Ils sont deux. Alexandre, Michaël. Ensemble, ils font du rock, de la pop, du fuzz. Ensemble, ils sont Équipe de Foot et leur dernier album Géranium, m’a démoli le ventre et le cœur. Une œuvre délicate et sincère, que j’ai écouté en boucle cette année. Impossible donc de ne pas partir à leur rencontre. Une interview-fleuve, ponctuée de nombreuses blagues (douteuses) et d’éclats de rire vivifiants. Simplement, ils ont répondu à toutes mes questions. Alors, installez-vous confortablement.
LFB : Géranium est sorti le 6 mai. C’est le premier album qui ne porte pas le prénom d’une femme. Il vient du titre en lien avec la psy d’Alexandre et qui s’appelle Géraldine. Est-ce qu’on peut en savoir un peu plus ?
Alexandre : C’est très étrange parce qu’on n’a pas beaucoup réfléchi et on a tous les deux des perceptions différentes de ça. Au début, on cherchait encore un prénom féminin, donc Michaël m’a demandé le prénom de ma psy. Mais on s’est dit que Géraldine, ce n’était pas super pour un titre d’album et qu’on allait donc casser le concept. Puis, on cherchait des mots et un jour, j’ai dit « Géranium« . Bon, Michaël ça lui faisait quand même penser à Géraldine.
Michaël : Je veux bien ajouter ma pierre à cet édifice formidable, qui est ta version de l’histoire.
Alexandre : Ita, la copine de Michaël, crée nos pochettes d’album. Elle s’était donc intéressée à ce que pouvait évoquer le géranium. On a découvert que c’est une plante cévenole et que c’est la star des balcons. Il y en a même qui sont le symbole de la mélancolie et de l’amour. Et forcément… Ce sont des thématiques que l’on retrouve dans le disque parce que ce sont des sujets qui me sont chers. (rires) Être triste et être amoureux, voilà.
Michaël : Je souhaite juste souligner à quel point c’est magnifique comment tu te débats pour trouver un autre sens à ce truc. Qu’automatiquement, tu te sois dit : « Tiens, Géranium, quel beau nom. Aucun rapport avec un prénom féminin, c’est super ». (rires)
Alexandre : Michaël pense que je me mens à moi-même.
Michaël : Il n’y a que toi sur Terre qui ne le voit pas Alexandre. Parles-en à Géraldine, elle va te le dire. Plus sérieusement, ne pas choisir un prénom féminin est l’un des nombreux changements que nous avons fait avec ce disque. On a tout cassé : notre méthode d’enregistrement, mais aussi les gens avec qui on a travaillé.
LFB : Chantal parlait d’amour et de rupture, Marilou de la mort. Et Géranium alors ?
Alexandre : Alors… Étrangement… Bien que ça n’ait aucun rapport avec Géraldine, il y a quand même un lien avec la psychanalyse dans les textes. Think, Blink, Breathe, Speak par exemple, rappelle ce moment où tu parles avec ton thérapeute : ça part dans tous les sens et ça semble ne pas en avoir, alors que si. De la même manière, la pochette de Géranium révèle un homme qui serre contre lui un enfant. Pour moi, c’est une personne qui fait une psychanalyse et qui prend son passé dans les bras. Après, oui effectivement, Chantal parlait beaucoup d’amour et de rupture. Mais Marilou, ce n’est pas que la mort.
Michaël : Avec Marilou, on était peut-être dans une position où on y pensait plus. À ce moment-là, j’avais l’impression que tous les albums de l’univers parlaient de la mort. Mais non. Ce n’est pas le cas de Géranium par exemple. L’homme dans le canapé fait effectivement un câlin à son lui petit. Et en parallèle, j’ai eu un enfant, donc c’est aussi ça. C’est un peu plus binaire.
Marilou, c’était vraiment l’histoire d’Alexandre, car ça parlait de sa rupture. Sur Géranium, on a fait beaucoup plus un truc à deux, c’est-à-dire deux mecs qui font des chansons ensemble. Et ça se ressent. Alexandre a eu besoin de faire une deuxième fois sa psychanalyse sur un disque, tandis que j’avais besoin de parler de ma vie, le bébé, etc. Donc ça fait un truc gavé plus le bordel, gavé plus le fouillis.
