cool! 

Silly Boy Blue: Moi, avant d’avoir un compte Instagram pour le projet musical j’en avais un privé qui se résumait à un exutoire de conneries et des photos de mon chat. Ça m’a également aidée pour rencontrer du monde. Il faut aussi savoir qu’il y a pas mal de moments dans ma vie où je m’ennuie donc j’y passe pas mal de temps. Contrairement à Pauline, j’ai plus de mal à montrer réellement ce que je fais. Genre, j’évite de montrer le moment où je regarde pour la sixième fois LOL USA

Pi Ja Ma: Mais Instragram et surtout les stories, je pense que l’on est d’accord pour dire qu’à un moment c’est beaucoup trop présent dans nos vies et c’est fatiguant. 

LFBOn va parler un peu de musique. Je vous ai déjà vu toutes les trois en concert et j’ai réellement l’impression que vous la faites pour le live. Comment vous vivez votre musique?

Silly Boy Blue: : Plus les dates avancent, plus je me dis qu’il faut que j’occupe la scène car je suis seule sur scène dans tous les cas donc oui, je pense que ma musique tourne autour du live. Je me suis bien rendu compte qu’il y a des scènes qui sont très très grandes comme d’autres où c’est nettement plus petit ce qui m’a obligé à repenser ma façon de chanter en live, comme par sécurité. 

Suzane: Moi pas tant, car la plupart des chansons que je chante sur scène sont écrites depuis quelque temps. Je ne montais pas du tout sur scène à cette période et ça a été comme une découverte de jouer en live et de voir que le message passe plutôt bien. Les dernières que j’ai écrites sur l’album, il y a toujours cette notion un peu inconsciente de savoir que tu es déjà montée sur scène. J’essaie vraiment de rester très naïve là-dessus en me disant que je ne dois pas faire une chanson uniquement pour le live. Je fais une chanson, si elle passe bien en live tant mieux, si c’est une chanson studio je la laisse vivre comme elle veut. Je ne me moule pas à ce truc « ok, il faut de la chanson live ». 

Pi Ja Ma: Nous (avec Axel Concato) ça a vachement changé du premier album au deuxième album. Le premier, tout ce qui n’était pas de la musique j’adorais. Je n’y comprenais rien, je savais chanter et c’est tout. On a fait plein de concerts avant que notre album sorte et une fois qu’on s’est mis à composer pour le deuxième, je me suis mise à écrire, à composer, à imaginer la scénographie… Ce qui me plaît dans la scène c’est ces moments un peu plus chill en guitare/voix où par exemple lui Axel serait plus là « ouais on va se faire chier ».
L’improvisation m’attire aussi beaucoup. Nous ce qu’on aimerait faire avant de rentrer sur scène c’est déchirer la setlist et rentrer en mode « ouais, on verra ce qui se passe ! » Lui est très perfectionniste et moi je suis beaucoup plus « ah tiens ce morceau-là, on pourrait laisser un silence au cas où j’ai envie de me jeter dans le public et de revenir ».
Tout est en train de bouger, on s’est mis à écrire en Français donc ce deuxième album il est vraiment bilingue à 50/50. Il y a toute une partie où j’ai envie de me jeter par terre et de l’autre côté où j’ai juste envie de chanter dans mon coin comme je chante dans ma chambre. J’essaye que tout soit cohérent mais j’aime bien les montagnes russes aussi. 

LFB: Dans les propos que vous développez dans votre musique chacune à votre manière, il y a des sujets qui sont assez forts. Suzane comme elle chante en français, c’est parfois même plus évident. C’est toujours fait sous couvert de divertissement, les chansons restent entraînantes ou catchy.  Est-ce que c’est important pour vous d’avoir ce double discours de mettre de la réflexion dans du divertissement ? 

Suzane: Je trouve que la musique est l’arme la plus puissante pour faire passer un message. Même l’art tout court. Que ce soit la musique, la peinture ou n’importe quoi. Les choses qui m’angoissent dans la vie, que ce soit le harcèlement ou récemment le réchauffement climatique, je vais vouloir en faire quelque chose sans être une donneuse de leçon. J’aime bien parler du quotidien, je trouve que l’on vit dans un monde assez brut. Aujourd’hui, on ne veut pas de la musique ultra édulcorée où au final on met un voile sur tout ça. 

Silly Boy Blue: J’ai du mal à écrire pour l’instant sur autre chose que ma vie, mes histoires, mes ruptures, etc. Avec le temps, je commence à écrire sur des choses plus larges, plus vastes et plus intemporelles. J’ai décidé de défendre les causes que je soutiens soit quand je prends la parole en concert, soit avec les réseaux sociaux soit dans les collaborations que je fais. Ça ne passe pas encore par la musique car je ne pense pas encore que ça va être potentiellement écouté. 

