Entrevue musique & Enfance #9 : VioleTT Pi

Dans notre esprit, l’enfance et la musique sont fortement liées, l’une nourrissant l’autre et inversement. Cet été, entre la France et le Québec, on est allé à la rencontre d’artistes qu’on affectionne pour discuter avec eux de leur rapport à la musique dans leur enfance et de l’enfance dans leur musique. Des conversations souvent intimes et qui débordent parfois. Pour ce nouveau rendez vous, on a discuté avec VioleTT Pi lors de son passage au Festival en Chanson de Petite-Vallée.

La Face B : Est-ce que tu te rappelles de tes premiers souvenirs en musique? 

VioleTT Pi : Je ne sais pas si c’est les premiers, mais ce que je me rappelle le plus étant jeune, c’est mon père qui enregistrait les vidéoclips à la télévision qui était MTV et des trucs comme ça. Il me faisait jouer genre des vidéoclips genre de KISS, pis des trucs Def Leppard, pis des trucs rock comme les Beatles, des trucs comme ça. Je pense que ça serait dans mes premiers souvenirs. 

LFB : La musique, c’est quelque chose qui a toujours fait partie de ton existence d’une manière ou d’une autre ? 

VioleTT Pi : Oui, mais pas plus que quelqu’un de normal. Mes parents ne faisaient pas de musique, j’en entendais comme ça. Mon père trippait sur la musique, donc écouter des trucs à la maison, des vidéoclips, c’est plus çà. 

LFB : Et est-ce que tu as pratiqué un instrument de musique dans ta jeunesse? Et si oui, est-ce que c’est toi qui l’as voulu ou est-ce que c’est tes parents qui t’ont poussé vers ça? 

VioleTT Pi : Il y avait une vieille guitare chez nous qui traînait, fait que j’ai pogné ça, je dirais vers l’âge de peut-être 10, 11, 12 ans, où j’ai commencé à gosser pour de vrai et essayer d’apprendre des trucs dessus. Il n’y avait pas Internet non plus à l’époque, donc je regardais des trucs, les doigts sur les guitares, puis j’essayais de copier ce qu’ils faisaient. Les premiers où j’ai vraiment repiqué des trucs, c’était Nirvana et des bands comme ça. Il était du bon côté, vu qu’il est gaucher, c’était parfait, c’était comme un miroir. Je pratiquais dans ma chambre jusqu’à ce qu’il y ait quelque chose de potable. 

LFB : Tu as appris la musique de manière organique, tu n’es pas allé à l’école de musique ou des choses comme ça ? 

VioleTT Pi : Non, non, c’était chez moi. En fait, quand il y a eu Internet, c’est devenu encore plus facile parce qu’il y avait des tables et tout ça. Mais non, je n’ai pas pris de cours. 

LFB : Est-ce que tu as l’impression que c’est quelque chose qui a influencé ta façon de faire la musique aussi ?

VioleTT Pi : C’est sûr que ça change des trucs. Quand tu étudies la musique, tu peux facilement t’endoctriner dans quelque chose. Mais en même temps, des fois, savoir beaucoup, beaucoup d’affaires, ça peut aussi te donner plus de liberté pour t’exprimer. Des fois, je me sens un peu pris dans le sens où je ne sais pas, je voudrais faire quelque chose et je ne suis pas capable de l’exprimer techniquement parlant. Il faut juste que je travaille un peu plus dans mon coin avant d’arriver avec quelque chose au lieu de juste dire “Ok, on va passer ça en majeure” ou “on peut en faire un truc technique comme ça”. C’est plus instinctif, c’est plus des essais-erreurs que de la technique finalement. 

LFB : On parlait des goûts musicaux de ton père, de tes goûts musicaux à toi. Comment est-ce que tu as vu évoluer tes goûts musicaux entre l’enfance et l’adolescence ? Et est-ce que tu as l’impression qu’à un moment, tes goûts musicaux se sont cristallisés sur quelque chose de particulier ou est-ce qu’ils continuent d’évoluer ? 

VioleTT Pi : Je pense que ça continue d’évoluer, mais ce qui m’a frappé le plus, c’était le rock dans le sens du grunge, le new metal, quand j’avais à peu près 12 ans. Quand c’est sorti, c’était comme une forme de rébellion, et j’allais avec ce truc-là, surtout avec le new metal comme Limp Bizkit, Korn, ces affaires-là. C’était parfait pour moi ! Puis après ça, je suis tombé dans Mr. Bungle. Après ça c’était des trucs plus musicaux qui n’avaient pas de chanteur, juste de la musique. Il y avait de la trompette, je me souviens que j’étais du jazz à cause de ça. Tout part de là, mais après ça, j’ai été voir encore plus loin, sur plein d’autres branches.

LFB : Est-ce que ces styles musicaux-là, c’est des choses qui influencent ta propre musique ou tu essaies de t’en séparer un peu ? 

