Entrevue musique & Enfance #10 : Oli Féra

Dans notre esprit, l’enfance et la musique sont fortement liées, l’une nourrissant l’autre et inversement. Cet été , entre la France et le Québec, on est allé à la rencontre d’artistes qu’on affectionne pour discuter avec eux de leur rapport à la musique dans leur enfance et de l’enfance dans leur musique. Des conversations souvent intimes et qui débordent parfois. Pour ce nouveau rendez vous, on a discuté avec Oli Féra lors de son passage au Festival en Chanson de Petite-Vallée.

La Face B : Est-ce que tu te rappelles de tes premiers souvenirs musicaux? 

Oli Féra : J’ai des flashs. Je me rappelle d’écouter le band Heart quand j’étais jeune, jeune, jeune enfant, particulièrement la chanson Barracuda, qui revenait souvent et qui jouait sur le tourne-disque à la maison. Puis je faisais “la danse” comme je disais, mais c’était juste tourner en rond dans le salon.

Je me rappelle aussi à tous les dimanches, ma famille m’amenait au Mont-Royal, à Montréal, et il y a des sessions de tam-tams. Il y a comme 150 personnes avec des tam-tams qui sont là et qui vont groover. C’est vraiment des expériences hyper enrichissantes.

Je me souviens aussi d’avoir écouté en boucle Riverdance, qui est comme le spectacle irlandais ou écossais, je ne sais plus, avec du tap-dance et beaucoup d’influences de musique traditionnelle de ces places-là. Je me souviens avoir appris à chanter en écoutant des films de Walt Disney, genre La petite sirène, je l’ai chantée en tabarouette, Mulan aussi, je connaissais toutes les chansons par cœur, j’avais 4 ans. 

LFB : Est-ce que tu as pratiqué un instrument durant l’enfance ? Est-ce que c’est toi qui as voulu le pratiquer ou est-ce que c’était tes parents qui t’ont poussé vers l’instrument ? 

Oli Féra : Mon instrument premier, c’est vraiment ma voix. C’était juste moi qui y allais, mais je n’ai jamais suivi de cours pour chanter. Mais quand j’étais jeune, on m’a imposé le violon. Parce que c’est une tradition dans ma famille, il y a beaucoup de gens qui étaient des violonneux. Pas des violonistes classiques, mais vraiment des violonistes traditionnels, vraiment plus ancrés dans le trad’écossais ou le trad’irlandais. Pour ma grand-mère, c’était vraiment important que j’apprenne à jouer d’un instrument. Elle me payait des cours de violon, j’ai haït ça. Sincèrement, j’haïssais tout, je ne pratiquais pas ! À un moment donné, j’ai lâché les cours de violon, j’ai commencé à jouer de la guitare par moi-même à 15 ans. J’ai appris un peu de ukulélé, un peu de basse, tout ça… L’imposition, c’était le violon et je n’étais pas pour !

LFB : Est-ce que tu as l’impression que cette idée de t’imposer un instrument, c’est quelque chose qui aurait pu te traumatiser au point de ne pas faire de musique ? 

Oli Féra : C’est intéressant que tu poses la question. Depuis que je suis petite, je le sais que je veux faire de la musique et que je veux faire de la scène. La voix, c’était vraiment quelque chose qui me portait. Quand j’étais jeune, on dirait qu’il y avait quelque chose que je ne comprenais pas de “pourquoi est-ce qu’on me paye des cours de violon quand on pourrait me payer des cours de chant ?”.

J’avais 10 ans, je ne savais pas comment m’affirmer, je n’allais pas dire “Arrêtez les cours de violon, je veux faire des cours de chant !”. Je ne savais même pas que ça existait. et je ne pense pas que c’est quelque chose qui m’a dissuadée de faire de la musique en tant que telle. Je l’ai fait, ça m’a appris des affaires, mais ce n’est pas resté, ce n’est vraiment pas resté. Mais ça ne m’a pas dissuadée de faire de la musique au moins. 

LFB : C’est déjà ça !

Oli Féra : Oui, c’est ça !

LFB : Pas de trauma quand même ? 

Oli Féra : Non, pas de grand trauma là-dessus ! Ma grand-mère disait souvent que la musique, on n’en fait pas une carrière, on garde ça comme un hobby. Ça, c’est resté longtemps chez moi. C’est vraiment juste en 2020 que j’ai fait un vrai saut en me disant “Ok, là j’ai envie de faire de la musique de façon professionnelle”. J’avais 26 ans quand j’ai fait ce tournant-là. Ça m’a pris quand même un parcours de “Oh ! La musique, ce n’est pas une vraie carrière, donc je vais aller étudier en arts visuels, je vais aller étudier en gestion d’entreprises agricoles, je vais travailler sur des fermes, je vais cueillir des légumes.” Je vais faire quelque chose d’autre en soi. C’est vraiment en 2020 que j’ai fait “fuck off, j’ai envie de faire de la musique”. 

