Pour sa quatrième édition, la Supersonic Block Party passe la seconde. Plus ambitieuse, plus étendue, la formule confirme sa volonté de s’ancrer durablement dans le paysage des festivals parisiens. Et le pari est réussi : public nombreux, belles découvertes, ambiance décontractée dans les rues du 11e et 12e… malgré une montée de tension samedi soir, PSG oblige. Ce sont 70 groupes qui rêvent de s’inviter dans la cour des grands. Mais avant ça, il faut savoir décoller, et ce week-end de l’Ascension tombait à pic. La Face B a pu suivre une trentaine de concerts en trois jours : des claques, des crashes, et quelques miracles : voici les sets les plus marquants.

Projector (Jeudi 29 mai, 16h30 – Supersonic Club)
Excellent démarrage pour cette monture 2025 de ce quatuor. Dès les premiers morceaux, on sent une vraie cohérence : la voix nonchalante du·de la chanteur vient trancher avec l’énergie grungy du groupe. Ce contraste fonctionne à merveille, créant une tension électrique qui capte tout de suite l’attention. Le son est percutant, direct, sans fioritures. On est clairement dans un post-punk qui n’a pas peur de se moderniser. Et puis, un moment fort surgit : quand la bassiste prend le chant, le ton change du tout au tout. Elle passe en mode leader, plus agressive, plus frontale. C’est sec, ça mord et ça fait du bien.
Bucket (Jeudi 29 mai, 17h50 – Supersonic Club)

Avec ce groupe, on passe clairement à un niveau de violence supérieur. Le son est sec, brut, noisy à souhait. Les aigus nous éclatent les tympans et martyrisent les enceintes du Supersonic. Franchement, on a un moment de doute : est-ce qu’elles tiendront jusqu’à la fin du festival ? Le chanteur hurle dans le micro comme s’il voulait en rajouter une couche, pendant que la batterie se fait littéralement saccager. Bucket s’attaque à l’histoire de France en revisitant la destruction du quartier de la Bastille, version chaos sonore. Ou alors c’est le Bucket Challenge à leur sauce : être trempé sous une pluie de sueur et de décibels abrasifs. Ils adorent les ruptures nettes, juste pour relancer encore plus fort.
Et, contre toute attente, les morceaux sont longs. Une fois plongé dedans, c’est un tourbillon sonique, presque hypnotique. L’expérience live est clairement au-dessus du studio. Ça cogne, ça emporte, mais ce n’est pas pour tout le monde. Disons que c’est réservé aux amateurs de bruit… ou de Noisy-le-Sec, au minimum.
Van Houten (Jeudi 29 mai, 19h30 – Supersonic Club)
C’est une véritable armée de cordes qui s’installe sur scène. Van Houten, c’est un groupe à cinq têtes : trois guitaristes, un bassiste, un batteur. Les guitares, forcément, sont au centre de tout : elles tissent des riffs qui fusionnent avec justesse, sensualité et une belle dose de fuzz. Chaque couplet doux est une pente glissante vers une montée plus rageuse, jubilatoire. On n’a plus qu’à contempler et se laisser porter par ces vagues électriques, parfois tendres, parfois déchaînées. Le groupe joue uniquement les titres de son deuxième album, The Tallest Room, dont le magnifique Panoramic View. On aurait bien aimé entendre Coming of Age, notre préférée mais on leur pardonne. On était déjà bien trop happé par ce mur de sons chaleureux et flottants.
Do Nothing (Jeudi 29 mai, 21h30 – Café de la Danse)
Ils ne passaient qu’une seule fois, alors il ne fallait surtout pas les manquer. Andrew Harrison et ses acolytes, sont habitués des grands festivals. Ils ont même foulé la scène de Glastonbury. Les voir ici est donc un privilège. Il n’a fallu que de quelques secondes pour voir la foule complètement envoûtée par leurs titres La présence scénique d’Andrew est tout simplement ahurissante. Il semble ensorcelé par ses propres mots, qu’il crache avec la précision d’un comédien des Cours Florent, livrant chaque phrase comme une incantation. On tient là sans doute l’un des meilleurs songwriters du post-punk actuel. Derrière ses textes puissants, les sonorités des morceaux sont riches et diversifiées, tissant un univers sonore captivant. Le public est emballé, même si, curieusement, leur tube Handshakes est passé à la trappe au profit de nouveaux titres prometteurs.

