Le quintet parisien En Attendant Ana a dévoilé fin février leur 3ème album Principia. Dix nouveaux morceaux riches en diversité mettant à l’honneur chaque instrument, tout en conservant l’essence même du groupe. On a eu la chance de retracer avec les cinq membres la conception de Principia et la recherche de cette nouvelle identité sonore qui fait toute la réussite de Principia.
LFB : Principia est un album dans lequel vous évoquez certaines de vos peurs, notamment celle de tourner en rond. Est-ce que votre plus grande peur était de faire deux fois le même disque ?
Maxence : Grave, c’est exactement ça.
Margaux : Oui, en tout cas on a fait attention à ne pas refaire les mêmes choses. On s’est forcé à essayer de penser différemment et de ne pas reproduire des mécanismes qu’on avait peut-être un peu tous utilisés.
Maxence : Des astuces en fait, des astuces qu’on avait et sur lesquelles on avait assez itérées. Parce qu’on a beaucoup joué, etcetera… donc le principe de base avant même que tout soit fait, c’était vraiment de se dire on essaye de faire autre chose. Parce que c’est assez chiant de refaire les mêmes albums.
Margaux : Chiant ou pas possible surtout !
Adrien : Je pense que ça n’aurait pas été chiant de le faire, mais c’est quand ça devenait trop facile qu’on s’en rendait compte, il y avait un truc trop fluide.
Margaux : Je sais pas si c’est une histoire de facilité, parce que c’est pas comme si c’était facile non plus. Mais ça nous paraissait évident.
Adrien : Dans la méthode, dès qu’on sentait qu’on se reposait sur quelque chose qu’on savait déjà bien faire, on essayait de réfléchir à comment faire autrement.
Margaux : Le facile me dérange parce que ça sous-entendrait qu’on aurait pu absolument refaire le même disque. Ça j’en suis pas sûre. C’est toujours plus intéressant de faire autre chose, non pas que c’était facile, mais parce qu’on s’est forcé à ne pas faire quelque chose d’évident pour nous, et donc de se faire violence.
Maxence : On n’avait pas envie d’écouter nous même un album qui était à peu près similaire, fait sur les mêmes fondations. Comme on peut se lasser des artistes qui ont une dizaine d’albums similaires.
Adrien : Y’a des groupes que j’aime bien comme ça, comme Motorama par exemple [rire].
Vicent : J’allais dire exactement la même chose !
Margaux : On va avoir l’air hyper prétentieux, ça va pas du tout ! Ça commence super mal “Alors en fait c’était hype facile” [rire].
LFB : Maxence, tu disais que vous aviez beaucoup, beaucoup joué. Est-ce qu’à un moment donné, vous êtes tombés dans une routine, celle que vous représentez dans le clip de Same Old Story ?
Margaux : J’ai pas trop l’impression parce que, de toute façon, les années qui ont suivi la sortie de Juillet ont été tellement bizarres. On s’est retrouvé confiné super vite donc ça ne pouvait pas vraiment être routinier et je crois que d’ailleurs ça me manquait un petit peu. Parce qu’on est un groupe qui a eu l’habitude de répéter super régulièrement, toutes les semaines normalement. C’était très routinier, mais c’est un rythme de travail qu’on avait depuis longtemps et qu’on a pas du tout pu avoir après la sortie de Juillet. On n’est pas tombé dans une routine et, au contraire, on a dû trouver des moments pour se retrouver et travailler ensemble.
LFB : Dans votre dernière interview pour La Face B, vous nous avez confié que votre précédent album, Juillet, avait été réalisé avec une contrainte temporelle. Sur Principia, le tempo est redescendu. On sent que vous avez eu du temps disponible, et que ce temps a entraîné son lot de réflexions, notamment sur l’identité sonore du groupe. Est-ce que ce temps à disposition vous a fait du bien ?
Camille : Oui, ça nous a permis de travailler plus en profondeur des choses qu’on ne faisait pas forcément d’habitude. On avait le temps, on est allé chercher quelque chose ailleurs. Enfin, moins sur la fin.
Maxence : Surtout de prendre du recul en fait. On a beaucoup pris du recul sur Juillet, sur ce qu’on voulait, ce qu’on avait comme vision sur le nouvel album et sur la manière dont on voulait aérer, espacer les instruments. Que chacun ait sa place et que ce ne soit pas un bloc comme ça a pu être le cas sur Juillet. C’est vrai que Juillet a été composé très vite, on l’a enregistré en une semaine. Là, on a pris plus le temps et on a bossé différemment. On a fait des sessions, on n’a pas fait tout d’un coup. Principia et Anita sont des morceaux qui ont été enregistrés assez tôt. On a fait plein de petites sessions et c’est Vincent qui nous a lancé là-dessus, se dire qu’on n’allait pas tout faire rentrer dans un bloc mais qu’on allait avancer session par session pour avoir le recul nécessaire sur des questions de disposition, de place des instruments, de place de la voix et de comment on allait créer de l’espace pour mixer correctement.
