Les festivals fleurissent de partout. Il y a les historiques et d’autres sans âme ou du déjà-vu. La première édition du Supersonic Block Party qui avait tout d’un pari risqué, s’est révélé être un succès. Les dénicheurs de nouvelles tendances musicales indie et rock en ont eu pour leurs oreilles dans le quartier emblématique de Bastille. Retour sur ces trois jours givrés avec un top 10 totalement subjectif.
Comme décrit dans notre précédent article, la volonté des organisateurs du Supersonic’s Block Party est de proposer un festival dont le concept se rapproche du Great Escape à Brighton, ou du moins, plus au Left of the Dial de Rotterdam
Se déroulant idéalement durant le Pont de l’Ascension, un parfum de vacances d’été se faisait grandement ressentir. Le soleil restait éveillé de plus en plus tard et illuminait des salles habituées à vivre la nuit. Les intervalles entre les concerts permettaient d’apprécier ces premiers moments en terrasse à Paris, tout en observant le quartier bucolique du port de l’Arsenal. On était bien. Enchainer les journées et les concerts nous rappelèrent nos bons souvenirs de nos derniers festivals. Ça nous manquait. Alors, ce festival à petit format au mois de mai est ce petit verre de cacahuètes, sans prétention, qui accompagne ce Moscow Mule sur notre table. On le dévore et on en redemande.
Quatre scènes aux allures différentes sont mises en avant. Elle sont toutes situées situées dans le même bloc de quartier. Il était quasiment possible d’assister à une partie de chaque concert de Block Party sans traverser un seul passage le piéton ! On ne présente plus le Supersonic qui profite d’une mezzanine et de son fameux poteau. Tout est réuni ici pour festoyer sur le rock. Son petit frère, le Supersonic Records, est aussi de la partie mais par son décor et son acoustique, il propose un environnement plus intimiste sans pour autant renier sur la puissance sonore. Moins habitué à accueillir des concerts rock, la scène du Café de la Presse se révèle agréable avec une fosse toute en longueur et dispose également d’une mezzanine qui permet de voir les artistes…de dos. Enfin, le café de la Seine inaugure sa cave qui contient un renforcement idéal pour les groupes. On retrouve également un poteau idéalement placé dans la fosse. Ce lieu nous surprend plus par son atmosphère underground et donc adapté à la programmation.
31 artistes qui ont le vent en poupe sont donc venus spécialement pour embraser ce week-end. C’est aussi l’occasion pour eux de défendre le fruit de leur travail pour conquérir un nouveau public. Il y a beaucoup de belles découvertes. Mais la vie est injuste et seulement dix seront exposés dans ce top 10 purement subjectif
10ème Silverbacks (19 mai – Supersonic)
Bien évidemment, il fallait valoriser ce groupe qui chante sur la belle région de France : Dunkirk (Dunkerque). Ce quintet venant de Dublin avait la lourde tâche de jouer en premier le dernier jour. C’est-à-dire quand les organismes baroudeurs commencent à s’épuiser. Les retardataires peuvent regretter de les avoir manquer. Silverbacks fait la jonction entre divers aspects du post-punk qu’on ose même appeler de l’art punk ! On sent sur la scène une formation très unie. Le guitariste et le batteur affiche une complémentarité évidente. Les frères O’Kelly sont leaders du groupe. L’un d’eux parle même français et se montre assez fier de l’afficher sans accent aux spectateurs. On a apprécié quand la bassiste Emma Hanlon vient apporter sa voix sur des morceaux plus doux et distordus comme sur Rolodex City. Silverbacks sonne comme Television et ça ne laisse jamais insensible
9ème PURRS (17 mai – Café de la Seine)
Il y a eu peu de représentants « Oui oui baguette » du côté du festival, alors PURRS était un immanquable pour ceux qui voulaient se rassurer sur nos capacités à faire du rock qui tâche. Jouant à la Seine Café, ils ont créé un halo de gros son qui a saisi l’audience et fait regretter l’oubli des bouchons d’oreilles. Leur puissance musicale n’a d’égale que le charisme indéniable de nos frenchy, suant à grosses gouttes pour vous mettre une claque. Les titres s’enchainent plus ravageurs les uns que les autres, entrecoupé des pauses fraicheurs à base de vin (la France !) et de brides d’autodérision. Les téléphones ont vites été sortis quand le frontman Elliott s’est approprié un peu plus l’espace et s’est enfui de leur scène réduite pour grimper sur les amplis. Tout ça pour déclamer ses paroles avec encore plus de verve. Un côté IDLES assumé, une présence monstrueuse, un humour qui tranche avec la noirceur de leurs sons, les PURRS assurent franchement et n’ont absolument pas à rougir devant les collègues étrangers. Nous avons eu de dignes représentants, merci !