Opus Kink (Jeudi 29 mai, 22h50 – Supersonic Club)
Le final de la première soirée est assuré par une troupe de post-punk pas comme les autres, avec un saxophone en arme secrète. On pourrait presque les surnommer un boys band jazz-punk, tant ils mêlent avec audace l’énergie brute du punk et la sophistication du jazz. Sur scène, ils affichent une confiance tranquille, loin des clichés habituels du genre. Leur musique est un véritable patchwork sonore, fédérateur et progressif, qui invite à la fois à la danse et à l’écoute attentive. Le chanteur s’aventure soudain en français, mais pas sur des rythmes attendus : ses paroles flottent, se détachent des temps, créant une tension unique. Puis la tension explose lorsque le saxophoniste se lance dans un slam puissant sur un air russe, emportant tout sur son passage, entre rage et poésie. C’est une expérience à la fois surprenante et captivante, qui laisse le public du Supersonic suspendu et conquis.
Soapbox (Vendredi 30 mai, 16h30 – Supersonic Club)
On commence cette deuxième journée par un punk absurde, où les quatre membres semblent tout droit sortis des clichés des gens Nord-Pas-de-Calais partis du camping (ndlr : le rédacteur est originaire du Nord). Mais c’est surtout le signe d’un groupe qui ne se prend pas au sérieux, tout en assurant grave côté musique. On oubliera vite leur manager au bob en paillettes, toujours prêt à ajuster le micro. Oui, c’est son job. La batterie, dynamique et variée, insuffle une énergie folklo inattendue, qui contraste avec des paroles pourtant très sérieuses, dénonçant capitalisme et fascisme. Une entrée en matière aussi décalée que convaincante.
Lézard (Vendredi 30 mai, 17h – Guru)

L’un des concerts les plus groovy du festival. Ces amis belges ont tout pour créer des tubes, même si ce n’est clairement pas leur priorité. Chaque titre se conclut par un final marquant, qui reste en tête. Lézard prouve que l’indie rock peut être dansant, malgré la posture stoïque du claviériste, souvent réduit à appuyer inlassablement sur les mêmes touches. Mais c’est quand il se lâche sur un aspirateur de table, qu’il utilise pour en tirer des mélopées improbables, qu’on comprend qu’il s’éclate vraiment. Le guitariste, avec ses mimiques très prononcées, surprend par son chant et ses gestes, qui s’accordent parfaitement avec la chanteuse principale. Ensemble, ils nous transmettent une énergie contagieuse. Et eux, au moins, ils ont joué leur tube Nothing At All.
Yndling (Vendredi 30 mai, 19h20 – Pop Up du Label)
La chanteuse norvégienne nous ramène directement à nos premiers amours, entre Beach House et Cocteau Twins. Elle profite de ce festival pour présenter des morceaux de son futur album, divisé en deux parties, qui promettent de résonner fort chez les amateurs du genre. Sa voix douce, teintée de shoegaze, s’enivre dans des riffs de guitare mélancoliques et délicats. Le groupe nous offre ensuite son morceau préféré du prochain disque, et ça s’entend. Tout fusionne et éclate dans un brouillard vaporeux, porté par des riffs soigneusement ciselés. Une ambiance immersive, qui capture parfaitement cette douce mélancolie shoegaze.
Smudged (Samedi 31 mai, 16h30 – Supersonic Club)
Ce sont de vrais dégénérés, sur scène comme en dehors. Le chanteur, hyperactif, électrise la foule en slammant, pogotant et sautant dedans. Ses compères ne sont pas en reste, tout aussi barrés. Ils rejouent même Full Monty en finissant tous torse nu, sauf le guitariste, qui se contente de grimacer grossièrement devant les objectifs. Derrière ce chaos assumé, il y a un vrai talent. Les morceaux s’enchaînent avec une maîtrise bluffante, sans jamais perdre en énergie. On navigue quelque part entre IDLES et Viagra Boys, avec une base rythmique aussi remuante que Snapped Ankles. C’est jouissif, puissant et c’est seulement le premier concert de cette journée. Il a été difficile d’apprécier les concerts suivants…
Sunday (1994) (Jeudi 29 mai, 20h20, Guru)

