Il y a des associations qui sur le papier semble improbable. La rencontre entre The Limiñanas et Laurent Garnier, rapidement devenue amitié, aurait pu s’arrêter à un remix du second pour le premier. Heureusement pour nous, l’aventure a continué et s’est concrétisée avec un album qui enferme en son sein les influences communes au deux univers, finalement pas si opposés : la transe, le psychédélisme et un amour sans fin pour le cinéma. De Pelicula est un album radical et réjouissant, qui convoque autant la musique des années 70 que le cinéma noir. Un choc esthétique et musical qui mérite d’être écouté encore et encore.
Contre les attentes. Voilà la principale mission qui attendait The Limiñanas et Laurent Garnier. À l’annonce rapide de leur collaboration autour d’un disque, tout un tas de questions étaient apparues. Des histoires bêtes, d’égo et de genres musicaux, comme si la vie était un combat perpétuel centré sur la domination et la prise de pouvoir. C’est sans doute le cas ailleurs, mais certainement pas ici. Au lieu de ça, c’est une histoire musicale à six mains que ceux là nous offrent. Mis de côtés les gros kicks technos, balancés au loin le mur du son et les guitares épaisses. L’histoire ici se construit ensemble, comme si un nouveau groupe s’était créé.
Le socle musical est simple basé sur deux idées communes qui, pour le coup étaient éminemment présentes dans les univers respectifs de ces deux entités aux CVs monumentaux : la transe et le psychédélisme. Deux lignes directrices qui sont aussi des points de croisement entre la techno et le rock. Un socle à la fois solide et mouvant servant de terreau à De Pelicula, un album radical, fiévreux et intense qui se vit clairement comme une pellicule sonore, un film noir auditif où les ambiances amènent les images. De Pelicula
Ici, il est donc questions de deux Freaks, Saul et Juliette au cœur des années 80. Deux être cabossés par la vie qui finissent par se rencontrer, s’aimer et partir ensemble dans une grande fuite en avant. C’est tout cela que raconte ces 11 morceaux. On savait l’amour du cinéma déjà très présents dans la musique de The Limiñanas, c’est une nouvelle fois le cas, mais d’une manière bien plus radicale. Car ici, la voix, lorsqu’elle est présente, ne chante pas, elle raconte. À deux exceptions près : Tout d’abord Que Calor! avec Edi Pistolas qui fait office d’échappée solaire et moite, un moment de relâchement dans la sombre échappée de Saul et Juliette.
Un morceau puissant, dansant, qui colle à la peau aussi vite que nos fringues dans une boite de nuit un soir d’été et qui, fatalement, porte extrêmement bien son nom. Le second, Au début c’est le début, jouira quand à lui de l’écriture poétique et surréaliste de l’inévitable Bertrand Belin. Sorte de générique de fin avant la fin, le morceau nous traine dans une danse lancinante qui sera suivie par le vraie générique final, la crépusculaire Saul s’est fait planter, lente complainte porté par des chœurs féminins, lointains échos d’une personne désormais disparue.
Pour le reste, ce n’est que voix off, plantant ça et là des éléments de décors, permettant de mettre des mots sur l’histoire musicale que nous sommes entrain de vivre. Que ce soit Lionel, Laurent ou Marie, chacun y va de son moment. La grande beauté textuelle de l’album est aussi dans l’utilisation de ces « moments parlés ». Aux rares moments ou ils apparaissent, ils se transforment parfois en boucle, devenant un élément presque électronique au sein de cette aventure puissamment organique. De Pelicula
Car pour répondre à cette décision esthétique du mot, il fallait faire un choix musical tout aussi radical et puissant afin de compenser l’absence et d’amplifier les émotions. Dès le départ et l’introductif Saul, on est rassuré : des éléments froids de la technos, et des partitions musicales où les instruments deviennent des boucles parfois dissonantes, le talent des uns et des autres et bien présent mais floutés, nous entrainant dans un élan romantique et sensible où on ne sait jamais qui a apporté quoi. Une grande zone de flou qui par moment, notamment sur ce premier titre, nous rappelle les excellents Propellerheads, groupe anglais qui lui aussi mélangé l’organique, l’électronique et le cinématographique.
L’autre élément important qu’il fallait noter, c’est l’importance des titres. Comme des chapitres, chaque titre de morceau est une clé de compréhension, un élément déclencheur qui nous indique ou nous sommes et ce qui nous attend.
Je rentrais par le bois… devient ainsi une longue montée inquiétante où l’on pourrait voir surgir ici et là des fantômes dans les ombres des arbres. Saul et Juliette nous raconte de manière dépouillée, et presque effrayante, les existences déglinguées de nos deux héros baignés dans la violence, le sang et le rejet.
Tu tournes en boucle est un trip sous acide, un instant de défonce où le réel se déforme et ou le pattern de batterie se répète pour nous donner cette sensation de boucle infinie, noyée dans des ambiances mouvantes et psychédéliques dans une sorte de western sentimental où les échecs se répètent encore et encore. De Pelicula
Steeplechase (une course d’obstacle à cheval, si vous ne le saviez pas) est sans aucun doute le grand moment de cet album. Premier morceau a être sorti de cette collaboration, il est celui qui explose tout, qui nous pousse définitivement vers la transe, ou la folie c’est au choix. Placé au cœur de cette aventure, il est aussi le morceau le plus long de De Pellicula, laissant ainsi toutes ses saveurs se diffuser dans nos oreilles et nos esprits. Un morceau auquel répondra forcement le déglingué et chaotique ne gâche pas l’aventure humaine, morceau qui annonce le dernier tiers de l’histoire et où le « je t’aime » répété à l’envie, sonne étrangement lorsqu’il se retrouve confronté au « ne me crie pas dessus » exprimé comme un supplique. On sent dans ce titre les colères et les brisures qui se font de plus en plus évidentes et une aventure humaine qui, forcément, se terminera mal.
De Pelicula est donc bien le grand film sonore auquel on pouvait s’attendre de la part de The Limiñanas et Laurent Garnier. Une aventure sonore et humaine intense, nourrit par des influences communes et l’envie de s’offrir une escapade merveilleuse, qui se termine bien mieux que les aventures de Saul et Juliette qu’ils nous racontent. La promesse est donc rempli : un album surprenant, puissant, qui nous pousse régulièrement entre la transe et le retour d’acide. On a désormais hâte de voir ces morceaux prendre vie sur scène.