En 2019, on est tombé sous le charme de Dampa. En deux temps. D’abord avec Color puis avec Blind. Deux EP, deux faces d’une même pièce qui nous ont passionné et retourné. C’est dans le cadre du MaMA que nous sommes partis à la rencontre d’Angéline et Victor. L’occasion de parler de dualité, de couleurs et d’exutoire dans leur musique.
La Face B : Salut Dampa, Comment ça va ?
Dampa : Ça va bien. Pas très original, mais ça va.
LFB : Cette année vous avez gagné le prix Ricard Live, ce soir vous faites le MaMA : c’est un peu une grosse année pour vous 2019 ?
Victor : Oui. En tout cas sur les deux premières années du projet, cette année est un peu plus sportive que la première. Tant mieux.
Angéline : C’est une belle année, comme on disait tout à l’heure, avec des bons checkpoints. On a l’impression d’explorer à la fois le live et le studio et du coup la promo aussi. On aussi appris comment s’entourer. T’as l’impression de faire une espèce d’année d’étude condensée.
LFB : Oui parce que finalement le Ricard Live ça vous a permis de pas mal jouer.
V : Ouais, on vient de sortir notre premier EP, c’est un ensemble hyper complet en fait avec l’accompagnement.
A : Ça permet de faire parler un peu du nom sans forcément de faire de la musique qui fait le buzz, et de pouvoir se concentrer sur le live et sur l’EP. C’est une bonne année.
LFB : Ça fait une bonne mise en lumière.
V: Ouais, carrément.
LFB : Si je vous dis que pour moi le mot qui résume le plus Dampa c’est la dualité, est-ce quelque chose qui vous convient ?
A : Complètement. En fait même on a repris depuis que tu as écrit ça, on avait jamais mis ce mot sur le projet, et je m’en rappelle, toute l’intro que tu avais fait sur ça, je la réutilise maintenant en promo, donc merci.
Mais oui complètement, la dualité. Déjà de base le fait d’être deux c’est mathématiquement réglé. Mais en plus il y a toujours eu cette complémentarité entre Victor et moi sur le studio et le live – Victor qui est beaucoup plus studio et moi qui vais être beaucoup plus live, et puis finalement même dans les couleurs, c’est ce qu’on a voulu montrer dans Color Blind, on va chercher en fait dans les deux extrêmes, et il y a plein de choses qui se passent au milieu. Donc ouais, c’est un super nom.
LFB : La voix, les machines, la douceur et la brutalité, il y a tout. Justement le fait d’avoir sorti l’EP en deux parties, ça vient un peu de cette idée. Pour moi l’impression que c’était une manière aussi de montrer les subtilités de votre musique… Pour moi ça a plus d’impact le fait de les sortir séparément que de les sortir ensemble.
V : Avec le recul et même sans à l’époque, c’était vraiment une volonté de pouvoir séparer les deux… je ne trouve pas qu’il y ait vraiment une couleur qui se dégage de l’un plus que de l’autre, mais il y a un peu la face claire et la face sombre. C’est un peu cette impression quand même.
A : C’est surtout au niveau des univers. Au départ, on voulait le sortir en une seule fois. On s’est fait une grosse session avec Félix notre manager où même nous ça nous gênait de le sortir sur un seul et même opus parce qu’on a peut être aussi cette vision, même si ce n’est pas un album, de sortir une pièce qui propose quelque chose, même si ce sont des morceaux différents, et du coup là ça nous embêtait que tout ne soit pas expliqué. J’aime bien quand tout est un peu justifié, et que si on me pose la moindre question, ça ait du sens. Et pour nous ça avait extrêmement de sens de pouvoir le sortir en EP séparés. Et en fait c’est vrai que quand on fait le lien du fait qu’on soit deux, qu’il y ait un contraste électro et organique, du coup aussi blanc et noir et que même en plus en terme de couleurs ça soit deux extrêmes.
V : Ça n’a pas été la volonté dès le début d’avoir deux opus, et les 6 titres qui sont sortis sur les deux opus-là n’étaient pas les titres prédits à la base… On s’est dit ça peut être cool d’avoir deux trucs, et de réfléchir à ce qu’on met dans l’un et ce qu’on met dans l’autre pour garder ce concept.
A : Même pour la suite au final. On a toujours été dans une logique de faire des sons qui nous font plaisir, et on ne se pose pas forcément la question de savoir si on est un groupe de rock, ou de trap. Du coup ça nous a aidés à nous trouver, à incorporer notre musique, à s’incorporer nous-mêmes et pouvoir la défendre et aujourd’hui par exemple on est sur la création d’un autre EP/album, sur la suite.. Color Blind nous a aidés à nous trouver et à savoir qui on était par rapport à cette création.
LFB : Finalement il y a quand même un son qui est très défini dans ce que vous faites, même si c’est très divers, c’est profondément électronique mais ce qui est intéressant c’est que la voix vient humaniser un truc qui à la base peut être très robotique en fait, à travers les intonations de la musique. Et la voix vient avec les intentions vocales exploser le truc : comment vous aviez envisagé ça et comment vous en êtes arrivés à ce résultat-là ? Ta voix sur une musique comme ça pourrait être très monocorde, et en fait chaque chanson a une intention différente grâce à elle.