LFB : C’est vraiment sur le début de la vie adulte où tu t’es dit “c’est la musique que je vais faire toute ma vie, tout le temps ?”

Oli Féra : Oui, à 100 %. Mais ça m’a pris un bout avant de me rendre là. Je pense à d’autres artistes que depuis leur tendre enfance ils cultivent ça, mais pour moi, ça a vraiment dû être un, “je passe par 15 000 parcours”, et éventuellement, je me dis “pourquoi je ne fais pas ça, j’ai toujours eu envie de le faire?”. En 2020, je me suis donné 5 ans. Je me suis dit “si ça floppe d’ici 5 ans, on arrête.” Mais là, ça va bien. On continue et on avance. 

LFB : Est-ce que tu as l’impression que la COVID aussi à jouer là-dedans ? 

Oli Féra : C’est un drôle de timing. J’avais fait un voyage de 1 an en Australie en 2019, et je suis revenue en février 2020. Donc la COVID commençait, mais on ne savait pas que ça allait vraiment arriver. J’ai fait ce choix-là en février 2020. En mars 2020, tout fermait. Je me suis dit “Bon, j’ai pris une décision, il faut que je continue quand même !”. Ça m’a au moins donné le temps de pouvoir m’investir là-dedans. Mais le choix n’était pas à cause de la COVID. 

LFB : Comment est-ce que tu as vu évoluer tes goûts musicaux de l’enfance à l’adolescence ? Est-ce que tu as l’impression que tes goûts musicaux se sont cristallisés sur quelque chose ou est-ce qu’ils continuent d’évoluer avec le temps ? 

Oli Féra : J’adore cette question-là ! Mes goûts musicaux ont toujours été extrêmement diversifiés, même quand j’étais petite. J’écoutais autant du rock que du country, que des affaires un peu plus trip-hop. Il y a beaucoup de musique qui jouait chez nous, beaucoup aussi de vieilles musiques des années 40 ou 50. Mais je viens d’une famille anglophone. Ça ne paraît pas quand je parle, mais je suis la seule personne dans ma famille qui vit sa vie en français. Chez nous, c’était Frank Sinatra, les grands chanteurs et les grandes chanteuses un peu plus jazz et swing qui jouaient.

Quand je suis arrivée à l’adolescence, j’avais autant un amour pour Shakira que pour Radiohead, ça a toujours été très diversifié. Ensuite de ça, je suis rentrée dans ma phase Rage Against the Machine. Quand j’avais à peu près 17 ans, je suis rentrée dans ma phase dubstep électro. J’allais dans des raves à toutes les fin de semaine, c’était le chaos. J’ai découvert la musique plus francophone, québécoise, plus quand j’avais 19 ans. Avant ça, c’était vraiment très anglophone ou instrumental électro. Je pense que mes goûts musicaux ne se sont jamais vraiment cimentés.

Je suis vraiment extrêmement ouverte à tout, j’aime puiser un peu dans tout. Il y a beaucoup de choses que je fais dans le rock alternatif parce qu’il y a beaucoup de ça dans mes inspirations, mais là je suis en phase de création pour un prochain album et je commence à intégrer beaucoup plus d’aspects folk, d’electro-trip-hop et de rock. Je veux faire une fusion de tous ces mondes-là qui m’ont vu grandir et qui m’ont influencée. 

LFB : Dans la création, quelle part d’enfance tu fais exister dans ta musique ? 

Oli Féra : Quelle part d’enfance? Je pense… Comment dire ça dans des mots intelligents ou juste intelligibles ? Tu sais l’enfant qui ne se sent pas compris ou qui ne se sent pas vu ? Je pense que même si ma musique n’est clairement pas faite pour des enfants, il y quand même quelque chose où j’essaie de laisser comme un espace pour accueillir cet enfant intérieur, celui qui ne s’est pas senti vu, celui qui ne s’est pas senti écouté, celui qui s’est fait dire “il faut que tu sois parfait”. L’accueillir et lui dire que c’est correct que tu sois en cheminement, que tu ailles de l’avant et que tu n’aies pas tout compris du premier coup.

On dirait que même s’il y a quand même beaucoup de tranchants dans ce que je dis et dans ma poésie, je fais vraiment un effort pour créer un espace qui est plus dans la bienveillance, dans l’honnêteté et dans l’authenticité, et de juste accepter qu’on est qui on est.