LFB : Avec le coronavirus, vous avez été obligé de composer à distance. Comment ça s’est passé, et comment vous faisiez avant ? De base, vous vivez à distance.
Michaël : Au final, ça n’a pas été tant différent, sachant qu’on avait déjà plus ou moins décidé avant le coronavirus de changer notre manière de faire.
Généralement, Alexandre passe beaucoup de temps chez moi (rires d’Alexandre et lui). Pendant des semaines entières, on répète puis on enregistre. On fait ça 3/4 fois et à la fin, on a des préprods, puis on va en studio. Là, c’est aussi ce qu’on a fait, mais on a décidé de choisir les chansons et les arrangements avant de filer en studio. On avait envie de le faire à notre sauce et de ne pas trop suivre l’avis des gens. On se sentait peut-être un peu bridés sur les albums d’avant. Là, on s’est gavés comme des porcs, on a mis des orgues, des flûtes, des tambourins, des samples. Et on a fait ça chacun de notre côté.
Sur Quatre-Vingt-Quatorze par exemple, j’ai fait une boucle d’une de nos répétitions, qui est devenue la boucle qu’on entend sur l’album et ensuite, on a rejoué par-dessus. Sur Love, Beers And A Queen Size Bed, Alexandre a pris la voix de la fin de la chanson d’avant, SLVOTE, et il l’a mise à l’envers. Ça lui a fait une sorte d’arrangement pour sa musique d’après. En fait, on a travaillé un peu comme des producteurs, mais chez nous.
Alexandre : Le coronavirus nous a aidés à lâcher l’idée de composer des morceaux en imaginant ce qu’ils allaient être sur scène.
Michaël : À ce moment-là, on pensait qu’il n’y en aurait plus jamais.
Alexandre : On ne savait même pas si on allait se revoir et il y avait cette idée de : « Vas-y, on fait un album, et ce n’est pas grave si on ne le répète jamais. » La distance, forcée, faisait que c’était une vraie distance. Des fois, on restait plus de 6 semaines sans se voir. Moi, j’étais dans mon 30m2 avec ma meuf qui était en télétravail et tout ce que je pouvais faire, c’était mettre un casque et essayer de composer. L’album commence avec une boucle à l’envers, née de cette période où on ne pouvait pas vraiment jouer.
Michaël : Typiquement, ce morceau, An Empty Space Is Not Just Filled With Air, je l’avais composé pour un projet solo imaginé pendant le coronavirus. Lorsque je l’ai fait écouter à Alexandre, il m’a dit qu’elle devait être sur l’album alors que je ne pensais pas que c’était pour Équipe de Foot, vu qu’il y avait du piano et des boucles. Et en fait, on s’en fout. Comme quoi, le Covid a laissé son empreinte. (rires)
LFB : Quel est ce groupe ?
Michaël : Ce n’est pas extrêmement glorieux mais il s’appelle Online Poker. J’ai une page Facebook et Bandcamp. Ce qui est rigolo, c’est que j’ai invité les gens à liker et comme je suis extrêmement fort pour choisir des noms de groupe (Équipe de Foot), personne n’a compris justement que c’était un groupe. Ils pensaient que je leur proposais de jouer au poker. (rires)
LFB : Est-ce que vous allez garder ce mode de fonctionnement ?
Alexandre : On va garder cette partie, de : « on fait des démos chacun chez soi, il est 4 h du matin et on se les envoie ». Ça enrichit vraiment les chansons.
Michaël : Cette manière d’arranger nous correspond mieux mais, de fait, on n’a pas beaucoup joué sur la deuxième partie de la composition du disque. C’était plus de la production et ça me manque un peu.
LFB : Pour cet album, vous n’avez donc pas pensé à la transposition en concert. Comment allez-vous appréhender le live ?
Michaël : On a rajouté des éléments pour pouvoir jouer certains morceaux. Moi, j’ai un petit clavier midi avec un ordi et un looper. C’est juste pour les arrangements essentiels, comme la boucle de 15 Octobre. Mais on ne voulait pas que ce soit trop envahissant et que ça reste un concert de rock, avec deux personnes. Donc on essaie de ne pas trop faire homme-orchestre. Pour le moment, il y a encore deux ou trois morceaux qu’on a du mal à adapter, donc on cherche.