Vincent : C’est exactement ça ouais. Le fait d’avoir enregistré des morceaux alors que le reste n’avait pas encore été écrit, ça nous donnait la couleur que pouvait prendre le disque. C’était inspirant pour imaginer la suite, plutôt que de se lancer dans l’aventure de tout écrire d’un coup et de devoir tout enregistrer à la fin. Je pense que de poser des balises comme on l’a fait, nous a permis de sentir comment les morceaux sonnaient une fois qu’ils ont été enregistrés, ça nous a donné de la projection pour la suite. C’était un peu un contrôle continu tout au long de la production du disque.
Margaux : En revanche, je peux pas dire qu’on n’ait pas eu de contrainte sur ce disque parce qu’il y en a toujours. C’est simplement que, sur Juillet, on s’est imposé un délai hyper court parce qu’on voulait que ça sorte vite. Là, ces délais ont été retardés tout le temps, parce qu’avec les confinements, déconfinements, reconfinements les délais bougeaient. Mais la toute fin du disque a été enregistrée assez vite. On a pris plus de temps au début, mais on a enregistré peut être la moitié du disque en trois mois, qu’on a mixé dans la foulée.
Adrien : Par contre, ça nous a laissé le temps de produire le disque en fait.
Margaux : Oui carrément.
LFB : Justement, le temps passé dans la production se ressent : les angles sont polis, les pistes sont aérées. Est-ce que cette précision du détail vous a parfois donné l’impression de faire des sciences ? La science étant un des thèmes principaux, donnant son nom à l’album.
Vincent : Il y a toujours un peu de science oui, mais c’est plus empirique qu’autre chose. Qu’on soit en train d’écrire des lignes pour les instruments, peaufiner des placements de micro ou de trouver une manière de mixer le disque, c’est toujours par l’erreur qu’on construit. Il y a beaucoup de fois où on s’est rendu compte que certaines options ne peuvent pas marcher de toute façon, donc on en prend une autre. Il y a toujours un peu de science là dedans, mais c’est un peu de la science du hasard aussi.
Margaux : Sans dire que c’était scientifique, mais avec Vincent on a pris une semaine, ce qui est beaucoup car on avait jamais fait ça, pour repasser sur tous les morceaux et voir ce qui manquait, ce qu’on pouvait ajouter, essayer des trucs. C’est quelque chose qu’on avait jamais fait pour En Attendant Ana.
Vincent : Probablement des trucs que nous seuls pouvons entendre [rire]. Des trucs qui traînent dans le fond, de l’ambiance parfois.
LFB : Il est question de la notion de gravité dans l’album, et à plusieurs niveaux. Il y a d’abord la gravité qui nous fait garder les pieds sur terre. Ici, les différents thèmes sont abordés avec un regard parfois désabusé, souvent pragmatique. Est-ce que vous la trouvez pesante cette gravité ? Et est-ce que, à l’image du clip de Wonder, vous arrivez parfois à vous en défaire ?
Margaux : En fait dans Principia, la gravité est cette force qui nous ramène à la terre, et potentiellement à l’intérieur de nous même. Je pense qu’il y a une approche terre à terre beaucoup plus présente que sur les précédents disques. Ici, j’ai un peu plus écrit sur nous cinq et comment on se sent dans le monde dans lequel on vit aujourd’hui. C’est pas trop possible d’être autrement que désabusé et un peu terre à terre.
LFB : Et il y aussi la gravité qui s’exerce dans nos relations sociales et qui, pesante, nous ramène à nous-même. J’ai l’impression que sur cet album, le challenge était de ne pas céder à ce mouvement autocentré. Est-ce que ça a été dur pour chacun de trouver sa place dans la composition des morceaux ?
Maxence : Les compositions ont été imaginées de cette manière-là, donc ça a été quelque chose de fluide. On était tous convaincu d’aller dans le même sens, et d’essayer d’oublier ses egos. Dans un groupe, il y a toujours un peu cette idée là du « on ne m’entend pas assez ». On a fait ce travail-là pour servir le plus possible les chansons. D’une autre manière aussi, on essayait de porter la voix de Margaux pour qu’elle se sente vraiment à l’aise.
