Peu avant la sortie de son album Dernier Orage, on a rencontré ELOI. Malgré la fatigue des interviews qui s’enchainent, elle ne perd pas son pétillant et sa clairvoyance pour nous parler de son parcours. Ce dernier nous a également permis de prendre le temps de plonger un peu plus dans son dernier opus et tout ce qui l’entoure.
LFB : A l’approche de la sortie de l’album comment te sens-tu ?
ELOI : Ca fait un an que je travaille dessus du coup je n’arrive pas trop à me dire que c’est la semaine prochaine qu’il sort (rires). Je reste quand même tout le temps dans les préparatifs qui entourent la sortie du projet, du coup j’ai juste hâte qu’il sorte. Je pense que par après je pourrais plus ressentir tout le chemin parcouru pour en arriver à cette sortie.
LFB : Tu as déjà sorti quelques singles, qui t’ont un peu servi pour prendre la température, comment ça s’est passé ?
ELOI : Très bien ! Il y a beaucoup de titres dans l’album qui ont des ambiances différentes même si, je trouve qu’il y a une grande cohérence quand on prend le projet dans sa globalité. Du coup commencer avec un titre pop comme Sans Cesse, ça m’a fait un peu bizarre. En tout cas, je suis très contente des retours et même du travail visuel que j’ai pu faire sur le côté. Je prépare aussi une Cigale, j’ai pleins de choses sur le feu et je laisse tout chauffer sans trop m’arrêter sur les retours.
LFB : C’est que ça se passe bien alors, je pense que si les retours étaient négatifs, ça occuperait surement plus ton esprit (rires).
ELOI : Ouais puis je sais que c’est mon premier album, je n’ai pas envie d’avoir trop d’attentes ! En tout cas, je suis très heureuse d’avoir fait ce projet.
LFB : Tu évoquais les visuels, c’est une composante qui m’a directement frappé chez toi, la manière que tu as d’ancrer ta musique avec des visuels riches de sens. Je sais que tu as fait les beaux-arts, quel rapport entretiens-tu avec l’image ?
ELOI : Je m’applique énormément dans la direction artistique, je sais vers quoi je veux aller et avec qui le faire ! Je n’ai pas peur de prendre le temps d’y réfléchir et de savoir ce que je veux. Par exemple, en ce moment, je sors des visuels et je ne voulais pas qu’ils soient trop grandiloquents, mais qu’il y ait une sorte de narration.
Je regarde beaucoup d’images, je suis entouré de beaucoup d’artistes, forcément, j’ai un peu des inspirations que je veux ancrer dans mon projet et pour moi, c’est grave important. Je prends presque autant d’attention à faire ça que de la musique.
LFB : Je repense souvent au clip de jtm de ouf, parce qu’il avait une dualité qui oscillait entre le mysticisme et la candeur de l’enfance/adolescence. C’est quelque chose qu’on retrouve beaucoup dans ta musique, quel est ton rapport à l’adolescence ?
ELOI : C’est une période pendant laquelle j’ai vécu des émotions diverses et variées fortes. Je pense que c’est très profond la manière dont on ressent les émotions à cette période-là. En plus, on y vit beaucoup d’expériences assez fortes : on apprend et découvre plein de choses avec beaucoup d’intensité.
Il y a un grand paradoxe entre l’enfance/l’adolescence ces moments où l’on découvre plein de choses avec émerveillement et d’autres qui sont beaucoup plus négatives. Tu apprends à la fois le bon et le mauvais de plein de situations. Tu perds ton innocence tout en étant constamment dans la découverte.
Dans jtm de ouf on a vraiment l’univers que j’ai découvert en art plastique à l’école. Le clip cristallise à la fois ce que je faisais en plastique et ce que je fais en musique.
LFB : L’album garde ce ton très adolescent dans la manière dont tu évoques les choses, mais cette fois, tu t’attaques à une thématique en particulier, celle de l’amour. C’est quelque chose qui t’inspire au quotidien ?
ELOI : L’amour est partout et dans plein d’aspects de la vie : l’amour familial, amical, amoureux,…Tu en tires plein d’expériences de vie, forcément, c’est un vivier d’inspirations larges et sur lequel j’ai toujours quelque chose à exprimer. Là, j’ai l’impression que je l’ai vraiment usé dans l’album en le poussant sur des sujets différents, mais qui se rejoigne via l’amour.
Les relations humaines en général sont basées sur l’amour ou le désamour. Du coup, ça amène à des émotions très fortes aussi bien positives que négatives.
LFB : Pour lier ça avec l’adolescence, l’amour, j’ai l’impression que même en vieillissant ça reste une constante découverte et le raconter avec ce côté adolescent permet d’exposer ton regard d’adulte sans non plus tomber dans la dramaturgie.
ELOI : Bien sur ! Puis il y a l’intensité de comment tu ressens ces deux choses. L’amour comme l’adolescence, c’est beaucoup d’intensité, ça se rejoint.
LFB : Pour parler un peu plus de la musique qui ancre ces thématiques, je sais que tu touches à la production. As-tu besoin d’avoir la mainmise sur la presque totalité de ton processus créatif ?
ELOI : C’est comme ça que je travaille en tout cas. Je n’arrive pas trop à déléguer.
Sur la production par exemple, je n’ai pas envie que ça change parce que je sais vraiment là où je veux aller et que c’est un plaisir pour moi de le faire autant que l’écriture. Pour moi, les deux s’imbriquent ensemble. J’ai beaucoup de mal à écrire sur les productions de quelqu’un d’autre. Ce sont vraiment deux composantes qui vont ensemble dans ce que je veux exprimer et les émotions que je veux transmettre.