LFB : Lesquels ?
Michaël : Le premier morceau de l’album, An Empty Space Is Not Just Filled With Air. Il y a peut-être juste une version piano-voix à faire, avec Alexandre qui fera du synthétiseur derrière. Il y a Love, Beers And A Queen Size Bed qu’on n’a pas encore testée, mais qui mériterait grave parce qu’elle est trop belle. Là, on peut faire une version guitare-chant. Puis, il y a SLVOTE, que je ne pense pas qu’on fera.
(ndlr: là, je m’insurge)
Michaël : Elle est vraiment difficile à faire. Je joue de la batterie, je chante et je suis censé aussi faire du clavier à un moment. On ne peut pas tout faire. Et pour nous, ce n’est pas forcément un des morceaux les plus « singlisables » de l’album.
Et il y a un morceau aussi qu’on essaie gavé de faire, c’est le dernier de l’album, Drunk At Best. On l’a joué plusieurs fois en concert, mais pour l’instant, on n’arrive pas à être 100 % satisfaits. Il est beau mais pour arriver à le rendre aussi beau que sur le disque, il faudrait qu’on soit 5. Il y a de la basse, des claviers, de la batterie, du synthé basse, de la guitare électrique et acoustique et deux chants. Donc, à deux, c’est chaud.
LFB : Ce n’est pas trop frustrant alors ?
Alexandre : C’est un défi. Le plus dur, c’est de ne pas tomber dans la facilité. On a eu ce problème avec l’album Marilou, qui était quand même bien arrangé. Lorsqu’on l’a joué en live, on a décidé de le faire calme et à la fin, on ne savait pas quoi faire, et moi ça ne me satisfaisait pas.
Michaël : La solution serait de mettre des pistes pré-enregistrées. Mais c’est un pas que je ne suis pas prêt à franchir. Ça me stresse, de se dire qu’on est là et qu’on va mettre un enregistrement. Puis, pour le moment, je ne pense pas qu’il y ait une scission absolue entre les morceaux en live et ceux sur l’album.
LFB : Je voudrais souligner le fait que sur les morceaux, il y a beaucoup de minutie et de détails. Les introductions et conclusions sont extrêmement soignées. Je pense notamment à An Empty Space Is Not Just Filled With Air et Quatre-Vingt-Quatorze avec les voix, Drunk At Best et la distorsion.
Michaël : Je pense que c’est dû au fait qu’on a décidé de terminer l’album avant d’aller en studio. On a fait la tracklist et j’ai fait un montage de l’album. Toutes les transitions étaient faites chez nous et on a pris le temps, car le studio par contre, ça va vite. Là, on a eu 2 mois pour peaufiner, faire des fadings et des grosses reverb’. En-tout-cas ça fait plaisir, c’est gentil.
Alexandre : On voulait absolument que les premières personnes en dehors de nous à écouter l’album entendent quelque chose d’audible. Donc on a avancé le plus qu’on pouvait, avant de mixer avec talent au studio. Tu as mixé les démos avec talent Michaël, hein.
Michaël : Je pense qu’on peut dire sans aucune hésitation que Johannes Buff de Shorebraker les a mixés avec beaucoup plus de talent que moi. (rires) Il n’a pas du tout été intrusif. Il a écouté l’album et il a dit que les démos étaient super et qu’il allait juste les rendre plus fat. Quand je les réécoute, je ne les regrette pas, ce qui arrivait souvent avant. Il nous a fait refaire quelques prises de batterie et une de guitare. Le disque, finalement, ce sont nos démos, mais pimpées par Johannes.
J’ai complètement dérivé sur la question… Ça va toi ?
LFB : Mais non justement… Comment s’est faite la rencontre avec Johannes ?
