Dans notre esprit, l’enfance et la musique sont fortement liées, l’un nourrissant l’autre et inversement. Cet été, entre la France et le Québec, on est allé à la rencontre d’artistes qu’on affectionne pour discuter avec eux de leur rapport à la musique dans leur enfance et de l’enfance dans leur musique. Des conversations souvent intimes et qui débordent parfois. Pour ce quatrième rendez-vous, on est allé retrouver Etienne Dufresne à Petite-Vallée pour parler de guitare, de métal, de rock progressif et du switch émotionnel nécessaire pour créer.

LFB : Est-ce que tu te rappelles de tes premiers souvenirs musicaux?
Etienne Dufresne : Les premiers souvenirs que j’ai musicaux, c’est dans la voiture avec mon père pour revenir de la garderie. J’écoutais le premier album de Daniel Bélanger, qui est une de mes idoles maintenant. C’est dans les premiers souvenirs que j’ai dans ma petite ville de Magog, en Estrie, j’ai écouté Daniel Bélanger dans la voiture.
Puis par la suite, entendre Daniel Bélanger en concert sur le lac d’Amsterdam Magog, à côté d’où on habitait, c’est dans les trucs les plus profonds de mon enfance.
LFB : Est-ce que la musique a toujours fait partie de ton existence d’une manière ou d’une autre
Etienne Dufresne : Oui, mon père est un mélomane, depuis que je suis très jeune. Ma mère, c’était plus la musique passée à la radio.
Et mon père, il y avait de la musique qu’il jouait tout le temps dans la maison. C’est quelqu’un qui jouait de la musique aussi. Il jouait de la guitare, c’était un drummer aussi.
Donc oui, toute mon enfance, c’est tout le temps, tout le temps, tout le temps.
LFB : C’est ce que tu racontes dans ton morceau Deux Visages ?
Etienne Dufresne : Oui, exactement.
Est-ce que tu as pratiqué un instrument pendant ta jeunesse? Et si oui, est-ce que c’était une idée qui est venu de toi, ou est-ce que c’était tes parents qui t’ont poussé vers ça ?
Etienne Dufresne : J’ai commencé la guitare à cause de mon père, encore une fois, vraiment.
Je pense qu’il se disait que c’était important que j’apprenne quelque chose. Puis moi, la guitare, ce n’est pas un instrument que j’aimais, je pense, jouer étant jeune. Parce que j’avais des leçons, mais je n’aimais pas les leçons.
Donc par la suite, quand j’ai commencé à faire mes propres chansons, plus tard, à l’âge de 15 ans, j’ai aimé ça. Mais quand j’en jouais genre en école primaire, disons que peut-être 7-8 ans, je n’aimais vraiment pas l’instrument. C’était comme une corvée plutôt qu’un plaisir.
LFB : Est-ce que t’as l’impression que tu as déconstruit justement tout ce que t’avais appris à l’époque?
Etienne Dufresne : Oui, puis j’ai l’impression que je le déconstruis encore aujourd’hui.
J’ai l’impression que je suis encore en train de déconstruire cet instrument-là. Je suis en train encore de moins le voir comme une menace ou comme quelque chose contre lequel je me bats. Je veux travailler avec maintenant.
Et j’essaie de me rendre la vie facile en jouant la guitare. Vraiment, ouais. J’ai beaucoup changé mon rapport à l’instrument.
LFB : Est-ce que t’as l’impression que c’est un trauma qui aurait pu te dégoûter de la musique justement ?
Etienne Dufresne : Peut être que si j’avais été à l’école de musique, je pense que je ne ferais pas de la musique aujourd’hui. Je pense que c’est le fait de ne pas avoir… D’avoir pris une longue pause, puis d’avoir retrouvé l’amour de la guitare comme à l’adolescence.
Là, oui. Quand je jouais de la musique métal, par exemple, c’est là que j’ai appris à aimer à travers les riffs. Donc ça, j’ai beaucoup trippé.
LFB : Et justement, comment est-ce que tu vois l’évolution de tes goûts musicaux en ce moment? Est-ce que t’as l’impression que c’est des goûts qui se sont figés, cristallisés sur quelque chose, ou ça continue d’évoluer avec le temps?
Etienne Dufresne : Ben t’sais, moi, je pense que j’écoutais de la musique.
