Peut-on faire plus cliché pour un artiste irlandais que de mettre sur la pochette de son album une jeune fille rousse dans une prairie ? A l’écoute de Dear Annie, premier album de Rejjie Snow, on se dit surtout qu’il faut une bonne dose de recul et de second degré pour offrir une pochette comme celle-ci à un disque comme celui-là. Une manière de détourner l’attention pour ensuite surprendre. Et c’est réussi.
On va tuer le suspens tout de suite : Dear Annie, le tant attendu premier album de Rejjie Snow, est un exemple de réussite dans le genre du hip hop moderne. Mais on peut aussi considérer cet album, long de plus d’une heure et composé de 20 tracks, comme un livre audio divisé en chapitres, qui nous raconte une histoire d’amour. C’est un album qui laisse place à l’imaginaire, chacun étant libre d’analyser la structure du disque sous l’angle qu’il souhaite.
On peut aussi l’imaginer en émission de radio dont les interludes, The Wonderful World Of Annie, Skinnie Jasmine Intermission ou la fin de Oh No, servent de ponts entre les chansons. Ils présentent ou étayent des propos de l’artiste, que ce soit pour réaffirmer son identité irlandaise ou parler de son amour pour la France.
On pourrait aussi y voir une histoire de fantômes. Tout au long du format, on peut y voir des récurrences, des ombres qui reviennent, qui nous touchent, nous effleurent. Tout d’abord, et quoi de plus logique pour un album qui parle d’amour, l’album est hanté par les femmes. Elles sont partout, dans presque toutes les chansons. La voix de Rejjie Snow, que le flow soit nonchalant ou plus enjoué, est caverneuse et sombre, se rapprochant beaucoup de celle d’un Tyler The Creator. Il est donc logique, et nécessaire, de la contrebalancer avec des voix féminines, d’apporter le ying au yang. La douceur de Dana Williams sur Oh No!, Egyptian Luvr ou Room 27, la fragilitié de Milena Leblanc sur Mon amour ou la voix sublime d’Anna Of The North (déjà entendue chez… Tyler The Creator) sur Charlie Brown : les featurings vocaux féminins prennent une place importante dans les chansons mais aussi dans l’intention qu’elles dégagent. D’ailleurs, si on est tout a fait honnête, toutes les collaborations de l’album participent à cette recherche esthétique d’opposition à la voix de l’Irlandais, afin de donner plus de profondeur, de corps et de diversité à l’album. On retiendra notamment les apparitions de Jesse James Solomon sur The Ends ou Micah Freeman sur Greatness.
L’autre fantôme de l’album, et c’est un gros cocorico, c’est la présence en filigrane du petit génie parisien Lewis Ofman. Si Rejjie Snow n’a pas résisté à aller chercher des productions chez des poids lourds du hip hop actuel – Cam’O Bi, Kaytranada, Rahki ou le, lui aussi, très jeune Yellow Days – c’est bien le jeune Français qui se taille la part du lion sur l’album avec pas moins de 6 prods.
Si la collaboration peut paraitre surprenante et assez incongrue, on ne peut qu’être convaincu par celle-ci à l’écoute des titres. Que ce soit Mon Amour, Désolé, dans lesquelles Rejjie Snow s’essaie au français, Rainbows ou la plus aventureuse et totalement addictive Bye Polar, il apporte sa fraicheur, sa poésie et cette espèce de candeur espiègle au service du flow de l’Irlandais. Une sorte d’expérience chimique un peu folle qui donne au final un résultat au delà de nos espérances.
Dear Annie est donc un album de hip hop moderne, sorte de mélange entre Tyler The Creator, Franck Ocean et Gainsbourg. Un premier effort réjouissant et maitrisé, ou chaque choix esthétique fait par Rejjie Snow est à la fois affirmé, réfléchi et réussi. Bref, un album à ne pas rater.
En concert
15 Mars 2018 : Le Trianon – Paris
16 Mars 2018 : Le Splendid – Lille dans le cadre des Paradis Artificiels
31 Mars 2018: Le Sucre – Lyon
06 Avril 2018: La Laiterie – Strasbourg
07 Avril 2018: Le Botanique – Bruxelles (complet)
09 Avril 2018: Le Stereolux – Nantes