Alexandre : En fait, sur les précédents albums, on avait travaillé avec un copain mais on ne s’était pas rejoints sur Marilou. Il y avait une incompréhension totale sur ce qu’on voulait faire et ça a été un peu dur. On s’est donc demandé avec qui on pouvait bosser sur notre nouvel album. On cherchait des noms et celui de Johannes est revenu plusieurs fois, que ce soit de la part de notre manageuse tourneuse, mais aussi de nos amis Lysistrata. Il venait de s’installer dans les Landes. Il nous a donné son point de vue sur Géranium et, généralement, tu vois vite si le gars a écouté et s’il va faire quelque chose en phase avec ce que tu souhaites. Et lui, il a coché toutes les cases.
Michaël : Il a dit exactement ce qu’on voulait qu’il dise. On pourrait croire qu’il nous avait espionnés. En plus, ce que j’ai trouvé très bien, c’est qu’il a avoué qu’il connaissait déjà Équipe de Foot, qu’il n’avait pas trop aimé les deux premiers albums mais que celui-ci, il le trouvait cool et que ça allait être différent. Il a tout compris et en plus, il ne nous caressait pas dans le sens du poil. Johannes : médaille d’or. Et ensuite, on a mangé comme des oufs dans son studio en le regardant rendre nos chansons trop cool. Il me tarde d’y retourner.
LFB : Ita a fait les artworks de tous les albums jusqu’à maintenant. Comment se passe la collaboration ?
Michaël : Comme Johannes, elle n’a rien entendu avant qu’on n’ait terminé de mixer nos préprods. En janvier dernier, on avait fait un Soundcloud avec toute la tracklist dans l’ordre et on est allé chez Johannes en avril. Elle a eu 4 mois pour faire la pochette.
Ita fait partie de la vie du groupe. Elle habite avec moi et Alexandre vit presque avec nous. Elle savait globalement que l’ambiance allait changer, de quoi on parlait, de ce qui nous préoccupait à ce moment-là. Puis on lui fait confiance. Elle nous a montré la pochette de Géranium quasiment finie et on a dit : « Oui ok, c’est ça ».
Alexandre : On a juste remplacé le canapé marron par une banquette, pour faire comme chez le psy.
LFB : Dans Géranium, les mots sont parfaitement choisis. Il y a un mélange de poésie et de douceur, et en même temps, une certaine brutalité. Depuis combien de temps écrivez-vous ?
Alexandre : Sur cet album, contrairement aux autres, j’ai corrigé un défaut. Généralement, quand on arrive en studio, il y a toujours un couplet ou autre que je n’ai pas écrit. Et là, je me suis forcé à le faire. Michaël peut écrire une chanson en 14 secondes et moi en 14 mois.
Michaël : On n’a pas la même méthode d’écriture. Toi, tu choisis les mots, chaque mot. Alors que pour moi, ils ne sont pas aussi précieux. J’écris la chanson et après, je la corrige et modifie. Je trouve que tu écris des textes fantastiques, Alexandre. Par exemple, Drunk At Best, on ne peut rien changer. Très bien, très beau, par contre, le prochain album, si tu pouvais aller un tout petit peu plus vite ça serait cool. (rires)
Alexandre : Je sais presque quelle va être la sonorité du mot avant de l’avoir, lui. Je me chante la chanson, en me disant, ça va être un « o », un « i », et je balise ainsi. C’est un jeu. Après, il faut remplir et que ça ait du sens. Et limite il n’y a pas trop de choix pour le texte. Je sais par exemple qu’il y aura 4 mots et que le dernier finira en « i ».
Michaël : Et alors, depuis combien de temps écris-tu Alexandre ?
Alexandre : Alors, figure-toi que ça va peut-être paraître loin, et je vais parler de ma vie, mais j’ai retrouvé un carnet dans ma chambre d’adolescent. J’écrivais des trucs au collège, c’était en français et surtout des poèmes.
LFB : Il y était déjà question d’amour ?
Alexandre : Vraisemblablement, ouais. D’amour et de mort. (rires) C’est l’adolescence hein.
Michaël : Récupère des extraits et on fera des chansons avec.
Alexandre : Ouais, on fera un sample. Mais ça sera en français…
Michaël : Fun fact : le savais-tu ? Il y a des artistes qui chantent en français. Ils ne sont pas très nombreux, mais à l’époque, l’extrêmement connu Johnny Hallyday le faisait parfois, voire tout le temps.
LFB : Et toi Michaël ?
