Cela fait un petit moment que l’on suit les aventures de Denys & The Roses, devenu désormais Denys Roses. Un premier EP, That Is Strange, qui nous avait bien marqué et des prestations scéniques qui n’ont fait que renforcer l’amour que l’on porte au projet créé par Rosa. On a donc décidé d’aller la questionner lors de son passage aux iNOUïs du Printemps de Bourges.

La Face B : Salut Rosa ! Comment ça va aujourd’hui ?
Denys Roses : Ça va bien. Je suis un peu fatiguée mais ça va.
LFB : Comment as-tu vécu ta semaine à Bourges ?
Denys Roses : De façon assez intense. J’ai vécu beaucoup de choses hyper intéressantes. C’est la première fois que je vis ça côté artiste sur un si gros festival. J’ai plutôt fait ça côté festivaliers. Du coup, c’est un peu grisant d’être de l’autre côté de la barrière.
LFB : Le projet s’appelait avant Denys and The Roses. C’est devenu Denys Roses. Je me demandais si ce changement de nom était une manière d’annihiler le côté individuel du nom et de faire quelque chose de plus collectif ?
Denys Roses : Oui. Il y a de ça. C’est marrant parce qu’on m’a déjà dit l’inverse, que Denys and the Roses, c’était plus collectif. Parce que Denys Roses, ça fait nom et prénom. Mais en même temps, Denys Roses ça peut être interprété de plusieurs manières. Tu as les roses de Denys, tu as nom + prénom. Je laisse libre court à qui veut. C’est aussi une entité qui prend la forme d’un artiste ou d’un groupe.
LFB : Il y a quand même eu une évolution sur le storytelling et sur la présentation. Avant, les photos, c’était toi toute seule. Là, j’ai l’impression qu’il y a quand même plus une volonté de se présenter en tant que groupe.
Denys Roses : Oui, il y a une volonté de se présenter en tant que groupe. En fait, les deux… parce que ça continue d’être moi qui suis à l’initiative du projet mais mes musiciens et musiciennes prennent vraiment part à tout le reste. Sur scène, on ressent les dynamiques de groupe, dans le jeu. Ça fait maintenant un moment qu’on travaille ensemble donc ça reste les deux je pense.
LFB : En tant qu’expérience musicale, le fait de jouer en groupe et le fait de vivre sur scène, parce que finalement quand tu as commencé Denys Roses, il y a eu le Covid et peu de concerts avant, qu’est-ce que ça a influencé sur ta façon de créer de la musique ?
Denys Roses : J’ai toujours été très inspiré par des groupes qui viennent du live. Quand j’étais gamine, c’était les Doors et il y avait ce truc de construction de la musique en live et de son évolution en live. Du coup, le premier EP, c’est vrai qu’on a fait l’enregistrement avant le live et il y a quand même eu des arrangements et un gap à combler en quelque sorte entre les deux. On ne pouvait pas tout retranscrire et j’ai mis un point d’honneur à ne pas avoir de samples sur scène et pas d’ordis.
Ce travail a été fait dans un sens et aujourd’hui, on le fait dans l’autre sens, on finit de travailler les morceaux ensemble, en les jouant. Il y a une étape de compo avant, que ce soit de ma part ou de la part de Sam, et après on les remanie ensemble et c’est plus l’ énergie du live qu’on essaie de capturer avant l’enregistrement. D’ailleurs, vous les voyez en live avant qu’ils n’aient été enregistrés. Et l’un forcément nourrit l’autre.
LFB : Justement, est-ce que la première expérience t’a montré les « limites » ? De ne pas tomber dans le piège de faire une musique qui ne peut pas être retranscrite.
Denys Roses : Oui, parce que clairement, à l’époque, j’ai voulu peut-être trop en mettre. Je pense que c’est vouloir partager beaucoup au départ. Mais ça, j’ai l’impression que tout le monde passe par là : Au tout début en tous cas, tu essaies de faire pleins de choses parce que tu as entendu pleins de choses. Il y en a qui arrivent à une maturité très vite mais moi, pour le coup, ça prend son temps. On a fini par épurer après coup. Et le live pour moi est essentiel… J’adore les musiques enregistrées, j’adore enregistrer en studio mais j’aime être en contact avec les gens. J’adore écrire et j’aime écrire pour la scène.