Mon enfance a été assez rock’n’roll, donc c’est un peu un moyen pour moi d’aller chercher du beau dans ce plus sombre-là, de le mettre de l’avant. Je pense qu’on est des enfants pas mal toute notre vie, c’est un des plus grands mensonges de se dire qu’on devient adulte éventuellement !

Ça me fait du bien de créer cet espace-là pour dire que peu importe ce qui nous a construit dans notre enfance et dans notre adolescence, on peut en faire quelque chose de beau. Parfois la beauté, ça se présente dans de la laideur aussi. C’est tous ces contrastes et cette contradiction-là que j’aime explorer. Je ne sais pas si ça fait du sens ? 

LFB : C’est important de garder cette part de naïveté enfantine quand tu crées de la musique. 

Oli Féra : C’est ça, vraiment, puis d’y aller avec le jeu. Cette semaine particulièrement, un des artistes avec qui on était sur scène, Momo, il fait beaucoup de freestyle. Moi aussi, je fais beaucoup de freestyle dans ma création. Un des moments où je trouve qu’on dit les choses les plus vraies, c’est quand on est en train de jouer, en train de s’écouter, en train de juste dire ce qui nous passe par la tête et d’essayer d’en faire quelque chose de pertinent, d’avoir du fun dans la musique et de se permettre de jouer. C’est sérieux, la musique, mais on n’a pas besoin d’être sérieux en le faisant. 

LFB : Est-ce que tu as l’impression que c’est compliqué de garder une part de tendresse et d’enfance dans ce milieu-là qui est très adulte par moments ? 

Oli Féra : Pas du tout. Sincèrement, pour moi, peu importe où est-ce que j’arrive, les gens vont faire comme “Hey, j’ai l’impression que ça fait trois ans qu’on se connaît.” J’ai vraiment cette ouverture-là à juste faire comme “Hey, j’ai envie qu’on soit des amis.” Je comprends qu’il y a un monde très adulte et très sérieux là-dedans, mais ce qui est important pour moi, c’est de connecter avec les gens.

Pour moi, il y a cette affaire-là où un enfant qui se promène dans un party, il va dire bonjour à tout le monde, il s’en fout qui sont les personnes qu’il va rencontrer ! Il va tellement être content de rencontrer les gens, il va parler et il va dire “Moi, ça, ça m’intéresse !” “Regarde, j’ai trouvé un trombone !”. Même dans ma vie adulte, même dans cette industrie musicale-là, je veux pouvoir garder cette fascination pour ces petites choses-là, de garder une curiosité aussi de ce qui se passe autour de nous.

J’aime ça aller voir les spectacles des autres, j’aime ça m’impliquer et juste être à la découverte et à l’affût de tout ce qui se passe dans cette industrie-là. À la base, c’est de vraiment beaux humains dans cette industrie-là. Il faut garder cette curiosité-là enfantine et de ne pas se faire rabattre par le fait qu’on devient de plus en plus adulte, de plus en plus méfiant ou avoir peur des gens par les trahisons qu’on a vécues ou par n’importe quoi. Je fais un effort extrêmement conscient de ne pas me laisser assombrir par ça et de vraiment rester dans l’ouverture et l’accueil de qui les gens sont et d’essayer de savoir c’est qui ces humains-là et de connecter avec eux pour vrai. 

LFB : Si tu devais choisir trois chansons qui viennent de ton enfance ou de ton adolescence et qui continuent de t’accompagner aujourd’hui ? 

Oli Féra : Il y a Fly me to the moon de Frank Sinatra. Ça, c’est une chanson qui m’a accompagnée longtemps. C’est une chanson que mon parrain m’avait montrée et il m’a dit “‘Frank Sinatra, c’est un des grands, t’écouteras ça”. Je suis rentrée vraiment là-dedans. Fly me to the moon, c’est tellement une belle mélodie, il y a un soul là-dedans qui est magnifique. Jusqu’à nos jours, c’est quelque chose qui va vraiment m’accompagner.

Aussi niaiseux que ça puisse paraître, les chansons de La mélodie du bonheur qui est un film que j’ai écouté énormément durant mon enfance. Je ne pourrais pas choisir une chanson en particulier, mais tout le répertoire de Radiohead. J’avais 14 ans quand j’ai découvert Radiohead et j’ai passé deux ans à n’écouter que ça. C’est à peu près à l’époque de King of limbs. Cet album-là est sorti et ça a été ma première rencontre avec Radiohead. J’ai plongé dans tous les albums, particulièrement l’album Hail to the thief.