A : On fait vraiment beaucoup de choses, c’est très instinctif notre façon de faire de la musique, parce que quand Victor va commencer une instru, instinctivement tu vas travailler dessus sans forcément te poser la question d’à quoi ça va ressembler.
V : De plus en plus, même. En fait plus ça va, pour moi en tout cas, plus j’ai l’idée finale quand je commence quelque chose, que je n’avais pas forcément au départ parce que c’était beaucoup d’expérimentations. En fonction de ce que la voix va apporter à l’instru, enfin, tu vois, les choses bougent. De plus en plus j’ai l’impression que ça s’affine dès le début. Il n’y a plus besoin de faire quinze versions de projets pour avoir la finale à la fin. Je pense qu’on est à 2-3 maintenant.
A : À la base on est parti d’un projet super instinctif, même si on crée, on ne se posait pas beaucoup de questions. Donc on ne s’est jamais posé la question de se dire comment je vais poser la voix pour que ça ressemble à tel résultat. Je sais que je parle souvent de danse dans mes textes, et du coup les instrus sont littéralement dansantes quand même. Et c’est un peu pareil, que ce soit sur l’écriture ou sur le placement de la voix ou sur la façon de créer le morceau, les arrangements, il y a quelque chose de très instinctif. Et en fait, c’est plutôt arrivé vers la fin du morceau qu’on se dira « ah oui on a voulu faire ça » mais en fait on ne réfléchit pas. Ce n’est pas très calculé ce qu’il se passe. Peut-être de plus en plus, en effet parce qu’on prend de la maturité, mais à la base, même Color Blind est sorti comme un exutoire. Et il en résulte ça. Et voilà, comme la danse, comme le fait d’extérioriser quelque chose.
LFB : Et vous pensez les chansons pour le live ou vous les retravaillez après ?
D : Maintenant oui.
A : C’est que c’est une grosse part du métier. Une fois qu’on a sorti un opus, notre vie c’est du live en fait, c’est ce qui arrive deux, trois, quatre fois par semaine.
V : Quand tu commences à jouer tes morceaux studio en live, tu te dis « pour une version live, j’aurais plutôt construit comme ci ou comme ça », on se rend compte avec l’expérience de la scène de comment composer les prochains titres pour qu’ils soient axés sur le live plus qu’une écoute canapé.
A : Même ce qu’il se passe en live par rapport au public, c’est quelque chose qu’on a envie de retrouver même dans le studio. Mais il y a une différence quand même. You Better par exemple, va être un morceau beaucoup plus studio que Clubs. Mais après finalement plus on le fait en live, plus on se rend compte aussi qu’il y a des énergies différentes. Enfin You Better existe bien en live aussi. Et puis en plus il y a des formats radio à respecter si tu veux passer en radio en studio, et en live il vaut mieux les faire durer. En live, on dit toujours que nos chansons sont trop courtes.
LFB : Vous avez appris à faire durer les morceaux justement ?
A : Pas tant en fait.
V : Pour les prochaines propositions, c’est le travail qu’on produit actuellement pour les prochains morceaux, pour les prochaines tournées. Ça sera plus axé comme ça.
A : Maintenant on les pense un peu plus longs, quitte à les raccourcir.
V : En tout cas y réfléchir pour pouvoir les allonger facilement sans être bloqués.
LFB : Votre premier titre était Crisis. Dampa, n’est-ce pas né d’une espèce de catharsis ? De la volonté d’exprimer, de ressortir un sentiment pour s’en débarrasser, d’expulser quelque chose, une sorte de thérapie ?
D : Il y a Thunderball qui est sorti en premier, c’est juste qu’on l’a annoncé avant, mais le premier titre clippé c’est Crisis.
V : Pour moi la musique sert à ça de base, donc j’ai envie de dire oui pour tout, pour Crisis ou pour n’importe quel titre. Ça dépend de l’émotion qui a besoin de sortir.
A : Notre projet est littéralement sur ça. Dans Crisis, les paroles parlent d’elles-mêmes et à titre personnel, et en tant qu’auteur, c’est littéralement ce qu’il s’est passé, c’est un titre médicament qui m’a vraiment soigné de certaines crises. Mais je sais que Victor toi aussi tu vois la musique comme un exutoire. Enfin tout notre projet quand on aime faire du son et qu’on est plutôt enfermés en studio, une fois qu’on en sort et qu’on l’exprime sur scène, c’est thérapeutique, parce qu’il se passe quelque chose. On habite le projet. Et même en studio, je sais que Victor encore plus que moi, comme il y a la complémentarité…
V : C’est ça qui en tout cas a généré Color Blind, cette espèce de diversité, de pas retrouver un style particulier dans tous les titres, c’est justement ce besoin inconscient, au moment de la composition de « tiens j’ai cette émotion là à dégager de suite et demain ça sera une autre » car tu ne ressens pas les mêmes choses tous les jours. Du coup la création se passe vraiment comme ça.