LFB : Et du coup, j’ai regardé le dépliant que tu m’as donné. Je trouve qu’il y a une phrase dans la bio, dans ce qui est écrit dans l’histoire, qui est hyper importante et qui, pour moi, représente parfaitement le projet, c’est Things take time for a reason. L’imaginaire de ce que tu fais et de ce qu’est la musique, de vivre des choses mais prendre le temps pour les digérer, les analyser et les transformer en de la musique, en une chanson.
Denys Roses : Ouais, c’est un peu un milieu schizophrène (rires) où on nous dit d’aller vite et où nous-mêmes, on a envie d’aller vite. On pense qu’il faut aller vite. Mais ces choses là prennent du temps. C’est un peu la problématique. J’ai été souvent confronté à des moments où même si je voulais faire les choses vite, il y avait toujours un truc qui bloquait peut être pour me faire prendre le temps et pour que ça mûrisse un peu plus. Ça pouvait être des trucs bateaux d’une sortie qui ne se fait pas correctement parce qu’il y a quelque chose qui bloque. Du coup, tu es obligée de prendre le temps, de remanier la musique, de la retravailler, la re-mâcher. Le temps de digestion est hyper important parce qu’il me semble que c’est difficile d’avoir les mots justes quand tu parles de quelque chose qui vient de se passer, que tu viens de vivre, même si parfois quand le texte est brut c’est cool aussi.
LFB : Surtout quand c’est très rattaché à ton existence quoi.
Denys Roses : Oui, voilà. Même si tu parles de quelqu’un d’autre, j’ai toujours un travail en plus à faire pour que ce soit juste, il faut que ce soit affiné. Après, parfois, le premier jet marche bien aussi et ça va vite. Mais j’aime toujours retravailler les choses. Du coup, j’essaie de prendre le temps. Le things take time for a reason, ça a été un peu un mantra. D’ailleurs, dans l’album, c’est un morceau. Et on le joue sur scène. C’est un morceau qui dure très peu de temps ironiquement, parce que ça a une résonance d’à “un moment donné”, tu ne peux pas demander que ça aille beaucoup plus vite que la musique. (rires) oups! ce cliché, il fallait que je le sorte.
LFB : C’est intéressant parce que tout ce que tu dis, que les gens vont avoir une image de toi qui ne va pas forcément correspondre à ta musique et ta musique, elle va avoir une image que toi que t’envisageais pas. Je trouve que tout ça représente très bien ce que tu fais parce que limite, c’est un projet qui te surprend toi-même j’ai l’impression. Autant Ditter c’est un projet beaucoup plus rigolo et plus frontal. Autant j’ai l’impression que Denys Roses, c’est presque une psychanalyse.
Denys Roses : Ouais. Ça grandit avec moi ou je grandis avec. Ça évolue constamment et je disais aussi à mes acolytes sur le dépliant et sur ce que j’ai écrit, il y a volontairement des choses qui sont aussi faites à la main. J’ai dû repousser la date de sortie et du coup j’ai collé la nouvelle date sur le papier (rires). Mais toutes ces choses-là montrent qu’à un moment donné, tout est organique et que cette musique, ce projet évolue constamment en fait. Malgré tout, il est toujours en train d’apprendre de lui-même, comme moi j’apprends sur moi-même et j’apprends des autres.

LFB : C’est un projet avec une âme presque. Même carrément. Ce que j’aime beaucoup, dans ta façon que tu as d’écrire et de présenter les chansons, j’ai l’impression de voir des poèmes mis en musique. Je trouve que tu vas un peu à l’encontre du couplet, du refrain. Même s’il y a des choses qui reviennent, il y a toujours cette évolution et ce truc un peu grand. Quand tu avais sorti le fanzine, pour moi, on regardait les textes, c’était vraiment des poèmes que tu écrivais. Est-ce que ça te va comme idée ?
Denys Roses : Oui. Carrément, ça me va comme idée parce que de toute façon, dans le premier travail d’écriture, je passe souvent par le texte avant de le mettre en musique. Je fais moins de musique en écrivant le texte après coup. C’est toujours un premier jet d’abord, après j’affine pour travailler les résonances, la musicalité des mots. Ce premier jet-là ressemble peut-être plus à des poèmes. Je ne sais pas si c’est vraiment de la prose mais c’est juste des textes jetés presque en écriture automatique. Ensuite, je me rends compte qu’il y a un lien entre les choses et ensuite je choisis de le travailler, l’affiner. Donc si tu dis que ça ressemble à des poèmes, je suis ravie.