8ème Saloon Dion (18 mai – Café de la Presse)
Vingt secondes. C’est le temps qu’il a fallu pour comprendre que ce groupe était taré. Le guitariste trinque avec le public avant de commencer, entonne une Marseillaise bien foireuse…on le sent toute joie à déballer sur la scène du Café de la Presse. Il faut dire qu’ils ont à cœur de défendre leur nouvel EP Muckers. On retourne aux antipodes du post-punk 70s et 80s avec de fortes influences de Wire qui s’accompagne de la puissance de feu de Shame. Les tubes sont fédérateurs. La plus grosse claque reste l’un de leur premier titre Pressure qui est venu agiter la foule et résume assez bien le tempérament de la nouvelle génération rock outre-Manche.
7ème CIEL (19 mai – Supersonic)
Conclusion de la troisième et dernière journée, les programmateurs avaient l’intention de nous faire monter au septième ciel. Le trio « anglais » vient avec un son rock innovant, mélangeant grunge et shoegaze. Les reverbs et les vrombissements de la guitare s’imposent au détriment de la voix de Michelle, plus camouflée et perçante qu’en studio. Les premiers titres de Back to the Feeling et Somebody (bien trop court) hypnotisent et captivent. Tous les signaux sont déclenchés et on attend avec impatience la chanson clé qui fera céder le public à danser furieusement. Baby Don’t You Know fait honneur à ce statut et pousse la foule à jeter ses dernières forces après trois jours de festivités. Le production sonore délivrée par le groupe est tellement énorme qu’on a du mal à redescendre les pieds sur terre.
6ème Bilk (17 mai – Supersonic)
Une batterie, une basse et une guitare. Il n’en faut pas plus pour exposer la férocité de ce trio de Chelmsford qui fait dériver le post-punk UK vers les sonorités californiennes. Sol Abrahams dont l’accoutrement sort tout droit d’un épisode de Stranger Things chante-rappe comme les leaders des Red Hot Chili Peppers. C’est énervé et ça apport de good vibes comme sur Daydreamer ou Be Someone. On est très loin de leur début vif et brut de leur tube Spiked qu’ils ne joueront jamais d’ailleurs ce soir-là. Seul Hummus and Pitta de leur album éponyme flirte de loin avec leurs inspirations initiales. Le bassiste est d’une facilité déconcertante voire énervante. Il se balade sur scène, observe la rue, ne regarde pas le public et te fait sentir inférieur face à ses innombrables talents de showman. Les titres défilent à toute vitesse et ne laisse aucun souffle à une foule convaincue et nostalgique de l’ère pop punk.
5ème Nice Biscuit (17 mai – Café de la Presse)
Le groupe est venu spécialement d’Australie et d’après eux, ce serait une hérésie de les comparer à King Gizzard & The Lizard Wizard. Et devinez ? C’est dans la même veine que leur illustre compère aux 12 albums par an. Les guitares abrasives se mélangent avec harmonie avec les vocalises des chanteuses. Le batteur et la bassiste semblent être lancées dans des jams groovy et à la durée inconnue. Les deux chanteuses se laissent emporter dans leur chorégraphie orientale. On ressent très vite l’attrait du groupe pour le blues et le psychédélisme des années 60 et 70. La production sonore de chaque titre était ahurissante. Rien de crasseux, tout est fluide et maitrisé à la perfection. Candle restera le titre qui captivera avec passion l’audience de la salle. Ne cherchez plus, on tient la future première partie de King Gizzard & The Lizzard Wizzard et à fortiori, le premier nom de l’édition 2024 de la Route du Rock.
4e goo (19 mai – Supersonic Records)
Certainement la plus belle surprise du festival. Tout comme Bilk, goo nous fait replonger dans les années 90 mais sur un mouvement bien différent : celui du rock bien noisy. Les quatre bar workers de The Exchange à Keighley ont sauvé leur santé mentale grâce à leur première single Underground or Overseas durant la pandémie. Ce morceau est rapidement mis à l’honneur durant le live. On sent le plaisir de la guitariste à faire saturer le son à la sauce Breeders. Les couplets planants et mélodiques sont fracassés par des refrains plus ravageurs et distordus comme sur FOMO. La prestation est sans aucune fausse note. Pour parfaire l’ensemble, goo reprend Gigantic des Pixies et sonne comme une révélation. Celle d’un revival du college rock amorcé par Alvvays il y a quelques années. Cette formation est de cette trempe-là et confirmera sans nul doute lors de la sortie leur prochain EP en août.
3ème FEET (18 mai – Café de la Presse)
L’une des mascottes de cette première édition héritait de cette surprenante salle du Café de la Presse. Le quatuor part avec un noyau conquis de fans. Il faut dire que FEET est certainement l’un des plus anciens groupes de la line-up avec près de 7 ans d’existence ! En plein renouvellement de sa direction musicale, la formation de Conventry s’éloigne peu à peu du pur post-punk pour une indie pop funky. Il était donc inutile d’espérer de pogoter sur Pretty Thieving ce soir-là. Le groupe a le don de trouver des mélodies délicieuses et enivrantes, où le jeu de guitares trouve du sens ailleurs que dans la saturation. Leur dernier single Changing My Mind Again est le fer de lance de cette nouvelle direction artistique en étant joué peu avant leur tube English Weather. Malgré l’insistance de quelques spectateurs, Haverson déclare, avec sourire, que ce n’est pas a bonne période pour jouer Vegetarian Christmas. Pas de cadeaux donc. Point de regret, FEET balance une de ses dernières trouvailles Can’t Get In et son autre tube pop Chalet 47 de son premier album. Et le quintet parvient finalement à nous donner le cœur léger et ravi après tant de bonnes ondes pop sucrées.