Mon père écoutait beaucoup de rock progressif. Puis j’ai appris tôt dans ma vie que la vraie musique, entre guillemets, c’était le rock progressif. C’était des trucs qui étaient compliqués.
Puis après ça, j’ai dû déconstruire ça moi-même en allant vers la musique métal. Peut-être pour passer comme l’agression, tous ces trucs-là, là-dedans. Quand j’ai commencé à jouer moi-même, j’ai découvert mes props.
Mais toujours avec une optique, puisque je ne pouvais pas aller écouter quelque chose de simple. Je n’ai pas écouté de la musique rap avant très longtemps, parce qu’il y avait comme une espèce de combat interne de… La vraie musique, c’est la musique faite par des vrais musiciens. Tout ce qui est sampling, ça n’existait pas.
C’était des déconstructions que j’ai dû faire. Par la suite, je ne pense pas que mon père m’a mis ça dessus volontairement. Je pense que c’était un discours qu’il avait quand même à l’époque, quand j’étais plus jeune.
Progressivement, quand je me suis donné le droit d’écouter de la musique rap, d’écouter de la musique qui était produite par ordinateur, là, ça a complètement changé. J’ai réalisé que je pouvais comme tout aimer en même temps. Puis là, progressivement, quand j’ai commencé à faire de la musique, j’ai découvert la soul, j’ai découvert comme tout.
Ça s’est comme scindé. Maintenant, je n’ai plus vraiment de barrière par rapport à ce que j’aime ou ce que je n’aime pas. Je suis vraiment plus fervent d’une bonne chanson.
Peu importe le style, c’est une bonne chanson. Ce que j’aime, c’est le squelette derrière, le genre, finalement. C’est un peu ça.
Mais ici, c’est drôle parce que mon dernier album, c’est un album qui est beaucoup plus chanson que ce que je crois que je faisais avant. C’était plus de la musique qui était produite.
En venant faire les chansonneurs ici en 2022, j’étais entouré, soudainement, de gens qui étaient… Tu sais, on peut jouer notre chanson assis à une table tous ensemble, sans rien, juste à la guitare. Moi, j’ai remarqué que je n’étais pas capable de faire ça quand je suis arrivé ici.
Puis par la suite, j’ai découvert que je voulais me concentrer là-dessus. Puis en faisant mon deuxième album, c’est ça que j’ai essayé de faire. Faire des chansons qui étaient relativement arrangées, mais que je pouvais complètement faire seul à la guitare, comme ce qu’on a fait tantôt, c’est ça.
C’est comme la boucle qui se boucle de venir le refaire ici. Ça permet d’avoir une polyvalence aussi.
LFB : À partir de quel moment dans ta vie, ou dans ta jeunesse, tu as su que c’était la musique que tu voulais faire, et rien d’autre?
Etienne Dufresne : Honnêtement, je l’ai su à 29 ans. Moi, je suis « late bloomer » là-dedans. Je n’ai pas beaucoup fait de musique avant ma fin vingtaine.
J’ai eu un moment où j’ai eu un arrêt de travail. Je travaillais en publicité, en photo. J’ai eu un arrêt de travail, puis j’ai commencé à faire des chansons chez moi pour le plaisir.
Mais étant mélomane toute ma vie, et étant aussi entouré de musiciens parce que j’adorais la musique, la transition de photographe à musique s’est faite assez rapidement. Honnêtement, c’est le premier truc qui a fonctionné dans ma vie, c’est ça. C’est même pas par plaisir.
J’avais peut-être un petit rêve d’enfant de le faire, de faire des spectacles. Mais encore plus loin que ça, c’est ça qui a fonctionné. C’est pour ça que je produis ça maintenant.
C’est le truc qui a « stick ». J’ai l’impression que ça réalise les chakras un peu. Ouais, ouais. Et justement, dans ta création musicale, parce que j’ai l’impression que c’est, au-delà de… Dans l’écriture, c’est un thème qui revient beaucoup, de l’enfance, des choses comme ça.

LFB : Est-ce que c’est important pour toi, comment dire, de faire exister une part d’enfance dans ta création musicale?
Etienne Dufresne : Ben, c’est même… Je pense que, moi, mon approche à la musique, c’est un jeu. J’ai envie de jouer. Le rapport à l’enfance, c’est l’enthousiasme du jeu.
Si tu fais ça en tant que musicien, si tu tombes dans quelque chose qui est plus cérébral, ça peut être intéressant. Mais moi, j’ai envie de rester dans l’enthousiasme du petit gars qui écoutait du… Je ne sais pas. Des trucs qui me prenaient au trip, j’ai envie de faire ça aussi.
