Écran Total : de la pervasivité auditive

Écran Total, c’est un projet cocon, porté par une voix nappante et douce, empreinte de sensualité… On a voulu creuser en allant à la rencontre du duo à l’origine de ce doudou auditif qui remporte les faveurs unanimes des auditeurs et de la presse, qui a notamment consacré l’EP « Schaerbeek Love » Coup de cœur de l’émission Coté Club d’Inter ! Rencontre avec les deux protagonistes de ce groupe aux multiples facettes, auteur notamment de l’enchanteur Schaerbeek Love

Margaux & Camille d’Écran Total, crédits photo : Clara de Latour

La Face B : À la croisée des chemins, de Lyon à Schaerbeek, il y a Paris. Pourquoi ce choix de vous établir ici ?

Camille (auteur, compositeur, interprète) : Alors, à l’origine, on s’est rencontrés à Lyon dans un bar ! Margaux m’a invité à passer un week-end à Bruxelles, et là on a composé deux morceaux : Schaerbeek Love et Finie la fête. Moi je suis reparti à Lyon, mais avec un peu d’amertume parce que je me disais, quand même, c’est cool ce qu’on a fait ! Du coup j’y suis retourné, on a recomposé deux morceaux, et là c’était parti.

On a vraiment ce truc-là où tout nous vient hyper facilement : c’était une journée, un morceau !

Margaux (autrice, compositrice, interprète) : Oui, Paris c’est venu plus tard, en fait il y a eu tout un parcours avant d’arriver ici… À ce moment-là, Camille avait une vision assez arrêtée sur le fait qu’il fallait qu’on quitte la ville au vu de la situation sanitaire, du coup après ces séjours bruxellois, on a saisi une opportunité incroyable pour s’établir, pendant presqu’un an, en Haute-Savoie vers Thonon près du lac Léman.

Camille : Mais désormais, on est vraiment entre deux villes, puisqu’on est cinq sur scène, et que les trois autres musiciens, Isabelle Eder (Sounds of la Cave), Fanny Bouteiller, Tanguy Ponthus et Kerwin Marchand-Moury notre ingénieur son, sont basés à Lyon.

L’idée de venir à Paris, c’était vraiment pour s’inscrire dans un éco-système pop très riche, plus diversifié ici que dans d’autres villes !

La Face B : D’accord… Et du coup sur le plan de la composition vous parlez d’une journée un morceau : c’est hyper rapide ! Comment ça marche du coup ?

Camille : On fait vraiment tout ensemble, c’est du 50/50 !

Margaux : Oui c’est assez ping-pong, comme organisation… Le commencement était vraiment fou sur le plan créatif pour ce qui est de la rapidité, par contre les maquettes n’étaient pas du tout abouties. On ne pouvait pas les communiquer, rien n’était masterisé, et pour tout ce travail-là, on voulait bosser avec quelqu’un…

La Face B : De qui vous êtes-vous entourés du coup ?

Camille : En fait, on a pas été super satisfaits des collaborations engagées et on a finalement tout mixé et masterisé nous-même ! À la fin du premier confinement, on a sorti un titre qu’on a envoyé à La Souterraine, qu’ils ont partagé. Et là, grosse surprise : direct on est passés sur Fip, Nova

Un jour, le copain de ma mère m’appelle pour me dire qu’il nous avait entendu sur Fip, et qu’ils étaient hyper élogieux ! C’était très chouette !

Dans la foulée, on a sorti un deuxième morceau et tout de suite – à l’époque j’avoue on savait pas que c’était trop cool – on est playlistés dans le « New Music Friday » de Spotify. Là-dessus on s’est dit qu’on allait faire un EP.

La Face B :  Mais du coup, quel est votre parcours pour en arriver-là ?

Camille : Personnellement, j’ai fait beaucoup de jazz, je suis issu de ça.

C’est vraiment Margaux qui m’a amené vers la pop. C’est un univers que je ne connaissais pas du tout !

En termes d’influences, en ce moment j’écoute beaucoup un groupe qui s’appelle Quinzequinze, des français qui chantent en anglais ! Y a aussi Alexandra Savior que j’écoute en ce moment.

Margaux : Moi en ce moment, j’écoute beaucoup Malik Djoudi, qui a quelque chose d’assez sensible et d’assez surprenant sur scène, avec une voix relativement aigue à laquelle on ne s’attend pas ! Concernant mon parcours, j’ai eu plusieurs groupes où je chantais et faisais les paroles mais pas forcément les instrus. La Vis cachée, avec qui on avait repris Et maintenant, que je recommande (rires) ! Et Chatou, c’était mon projet solo, j’avais fait notamment une reprise de L’amour exactement des Lignes droites. J’avais déjà envoyé des morceaux à La Souterraine qui avait relayé, donc c’était chouette ! Parallèlement, j’étais aux Beaux-arts de Bruxelles (c’est moi du coup qui ai fait la couverte de Schaerbeek love), où je faisais de la vidéo.

Camille : Et du coup grâce à son savoir-faire, il faut savoir qu’on réalise nos clips nous-même !

Margaux : Oui, mais on a aussi imaginé l’un de nos clips, La snooze, avec une illustratrice super chouette, Marine Buffard, alias Becoming a morning person, qui dessine d’ailleurs pour le New-York Times ! Son univers est vraiment hyper inspirant et on était de fait tellement fiers qu’elle veuille collaborer avec nous ! C’était son premier clip, et le réaliser en illustration, ça représente un boulot monstre. Le résultat marche super bien !

En revanche l’avant-dernier, Écran Total, c’est un monde que Margaux a créé sur Sketch-up, un logiciel d’archi, où elle a créé tout un monde un peu en mode jeux-vidéos !

