Lors de la dernière édition du Festival Chorus, qui se tenait à la Seine Musicale ce premier week-end d’avril 2023, La Face B a eu l’occasion de s’entretenir avec l’une des artistes montantes de ces dernières années, Jeanne Added. Un moment en tête à tête, le temps de s’exprimer sur son approche de la musique, de la corporalité scénique et du climat politique actuel.
Découverte en 2015 avec un premier album encensé par la critique, Be Sensational, l’artiste n’a pas fini de faire rayonner la scène française. Après Radiate en 2018, un EP Air en 2020 souligné d’un court-métrage musical, Jeanne Added est de retour avec By Your Side paru fin 2022.
Un album coloré, fort de singularité qui n’a pas manqué de nous taper dans l’oeil.
C’est à la Seine Musicale que nous la retrouvons, elle s’y produit sur la Grande Seine, le public ce soir là est déchaîné, pas une personne n’est statique. Depuis le début de sa carrière solo, Jeanne Added électrise la scène, par sa musique, plurielle et dansante, à son image, mais surtout par son énergie transcendantale sur scène. Une façon d’interagir avec son corps, la scène, le public, qu’elle nous raconte tout en vérité.
La Face B : Hello Jeanne ! À La Face B on te suit depuis le début, on ne rate pas un concert, et il faut dire qu’il y a eu une vraie évolution depuis ta première tournée où vous étiez trois, tu étais à la basse, maintenant tu as des choristes, et plus de musicien.nes… Mais il y a aussi tes albums qui au fur et à mesure deviennent plus lumineux, comment tu interagis avec cette progression ?
Jeanne Added : C’est vrai que nous étions trois au début, et maintenant, nous sommes sept !
La progression elle suit mon désir, et mon désir suit ma vie. C’est à dire qu’il y a des temps pour la bagarre, et il y a des temps pour les robes roses ! Évidemment tout ça fait partie de moi, et le fait que ça s’adoucisse correspond aussi à quelque chose qui est personnel. En ce moment je suis en train d’écrire, je crois que ce sont des chansons très lumineuses, et ça ça bouge avec la vie.
Ce métier fonctionne beaucoup comme ça, en tout cas moi je fonctionne comme ça. Ce sont de miroirs de ce que j’expérimente et de mon parcours, en croisant les doigts pour qu’au fur et à mesure ça continue de parler aux gens, que ce que je vais chercher au plus précis ou au plus petit de moi, devienne accessible a tous et toutes.
La Face B : Dans ton dernier album, il y a une certaine douceur qui émane, je pense au titre Another Place, très doux melodiquement, où By Your Side qui amène une certaine lenteur et un temps étiré, ce qui tranche avec les côtés plus vifs des précédents. Comment l’as tu construit ?
Jeanne Added : Un peu comme toujours, c’est à dire que il faut écrire, et puis au fur et à mesure où on écrit on se rend compte qu’il y a des sujets qui émergent, des choses qui deviennent récurrentes. Je ne fais pas de concept-album, j’aime bien que l’album m’apparaisse au bout de quelques mois, je me dis « ah en fait c’est en train de ressembler à quelque chose ». Je ne me mets pas trop de barrière sur quel genre de musique je veux faire… Et a un moment donné il y a ce truc assez magique qui fait que, dans le meilleur des cas, les chansons se mettent à se répondre les unes aux autres, il y a un tout qui prend forme.
Au bout d’un moment je me suis rendue compte que le mot truth, vérité, les notions de mensonge, etc, apparaissaient constamment dans toutes les chansons, donc j’ai senti qu’il y avait quelque chose qui se jouait à ce moment là.
Bien sûr, il y a des endroits où j’avais des choses décidées : c’était les tempos. J’aime les albums de danse, ce qui n’est pas forcément le cas de cet album, mais je pense qu’on peut danser dessus quand même. J’aime relever les tempos, quand il y a une chanson sur laquelle je trouve que c’est cool de danser et que j’adore, je prends le tempo, et ça c’est le seul truc hors inspiration / créativité que je fais vraiment. S’il y a un des cadres que je me suis mis c’est là-dessus et sur les groove de batterie. C’est quand même mon troisième album et demi et donc c’est vrai que s’il y avait une direction à prendre, c’était celle là.
La Face B : Et il y a aussi ton écriture ! Je trouve que tes textes pourraient être lus comme de la poésie, il y a une construction et des schémas qui se rapprochent complètement des poèmes, ça me fait penser à l’approche de Patti Smith même si c’est évidemment différent. Quel est ton rapport à l’écriture, la lecture, est ce que c’est quelque chose que tu as toujours cultivé ?