A : Mais même sur les paroles : si on fouille et qu’on s’amuse à traduire et vouloir comprendre toutes les paroles, elles vont toutes parler d’un truc qui a été traversé au moment de cette création. Moi je me sers énormément des obstacles pour exprimer quelque chose histoire que ça passe. Et c’est pareil pour My Horse Does It Better, pour Clubs… À chaque fois c’est un médicament. Ça permet de guérir pour nous, si ça peut guérir les autres très bien.
LFB : Peut-on parler de votre rapport à la couleur ? J’ai l’impression que ça soit dans les clips ou dans les premières photos promo, il y a un rapport à la couleur qui est hyper important dans vos visuels. Vous avez réfléchi à tout ça ou est-ce venu naturellement ?
A : Ça a été calculé sur tout l’EP Color Blind, du coup y a eu un DA qui a fait en sorte qu’on réfléchisse les clips en même temps que les titres des deux EPs. Le concept des deux EPs est arrivé après la DA des couleurs. Donc ça, ça nous a permis de nous dire « wahou, c’est évident« . Mais sinon, plus qu’en terme de couleurs, c’est l’idée d’esthétique.
V : Je pense en tout cas que sur les prochains titres / clips, dès qu’on parle autour de ça, on est plus dans un truc de dualité encore une fois, de clair-obscur, plus que d’une multitude de couleurs. Là d’ailleurs, on est parti sur cette palette de couleur parce que, en toute honnêteté, on nous l’a proposé, et on est partis sur ça. Des gens qui nous connaissaient ont proposé des idées, c’est pour ça qu’on a une équipe autour de nous. Il y a quelqu’un qui va proposer une idée pour un clip. Je pense qu’à l’avenir on partira plus vers le vrai concept de dualité.
A : Le clair-obscur c’est vraiment un truc qu’on s’est dit depuis le début quand on a commencé à faire du son, car c’est ce qu’on aime même esthétiquement, par exemple Victor et moi ont a été et on reste quand même fans de l’univers de James Blake par exemple : lui aussi c’est des univers qu’il a toujours cherché esthétiquement et dans la musique, ces espèces d’infra basses mélangées à des choses un peu plus lyriques. Et voilà si on essaye de traduire ce genre de musique en tableaux, ça pourrait être Delatour, tout est noir avec juste la lueur de la bougie au milieu. Pour moi notre musique c’est ce genre de tableau. C’est quelque chose qui nous intéresse énormément, et en effet comme dit Victor, même si ce n’est pas un délire de couleur, en tout cas cette dualité encore, cette lueur au milieu du noir c’est quelque chose qu’on va encore plus explorer par la suite maintenant. Clair-obscur, c’est vraiment à retenir. Ça sera peut-être pas le nom de l’EP qui arrive, mais peut-être que si.
LFB : Le futur pour Dampa c’est quoi ?
A : Il y a des nouvelles choses qui arrivent.
V : Qui se préparent, se définissent encore.
A : On attend de voir encore quelle forme ça prend, parce que du coup y a beaucoup de matière d’un côté. Et d’un autre, même si on aimerait beaucoup sortir un album en 2020, on prend du recul à savoir est-ce qu’aujourd’hui un album c’est quelque chose de pertinent ? Dans la façon aussi de sortir des choses. Parce que même en sortant l’EP on s’est rendu compte que si on ne clippe pas un morceau, il est facilement passé à la trappe. Enfin c’est fou mais y a quand même des lumières qui se mettent sur des morceaux qui sont clippés, et des morceaux comme Polar Coordinate où je suis presque déçue de pas l’avoir plus exploité que ça et du coup là je pense qu’on va sortir un nouveau morceau très bientôt et puis après un EP très certainement début 2020. On est sur ça, mais en tout cas la matière est là.
LFB : Avez-vous des coups de coeur récents à partager avec nous ? Pas forcément musique, quelque chose qui vous a marqués récemment ?
A : Moi j’ai découvert la musique des filles de Génial au Japon. C’est une espèce de pop un peu 80s. C’est des nanas de Bordeaux, et j’aime beaucoup. Elles sortent de la salle du Krakatoa. Je suis en train de finir de lire le livre de Blandine Rinckel de Catastrophe, son livre est super. Si vous êtes nés entre 1985 et 1995, il faut absolument le lire. Il est vraiment très très cool et c’est pas du tout pour faire de l’auto promo mais elle m’a invitée à performer pour la release de ce livre avec Catastrophe. C’est un coup de cœur, une rencontre, des gens qui sont incroyables et je les adore. Et le livre de Blandine Rinckel est vraiment incroyable. Il y a toute une page sur la Star Academy qui est géniale.
V : Moi c’est très triste à dire, mais je suis tellement enfermé à créer que j’écoute très peu de musique. J’en ai écouté énormément, ce qui m’a donné envie d’en faire, et en fait je n’en écoute quasiment plus aujourd’hui. C’est d’une tristesse absolue.