EXTRAA : « Écrire des chansons, c’est le seul vrai moyen que j’ai de me soigner »

Aujourd’hui sort Baked, le premier album d’Extraa. Pour cette journée un peu spéciale sur La Face B, on s’est entretenus avec eux sur leur projet, leurs influences, leur manière de créer ainsi que sur l’essence même du groupe. Ils nous en disent plus sur la composition de l’album, son symbole. On a aussi appris que les membres du groupe font des batailles de vers de terre en ligne, et c’est sans doute l’information la plus intéressante de cette interview. À vous de juger.

Crédit photo : Ella Herme

La Face B : Hello vous 4, comment allez-vous ? 

Alix : Ça va ça va, je suis trop contente, ça y est l’album est dehors, on est peut-être en intérieur, mais là on sort à travers lui, wouhouuu libérés délivrés. (Pedro et Thomas vont bien aussi, on a décidé de juste faire l’interview tous les deux pour éviter que vous ayez un roman sur le site).

Antoine : J’ai lavé mon frigo pour m’occuper hier, c’est pour dire l’état de détresse psychologique dans lequel je me trouve.

LFB : Drôle de période, pas vrai ? Comment vivez-vous ce moment ? 

Alix : Je le vis plutôt bien, c’est agréable d’être chez soi : j’ai mes instruments, tout pour écrire et enregistrer, je me ballade en chaussons avec mon peignoir brandé M&Ms, je cuisine plein de trucs en écoutant FIP, on a même récupéré Worms Amageddon avec Antoine on fait des batailles de vers de terre en ligne depuis chez nous. Mon équipe s’appelle « Ver Hiwell » et Antoine c’est « Hyperfist3000 », on est bouillants. 

Antoine : Bouillant je sais pas, je dirais plus que je suis à feu doux concernant ce jeu, j’ai un niveau de jeu qui mijote, sans agresser la viande.

Alix : Pourtant hier tu m’as violemment poussé dans l’eau à coup de batte haha.

Ella Herme

LFB : Comment présenteriez-vous votre projet à des gens qui ne connaissent pas votre musique ? 

Alix : La plupart des personnes s’attendent toujours à ce que tu répondes avec le style de musique, la langue, ce que tu fais dans le groupe car c’est le meilleur moyen pour eux de se projeter… donc je réponds souvent de manière trop classique qu’on fait de la pop alternative très orientée 60’s 70’s, chantée en Anglais, et que je fais du clavier/guitare et chants. Mais comme ici je suis face à des experts de face B, je dirais qu’on est sur des vibrations sucrées, crunchy, summer friendly parce que c’est stylé comme mot, et ultra feel good, parce que c’est très énervant comme mot. 

Antoine : Oui et pour rester énervants, je pense pouvoir affirmer que cet album est le bain de soleil printanier que chacun devrait s’administrer pendant le confinement, au risque de finir blanc comme des culs si la situation s’éternise. 

LFB : Le 10 avril sortira votre premier album, Baked, pouvez-vous m’en dire plus sur sa conception ? Et surtout, pourquoi avez-vous choisi dès le début un format album et non pas un EP comment beaucoup d’artistes qui commencent ? 

Alix : Je crois qu’on aime bien ne pas faire comme tout le monde (lol). Le style de musique que l’on fait se prête au format album, défend des sonorités anciennes il faut le dire, même si c’est au gout du jour. Et dans le temps, la musique s’écoutait en album, pas en playlist par titre. D’ailleurs, pour nous c’était hyper important d’avoir un format vinyle accompagné de la sortie (le vinyle sortira le 15 mai) ça nous tenait à coeur. La conception s’est faite dans les Yvelines, dans le studio d’Alexis Fugain qui a son projet Biche, on a enregistré sur l’équivalent d’une semaine mais par plusieurs bouts, et pareil pour le mix. Le lieu et le matériel étaient parfaits pour nos chansons, et Alexis était simplement la personne idéale par rapport à nos envies. Déjà parce qu’il avait vraiment l’envie d’enregistrer toutes ces chansons, et aussi parce qu’il avait tout ce qu’on recherchait dans l’approche du son.