Je n’ai pas vraiment de moment où je me dis « là, j’écris et là, je produis« , je suis constamment entre les deux et je passe de l’un à l’autre. J’ai grave besoin de faire plusieurs choses en même temps, ce qui me permet de ne pas être trop focus sur la même pratique pendant un moment.
LFB : Au niveau des influences, ça part un peu dans tous les sens, mais tout en étant assez bien digéré. Il y a une vraie énergie rock, surtout sur scène et en même temps, il y a des productions électroniques et des mélodies « pop »...
ELOI : Je voulais faire des chansons avec des mélodies qui restent en tête. Après, j’essaye de déconstruire pour ne pas avoir une structure musicale trop précise. Je me donne assez de libertés dans ce que je fais et vu que j’écoute beaucoup de choses différentes, ça se transcrit comme ça.
Je pense qu’il y a un fil conducteur parce que c’est moi qui suis derrière et je fais revenir les choses que j’aime : les synthés, les arpèges, dans la voix,…même si la voix je la varie en fonction des morceaux, je m’adapte à ce que j’ai envie de faire.
C’est pour ça que j’ai eu envie de faire un album, car j’ai réussi à trouver une cohérence entre tout et ça témoigne de ce moment. C’est plus ça, qu’une histoire qui va raconter quelque chose de super précis qui se déroule avec conscience.
LFB : C’est vrai que sur certains morceaux, tu couples ta voix avec des traitements par-dessus, ce qui donne vraiment l’impression que tu l’utilises comme un instrument.
ELOI : C’est pour ça que je dis que je mets la production sur le même plan que la voix. J’ai des choses à raconter, mais la forme que je lui donne est réfléchie.
J’écoute aussi des morceaux avec des voix pitchées ou de la distorsion, ça m’intéresse de chercher de nouvelles choses. Parfois ça n’a pas la forme la plus finie ou la plus évidente, mais ça m’intéresse quand même de l’avoir fait.
LFB : Elles te viennent d’où toutes ses influences ?
ELOI : Internet !! (rires) Je n’ai aucune limite sur ce que j’écoute et je suis très ouverte, ça se ressent dans ma musique.
LFB : Souvent le plus dur, c’est de digérer ses influences, tu sembles l’avoir fait assez vite, comment ça s’est passé ?
ELOI : Je ne le conscientise pas trop. Il y a certains codes qui s’affilient à certains styles, mais au final, c’est moi qui donne à mes morceaux la forme que j’ai envie de leur donner. La technique pour s’inspirer, elle est là, il ne faut que puiser dedans.
Je trouve ça important de comprendre que tout vient de quelque chose, personne n’a rien inventé et c’est en constante évolution. Ce qui va différer, c’est ce que toi tu vas raconter en fonction de ton expérience personnelle et comment tu vas le faire.
LFB : Justement, quand on prête attention à ce que tu racontes, on peut être surpris.e par la mélancolie que tu dégages et qui est contre-balancée par les rythmiques festives des productions électroniques. C’est plus facile pour toi de te confier de cette manière ?
ELOI : Ouais mais ça dépend des morceaux et de leurs énergies. En tout cas, je ne me dis pas que si la production est triste, je dois faire quelque chose de triste. J’adapte mon propos en fonction de mon inspiration du moment. J’ai une manière très spontanée d’écrire. J’essaye de ne pas construire quelque chose de trop évident.
Je trouve que ça existe aussi dans d’autres styles musicaux de raconter des choses qui sont en dissonance avec la production et ça donne de la puissance à ce que tu racontes. Je pense que j’ai juste expérimenté ça et vu que j’ai souvent des thèmes assez introspectifs, c’est rare que ça soit des power song super good vibes, mais j’aime faire ça en production et je n’ai pas envie de m’empêcher de mélanger les deux.
LFB : Pour reparler un peu de la scène, tu as déjà l’air assez rodée et à l’aise, tu es accompagnée de Mia et tu joues aussi des instruments. Quel rapport entretiens-tu avec la performance ?
ELOI : C’est un grand plaisir ! C’est une autre manière de concevoir la musique, je suis vraiment en team. C’est pleins d’autres aspects du travail musical et ça permet de donner quelque chose à ton public et de recevoir, ce qui est super intense. Parfois, ça impacte même ma manière de produire.
Je suis aussi musicienne et c’est là que ça prend tout son sens. Je peux jouer une chanson 20 fois et la transformer selon l’énergie du moment.
Puis j’aime le spectacle, le fait de jouer avec tout ce qui t’entoures pour mettre en valeur la musique ça m’intéresse ! Je n’avais pas envie de juste poser sur mes morceaux mais de vraiment leur donner une seconde vie. Après, ça demande du temps de se préparer à se donner autant pour le live et il faut être bien entouré. Même pour la suite, je continue à réfléchir à ce que je peux apporter de plus à mes shows pour que les gens passent la meilleure expérience possible.
C’est pour ça que l’album était important à poser maintenant parce qu’il est plus révélateur de ce que je peux proposer en live que les deux EP’s que j’ai sorti avant. Même si ce sont deux choses complètement différentes le disque et la scène. Il y a des projets qui ne marchent pas très bien en disque, mais bien en live et inversement.
LFB : Pour conclure, qu’est-ce que je peux te souhaiter pour la suite ?
ELOI : Que je sois aussi libre dans mes projets que maintenant !