Camille

C’est carrément hybride, parce que Sketch-up c’est pas du tout fait pour ça, ce qui rend le projet très particulier, très arty ! Il faut savoir qu’aux Beaux-arts, Margaux a travaillé sur un mémoire, « Qui contrôle qui ? De part et d’autre de l’écran« . Écran Total, le projet en lui-même, c’est un peu parti de ça. Elle y conduit toute une réflexion sur la virtualité, le monde des écrans…

La Face B : Sur la pervasivité ? Cette frontière très fine entre le réel et le virtuel, et le fait qu’il y ait justement des ponts entre les deux ?

Camille : Alors, ça ce serait un peu la suite, la base du propos ce sont les données, ce qu’on en fait, ce qu’on accepte, leur destination… Est-ce que le smartphone, c’est vraiment un cadeau par exemple, sur l’addiction à l’hyperconnexion, aussi… Et la suite, c’est un peu ce dont tu parles, je pense aux métaverses de Zuckerberg…

Margaux : C’est drôle d’ailleurs parce que sa vidéo sur le sujet fait vachement penser au clip, il est en avatar dans son monde virtuel en train de faire du surf depuis son canapé !

Camille : Et le truc qui est marrant, c’est que Feu, Chatterton ! a aussi fait une chanson qui s’appelle Écran Total, et Burgalat dans son « Rêve capital », « ferme les yeux c’est l’écran total »…

C’est un nom-concept qui reflète une problématique très contemporaine.

La Face B : Votre titre éponyme, Écran total, évoque justement la solitude face à l’autre, je pense à cet extrait des paroles « choisis l’amour en réseau / t’es pas trop dispo », « Codes famille, codes ami, codes amant »…

Camille : Ça, cette notion de codes, c’est sur le fait de devoir présenter différentes facettes de nous-mêmes en fonction des situations sociétales, ce qui peut parfois être un peu lourd.

Margaux : Et puis c’est vrai que ça parle aussi de l’arrivée des applications de rencontres dans nos vies, et du fait qu’avec les métaverses, effectivement, bientôt on nous proposera de faire l’amour en réseau et où ce sera normal (rires) !

La Face B : Du coup cet « écran total », est-ce que c’est votre rempart contre un monde parfois hostile ?

Écran Total, ça peut être un filtre comme une exposition, c’est un peu les deux ! Dans ma recherche artistique, c’est quelque chose qui était tout le temps-là. C’est une relation très intime, de fond, qui mérite d’être questionnée !

Margaux

La Face B : Et du coup, est-ce que faire de la musique ce n’est pas une façon de contrer tout ça en restant dans quelque chose de très concret, de très organique ?

Camille : Je ne dirai pas que c’est vraiment contre, d’ailleurs, on utilise aussi la musique électronique dans nos compos !

Margaux : En revanche, c’est vrai que c’est organique. Et puis, il y a la scène aussi, le contact avec le public que personnellement j’adore !

Camille : Alors moi en revanche, étant contrebassiste à l’origine, ça me change ! D’expérience, les gens ne font pas nécessairement attention à la contrebasse…

J’ai vraiment l’impression d’un saut dans le vide en entrant sur scène, avec Écran Total ! En fait tu peux pas tricher, tu dois être sincère et ça, d’entrée de jeu. C’est assez cool.

La Face B : On ressent beaucoup de tendresse vis-à-vis de ce public qui vous suit. Dans vos textes également, il y a beaucoup d’amour, et puis une dimension de désir, de ce que l’autre représente – je pense à Tu allais venir. Ça vous est venu comment ?

Camille : On aime bien ce texte, plein de métaphores érotiques ! En fan de Gainsbourg et de son écriture, ce sont des choses qui me font marrer, les double-sens.

Margaux : Je ne m’en rendais pas forcément compte mais il y a aussi des chansons comme Rayon vert où le phrasé est extrêmement lent, et où du coup, entre le début et la fin de la phrase, on perd facilement le sens initial pour se retrouver dans quelque chose de très onirique !

 Par la réinterprétation, on peut s’imaginer d’autres histoires, et c’est quelque chose qui me plaît beaucoup…

La Face B : C’est très doux en fait !

Margaux : Oui… Et en parlant de la voix, le parti-pris de murmurer, chuchoter, ça créée aussi une relation intime à la personne qui écoute.

C’est quelque chose qui vient plus des films en fait, de quelque chose de très visuel, où tu vois la personne parler.

La Face B : On peut même t’entendre sourire en chantant, c’est assez déroutant !

Camille : C’est vrai ! On essaye un peu d’abolir les barrières entre les genres. Le gros problème du métier d’artiste je crois, c’est l’auto-censure et je pense que ça c’est un truc qu’il faut oublier !

La Face B : Alors le terme « auto-contrôle en béton » dans l’un de vos titres, ça parle de ça ?

Margaux : Exact ! Et le fait d’être à deux à composer ça aide beaucoup dans cette démarche de déconstruction de l’auto-contrôle ou de l’auto-censure. Par exemple parfois Camille va venir avec un truc super chelou. De là, tu vas sur un terrain que tu connais pas, tu te laisses embarquer, et finalement, ce truc où tu ne serais jamais allée toute seule fonctionne hyper bien !

Camille : C’est vraiment la chance qu’on a avec Margaux, c’est que pour le coup, n’étant pas musicienne de formation, elle arrive avec des choses qui ne sont pas conventionnelles, tandis que je peux parfois me sentir plus enclavé ! J’ai des pattern, des recettes, alors qu’elle va arriver, proposer un rythme que je ne vais pas forcément comprendre et c’est là, dans cette friction, que naît une création intéressante !

Margaux : Écran Total, c’est la rencontre de deux univers qui se répondent… et marchent ensemble.