Antoine : Pour en revenir sur le choix du format, nous avons déjà, avec Melody Says, sorti un EP en auto-prod il y a deux ans à peu près. Au-delà du fait qu’il nous semblait cohérent de changer d’identité pour ces nouveaux morceaux, la période d’incubation (keuf keuf) et de production de cet EP a été très longue et un tant soit peu laborieuse. Il y avait du coup pour Baked un désir d’accoucher de quelque chose de plus complet si l’expérience réiterrait dans ce sens, ce qui finalement n’a pas du tout été le cas. 

LFB : Quel est votre processus créatif et comment se passe la composition à 4 ? 

Antoine : Très simple, Alix compose sans relâche dans une geôle peu lumineuse, et deux fois par semaine nous remplissons son bac d’eau et sa mangeoire. Comme elle travaille très bien nous n’avons généralement que peu d’ajustements à réaliser sur ces propositions initiales, même si nous sommes assez libres dans nos arrangements. 

LFB : J’ai déjà ma petite idée, mais quelles ont été les influences majeures de votre musique ? 

Alix : J’aimerais bien avoir ta petite idée ! Je peux te dire qu’à l’époque Alexis nous avait demandé des références pour l’enregistrement pour un peu toutes les chansons pour qu’il puisse se faire une image de nos envies. J’ai ressorti le mail rien que pour vous, et j’avais envoyé des morceaux de : The Beatles, Broacast, Tobias Jesso Jr, Ray Lamontagne, Infinite bisou, Ultimate Painting, The Smiths, Alvvays, Isaac Delusion (sa reprise de MONSIEUR Eddy Mitchell). Tu pourrais deviner sur quelles chansons on a envoyé ces références… c’est marrant de voir cette liste car il y a autant de musiques contemporaines qu’à l’ancienne.

LFB : Certaines personnes se considèrent souvent comme « nostalgiques d’une époque qu’ils ont jamais vécue » : est-ce votre cas ? 

Alix : On peut difficilement être réellement nostalgique d’une époque qu’on a jamais vécu, mais je pense qu’il y a toujours cette curiosité qui nous prend à chaque fois qu’il est question de ces années-là. Après, on a peut-être tendance à les diviniser, et moi la première. Pour ma part, je suis surtout nostalgique de la musique qui sortait à cette époque, et encore, de moins en moins car je découvre plein de groupes dingues aujourd’hui mine de rien qui ont ces influences à l’ancienne, mais qui les apprivoisent de manière contemporaine et font des morceaux supers (Kit Sebastian, Pearl & The Oysters, Biche, Lemon Twigs, Family Time, Dirtbike, Michael Rault, Loving, Le SuperHomard…)

Antoine : Sans doute aurions-nous aimé vivre le premier Summer of Love, oui. Je trouve cependant plus intéressant de tenter de créer par nos propres moyens des choses fortes aujourd’hui, via l’utilisation de codes passés et actuels. 

LFB : Jusqu’à vos photos de promos, réalisées par Ella Herme qui travaille à l’argentique et véhicule une esthétique très vintage, on retrouve ce côté old-school justement : pourquoi êtes vous autant attachés à cette esthétique vintage, autant dans la couleur musicale que le pack presse ? 

Alix : Le côté old-school se ressent naturellement dans nos morceaux, le travail d’Alexis a réussi à capturer tout ça, le colorer, et sublimer l’âme des morceaux. En partant de l’album, on a voulu créer tout un univers qui collait à la musique avec Suzanne Defrémont notre graphiste, Mansour Aoun le réalisateur des deux clips, et aussi Ella Herme, qui est juste une photographe très douée qui sait gérer l’argentique, je la connais bien et je suis à l’aise avec elle. 

Antoine : Cette esthétique vintage propre à notre musique nous avons tout de même essayé de la contrebalancer, que ce soit via le travail très moderne de Suzanne notre identité visuelle que par celui de Mansour sur nos clips, ou il a brillamment réussi à faire cohabiter une esthétique très old school avec des éléments 3D plus contemporains. 

LFB : À l’heure du tout électronique et des musiciens qui troquent leur guitare contre un ordi portable, vous conservez une musique très organique : était-ce important pour vous de garder une composition guitare/basse/batterie traditionnelle ? 

Alix : Je pense pas que l’on fasse ça pour faire passer un message à l’encontre de la musique électronique et de l’ordi portable. C’est juste quelque chose de naturel, Antoine est sur sa batterie depuis ses 7 ans, moi sur mon piano guitare depuis mes 9 ans, de même pour Pedro et Thomas depuis tout jeune. On aime jouer, faire des erreurs et se tromper. 

