Émilie Simon a dévoilé cette année ES, miroir passionnant de son premier album qu’elle reprend en le faisant évoluer dans l’époque moderne. C’est à l’occasion du Champs-Élysées Film Festival que nous avons eu le bonheur de rencontrer la musicienne pour une conversation autour de cette création.
La Face B : Bonjour Émilie, comment ça va ?
Émilie Simon : Ça va super bien, merci.
LFB : En regardant l’album qui est sorti, il y a une phrase super belle sur le site internet qui est « mon tout dernier est aussi mon tout premier ». Je me demandais comment tu avais vécu cette boucle temporelle ?
Émilie Simon: J’adore. C’est comme si la Émilie du futur était venue rendre visite en 2003 à la Émilie qui faisait son premier album pour lui dire « regarde comment sera la musique dans 20 ans ». Une vraie boucle temporelle.
LFB : C’est un peu ça. Pour moi, le premier album a été un peu fondateur dans mon amour de la musique. En le réécoutant, j’ai eu l’impression de retrouver un vieil ami, vingt ans plus tard. Il est un peu pareil mais il a beaucoup changé aussi. Je me demandais comment tu avais envisagé cette construction-là ?
Émilie Simon: Je me suis posé la question… Tout ça, c’est venu de l’anniversaire des vingt ans. Je voulais trouver quelque chose à offrir aux gens qui ont aimé cet album et j’ai eu cette idée de… Au lieu de refaire un remix par exemple, en réutilisant les pistes originales, qui ne m’inspirait pas vraiment comme processus, je me suis dit « si j’avais écrit les morceaux aujourd’hui, comment je les produirais en 2023, avec tous les progrès qu’on a fait au niveau technologie, avec le monde qui a changé, avec moi qui a pris vingt ans d’expérience, de scènes, de travail aussi. J’ai progressé, certainement. C’est ça qui m’a intéressé, ce jeu de miroir. Quel est le progrès qui a été fait ? La mise en miroir de ces deux moments clés de ma vie.
LFB : Est-ce qu’il n’y avait pas quelque chose de « dangereux » de perturber la pureté d’un premier album ?
Émilie Simon : Oui, c’était risqué. Mais je ne l’aurais pas fait si je n’avais pas senti en le faisant que c’était pertinent. D’abord, ça ne me serait jamais venu à l’esprit de le faire si ça n’avait pas été pour les vingt ans. J’étais en train de préparer mon nouvel album qui devait sortir en 2023 et les plans ont été changés autour de cet anniversaire. C’est un exercice que je n’aurais jamais fait. Ce sont vraiment les morceaux qui se sont vraiment bien prêtés à ce jeu. J’ai défilé comme ça. J’ai commencé par des airs et je me suis dit que ça marchait. Je me suis dit que ça n’allait pas marcher sur tout l’album, que j’allais faire un titre ou deux. J’ai fait Lise et ça me plaisait. J’ai commencé à me prendre au jeu et j’ai défilé tout l’album. Finalement, tout l’album s’est prêté au jeu avec moi.
LFB : Ce qu’il y a d’intéressant aussi, c’est qu’on a collé une image un peu mélancolique et nostalgique à cet album à l’époque et j’ai l’impression que faire ça, c’est un peu de l’anti-nostalgie au final. C’est vraiment ramener la poésie et les structures de l’époque dans le présent.
Émilie Simon : Ouais, exactement.
LFB : La structure est beaucoup plus sombre sur la dernière version.
Émilie Simon : Il est beaucoup plus sombre et en même temps, il y a plus d’énergie. Les tempos ont aussi été accélérés la plupart du temps. Les tonalités ont été changées, souvent plus basses. Il y a un côté plus sombre et en même temps… Ouais, c’est vrai. C’est difficile de parler soi-même de sa musique mais c’est exactement ça.
LFB : J’ai l’impression que peut-être la naïveté de l’époque est passée à travers des désillusions et donc l’album, même s’il est le même, est complètement différent.
Émilie Simon : C’est vrai.
LFB : Il y a ce côté adulte par rapport au côté adolescent qu’il pouvait y avoir à l’époque.
Émilie Simon : C’est vrai. C’est vrai que ce sont des périodes très, très différentes entre 24-44. C’est une autre façon se situer, se positionner dans la vie, dans son art. Exactement.
LFB : Ce qu’il y a d’intéressant, c’est que le public qui te suit a vieilli avec cet album aussi et il y a des gens qui vont te redécouvrir avec ce nouvel album. Ca amène donc des gens un peu différents et des gens qui redécouvrent l’album en retournant, comme tu le disais tout à l’heure, en miroir.
Émilie Simon : Exactement.
LFB : J’ai l’impression que chaque album que tu as fait, c’est une fleur de saison. Chaque album représente une époque particulière. Je me demandais ce que tu avais voulu exprimer avec cet album-là ?
Émilie Simon : C’est-à-dire que c’est déjà le miroir d’un album qui avait sa propre expression. Je ne voulais pas changer l’empreinte digitale des morceaux de l’époque. C’était important qu’ils soient reconnaissables, qu’ils gardent leur philosophie de l’époque mais je pense que par exemple, il y a une boucle qui se boucle effectivement une réappropriation. Ma première pierre, c’était ça. Et puis un côté un peu plus radicalement autonome. Il était déjà autonome à l’époque mais c’était beaucoup plus collaboratif. C’était un album qui avait des musiciens que j’invitais. J’allais en studio, je prenais les pistes. Il y avait des choses très organiques que j’enregistrais, il y avait d’autres musiciens alors que là, c’est moi qui aie tout joué, tout programmé. Il y avait ce côté un peu ultra autonome que moi j’adore et c’était un peu comme une espèce de quête personnelle. Moi, j’adore faire ça. Comme un peintre qui va aller au bout de sa peinture seul finalement mais qui a juste besoin de temps avec son travail pour décider du moment auquel il peut être montré.