Michaël : J’écris des chansons en anglais depuis mon premier groupe, donc 2007. Et c’était nul. (rires) Et j’espère que c’est devenu de mieux en mieux. Comme ça fait 15 ans, il y a plutôt intérêt.
J’ai aussi un autre groupe, Moloch Monolyth, où j’écris tout. Alexandre y joue du synthé. C’est de la folk indé pop machin et du rock.
LFB: Groupe qui fait partie du collectif Le Fennec, qui existe depuis 2013.
Michaël : Absolument. Collectif qui n’est absolument pas mort (rires).
Alexandre : Wow, mais tu es une journaliste très renseignée, tu as fait une enquête.
LFB : Je n’ai pas trouvé beaucoup de choses croustillantes…
Michaël : Ah, si tu veux on peut t’en dire… Les nuggets ?
(…)
Alexandre: Alors pour la petite histoire… À l’époque, j’habitais à Paris et je ne connaissais pas Michaël, ici présent sur cet écran. Ma copine était à Bordeaux donc on vivait à distance. Puis, on est partis vivre à Montréal, où j’ai recroisé un pote de fac qui faisait de la musique. Là, on a commencé à faire un groupe et je me suis dit que c’était ce que je voulais faire. Donc je suis parti vivre à Bordeaux avec ma meuf. Là, j’ai notamment rencontré Michaël, toujours présent à l’écran. Et je me suis retrouvé dans ce collectif où il y avait plusieurs groupes consanguins.
Michaël : Un peu de sang neuf !
Alexandre : Tout à fait. Et on a créé Le Fennec, Michaël, Ita et moi. Puis, les autres ont suivi. Michaël faisait de la basse dans un groupe, de la guitare dans un autre, et de la batterie dans un autre. Et moi, comme je ne sais jouer que de la guitare, j’en faisais donc dans plusieurs groupes. Et c’était cool, il y avait une émulsion. Puis on a crée Équipe de Foot et comme on était très impliqués dans le collectif, forcément, ça s’est essoufflé. Il n’est pas mort, mais est-ce qu’il existe encore ?
Michaël : C’est-à-dire qu’on n’a pas fait de réunions depuis… Combien d’années ? Je ne sais plus. Avant, on faisait des compils. Mais depuis qu’on ne pousse plus trop, il ne se passe pas grand-chose derrière. C’est comme la famille. A partir du moment où Mamie meurt, tu ne fais plus vraiment de repas de famille. Donc il y a quelques années, Mamie est morte. (rires) Chacun est absorbé par ses projets et sa vie. Dans le collectif, je jouais dans 7 ou 8 groupes : Am Stram Gram, Girafe avec Alexandre. Et quand on a commencé à faire Équipe de Foot sérieusement, j’ai juste gardé Moloch.
LFB : Vous mettez beaucoup de vous dans chacun de vos disques. Il y a notamment C’est Super sur Marilou où vous parlez de l’album…
Michaël : J’en suis très fier ! Si tu avais entendu la vraie discussion… C’est Alexandre qui recueillait notre échange WhatsApp et on était au fond du trou. L’enregistrement de Marilou a été hyper dur. On a fait une V1 de l’album qu’on a envoyée à notre manageuse et qui nous a dit : « C’est nul ». Elle avait raison donc on a enlevé tout le chant pour le refaire et réécrire des textes, etc. Pour C’est Super, j’ai enlevé tous les moments importants et je n’ai gardé que les trucs qui servent à rien. Alors ça a l’air comique, mais ça ne l’était pas du tout.
LFB: On a vraiment l’impression d’être avec vous : il y a des bruits d’enfants sur Marilou, et dans le dossier de presse pour Géranium, vous parlez beaucoup du travail entrepris en thérapie ainsi que de la parentalité. Comment vous est venue cette idée de non-mise à distance ?
Alexandre : Justement, j’en parlais avec un pote ce matin. Il me demandait : « Alors le clip de Quatre-Vingt-Quatorze ? Ça se passe comment avec tes parents ? » Et je n’avais pas calculé, mais toutes les paroles parlent d’eux. En plus, ma mère regarde les clips sur Youtube et elle comprend l’anglais. Mais je ne ferais pas autrement. Je ne vais pas inventer des personnages. Dans les chansons, je me suis rendu compte que je dis toujours « Je » et que 99 % du temps, je m’adresse à quelqu’un. J’ai un peu de mal avec les gens qui racontent une histoire au lieu de se raconter eux-mêmes.