2ème Personnal Trainer (18 mai – Supersonic)
Placé en clou du spectacle de la deuxième soirée du festival, les hollandais de Personnal Trainer ont su confirmer leur place par un show délirant mené par le chanteur Willem Smit. Les sept compères sont des vrais troubadours qui nous rappellent Arcade Fire. La fusion des sonorités opèrent comme un orchestre symphonique dont les voix féminines complètent en chœur les délires de Willem qui renverse la bière sur les spectateurs, balance son gobelet, se moque des spectateurs et matraque son T-Shirt. C’est beaucoup moins glamour que Zac Lawrence (lire ci-àprès)
La formation a pu défendre son premier album pour une Big Love Blanket Party. Le show commence à l’identique du disque, c’est-à-dire que l’on retrouve très vite leur tube The Lazer en deuxième titre de la setlist, mettant en feu la fosse. Très vite, la bonne humeur s’empare du Supersonic et on se laisse aller aux airs improbables. C’est véritablement une bande de potes qui donnent âme et corps à leurs partitions. Le groupe se lâche et le public aussi. . Le mutli-percussionniste perdit même sa chaussure sur un slam osé avant qu’il ne la retrouve servi sur un plateau accompagné de sept shots. L’ensemble n’avait ni queue ni tête, mais on a tout de même pris notre pied.
1er DEADLETTER (18 mai – Supersonic)
Le public est venu s’empaler au Supersonic, aux bons souvenirs des lignes de métro parisiennes en heure de pointe, pour assister à la valeur montante du rock british actuel. DEADLETTER porte de gros espoirs aux amateurs de rock. Zac Lawrence, le leader charismatique (et sexy) ne laisse insensible personne (et met en péril mon couple). Il nous rappelle immédiatement Mike Jagger tant par son physique que par sa présence sur scène. On savait tous que son T-Shirt noir transparent qu’il portait; était voué à disparaître rapidement pour le bonheur de tous. Pop Culture Connoisseur lance les hostilités mais le public semble en difficultés car il n’avait pas révisé les paroles la veille. Zac ne se démonte pas pour se lancer sur la suivante. Mais quelque chose bloque. Le bassiste perd son sang-froid, peste, râle, balance sa basse et tape contre le micro : rien ne fonctionne. La nervosité est à son comble comme si George Ullyott jouait l’audition de sa vie. On le sent prêt à tout casser autout du lui. Et le temps fut long pour trouver une solution. Le reste du groupe reste droit dans ses bottes et lance un jam pour garder un espoir de vie au concert. Finalement, le salut viendra du prêt d’une basse par le staff du Supersonic. Merci ! Zac peut enfin lancer The Snitching Hour qui sera vécu avec tant de jubilation dans la fosse. Le groupe dévoile deux inédits It Flies et Deux ex Machina qui viendront amplifier la pluie de sueur et le nombre d’hématomes dans cette foule compacte autour du groupe. C’est à se demander s’il ne faudrait pas investir sur des douches pour les détenteurs du billet l’année prochaine. En bon animateur de soirée, Zac joue avec ses admirateurs en les faisant s’assoir puis bondir à maintes reprises. Puis se permet de sauter torse nu pour le rituel crowd surfing du Supersonic. DEADLETTER, malgré l’entame tendue, a su renverser la vapeur pour s’offrir une prestation rock’n’roll aboutie.
A noter : On le répète, ce top est bien sur imparfait. Les concerts n’ont pas pu être tous vus. On pense au synthpunk de Nixer qui a surpris et enjaillé plus d’un. Malheureusement le groupe a été mis dans l’ombre de DEADLETTER. Il y a aussi CVC qui a apporté son lot d’ambiance pub rock avec une reprise surprenante de Lady de Modjo ou encore Bo Gritz dont les deux seuls morceaux aperçus ont été assez dévastateurs pour nous convaincre de les découvrir davantage.
On ressort fier et heureux d’avoir vécu ce festival qui a contenu son lot important de bonnes surprises. Il est fort probable qu’une deuxième édition du festival Block Party se tienne. Les deux derniers jours ont affiché complets, signe que certains sont revenus convaincus ! Le festival permet de ranimer la culture rock dans la capitale parisienne en devenant un lieu de rencontres entre passionnés dans la bonne humeur et avec un esprit festif. Il alimente également le goût de l’aventure, de la curiosité et de l’ouverture d’esprit. Le plaisir reste avant tout la découverte musicale par le live à l’heure où le streaming règne dans l’industrie musicale. La playlist de 2023 étant désormais remplis de pépites, faites nous encore rêver en 2024 !