Pi Ja Ma: À la base, mon premier moyen de m’exprimer était le dessin et la façon dont je parlais. Je fais tout le temps le clown ! Ça a été toujours été mes deux solutions pour faire passer mes idées et revendiquer les choses. J’ai eu une petite période d’agressivité à gérer pour les gens autour de moi par-ce qu’à chaque fois que je parlais j’étais là « ouais, toute façon c’est de la merde ! » Puis, j’ai vite réalisé que ça ne servait à rien et que ce n’était pas le meilleur moyen pour m’exprimer et dire les choses. Dans les chansons que j’écris, j’aime bien garder ce côté drôle et amusant. Quand je suis sur scène j’ai surtout envie de danser et de m’amuser. J’essaye de revendiquer des choses positives et qui me libèrent. J’ai faits une nouvelle chanson qui clairement parle de moi et qui dis « ce soir je sors en boîte et je baise tout le monde ». J’ai entendu ça nulle part et donc je trouve ça rigolo, je dis aussi que je suis un fucking tiger ! 
Et comme je disais il y a aussi des choses beaucoup plus légères comme la chanson que je vais chanter ce soir qui s’appelle, Bisous où je dis que « fais-moi des bisous dans le cou » car pour moi c’est important et c’est des choses plus tendres qui nous font du bien. Tout ce qui est un peu plus politique et important, je vais plus les mettre dans le dessin où j’ai l’impression que je vais plus réussir à m’exprimer. J’ai aussi un énorme problème avec le premier degré en général donc écrire des textes c’est plus compliqué. Je peux le commencer en français, le terminer en anglais, parler de choses absurdes. Je pourrais jamais écrire à propos de quelque chose dont je pense vraiment avec les vrais termes, c’est impossible pour moi. 

LFB: Est-ce que vous pensez qu’une artiste se doit d’être politique en 2020 ?

Silly Boy Blue: Tout est politique en 2020. Tu l’es. Tu es une femme sur scène, t’es politique déjà. 

Pi Ja Ma: Déjà t’es une minorité donc oui. Je pensais au fait qu’en tant que femme même si tu fais de la musique nulle mais que tu réussis à monter sur scène c’est trop bien! 

Suzane: Comme dit Pauline, les gens sont plus au courant de ce qui se passe avec les médias. On vit dans un moment où ce n’est pas que tu es obligé d’être engagé mais ne serait-ce que concerné. On vit beaucoup de choses en moment que ce soit sur les conditions des femmes, la cause climatique, etc., on ne peut plus être dans le déni. Nous, citoyens, la merde elle est devant nos yeux c’est soit tu fuis, soit tu combats, mais tu ne peux pas ignorer la chose. 

LFB: Vous, l’image de la femme dans le monde de la musique vous la voyez comment ? En tant qu’homme, je ne me sens pas à ma place pour parler de ça et en même temps c’est un sujet qui m’intéresse beaucoup car j’ai toujours eu cette impression que la place de la femme dans le milieu artiste, ça n’a jamais été ça. 

Suzane: J’ai surtout hâte d’être dans une période, plus tard, où peut-être que l’on n’en parlera plus ? Je trouve ça bien que ces problèmes soient soulignés. Quand les festivals s’engagent à une parité, entre autres, mais je me dis que si on met des mots dessus c’est qu’il y a un problème. Ce serait génial qu’on n’ait plus à remarquer le nombre de femmes par rapport aux nombres d’hommes.

Pi Ja Ma: Il y a plusieurs mecs qui m’ont dit « je considère les mecs comme les meufs donc je ne suis pas féministe car il n’y a pas besoin » mais ça ne peut pas fonctionner comme ça. 

Silly Boy Blue: C’est très facile de dire, lorsque tu ne fais pas partie de la minorité, « moi, je trouve ça bête ». 

Pi Ja Ma: Quand j’ai commencé à faire de la musique à 18 ans, que je suis arrivée dans un label, je me suis imposée en faisant comprendre qu’il ne fallait rien m’imposer sinon je me barre en courant. S’il y en a un qui me dit comment m’habiller, comment chanter, comment me présenter, comme danser je me casse direct ! Il y a plein de femmes qui n’osent pas ou qui ont peur de perdre leur place donc c’est super-important de se battre pour les autres et pas que pour sa personne.  
Les hommes savent très bien qu’ils risquent beaucoup plus aujourd’hui avec tout ce qui se passe. Malheureusement il y en a qui passent encore au travers le filet. Entre les mecs qui t’expliquent qu’une femme a moins besoin de travailler son instrument car elle est jolie ou qu’elle ne sait pas brancher un câble ou ceux qui vont lui expliquer son propre truc.. 

Suzane & Silly Boy Blue: Et forcement, elle n’a pas pu faire son projet seule. Il y a forcément des mecs derrière! 

Pi Ja Ma: Dans mes concerts, j’essaye souvent de prendre des femmes pour les premières parties. Dans les festivals c’est affolant, parfois il y a deux nanas, moi et la costumière et c’est tout. 

Silly Boy Blue & Suzane: On est tellement dans un monde où tu vois des hommes partout. Que ce soit dans les salles, les conducteurs de tourbus, partout.
D’un côté plus tu vas pouvoir employer des femmes mieux ce sera. Déjà tu leur donnes du boulot et en plus tu peux en motiver tellement à postuler pour des jobs d’ingé sons, etc. Une ado aujourd’hui qui veut peut-être bosser dans les sons ou la lumière, on va lui dire « c’est un milieu d’homme, il faut être fort, il faut porter ci, il faut porter ça.» 

Pi Ja Ma: Il faut aussi que certains mecs acceptent de céder un peu de place. Ça me fait penser à une expérience qui avait été fait aux États-Unis où ils avaient fermé un skate-parc aux mecs pendant une semaine et plein de meufs sont arrivées. Car elles se sont dit «en fait, si je me casse la gueule ils ne vont pas tous se moquer de moi, ils ne vont pas essayer de me draguer etc. »
Je me suis déjà prise une réflexion, par un type, entre autres, comme quoi je ne m’habillais correctement qu’une fois sortie de scène et que ma jupe était trop courte. Je lui ai roté à la gueule et je suis partie. 

Suzane: J’adorais jouer au foot quand j’étais gamine dans la cour de récré mais arrivée à 6/7 ans, on te fait comprendre que tu n’as « rien à faire là » et c’est tellement pas normal !