Dani Terreur : le Clair-Obscur

Alors que paraît ce jour son dernier titre Coup de génie, Dani Terreur, l’enfant terrible de la chanson française nous reçoit dans sa cave aménagée en studio, dans le 10e arrondissement. À l’abri des tumultes extérieurs, celui qu’on imagine volontiers solitaire et un brin monomaniaque dans le travail, nous parle posément. Léger sourire fiché aux lèvres, regard franc sous sa mèche rebelle, il dépose les armes et se confie en toute sincérité, sur son rapport à la création, à la musique… À l’autre, aussi. Rencontre.

Crédits photo : Zoë Joubert

La Face B : Tes derniers titres évoquent des thématiques quelque peu mortifères ; je pense à ces extraits : « Un coup de génie avant de finir », ou encore « Les soirs un peu déprimants / J’imagine mon enterrement »… Ta confrontation à la mort dans tes chansons, avec beaucoup d’honnêteté et un humour un peu grinçant, c’est un moyen de catalyser des angoisses existentielles ?

Dani Terreur : Franchement ? Oui. J’ai écrit ces morceaux pour cristalliser des angoisses existantes, dont j’ai du mal à me débarrasser… et ce n’est pas grave, parce qu’en les écrivant, justement, je les change en quelque chose que j’aime, et ça me fait presque plus avancer qu’un travail avec un psy ! Je les écoute et prends conscience de choses que je n’avais jamais analysées…

La musique, c’est une auto-thérapie, en fait !

La Face B : Le « mec cool triste » semble une version moderne de ce qualificatif de « poète maudit » qu’on t’a souvent apposé (peut-être à tort ?), avec ses corollaires de mélancolie, de spleen et de génie… Tu entretiens quel rapport à ces deux figures ? 

Dani Terreur : La figure du poète maudit, franchement, j’essaye de m’en détacher. Même si le « mec cool triste » lui fait un peu écho, c’est vrai… Par ce biais – la création de ce terme – je me l’approprie… Contrairement au poète maudit qui n’arriverait pas, je pense, à rire de lui, le mec cool triste ne manque pas d’humour et sait prendre du recul sur sa condition ! Perso, j’arrive tout à fait à me dire, « Ok, je suis comme ça, autant en faire une chanson un peu second degré »… qui va même carrément dans les extrêmes (avec l’histoire de l’enterrement !), alors que le poète maudit n’arriverait pas à rire de sa situation. C’est la grande différence.

La Face B : « Ça commence à faire longtemps que je fais de la musique » : effectivement, six ans déjà que le public a découvert avec ravissement l’univers onirique un brin torturé de Gri-gri. À l’origine de ce désir de mettre en mots et en musique, il y a quoi ?

Dani Terreur : À l’origine, c’est juste l’amour de la musique, que j’ai depuis toujours. Je ne savais pas quoi faire d’autre… et surtout, je savais que je voulais en faire. Ça a vraiment été comme on monte les barreaux d’une échelle, par étapes.

Au début, j’osais à peine chanter, pas même écrire, mais quelque chose, toujours, au fond de moi m’a poussé ; une impulsion que je ne contrôle pas et que je ne peux pas éviter.

La Face B : « L’odeur de la dernière danse / l’odeur de la dernière chance… », « Elle veut une vie que je n’ai pas »… L’amour s’illustre dans tes chansons avec une sorte d’urgence, quelques ratés, et beaucoup d’attentes aussi, de projections. Les chansons te permettent-elles de verbaliser des problématiques intimes ? De les dépasser ? 

Dani Terreur : On en revient encore à ce truc d’auto-thérapie, ou peut-être d’auto-critique, de se voir dans une situation où l’on n’a peut-être pas fait les bons choix, pour s’en distancer et en tirer une leçon … Par exemple, pour la chanson « Il pleut, elle m’en veut » que tu as citée, l’idée était vraiment de partir d’un événement où j’ai pas été… très cool, disons-le. Écrire dessus m’a permis justement de m’en rendre compte, d’apprendre de mon erreur et d’exorciser, aussi… C’est toujours bien d’en faire une chanson : ça va forcément parler à des gens, dans la mesure où on fait tous les mêmes erreurs, qu’il y a un fond commun.