Antoine : Alix joue d’ailleurs en parallèle avec Hier Soir, un projet plus électro, et il m’arrive d’utiliser des pads ou autres avec d’autres formations. Cependant pour ce projet et ces musiques, il nous semblait plus qu’évident de revenir à l’essentiel de connaissances d’instrumentistes, et que les morceaux et les enregistrements vivent le plus possible.

LFB : Sur l’album, vous offrez un dernier titre issu d’un live session : quel rapport entretenez vous avec la scène et le live ? 

Alix : La scène m’angoisse autant que je l’aime. Quand je sais qu’une date importante arrive, j’y pense toute la semaine jusqu’au sommeil. J’ai tendance à être rigide malgré moi sur les répétitions, on bosse beaucoup les chœurs, les arrangements live, pour être carré au maximum. Car il faut le dire, un groupe qui travaille régulièrement ne procure pas la même chose au public que celui qui se laisse aller par le vent et sur ses acquis (j’ai l’impression d’entendre mes parents face à mes devoirs de maths).

Antoine : Ce morceau à la base n’était pas prévu sur la track-list. Mais c’est une bonne chose, il montre que ce que nous proposons sur scène peut-être aussi agréable à l’écoute que le reste des chansons, plus produites, et donner envie aux gens de nous voir sur scène est primordial. C’est là que, personnellement, j’ai pris et prends le plus de plaisir vis-à-vis de mon activité de musicien. Sauf quand il faut ramener tout le matos à perpet les oies et que tout le monde boit des coups sans nous. 

Ella Herme

LFB : J’ai adoré votre album (que je me suis empressée de précommander dès la fin de ma chronique) : j’ai trouvé qu’il s’en dégageait une certaine allégresse, un petit sourire qui reste coincé au coin des lèvres et qui donne le moral pour toute la journée.
J’ai trouvé qu’il n’y avait pas vraiment de gravité dans les thèmes abordés : c’était important pour vous de faire une musique lumineuse ? 

Alix : Ravie de savoir que l’album a pu décrocher le sourire chez toi, j’espère que ça sera le cas pour d’autres aussi. C’est marrant que tu abordes le thème de la lumière car le clip qu’on sort là sur le titre ‘Turn on the lights’ est justement autour d’un jeu de lumières dans l’espace ! Pourtant on n’a pas vraiment consciemment contrôler la musique pour qu’elle soit lumineuse, je sais pas, Antoine tu en penses quoi ?

Antoine : Il n’y a pas eu à le travailler particulièrement puisque c’est une des spécificités de l’écriture musicale d’Alix, et il est nécessaire pour nous autres musiciens qui l’accompagnons de préserver ce côté solaire à travers nos arrangements et nos propositions. 

LFB : À l’heure où beaucoup d’artistes utilisent leur musique comme une catharsis, je trouve justement que la votre soigne les autres. Qu’en pensez vous ? 

Alix : Ecrire des chansons, c’est le seul vrai moyen que j’ai de me soigner, je parle quand même très souvent de mes peines, de l’espoir, de mes proches. C’est ma séance de psy un peu (lol). Peut-être que c’est aussi à travers ça que tu as eu cette sensation de potion magique. 

Antoine : Oui ce sont des morceaux qui font du bien. Je pense que les sujets abordés sont finalement très propres à notre époque où le politique s’éloigne de la musique, les gens ont davantage tendance à chanter leur ennui et leurs soirées que de véhiculer des messages plus percutants. Les textes d’Alix sont, je pense, plus nuancés mais ils laissent surtout plus de la place à l’interprétation de l’auditeur, et ça fait plaisir.

LFB : C’est quoi la suite pour Extraa ? 

Alix : La suite on l’espère, c’est des dates pour pouvoir partager tout ça avec le public. On doit recaler notre release qu’on avait prévu à la Boule Noire le 15 Avril. 

Antoine : Respecter les gestes barrière.

LFB : Quels sont vos astuces pour survivre au confinement ? 

Alix : Il n’y a pas d’astuces universelles, chacun le gère à sa façon je pense. J’ai la chance d’avoir une passion pour la musique, donc je m’évade facilement avec ça, je lis beaucoup aussi, et puis on peut se défouler en se faisant la guerre sur Worms !

Antoine : Respecter les gestes barrière, et perdre à Worms. 

Alix : Pauvre petit ami.