C’est rarement celui que les gens disent “Ah ok, ça c’est mon album”, souvent c’est plus In rainbows, mais pour moi, Hail to the thief, on dirait que surtout à l’adolescence, quand je vivais beaucoup d’anxiété et de colère, j’avais vraiment besoin de cet exutoire-là. Il y a quelque chose de très grinçant et groovy dans les arrangements. C’est contrasté avec des chansons hyper personnelles et hyper touchantes, droit au cœur. Cet album-là au complet, il m’a complètement chaviré. Jusqu’à ce jour, il m’accompagne encore. 

LFB : Moi c’est Kid A

Oli Féra : Ah oui mais Kid A ! Quel putain d’album, on va se le dire. C’est tellement bon ! C’est-tu sur celui-là qu’il y a The National Anthem ? C’est une de mes chansons préférées de Radiohead. La ligne de basse est incroyable et c’est ça pendant presque 6 minutes. C’est incroyable comme chanson, incroyable !

LFB : Et si tu devais choisir un de tes morceaux à toi, à faire découvrir à un enfant pour lui montrer ce que tu fais ? 

Oli Féra : Oh mon Dieu, ça, c’est drôle ! L’affaire, c’est que j’ai déjà fait des spectacles où il y avait des enfants qui étaient là, et ils avaient vraiment du fun. Mais à la base, on dirait que je suis comme “Oh mon Dieu, mais c’est tellement pas fait pour les enfants”. Ma musique, c’est comme… Je dis des affaires qui sont tellement… Vous êtes encore purs là, restez purs. Mais mettons la plus accessible, qui a quand même du groove, et où on a du fun à la faire ensemble, et où il y a quand même un message rassembleur dans tout ça. Je pense que ce serait peut-être Femme Flamme, qui est la chanson éponyme de mon deuxième EP.

C’est juste qu’il y a quand même beaucoup de lumière dans cette chanson-là par rapport à d’autres, où les sujets sont un tout petit peu plus lourds. Mais celle-là, on peut danser dessus, puis il y a vraiment quelque chose dans cette chanson-là qui dit “reconnais-toi, ravive-toi”, sens-toi inclus, puis trouve-toi ta place dans le monde. On danse tous ensemble, on peut chanter tous ensemble. C’est un peu plus accessible. Par exemple, je n’essayerais pas de faire écouter Vivante à un enfant, parce que c’est comme un wake-up call de “Hey, arrête de consommer”. Je pense qu’à cet âge-là, on n’est pas encore rendus là. Je n’espère pas !

LFB : Et justement, si un enfant venait te voir pour te dire qu’il voulait être musicien, artiste, qu’est-ce que tu lui conseillerais ? Qu’est-ce que tu lui dirais ?

Oli Féra : Vas-y, suis ton cœur, puis n’arrête pas. Aussi que la musique, ce n’est pas une affaire de talent, c’est une affaire de passion et de travail. De faire de la musique, c’est vraiment une affaire d’être là, puis de s’investir, d’être curieux•se, d’explorer, de juste continuer, puis de jouer surtout, d’être là, puis de vouloir participer, puis que c’est une affaire de gang, puis de continuer.

Ça me fait penser à Marie-Mai, je suis allée la voir quand j’avais 11 ans. Je capotais sur ses albums quand j’étais kid, puis je lui avais dit justement, “Moi, je voudrais être chanteuse quand je serai grande”. Elle m’avait dit, continue, suis ta passion, lâche surtout pas ça, entretient cette flamme-là qui est à l’intérieur de toi, puis travaille fort, puis reste ouverte sur le monde.

C’est resté avec moi pour toujours. Je pense qu’il ne faut pas sous-estimer l’impact qu’on peut avoir sur les enfants de cet âge-là, mais vraiment, ce n’est pas une question de talent. C’est une question de passion et de travail, puis de rester curieux et de jouer.

LFB : J’ai une dernière question. Est-ce qu’il y a quelque chose que tu as gardé de ton enfance? Ça peut être un objet ou une émotion qui continue de t’accompagner aujourd’hui.

Oli Féra : C’est un collier que j’ai hérité de ma tante, qui était la sœur à ma mère. Ma tante, elle est décédée en 1999. Mais cette femme-là, c’était une musicienne puis une chanteuse incroyable. Genre, tu sais, une voix à la Janis Joplin, hyper présente sur une scène, elle jouait de la flûte traversière. J’avais hérité d’une petite boîte avec plein de bijoux qu’elle portait quand elle était sur scène.

Il y a un collier que je porte encore de nos jours quand je suis sur scène. Là, je l’ai oublié à Montréal parce que j’oublie tout et je perds tout comme n’importe quel TDAH qui se respecte, mais c’est un collier qui a des petites pierres jaunes dessus. À chaque fois que je suis sur scène et que je porte ce collier-là, on dirait que c’est comme un rappel de “Hey, on continue, puis on peut être une femme qui va de l’avant”. 

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