En faisant ça, c’est sûr que plus tu te rends vulnérable, plus tu parles de tes blessures profondes. Et les blessures profondes, elles sont souvent…
Je pense qu’il faut surfer. Puis, en même temps, il faut que l’adulte, en toi, regarde ces trucs-là d’au-dessus. Il vient te faire un petit commentaire.
Tu te laisses aller. Tu reviens. Tu te laisses aller.
Du coup, c’est nécessaire de garder une part de naïveté, justement, dans la création musicale. À mon avis, c’est… Ce qui fait la bonne musique, c’est ça. C’est cette part-là de naïveté qu’il faut garder, personnellement.
Je pense que tu as l’impression que c’est compliqué dans un milieu musical. Finalement, ce que tu fais, tu dois le vendre aussi. Il y a une part de business.
Il faut garder, justement, ce côté enfantin et cette tendresse, je pense. Oui. C’est très difficile.
C’est pour ça qu’il faut vraiment séparer les périodes de création et les périodes de promotion. Je crois que notre cerveau est comme malléable, puis il veut switcher de moment à moment. Moi, quand je suis en période de production, je ne pense pas à ce qui vient après.
Je vais rester très longtemps dans ce mood-là. Tellement longtemps qu’à un moment donné, c’est comme si l’autre cerveau n’a pas embarqué. Quand tout ça est canné, je switch.
J’ai l’impression que je m’éloigne un petit peu de ce côté enfantin pour y aller comme plus business. Aussi, j’ai des gens autour de moi qui m’aident à faire la promotion un petit peu mieux que je ferais moi-même, peut-être. Moi, je crois que c’est encore dur pour moi de relier ces deux mondes-là.
Il faut vraiment que je les sépare dans le temps, puis que je switch un jour à l’autre. Je n’ai pas encore acquis ce pouvoir… Je ne peux pas me transformer en promotteur et en enfant.
Est-ce que parfois tu es si surpris, justement, quand tu fais du switch, du résultat de ta musique et de ce que tu racontes?
Etienne Dufresne : Oui.
Il y a des chansons… Quand j’écoute mes vieilles chansons, des fois, je ne comprends pas pourquoi je suis allé là, par exemple. J’apprécie le fait d’être capable de le faire, mais parfois, je me dis que c’est fou. Je ne me rappelle pas de l’état d’esprit dans lequel j’étais quand j’ai écrit ça, par exemple.
Mais je suis content de l’avoir fait parce que… Tantôt, je chantais une chanson, justement, puis j’ai comme réalisé des… J’ai comme compris les paroles de chansons que j’avais écrites il y a vraiment longtemps en les chantant. Comme pour la première fois, pendant que je le faisais, tu sais. C’est comme des petits messages que tu te fais à toi-même dans le futur, des fois.
Oui. Puis c’est un peu ça que je sens. On a toujours des petits trucs cachés dans nos propres chansons, aussi.
LFB : C’est un truc de l’ordre de la transe aussi.
Etienne Dufresne : C’est important, je pense, de te laisser aller là-dedans. Ne pas avoir peur, aussi. Parce que dans les périodes de création, on peut s’isoler beaucoup.
Moi, personnellement, c’est comme ça. Je pense qu’il faut être… Il faut se laisser aller dans cet isolement-là sans… Tu sais, sans brûler les ponts avec les gens, tu sais. Il faut y aller un jour à la fois.
Mais je pense qu’un petit peu à chaque jour, c’est assez pour te garder dans cette période-là. Puis ça va influencer aussi les autres trucs dans ta vie, tes relations avec les autres. C’est le fun d’être en moment de création, vraiment.
LFB : Si tu devais choisir trois morceaux de ton enfance ou de ton adolescence, et est-ce qu’ils continuent à vivre avec toi aujourd’hui?
Etienne Dufresne : Mon Dieu c’est tellement large, là. Mais je pourrais te dire… C’est drôle parce que là, il y a un hommage à Beau Dommage.
Pour moi, c’est le groupe qui est le plus important pour moi au Québec, mais aussi comme dans mon enfance. Puis récemment, on a perdu Serge Fiori d’Harmonium aussi, qui est comme… pour moi, ça a vraiment influencé ma courbe de musicien, d’écouter ça.