LFB : Justement, la poésie et les mots que tu avais à l’époque, tu les analyses comment aujourd’hui ?
Émilie Simon : J’adore. J’ai beaucoup de tendresse pour cet album. C’est l’album le plus important, dans le sens où c’est vraiment… On y apporte tellement de notre enfance. C’est tellement sans attente. On ne sait pas à quoi s’attendre quand on fait un premier album. Donc c’est tellement quelque part désintéressé, on n’est pas conditionné par quoi que ce soit, on arrive simplement avec qui on est, un peu authentique. Après, c’est différent parce qu’on part d’un point de départ et on va construire. C’est un autre travail qui est fascinant aussi mais le premier, il est tellement… Pour répondre à la question, les textes, je n’en changerais pas une ligne.
LFB : Il y a un morceau qui m’a marqué en réécoutant, c’est Dernier lit qui pour moi, finalement, n’a plus du tout la même signification et la même visibilité qu’à l’époque, pour moi en tant qu’auditeur. J’avais 16 ans quand j’avais découvert l’album à l’époque et c’est vrai que maintenant, vingt ans plus tard, je ne le vois plus du tout de la même manière. Même la reprise des Stoogies en fait.
Émilie Simon : Ouais, complètement. Dernier lit, c’était un texte de David Masse. Effectivement, je ne le chantais pas de la même manière sur le premier album que ce que je fais aujourd’hui. Même sur scène, il faut venir le voir parce que la façon de jouer est complètement différente. Les Stoogies pareil, je ne le chantais pas dans le même état d’esprit qu’aujourd’hui. Ça évolue tout ça.
LFB : Du coup, puisqu’on parlait de naïveté, là le fait qu’il soit plus dansant, c’est un peu aussi une réponse à l’ambiance un peu plombante qu’on vit actuellement j’ai l’impression. D’essayer de s’évader d’une autre manière en fait.
Émilie Simon : Peut-être. Je ne sais pas exactement. Disons que ce qui m’est apparu comme juste envers moi et ce que j’avais envie d’exprimer dans ces morceaux-là et notre époque, tout s’est peut-être accéléré aussi. On est dans une époque de l’instantané, du rapide, du jetable. A l’époque, on ne faisait pas les albums comme ça. Aujourd’hui, on a des artistes qui sortent des singles toutes les trois semaines sans aucun problème. D’ailleurs, qui ne se donnent même pas l’autorisation ou la possibilité de laisser murir les choses. Quand on avait un temps plus long, on avait la possibilité de laisser murir les choses. Là, c’est une autre époque. Moi, je ne la juge pas quand je dis ça. C’est un jugement, c’est une observation. Il y a quelque chose de très spontané à être dans une production rapide qui va à l’essentiel.
LFB : Tu arrives quand même à te retrouver dans notre époque ?
Émilie Simon : Ouais, j’adore ça en fait. Je trouve que plus on est près des gens, plus on est justes et aujourd’hui, on est dans une époque où on peut finir un morceau et le sortir. C’est de l’ordre de quelques jours. Il y a une époque où pour sortir un album, quand on le finissait, il ne pouvait pas sortir avant quatre ou cinq mois derrière. Même si ce n’est pas énormément de temps quatre-cinq mois, dans la vie d’un artiste qui écrit beaucoup comme moi, ça compte beaucoup. On est déjà passés à autre chose. C’est une autre unité de temps, une autre perception du temps. J’adore de côté hyper impulsif qui peut être dangereux parce que justement, on n’a pas forcément l’obligation d’attendre pour voir comment ça évolue un peu aussi dans notre tête. Laisser aux morceaux l’opportunité de murir quoi.
LFB : Comment tu as envisagé le live ? J’ai vu qu’il y avait une tournée. Tu pars seule ?
Émilie Simon : Ouais, c’est un seule en scène, assez radical aussi parce que c’est moi qui génère tout. C’est vraiment de l’ordre de la performance. Je joue différents instruments, je gère aussi l’électronique. Il y a une super scénographie qui a été faite par une société qui s’appelle Lumière sonore. J’adore. Finalement, le seule en scène, c’est un peu garder l’état d’esprit dans lequel a été fait cet album, c’est-à-dire ultra autonome et essayer de restituer ça sur scène.
LFB : On est sur un festival de cinéma qui a quand même une part importante pour toi et ta musique. Je me demandais comment tu vis le cinéma en tant que musicienne et en tant que spectatrice ?
Émilie Simon : J’adore le cinéma. J’ai toujours adoré le cinéma. D’ailleurs, mon deuxième album, c’était La Marche de l’Empereur. C’est venu à moi très jeune. Je suis très image et même quand j’écris, j’ai souvent des images, des couleurs en tête. Je suis très inspiré par des images. Pour moi, c’est très, très inspirant de travailler sur des images quelle qu’elles soient. Que ce soit un film, un documentaire, … parce que j’ai naturellement envie d’accompagner. C’est un exercice que j’adore faire.
LFB : Les émotions à donner ne sont pas forcément les mêmes que sur une musique sans images.
Émilie Simon : Ouais, c’est ça. C’est un petit peu comme une espèce de collaboration. L’image m’envoie des informations et je réponds à ces informations. Il y a un échange qui se fait avec une image qu’on n’a pas quand on écrit un album puisqu’on génère tout nous-mêmes.