VioleTT Pi : Non, je n’essaie pas de me séparer de grand-chose. Je pense que j’essaie de me séparer des trucs que je trouve plates, en fait. Quand je fais quelque chose de plate, j’essaie de vite le mettre de côté. Sinon, les styles, pas vraiment. Ce que je fais n’a pas vraiment de style. Des fois, c’est vraiment heavy, des fois, c’est juste électro… Je m’en fous un peu. Si le texte et la musique collent, pour moi, c’est parfait, il faut que ce soit l’émotion qui passe, il faut juste que ça soit juste. Il ne faut pas que tu te poses la question en te demandant si ça marche ou si ça ne marche pas, ou si tu t’en pose c’est voulu mais parce que c’est un laboratoire.

LFB : À quel moment, à peu près, tu as su que la musique c’était ce que tu voulais faire de ta vie ? 

VioleTT Pi : Je ne me rappelle plus, mais j’avais vraiment le goût de faire ça depuis longtemps. J’en faisais tout le temps, et j’avais envie de faire ça vraiment énormément. Je pense que je me suis tout le temps un peu dirigé vers ça. Mais il y a un moment où j’ai étudié en coiffure pendant cinq ans. De Granby je suis allé à Montréal pour faire de la musique. À ce moment-là, j’ai décidé que c’était ça à 100 %. Je ne sais pas si c’était une bonne idée, mais en tout cas, je l’ai faite. Au début, ça n’a jamais l’air d’une bonne idée parce que c’est difficile. Mais quand tu te concentres à faire une chose et que tu n’as pas de plan B, tu fais tout pour y arriver. 

LFB : Quelle part de l’enfance et quelle part d’enfance tu penses que tu fais exister dans ta musique? 

VioleTT Pi : Dans les structures, j’imagine souvent des Lego. Pour moi, mes tounes, c’est des blocs que je mets ensemble. J’essaie de mettre les blocs qui marchent ensemble. Il y a  beaucoup des trucs interchangeables à travers mes chansons, comme quand tu reçois un lego, t’as tout un plan, tu le fais une fois, puis après tu refais plus jamais cette affaire-là, tu défais tout pis tu fais quelque chose d’autre. Je pense que c’est ce fait là de reconstruire quelque chose que j’aime beaucoup faire en musique, essayer de construire des trucs un peu qui suivent pas le plan. 

LFB : Est-ce que t’as l’impression que c’est important dans ta création et dans ta musique de garder une part de pureté et de naïveté enfantine un peu ? 

VioleTT Pi : S’il y en a, oui. Sinon, je ne sais pas. J’ai une petite fille et des fois, on fait comme si les enfants étaient libres. Je trouve qu’ils n’ont pas l’air libres. Je trouve qu’ils ont l’air pris. Ils aimeraient ça faire plus, mais ils ne sont pas capables, à part pour leur imagination qui part plus loin. C’est super de ne pas avoir cette peur du jugement aussi, mais pour faire des trucs, je trouve que ça a l’air difficile d’être un enfant. J’essaie de faire un bonhomme et ça ne marche pas. C’est frustrant. Je suis quand même content d’avoir l’âge que j’ai et de garder un esprit ouvert plus comme un enfant que la technique enfantine. 

LFB : Justement, garder l’esprit ouvert, est-ce que tu as l’impression que c’est quelque chose de compliqué dans un milieu musical qui parfois est très adulte et très business ? 

VioleTT Pi : Oui, oui, vraiment. Quand tu fais une chanson, tu es tout seul, tu t’en fous. Mais après ça, ça va sortir. Je pense que tout le monde qui essaie de faire quelque chose de différent, c’est un choix. J’accepte que peut-être que ce n’est pas tout le monde qui va aimer ça. En tout cas, à mon sens, faut avoir du courage un peu de faire ça. Tu sais que tu t’exposes à un danger, c’est sûr. Mais en même temps, tu peux penser que tu es en train de faire quelque chose de super clean, que tout le monde va aimer ça, et que personne n’aime ça non plus. C’est difficile. On ne sait pas ce que les autres pensent, c’est ça la seule affaire. 

LFB : L’idée de liberté aussi, dans une industrie qui techniquement est là pour faire de l’art. 

VioleTT Pi : Les autres n’ont rien à faire de la liberté. Moi, je suis quand même chanceux, je travaille avec des gens vraiment le fun, ça ne les dérange pas, mais souvent, tu vois des différences tout de suite quand quelqu’un décide d’aller dans une ligne qui est déjà tracée, tu embarques, mais ça se peut que ça finisse vite aussi. Quand tu construis ta gang, comme je disais, à un moment donné, c’est là, même s’ils ne savent pas c’est quoi, c’est construit, c’est là, et je pense que c’est inatteignable. 

LFB : Si tu devais me parler de deux ou trois morceaux qui t’ont accompagné dans ton enfance, dans ton adolescence et qui continuent de t’accompagner aujourd’hui ? 