La chanson, l’écriture, je m’en sers à la fois pour extérioriser, et pour m’observer, d’un point de vue extérieur.

La Face B : Figure de la sirène, de l’enfer transfiguré en femme au regard « bleu foudroyant » : ton pendant féminin est toujours un peu intimidant dans tes chansons. Dani Terreur fut-il un jour timide ?  

Dani Terreur : Il l’est toujours ! (rires)

La Face B : Il y a beaucoup d’influences de musique du monde dans tes chansons. Je pense au « Colosse de Rhodes », ou à « Il pleut, elle m’en veut », paradoxalement paré d’une instru solaire… De quels univers musicaux es-tu issu ? 

Dani Terreur : Alors, de base, ce serait vraiment la musique pop et rock ou classique. Davantage la pop, pour la mélodie, centrale dans mon rapport à la composition. Mais en fait je suis vraiment fan de la musique que tout le monde aime, comme les Beatles, Bowie, Prince… Je trouve des émotions dans tous les styles musicaux, et on peut effectivement trouver des emprunts à la musique du monde dans mes chansons mais en vérité, je ne sais pas trop d’où ça vient. Je pense que c’est mon inconscient qui les absorbe, puis les retranscrit dans certains morceaux. Ça apporte toujours un twist aussi, cette intrusion de styles dont on ne vient pas vraiment dans sa musique…

La Face B : Quelle place occupent l’image et le 7e art dans ta musique ?

Dani Terreur : Aujourd’hui plus que jamais, l’image et la musique sont étroitement liées, au-delà de l’aspect promotionnel qui fait un peu loi.

C’est un véritable plaisir pour moi d’imaginer les clips, de collaborer avec des réalisateurs ou des réalisatrices, de trouver des idées… Tourner un clip, c’est presque la partie que je préfère !

Quant au 7e art, j’adore ! C’est quelque chose de central pour moi. Malheureusement, je vois moins de films en ce moment, mais il fut une époque où j’en ingurgitais énormément – d’où certains titres directement empruntés au cinéma, comme La nuit du chasseur ou À bout de souffle… Pour moi, musique et cinéma sont étroitement liés, par définition. On a tous ce truc en commun d’ailleurs, d’écouter un morceau sur une plateforme en ligne et de s’imaginer les images qui pourraient l’illustrer, en fermant les yeux…

La Face B : Il semble important pour toi de bien t’entourer. Comment vis-tu l’adjonction de nouvelles énergies à tes créations ? Est-ce que ça te permet de décentrer un regard très introspectif pour te tourner vers l’autre ?

Dani Terreur : Ça me fait du bien, de collaborer… Je m’ouvre énormément par ce biais. En fait j’ai fait le truc à l’envers : normalement les gens font des featuring, mais moi qui travaille avec plein d’artistes (comme producteur, NDLR), ça me permet de me voir de l’extérieur, et de me dire « pour tel projet, ce serait bien de m’entourer ». Et c’est ça en fait, qui ouvre des feat. ! Plus le temps va avancer dans ma carrière, plus je collaborerai, je pense… J’ai vraiment envie de m’extraire de quelque chose de très fermé, égocentré… On voit les murs de ce studio, tu vois, et être ici, seul toute la journée… C’est pas tenable ! (rires) Et puis même, il ne faut pas toujours refaire la même chose : de faire des feat., de collaborer, ça permet de s’ouvrir à d’autres univers…

La Face B : Après ces deux années particulières qui ont transformé le rapport au public en privant les artistes de se produire, quelles sont tes envies ? Tes projets ? 

Dani Terreur : J’ai hâte que ça reprenne, déjà, avec La Boule noire, le 27 juin, pour commencer. J’ai une envie viscérale de retrouver la scène, de faire une tournée… Bien sûr, j’ai d’autres projets studio, aussi. Un album, déjà… et plein d’autres choses.  Le but, c’est que ça ne s’arrête jamais.

Mais la musique de studio sans concert, c’est dommage… Elle ne trouve pas son public, sans la scène ; on passe à côté de choses.

Il y a des chansons qui méritent plus, et à travers les concerts, elles auraient eu une autre vie, elles auraient pu vivre plus. Et de ça, de ces retrouvailles, j’ai terriblement hâte.