Jeanne Added : J’ai lu beaucoup de poésies, c’est vrai, et j’ai toujours beaucoup écris, et beaucoup lu. Un peu moins ces dernières années avec l’avènement des smartphones, comme tout le monde finalement, mais je m’y suis remise un peu ces derniers temps, et ça fait un bien fou. Mais c’est vrai que mon cerveau a été formé comme ça. J’ai des grands plaisirs de lecture, j’en ai eu des immenses, je peux avoir des grandes excitations à la lecture d’une belle phrase, donc je fais ça à mon petit niveau tranquillement mais c’est vrai que ça fait partie des choses qui me constituent, même si la musique est plus naturelle.
La Face B : Comment le corps interagi dans ta musique ? Je pense à la danse, tu en parlais d’ailleurs, que c’est quelque chose que tu aimes particulièrement.
Jeanne Added : C’est à dire que j’ai aussi appris à chanter comme ça ! Le professeur de chant qui a été le plus important pour moi dans ma vie est un ancien danseur et il m’a appris le chant par le corps. Par exemple s’il y avait des choses difficiles à chanter, il te faisait sauter sur place, ce qui déconnecte le mental des difficultés que tu ressens, enfin il y a tout un tas de trucs qui se croisent comme ça. Et le corps est un instrument pour chanter, tu as besoin d’avoir un corps qui est en forme en fait, si tu es raplapla, si tu es fatiguée, tu ne peux pas chanter, sauf si tu ne chantes pas vraiment (rires.), mais moi j’aime bien chanter donc j’ai besoin de mon corps !
La Face B : C’est vrai que tu investis vraiment la danse sur scène pour cette tournée, dans toute ta scénographie d’ailleurs !
Jeanne Added : C’est à dire que depuis j’ai découvert que j’adorais danser sur scène, j’essaye d’y penser en amont, de faire des morceaux sur lesquels je vais pouvoir danser, parce que je fais quand même ce métier là pour passer du bon temps (rires.) !
Je crois que depuis l’enfance j’ai toujours vécu la musique physiquement. Enfant j’ai fait de la danse, plus ou moins comme tous les enfants. J’ai toujours adoré danser et c’est vrai que mes études et mon premier bout de carrière m’ont complètement séparée de ça alors que c’est un grand plaisir dans ma vie, et c’est un plaisir de spectatrice aussi.
J’aime beaucoup voir de la danse sur scène, et ça fait partie des choses que j’adorerais faire par exemple, chanter pour un spectacle de danse. J’essaye de faire de la place pour ça, et c’est vrai que, par exemple, lorsque j’ai commencé je jouais beaucoup de basse sur scène, là j’ai vachement moins envie de faire ça parce que j’ai plus envie de danser.
Qu’est-ce qui a changé dans l’industrie de la musique depuis tes débuts et comment tu l’abordes ?
Evidemment depuis 2015, ça a changé. Mais entre la personne que tu es quand tu sors un premier album, et celle que tu es quand tu sors un troisième album, surtout huit ans plus tard, l’industrie a changé mais moi aussi j’ai changé. C’est à dire qu’il y a des choses que je trouve violentes en terme de business et d’industrie que peut-être je ne voyais même pas, tellement j’étais sous perf’ d’adrénaline non stop quand j’ai sorti mon premier disque, maintenant je commence à les sentir un petit peu. Je trouve que ce qui a le plus changé autour de moi c’est le schéma économique, l’arrivée du streaming peut apporter une grande liberté, mais pour les artistes un peu à l’ancienne comme moi, qui prennent beaucoup de temps à faire un disque, qui tournent beaucoup, c’est différent. Je pense il y a moins d’entre deux qu’avant, soit tu es énorme, soit tu es petit et tu fais tout tout seul, soit c’est mainstream à fond les ballons, soit c’est niche.. Peut-être qu’il y a un petit peu moins de place pour cet entre-deux là, mais bon, je parle d’un endroit où je suis : Je ne passe pas non stop à la radio ni à la télé, néanmoins j’ai quand même accès aux médias et aux salles de concert. C’est une sensation en tout cas ! Après c’est le système capitaliste aussi qui veut ça, si tu ne grossis pas, c’est comme si tu régressais, et l’industrie musicale est une industrie capitaliste.
Puisqu’on est sur ce terrain là, on est tous et toutes un peu énervé.e.s en ce moment, la musique est un bon exutoire en cette période particulièrement ?
La musique, c’est toujours bien ! Pour lâcher bien sûr, en tout cas en ce qui me concerne c’est toujours un endroit qui me fait du bien, et dans des temps comme ça, je pense que la musique et la transformation artistique ont vachement d’importance. Je me rends compte en chantant mes chansons dans ce climat là, qu’il y a plein de moments qui naissent dans l’écriture de mon rapport et de mon refus de cette société. Et c’est partout, dans toutes les chansons. C’est jamais hyper clair, je sais que je ne suis jamais en tête de cortège comme on dit, mais il y a en a partout, pour moi ça fait partie de ce que je suis, je suis très très sensible au climat politique.