LFB : Ce qu’il y a de rigolo, c’est que parfois, l’énergie du texte déborde même de la musique. Sur un morceau comme Start With a Song, tu vois des fois que ça va… Même sur le dernier morceau que tu as sorti, il y a vraiment cette idée. Ce qui n’est pas toujours le cas dans le rock en anglais, surtout sur des artistes français. Il y a vraiment un soin particulier sur l’histoire et sur l’importance du texte en fait dans ce que tu racontes. Chaque son a une énergie et une façon d’être qui est différente de l’autre.
Denys Roses : Merci. C’est cool de l’entendre. J’aime écrire des histoires. Et la musique qui va accompagner le texte et la mélodie, ne sera pas toujours dans le même registre. Même si ça reste rock ou folk ou pop. C’est l’histoire qui donne le point de départ.
LFB : Il y a un aussi un côté très pictural je trouve. Je me demandais si ton travail de graphiste à côté, ça t’influençait aussi dans l’idée de mettre beaucoup d’images dans ton écriture et de mettre des choses où ça peut percuter la personne et où elle peut voir ce qu’elle entend en fait ?
Denys Roses : Oui, parce qu’en fait, j’utilise la musique, l’écriture, l’illustration, la vidéo, comme des outils à ma disposition pour m’exprimer sur un meme sujet. Du coup, forcément, les uns influencent les autres. C’est vrai que quand j’écris, il y a toujours un visuel qui me vient ou une idée d’image en mouvement comme pour beaucoup d’artistes. J’aime bien l’idée “d’image en mouvement” parce que ça n’est pas forcément tout de suite la vidéo ou le clip auquel je pense mais plus une visualisation. Parce que ça m’aide à écrire et à rentrer dedans. A détailler. Parce que quand tu parles d’une personne, d’une personnalité ou d’un paysage, tu as besoin de détails. Et pour avoir ces détails, il faut visualiser. Enfin, à mon sens. J’en ai besoin. Je vais chercher des choses qui pourraient correspondre à cet univers-là. Je n’utilise pas forcément tout d’ailleurs.
LFB : L’autre élément qui est important aussi, c’est qu’il y a quand même d’humour. Je me demandais si tu utilisais l’humour parce que tu étais quelqu’un de foncièrement drôle ou parce que tu as aussi besoin de dédramatiser parfois des sujets un peu sérieux et un peu trop intimes ?
Denys Roses : Les deux. Non, je ne suis pas foncièrement drôle. Je suis plutôt triste je crois. L’humour m’aide à détourner. Effectivement. Je détourne l’attention (rires). Disons que chaque chose qui est pris avec un peu d’humour ou une note de cynisme parfois, peut-être un peu mieux reçu par un public ? J’ai toujours été hyper intimidée par le drame. Même si j’en fais. Mais le drama, parfois, c’est bien trop intense.(rires)
LFB : C’est la relation amour-haine avec le drame.
Denys Roses : C’est ça. Il y a un truc entre accepter ce qu’il se passe et la peine que ça peut faire, la colère ou le désarroi. Et du coup, utiliser l’humour pour alléger un petit peu et tenter d’y ramener de la joie aussi.
LFB : C’est important. Même quand tu les interprètes sur scène, si le truc te plombe dans une noirceur, je pense que ce n’est pas évident à le jouer de manière régulière.
Denys Roses : Non, c’est sûr après je pense que la scène est un terrain de jeu où justement, tu peux habiter les choses de plusieurs manières. Ça m’est même arrivé d’avoir une chanson que j’avais du mal à faire, de m’imaginer que c’était la chanson de quelqu’un d’autre que je faisais une cover (rires) pour avoir un autre point de vue. C’est le tips d’un coach scénique. Ça rend les choses plus légères et du coup, bizarrement, on revient sur la justesse d’interprétation quand on prend de la distance. C’est comme quand tu essaies de faire du son très fort avec des guitares très heavy et très disto, tout en même temps et à la même intensité, en face, on ne va pas du tout se prendre une claque. On va se prendre un truc tout brouillon qui ne va pas sonner. C’est une question de dosage. Là, c’est pareil. Si tu essaies d’interpréter les choses comme ça te fait mal et de retranscrire la douleur directe, j’ai le sentiment que personne n’y crois parce que ça devient trop. Alors que du coup, quand j’y mets de la distance, et cet humour participe à la distance, je suis plus dans la justesse et aussi plus vulnérable.