Jeune, frais, et terriblement pop, Sunday (1994) débarque avec une vibe indie sucrée, tout droit sortie d’une série des années 90-2000. Malgré une salle clairsemée, le groupe peut déjà compter sur un petit noyau de fans fidèles. Et ça ne les décourage pas, bien au contraire : le quatuor chauffe la salle avec énergie, multiplie les clins d’œil au public et va jusqu’à pointer du doigt les spectateurs pour les embarquer dans son univers. C’est leur tout premier concert en France, et déjà une belle présence scénique. Leur son rappelle parfois Wolf Alice, version plus lumineuse. Du potentiel, clairement. On leur souhaite de remplir des salles à la hauteur de leur ambition… et de leurs guitares bien accordées.
Venus Grrrl (Jeudi 29 mai, 22h20 – POP UP)
On est clairement sur du punk qui mêle rock et riot grrrl, bien énervé mais qui chante juste. Une énergie brute, sans concession. Il ont cette explosion ce feu intérieur capable de déchirer la scène et de marquer les esprits à jamais. On leur souhaite de jouer dans une salle qui libèrera davantage la puissance rageuse de leur musique.
Formal Sppeedwear (Vendredi 30 mai, 17h50 – Supersonic)
Le chanteur a la voix de David Byrne à ses débuts. Quelques galères techniques (changement de sample ou de câble) viennent casser le rythme, mais sans conséquence. On retrouve le groove de Lézard, mais avec une batterie plus sèche et tenue, qui revigore la new wave des années 70. Ils n’ont pas livré le concert de l’année, mais c’est franchement agréable et ça fait mouche. Leurs meilleurs titres, A Dismount et Bunto, s’enchaînent à merveille. Il ne manque plus que Psycho Killer pour se croire à New York. Le final est touchant : le bassiste-chanteur se place en spectateur sur le dernier morceau pour admirer son guitariste, un hommage silencieux mais puissant.
Oktober Drift (Vendredi 30 mai, 21h30 – Café de la Danse)
Certains groupes mériteraient une lumière bien plus grande. Oktober Drift en est l’exemple parfait. Trois albums sous‑cotés au compteur, déjà une première partie d’Archive, et toujours cette même force : marier la mélodie à la puissance brute. Malgré la fournaise du Café de la Danse, le quatuor a livré une claque magistrale. Dès Demons puis Tyrannosaurus Wreck, la guitare grésille de rage tout en délicatesse, quelque part entre les meilleurs titres rock de The 1975 et une batterie caverneuse soutenue par une basse lourde façon Pixies. Arrive Blame The Young : un refrain so British qui aurait tout pour devenir l’hymne de stade… si le Somerset n’était pas plus célèbre pour son cidre que pour ses clubs de foot.

Kiran Roy, leader possédé, se démène comme un chien enragé : plongée dans le pit, sprint jusqu’au balcon, saut de l’étage : la foule exulte. Leur musique prêche le lâcher‑prise face à l’anxiété mondiale, et le public obéit : slams, pogos, mosh pit géant sur Airborne Panic Attack. Il y a quelque chose de profondément libératoire dans cette décharge d’énergie collective. Une tension qui se dissout dans le bruit, les corps, la sueur. Une façon de hurler ensemble pour aller mieux. La magie a de nouveau opéré le lendemain au Supersonic, ce groupe est infatigable !
CQ Wrestling (Vendredi 30 mai, 22h10 – Badaboum)
Même s’ils ont (légèrement) changé de nom, CQ Wrestling n’a pas changé sa recette : toujours aussi solide, toujours taillée pour les grandes scènes. On le sent dès les premières notes de Full Round Table, leur banger d’ouverture. Une montée en puissance enivrante qui finit en pure rage sonique Le son nous propulse du côté de Madchester, avec des guitares saturées qui explosent à chaque refrain, et une voix criarde à la Kasabian dans une salle, le Badaboum, plutôt habitué à l’électro. Les titres s’enchaînent comme une rafale : Wide Asleep, The Rift… que des cartouches. C’est une suite de bangers qui ne laisse aucun répit. On les retrouvera avec plaisir au festival orléanais Hop Pop Hop en septembre.
Jakuzi (Samedi 31 mai, 20h40 – Badaboum)
Esprit turc, es-tu là ? Pas le batteur en tout cas, il s’est cassé le pied et est resté coincé en Turquie. Qu’à cela ne tienne, le groupe a décidé de maintenir la date en jouant avec Ableton en guise de batterie de secours numérique. La voix du chanteur évoque furieusement celle de Future Islands, tout comme le jeu mélodique et certains titres. Alors, même groupe ? Pas tout à fait. Ici, c’est plus stoïque sur scène, avec un panorama sonore plus sombre. Et puis, le chanteur, lui, a clairement plus la dégaine de Rick Astley que de Samuel T : ça change tout.
Puis vient la deuxième moitié du concert, la foule est prise d’amour ces titres kitchs et de plus en plus solaires. Le chanteur enlève ses lunettes et commence ses premiers pas de danse. Après toutes ces guitares grésillantes, cette pause pop wave nous fait du bien. On assume également d’aimer ce style rétro qui nous rappelle la variété française des années 80 qui s’essaye à la new wave avec des tonalités entêtantes. Groupe phare dans sa contrée, on leur souhaite désormais la reconnaissance dans tout le reste de l’Europe.

©Crédit photo : Cédric Oberlin