Margaux : Je trouve que cette fluidité n’était pas là au départ, c’est pour ça qu’on a démarré lentement la création de Principia. C’était un enjeu également parce que c’était l’arrivé de Vincent en tant que musicien dans le groupe. À chaque fois ça demande à ce que tout le monde retrouve une certaine forme d’équilibre. Au départ, j’avais l’impression de ne pas trouver les bons mots pour leur décrire ce que j’attendais de la transformation des démos et de ce qu’on allait faire dans cet album. J’avais un truc en tête qui n’était pas très précis. J’avais plus l’impression de savoir ce que je ne voulais pas que les mots pour exprimer ce que je voulais vraiment. Donc la fluidité n’y était pas au départ. Ça a été du travail de se réaccorder tous les cinq. Par contre, une fois que c’était parti, c’était parti.
Maxence : Ça a été des remises en question aussi. Qu’est-ce qu’on apporte ? Quels sont les enjeux ? Ça a été un vrai travail de déconstruction et reconstruction.
Vincent : L’approche allait devoir être différente, mais on ne savait pas encore dans quelle direction on allait devoir pousser pour que ça prenne forme. Au départ, on part surtout des propositions de Margaux en guitare-voix.
Margaux : Pas que quand même.
Vincent : Pas que mais majoritairement. Et en partant de ce point là, il y a eu ce moment de flottement autour de tes compos pour savoir de quelle manière on allait les mettre en forme. Il a fallu trouver comment le formuler, même si ce sont des formules un peu abstraites, pour qu’on puisse avancer tous dans la même direction.
Adrien : Il y a eu aussi un gros travail de soustraction, de soustraction des instruments, de soustraction de BPM aussi. C’est vrai que Margaux est arrivée avec des compos beaucoup plus travaillées que sur Juillet, avec de nouvelles idées de mélodie. On ne pouvait pas faire ce qu’on faisait avant, c’est-à-dire de barbouiller tout autour, tous ensemble, et arriver comme un bloc. On a mis du temps à comprendre que pour respecter la mélodie, ça impose que tel instrument doit être plutôt ici ou que le BPM doit être plutôt comme ça, que là je m’efface pour mieux revenir après… Tout ce travail d’apparition, disparition [rire].
Camille : Niveau sonorité aussi, avant il n’y avait que de la trompette. On a mis du saxophone pour apporter une nouvelle texture. On a travaillé l’intervention de nouveaux instruments.
LFB : Et est-ce que cette nouvelle manière de composer vous a permis de vous sentir plus uni en tant que groupe ? Ce fameux “Egregor” que vous évoquez dans Ada, Mary, Diane ?
Margaux : Dans ce morceau là, ce terme regroupait tout ce que je voulais dire. Je n’ai pas pensé au fait que ça puisse synthétiser tout le groupe, mais forcément puisqu’il y a cette histoire d’esprit d’équipe, ça s’applique à nous cinq d’une certaine manière.
LFB : D’où la symbolique d’apparaître en tant que groupe uni sur la cover ?
Margaux : Ouais carrément !
LFB : Et cette texture de marbre, couleur émeraude, est-ce un clin d’œil à l’album éponyme des Stone Roses ?
Margaux : Mais oui alors je n’y avais même pas pensé, on m’en a parlé après. Oui, oui, mais je n’y ai absolument pas pensé sur le coup.
Maxence : Grave !
Margaux : On m’en a parlé après et je me suis dit merdasse [rire].
LBF : Vous allez entamer une tournée française et américaine. Qu’est-ce que les morceaux de Principia ont apporté à votre jeu sur scène ?
Maxence : Encore une fois, c’est une question de positionnement, c’est une question d’intention de ne pas tout jouer à fond. Sur Juillet on a fait des concerts où, honnêtement, ça jouait très très vite, tout le temps à burne, tout le monde à toc [rire].
Adrien : Le langage de rocker.
Margaux : À toc c’est la première fois que j’entends ça.
Maxence : Et puis de gérer les moments où il n’y a pas de guitare. Sur Juillet, on était tout le temps tous en train de jouer. On sortait des concerts en nage parce qu’on jouait à fond. On a compris les espaces, les silences, les reliefs, les intentions qui sont parfois différentes entre les morceaux. Il y a beaucoup de mots comme ça.
Margaux : Je suis d’accord avec tout, sauf à toc [rire].
Adrien : Mais c’est encore en gestation [rire], il y a encore des moments où on se laisse aller et on joue les morceaux trop rapidement. Ça ne demande qu’à être confirmé !
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