ADN #555 : Fame Jane

ADN : Acide du noyau des cellules vivantes, constituant l’essentiel des chromosomes et porteur de caractères génétiques. Avec ADN, La Face B part à la rencontre des artistes pour leur demander les chansons qui les définissent et les influencent. Elle dévoile aujourd’hui son nouveau titre, I Know About You. Fame Jane est de passage pour nous confier les morceaux qui l’ont influencée.

crédit : Arnaud Pedersen

Smoke Gets in Your Eyes The Platters

Cette chanson est dans cette liste parce que je l’ai entendue un milliard de fois, et qu’à chaque écoute, j’ai adoré. Elle n’a jamais cessé de me plaire, elle n’a jamais cessé d’être neuve à mes oreilles. Ma grand-mère, qui n’est pas mélomane pour un sou, avait une cassette des Platters dans sa voiture, une petite Citroën AX bordeaux. Elle habitait au Luc en Provence, dans le sud, et on y a longtemps passé tous nos étés, mon frère, mes parents et moi.

Tout l’été, pour aller à la mer, à la piscine municipale, ou faire les courses, on montait dans l’AX et on écoutait les Platters. Toute la cassette me plaisait et j’écoutais en silence – je trouvais ça magique. Je devais avoir 9 ou 10 ans, et jusqu’à mes 16 ou 17 ans, je n’entendais ces chansons que chez ma grand-mère. Je n’ai jamais pensé à les écouter ailleurs, jusqu’au jour où j’ai trouvé un vinyle des plus grands hits des Platters chez un disquaire du 2ème arrondissement.

Même maintenant, j’associe tellement cette chanson au bruit des cigales, à la chaleur écrasante du mois d’août dans les terres du Var, que j’ai du mal à l’écouter sous la pluie parisienne. La chanson est géniale, bien sûr (elle a été écrite en 1933 par Jerome Kern et Otto Harbach pour une comédie musicale, et interprétée par les Platters en 1958), mais elle me rappelle surtout à quel point ma vie, comme celle de millions d’autres gens, est ponctuée par une sorte de bande originale qui habille et devient elle-même mes souvenirs.

So Hot You’re Hurting My Feelings – Caroline Polachek

J’adore ce live de Caroline Polachek (qui reprend l’esthétique du clip, à voir, d’ailleurs – j’adore l’étalo et la choré). C’est une artiste qui me fascine ; son expérimentation sur la voix, ses textes de plus en plus ambitieux tout en restant ultra pop, et l’univers cinématographique qu’elle a créé avec son projet solo sont géniaux. Je trouve le tout ultra maîtrisé, au service d’une proposition artistique super solide.

J’aime autant le charme brut d’artistes folks, dont la beauté réside presque dans l’accidentel, que celui, presque rigide, d’un projet millimétré, comme on en voit pas mal dans l’hyperpop notamment (Charli XCX, Rosalía, Polachek, etc) avec des chorégraphies et une scénographie très travaillées. Les deux fonctionnent pour des raisons différentes ; quand je regarde un live de Polachek, je la trouve très sexy et très puissante.

Autant Grimes, dans une vibe pop aussi, me donne envie de fusiller les gens du regard dans la ligne 12, de péter des vitrines de banque et de lire une biographie de Mata Hari, autant Polachek me donne envie de marcher dans Paris en talons hauts, ignorant tout le monde, l’air hautain.

Dry your eyes The Streets

Cette chanson a marqué ma première rupture importante. J’avais 17 ans, j’avais quitté mon petit copain deux fois de suite (lol) et il s’était mis avec une autre fille. Drame absolu, j’étais convaincue d’avoir fait la pire erreur de ma vie et d’être passée à côté d’une Grande Histoire.

J’étais habitée par la grandiloquence de cet âge-là : persuadée d’avoir percé à jour les secrets de l’existence même, de connaître désormais ce qu’était la douleur, la vraie, pas celle des bébés : j’avais vécu. J’écoutais cette chanson en boucle sur mon iPod Touch, sanglotant dans les rues de Nantes et dans le bus 21.