VioleTT Pi : Clairement, Nirvana. C’est dur parce qu’elles sont toutes fun, mais je pense que, genre, Art Shaped Box, c’est quand même quelque chose d’impressionnant dans tout son truc. Sinon, Mindless Self Indulgence avec Faggot. C’est tellement étrange. C’est comme du gros beat avec du punk par-dessus. Quand j’ai entendu ça, ça m’a ouvert la tête. Je me suis dit “Oh God, on peut mixer tout, c’est pas grave”, ça peut être bon aussi, il faut juste que tu travailles avec ton affaire. Évidemment aussi Les fourmis de Jean Leloup ou Le dôme. Des trucs un peu genre post-grunge qui flottent avec des textes. 

LFB : Et si tu devais choisir une chanson de Limp Bizkit, tu choisirais quoi ? 

VioleTT Pi : Ma préférée, je pense que c’est Nookie, à cause du mood et du drum. C’est dark, c’est étrange et ça m’a étonné que ça pogne beaucoup. Cette toune-là, en particulier, le refrain, ce n’est pas vraiment un refrain, rien n’est clair dans cette toune-là. Mais le mood est incroyable. Ça te met dans une bulle. 

LFB : Moi, je les ai découvert avec Chocolate Starfish. C’est vrai que… T’écoutes ça et tu te dis, mais en fait, ça parle de tous les sens. 

VioleTT Pi : T’as aucune idée, c’est quoi, ouais, c’est même pas une joke mais c’est comme une joke, c’est quand même ludique, il va quand même envoyer chier tout le monde, il y a de quoi de drôle. Mais y’en a des vraiment bonnes aussi. J’aimais ça aussi System of a Down. Il y a quelque chose de ludique aussi, ils font des riffs pas pour être cool, c’est juste bizarre et drôle un peu. Puis ça, j’aime vraiment ça, ça me parle beaucoup. 

LFB : Et si tu devais choisir une de tes chansons à toi pour faire découvrir ta musique à des enfants ? 

VioleTT Pi : Il y a une chanson que les enfants aiment pas mal, ça s’appelle Petit singe robot. Ils trouvent ça bien drôle en général quand je chante ça. Je pense que ça, ça marcherait. Les enfants se mettent à danser quand ils l’entendent, ça marche. Le texte, ça leur parle d’un petit singe, ça marche. 

LFB : Si par exemple, pendant le festival, un enfant vient te voir et discute avec toi, il te dit qu’il veut devenir musicien et qu’il veut faire comme toi, qu’est-ce que tu lui conseillerais ? 

VioleTT Pi : Je dirais “Fais pas comme moi” en premier lieu. J’avais rencontré Jean Leloup un moment donné, puis j’ai demandé ça, puis il m’a dit “Trouve-toi de l’argent pour vivre”. Au début, je trouvais que c’était poche un peu, mais il n’y avait pas tort. Donc je dirais, essaye de trouver quelque chose qui va te donner des sous et qui va faire que tu peux faire ta musique sans t’arrêter.

Et aussi fais-en tout le temps, essaye de ne pas prendre un recul, fonce, ça va sortir, c’est dur de se voir, ça prend du temps à le faire. Quand tu fais ça, tu es un peu en train de ralentir ton processus.

C’est dur à faire, mais vas-y all-in, fais plein d’affaires. Surtout aujourd’hui, ce n’est plus du tape, tu peux t’enregistrer pour des milliers d’heures, ou tu mets ça dans la corbeille, personne ne va jamais le savoir. essaie plein de trucs. Il y a un moment donné, je me suis dit que je vais écrire une toune en joke. Finalement, c’est devenu une toune super triste et belle. Pour moi, au début, ça grandissait comme une blague, mais ça a dévié comme ça. Tu ne sais jamais quel canal tu prends finalement. 

LFB : Est-ce qu’il y a quelque chose de ton enfance que tu as gardé avec toi et qui continue de t’accompagner ? Ça peut être un objet ou un état d’esprit.

VioleTT Pi :  Je dirais mon corps. Ça date du moment où j’ai eu comme une espèce de prise de conscience vers l’âge d’à peu près 10 ans. J’étais avec mon père, puis il m’avait fait comme des échasses ou je sais pas trop quoi, puis là, je marchais comme ça, puis je dis “C’est-tu solide?” Il me dit “Oui, oui, c’est très solide.” Deux secondes après, ça cassait, je tombais, puis là, je me suis dit “je ne peux faire confiance à personne”. Avec cette prise de conscience je me suis dit “il faut faire attention, ce n’est pas juste ce que les gens disent, c’est aussi de la façon dont ils le disent, il y a des mensonges aussi”. Je dirais que ça, je l’ai gardé, je l’ai encore moi, cette affaire-là. 

LFB : Les adultes mentent. 

VioleTT Pi : Exact, les adultes mentent, exact, c’est ça que j’ai gardé.

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