Mais il y a une chanson… la chanson Montréal, en fait, de Beau Dommage, c’est une des chansons les plus importantes pour moi. J’ai découvert ça quand j’étais jeune, puis ça a vraiment orienté. En fait, ça m’a montré que tu pouvais chanter sans te donner un accent nécessairement, juste en parlant, le parler comme vrai.
Puis cette chanson-là m’a beaucoup touché. Après ça, l’album L’Heptade de Harmonium, pour moi, qui est super important. Une chanson comme L’Exil, par exemple.
C’est une chanson que j’écoutais jeune aussi, qui montrait que le progressif aussi s’appliquait à ma langue. Ce n’était pas quelque chose qui était juste possible aux États-Unis. Aux États-Unis, en Angleterre… Oui.
Aussi, je dirais… Tu connais System of a Down?
LFB : Oui, bien sûr.
Etienne Dufresne : Pour moi, pouvoir faire de la musique pop, agressive, compliquée, avec plein de surprises dans chaque chanson, ça a changé ma vie. Quelque chose qui venait peut-être de l’album Mezmerize, par exemple.
Comme ça, ça a changé ma vie complètement.
LFB : Et si tu devais choisir une de tes chansons à toi, à faire découvrir à un enfant pour lui montrer ce qu’est ta musique?
Etienne Dufresne : À un enfant? Je pense que la chanson Deux Visages, sur mon dernier album c’est une chanson… J’ai vu un engouement avec des enfants quand on la jouait. Parce que ça parle de papa-maman, puis il y a comme un hook rapide.
Ça explique des trucs quand même… Ça parle de parents séparés qui ne s’entendent pas, mais il y a quelque chose, je pense, qui est intéressant. C’est quasiment comme une comptine. Je pense que pour un enfant, ça pourrait être intéressant, peut-être.
Mais en même temps, c’est peut-être infantilisant, je ne sais pas. Mais j’ai vu que ça fonctionnait bien avec des enfants.
LFB : Et si, mon enfant venait te voir, disons qu’il voulait être musicien, tu lui dirais quoi?
Etienne Dufresne : Moi, ce que je dirais, je lui poserai la question, est-ce que tu veux être musicien parce que t’aimes faire de la musique ou parce que t’aimes l’idée d’être un musicien, peut-être? C’est peut-être une question un peu difficile pour un enfant, mais je crois que si t’es un enfant qui joue de la musique à chaque jour, qui écoute de la musique à chaque jour, t’es sur le bon chemin.
Je crois qu’il y a des enfants aussi qui voient des concerts et qui s’intéressent à être sur une scène plus que le travail qui vient derrière, le craft de la musique. Moi, je sais que quand je voulais être musicien quand j’étais jeune, je ne pensais pas à la composition, je pensais plus à la scène. J’ai rapidement compris qu’il y avait autre chose derrière tout ça.
C’est en découvrant ça que j’ai encore plus voulu faire ce métier-là. Mais je crois qu’à cause des médias, on ne peut pas vendre l’idée, l’image de la musique avec tout ce que ça implique vraiment. Ça serait de peut-être parler de ça aux gens qui veulent en faire.
Est-ce que tu veux vraiment t’embarquer là-dedans? Est-ce que tu es prêt à te livrer? Est-ce que tu es prêt à être honnête avec toi-même tellement que les autres vont le sentir aussi? Je ne sais pas. Peut-être que j’aurais l’intention de parler à mes enfants encore.
LFB : J’ai une dernière question. Est-ce que tu as gardé quelque chose de ton enfance, un sentiment, une émotion, même un objet, qui continue de t’accompagner aujourd’hui?
Etienne Dufresne : Je crois qu’on a tous vécu beaucoup de solitude. Moi, je suis un enfant qui a vécu énormément de solitude. C’est quelque chose qui m’accompagne et qui me pousse à faire ce métier-là pour me sortir de ça.
La musique, ce que ça m’a apporté beaucoup, c’est de sortir de cette solitude-là, aller à la rencontre des gens, partager une partie de moi qui était cachée même à moi-même. Oui, c’est comme un bon rappel de ne pas rester là-dedans. Mais ça m’accompagne à chaque jour encore.
Je pourrais dire. J’espère que tu n’es pas trop sombre pour ton entrée.
LFB : Non, c’est exactement pour ça que je fais ça de mon côté.
Etienne Dufresne : On se rencontre et c’est très bien.