Michaël : Comme tu dis, c’est le seul truc qui me paraît naturel et où je n’ai pas l’impression de faire semblant. À partir du moment où tu décris un récit, on attend de toi qu’il y ait une morale ou que tu aies quelque chose de spécifique à dire. Alors que parler de soi, c’est juste dire que tu n’as rien de particulier à dire.
Alexandre : Tu ne fais pas un « statement » quand tu parles de toi. Ce qui est intéressant lorsque tu racontes des choses intimes, c’est toute l’ambiguïté que ça crée. Tu peux avoir envie de sauver la planète, et en parallèle expliquer que tu manges des crevettes à l’autre bout du monde, comme le fait Orelsan dans sa chanson. La dernière fois, on était en interview avec Sasha Rosenberg et j’ai dit, naturellement, que Géranium avait un rapport avec ma psy Géraldine. Mais je ne sais pas à quel point c’est impudique.
Michaël : Par rapport à elle, tu veux dire ?
Alexandre : Non. Globalement, quelqu’un qui cherche des infos sur moi sait beaucoup de choses.
Michaël: Je me suis posé la question par rapport au clip de 15 Octobre. Il y a ma maison sous tous les angles, mon fils, ma meuf, mais c’est aussi de ça que ça parle…
Alexandre : Ça me paraît totalement normal de parler de soi. C’est le seul truc dont on peut parler vraiment. Je ne suis pas expert en quoi que ce soit d’autre.
Milka : Puis à un moment, on ne fait pas un groupe, nous, pour dire un truc. Mais j’ai l’impression qu’on écrit des chansons parce qu’on n’a pas le choix. Elles sortent. Et si elles sortent comme ça, c’est parce qu’on a des trucs personnels à dire.
LFB: C’est cathartique.
Michaël: Ouais, à fond, mais pas que. Parfois, je vais lire un ouvrage qui traite de tel sujet, ce n’est pas forcément cathartique, c’est juste ma vie. Si je suis allé acheter du pain ce matin, je vais le dire et je ne vais pas mieux après. Juste, je l’ai dit parce que c’est vrai.
Alexandre: Moi, j’ai un truc un peu cathartique par contre (rires).
Michaël: Oui bien sûr. Typiquement, avec le premier morceau de l’album, An Empty Space Is Not Just Filled With Air, il y a un truc très cathartique. Par contre, ce n’est pas le cas pour SLOVTE ou 15 Octobre. Ce sont juste des épisodes marquants de ma vie, une sorte d’hommage à des gens à qui je tiens. Et j’en parle parce que je trouve que c’était beau.
LFB : Ça fait plusieurs fois que vous dites en interview que votre 5ème album sera un album de rap.
Michaël : Alexandre, on en est où ? Parce qu’il ne nous en reste plus qu’un !
Alexandre : C’est plus une façon de dire qu’on fait ce qu’on veut. Moi, je suis chaud hein…
Michaël : En vrai c’est con, mais quand on est ensemble dans le camion, on écoute quasiment que du rap.
LFB : Vous écoutez quoi ?
Michaël : Au début du groupe, on écoutait en boucle La fin de l’espèce du Klub des Loosers. C’était notre album référence au moment de Marilou. C’est peut-être en partie à partir de cet album-là qu’on s’est dit que Marilou ça parlait de la mort. KDL quoi.
Mais les autres artistes sont peut-être moins passionnants… On a beaucoup écouté Booba, Al Capote (beaucoup trop), Vald, Orelsan.
J’écoute aussi du rap tout seul, qui n’est pas le même qu’avec Alexandre. Ces deux dernières années, je n’ai écouté quasiment que ça, avec Fontaines D.C et Équipe de Foot, évidemment.
LFB : Qu’est-ce que vous pensez de la scène rock actuelle indé ? Vous avez parlé en interview du duo Alaska Gold Rush, avec qui vous allez jouer.