LFB : Je trouve que tu es très en retenue sur scène.
Denys Roses : C’est vrai ?
LFB : Ouais. Ce qui n’était pas forcément le cas avec Ditter quand je vous ai vus. Sur Denys Roses, j’ai cette impression. C’est intéressant aussi parce que tu as aussi autour de toi les musiciens qui peuvent te permettre d’être un peu un point, pas statique parce que tu bouges quand même sur scène, mais un truc de vision et de centre de scène. A part le morceau où tu joues avec ton téléphone, qui est très, très cool d’ailleurs.
Denys Roses : Merci. Celui-là était du premier EP. C’est That Is Strange. On a réussi à retranscrire la voix saturée. Je ne suis pas du tout la première à faire ce genre de truc avec le téléphone. Je m’en suis inspirée. Mais ouais, en retenue, en fait, il y a déjà un truc, c’est que des fois tu as l’impression de faire des mouvements super grands et en fait, pas du tout (rires) La difficulté de percevoir réellement l’espace. Et puis, j’avoue que derrière, ils et elles sont assez expressifs. Et aussi parce que je veux que le chant soit au plus juste en termes d’intensité. Je prend plaisir à ce que ce soit le plus juste au bon moment. Du coup, je bouge moins. Là où Ditter est peut-être plus punk dans l’attitude peut-être.

LFB : Je me demandais en quoi ta région et tes origines avaient une influence sur ta musique ?
Denys Roses : je ne sais pas si ça a une influence. Je me dis que parce que les paysages de l’île sont assez contrastés et peuvent être très différents. c’est un peu comme ça que j’explique une partie de notre musique aussi. Il y a des grandes montagnes assez hautes et puis des plages très étendues. Des forêts très denses et même un désert ! Ça fait beaucoup de volumes différents. C’est peut-être aussi pour ça que la musique que je fais est tout ou rien. Et puis, j’ai grandi entourée par le chant traditionnel en partie et j’ai grandi aussi entourée de chanteurs et chanteuses autodidacte, même si j’ai pris des cours de chant par la suite.
Et le chant traditionnel, il y a un vrai truc unique d’expression par la voix, comme dans toutes cultures fortes. Il y a une communication orale qui est assez importante. Du coup, les anciens là-bas chantent aussi pour exprimer des événements de tous les jours. C’etait un moyen d’expression très ancré. Raconter les histoires aussi. Il y a une culture de conteur, conteuses d’histoires, encore aujourd’hui, et l’humour y est d’ailleurs très présent. Peut-être que ça m’a influencé. Et c’est après que j’ai été chercher d’autres musiques. Parce qu’une fois arrivée à l’adolescence, j’avais besoin de savoir ce qu’il s’écoutait et se faisait ailleurs.
LFB : Tu as un album qui va sortir bientôt. Tu as sorti un nouveau morceau en session live. C’est quoi tes plans et tes envies ?
Denys Roses : Mes plans sont mouvants donc je ne vais pas rentrer dans le détail (rires). Ce n’est pas encore très fixé. Mais là, moi je veux sortir un bel album. C’est une envie. Il n’y aura pas 15 000 titres mais ils seront tous choisis. Ils sont déjà bien choisis. Mes envies, c’est du coup, épurer et travailler sur le détail existant. Aller un peu à l’inverse de ce que j’ai fait avant mais je pense que c’est complémentaire aussi. Et essayer de continuer à faire des chansons qui peuvent parler aux gens.
LFB : Est-ce que tu as des coups de cœur récents ?
Denys Roses : Le coup de cœur de ce matin, c’est Marie Amali qui m’a fait monter les larmes aux yeux, profondément, avec son piano, sa voix et ses textes. Après, Social Dance, que je kiffe vraiment. Pars.Sek, Aghiad et Fishtalk bien sûr ! En plus, ce sont toustes des personnes incroyables. Après, j’avoue là en ce moment, je ne regarde plus trop de films, ni de séries. C’est un peu n’importe quoi (rires). Un coup de cœur, c’est une journaliste et musicienne, Corine Sombrun qui travaille sur la trans auto-induite. J’ai lu un de ses livres récemment. On peut dire que j’ai eu un coup de cœur pour son travail. Pour ça et pour les Bd de David Snug et pour les strips de Hannah Hillam !