J’en ris maintenant, bien sûr. C’était une histoire un peu nulle, un peu maladroite, on n’est pas restés ensemble longtemps du tout, et non, je ne lui ai pas brisé le cœur pour toujours. Mais ça n’empêche qu’à 17 ans, c’était ça l’histoire.

Et ces émotions ont toujours une vraie valeur, qui ne mérite pas d’être moquée par mon cynisme d’adulte. Ce que je trouve un peu ridicule et un peu mignon aujourd’hui était bel et bien profond et intense à l’époque, et c’est chouette (et important) de m’en souvenir comme tel. Cette chanson me ramène à cette époque et à ces sentiments, et j’aime bien l’écouter de temps en temps pour m’y replonger.

(Still Waiting at) the Wall – Pat Garvey

Cette chanson représente deux choses pour moi : mon père et mon enfance aux Etats-Unis. Quand j’avais six ans, ma famille a déménagé sur la côte ouest américaine. Je n’ai aucun souvenir avant cette période ; dans ma tête, c’est comme si j’étais née là-bas. Dans la voiture, mon père passait cette cassette, celle de Pat Garvey ; un album intitulé « A Rose, A Letter, A Poem ». Le titre vient de cette chanson, dans laquelle le narrateur raconte avoir été voir un monument dédié aux soldats tombés au Vietnam.

C’est en fait Tim Murphy, un vétéran, qui a composé la chanson en 1985. C’est l’interprétation de Pat Garvey que j’ai entendue en premier, et, dans la voiture, c’est la voix de mon père, qui chantait par-dessus, que j’ai retenue. Dans ma petite tête, mon père avait plus ou moins, de façon floue, écrit cette chanson pour nous, mon frère et moi. Still waiting at the Wall est devenue du ressenti pur : plein d’images entremêlées qui s’enchaînent à toute vitesse sans aller nulle part, mais qui font partie de mon identité.

D’ailleurs, dans ma chanson « Now and Then I Wonder », que j’ai écrite récemment, les paroles « I could send a letter / A gift, a curse, a kiss » puis « A poem to the past / a prayer to the rose » sont, je pense, de façon inconsciente, inspirées directement de cette chanson.

Coat of Many Colors – Dolly Parton

J’ai toujours aimé et admiré Dolly Parton – c’est une de mes idoles. Elle semble avoir su très vite qui elle était et, sitôt son talent établi (très jeune), elle s’est mise en quête d’un rêve : « devenir musicienne ». Elle a aussi vécu dans un monde bien plus ouvertement sexiste qu’aujourd’hui, et son image a souvent été teintée de mépris, y compris de la part d’autres femmes, qui ont vu en elle une bimbo écervelée esclave du show-business. Elle a toujours navigué ces contraintes avec élégance, et une détermination discrète mais non moins inébranlable.

J’ai entendu cette chanson en particulier pour la première fois dans un moment de détresse. J’étais élève dans une préparation à un concours très difficile, et je ne me reconnaissais plus. Je n’avais plus aucun sens de qui j’étais, ni de ce que je voulais accomplir. J’étais tombée malade à cause du stress et mes symptômes me faisaient très peur. Je suis retournée chez mes parents une semaine. Dans mon lit, dans ma chambre, j’ai entendu « Coat of Many Colors ».

Dedans, Dolly raconte assez simplement que, petite, sa mère lui a cousu un manteau à partir de morceaux de tissus que quelqu’un leur avait donné. Elle évoque les histoires que sa mère racontait en cousant, comme celle de Joseph, qui, dans l’Ancien Testament, reçoit un manteau (aussi appelé « Coat of many colors ») de son père. L’histoire m’était familière car petite, aux Etats-Unis, j’avais le VHS de « Joseph, King of Dreams ». Je ne suis pas croyante, mais j’aimais bien l’histoire parce que j’aimais bien le dessin animé. A 24 ans, pour plein de micro-raisons inexplicables, j’ai reçu cette chanson comme un message d’espoir, qui m’était directement adressé. Dolly me disait « ça va aller. » Comme c’est Dolly, je l’ai crue. Et elle avait raison, comme d’habitude.

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