Michaël : Actuellement, leur album est la seule chose qui arrive à endormir mon bébé. Je l’écoute donc 5 fois par jour.
Alexandre : On adore aussi Lysistrata, ils sont super. On pense à Johnny Mafia, Pogo Car Crash Control (on ne sait même pas pourquoi on a joué avec eux autant de fois). On va pas mal tourner avec Johnnie Carwash.
Michaël : Gavé de groupes bien. Limite trop. Maintenant, quand je vais voir un groupe talentueux, je ne suis même plus étonné. On n’est pas des vieux tontons non plus, mais on voit par rapport aux groupes avec qui on joue qu’on est un peu plus vieux quoi, voire qu’on a le double de leur âge. (rires)
LFB : Est-ce qu’il y a une œuvre qui vous définit, ou en tout cas qui vous bouleverse ?
Alexandre : Ça va faire intello et en plus, c’est méga précis… Jean-Luc Godard a fait un film qui s’appelle L’histoire du cinéma, qui dure plus de quatre heures. Je l’avais étudié quand je faisais une licence de cinéma. Il y a un passage qui parle de la guerre en Europe (dans la partie 3a) et qui dit : « Le plus éphémère des instants possède un illustre passé ». Je trouve ça incroyable et j’essaie régulièrement de mettre cet extrait en sample. La méthode Godard m’anime depuis 20 ans.
Michaël : Pour moi, ce serait l’album blanc des Beatles. Voilà. (rires) Il ne faut pas que j’en parle. Ça ne définit rien du tout mais c’est un kiff. Quand on oublie comment on fait pour que la musique soit bien, il faut le ré-écouter.
Alexandre : On a aussi dit que le prochain album serait l’album blanc, c’est-à-dire un double album avec 40 chansons.
Michaël : Je re écoute sans arrêt aussi l’album Pinkerton (1996) de Weezer. C’est un guide pour se rappeler comment faire du rock. Et Carrie & Lowell (2015) de Sufjan Stevens.
Alexandre : Masculin/féminin de Godard aussi !
Michaël : Je suis sûr que quand on va raccrocher, je vais me dire : « Merde, pourquoi j’ai pas dit ça ».
(ndrl : ajout du 1er décembre, 18h24 )
Michaël : J’ai lu un livre qui m’a tué la tête, c’est La maison dans laquelle de Mariam Petrosyan, édité chez Monsieur Toussaint Louverture (globalement, tous les livres sont dingues). C’est un roman sur l’adolescence, une sorte de Sa majesté les mouches, mais beaucoup plus fou. Ça se passe dans un internat où les enfants sont en roue libre et ont créé une sorte de société isolée du monde, avec leurs légendes du monde extérieur et leur mythologie. INCROYABLE. Je ne l’oublierai jamais.
LFB : Est-ce que vous pourriez nous parler de la création de vos clips ?
Michaël : On a fait des vidéos très personnelles.
Alexandre : En parallèle d’Équipe de Foot, je travaille à la TV. Donc forcément le visuel, j’aime bien. Quatre-Vingt-Quatorze a été dur à faire. Et de manière générale, ça nécessite beaucoup d’énergie.
Michaël : Le clip, c’est un peu une phase obligatoire, alors autant qu’on s’amuse à les faire. Ça apporte quelque chose. Drunk At Best, c’est bien de l’écouter, mais de voir en plus Alexandre se baigner, en mode : « Regardez comme je suis heureux dans le passé », je trouve que ça met vraiment en relief la chanson. Tu as un mec qui te répète « I dig I dig I dig » et il est là, en train de se baigner, genre YES . Pour 15 Octobre, personne ne captait jamais que ça parlait de mon bébé avant de voir le clip.
LFB : Quels sont vos projets à venir ?
Michaël : Tourner sur ce disque et puis en faire un autre. On va commencer à y penser. Alexandre m’envoie des bouts de trucs. Et en parallèle, on a notre autre groupe et on va enregistrer cet été.
Retrouvez notre chronique de Géranium ici. C’était notre album de l’année et c’est à lire ici.
Suivez l’actualité d’Équipe de Foot sur Facebook et Instagram.
Crédit photos : Céline Non et Marine Berger