Les montréalais de SUUNS ont sorti il y a peu FICTION, un EP aux sons électro sombres et paranoïaques sous forme de conte dystopique aux ondes glitch spectrales. Le groupe de art-rock canadien y explore de nouveaux processus de composition avec des nouveaux sons, de nouvelles techniques, et de nouvelles façons de penser et fusionnent leurs approches créatives précédentes avec de nouvelles idées. Le EP a été réalisé à partir de morceaux enregistrés live qui ont ensuite été isolés et retravaillés. Le résultat est un EP immersif aux sons abrasifs et surprenants.
FICTION commence par le possédé LOOK qui nous fait pénétrer doucement dans leur univers sombre et étrange. On y entre un peu comme dans une grotte, traversant les sons électroniques qui s’amplifient à mesure que l’on avance, porté par la voix digitalisée de Ben Shemie (le chanteur/guitariste du groupe), qui se glitche et se perd peu à peu dans le chaos. PRAY, le premier single de l’EP qui devait à l’origine figurer sur leur dernier album, nous entraîne dans des limbes électroniques impalpables et mystérieuses à l’orchestration monumentale et aux paroles mystiques : « You don’t love me / You don’t see it / Oh no, oh no / Pray for me / Pray for us » qui parfont le ton céleste du morceau. Et l’aspect mystique continue sur DEATH, morceau sombre et lourd au mur de son de guitares saturées et d’électro, éclairé par la voix éthérée d’Amber Webber (Black Mountain, Lighting Dust) qui renvoie à un monde proche de l’au-delà.
Pour BREATHE, le second morceau de l’EP, SUUNS a fait appel à leurs collaborateurs et amis de longue date Jerusalem In My Heart, le projet de performance audio-visuel mené par le producteur canadien/libanais Radwan Ghazi Moumneh avec lequel le groupe avait réalisé un album en 2015 intitulé sobrement Suuns and Jerusalem in My Heart. BREATHE est un morceau instrumental entêtant et insolite aux battements incessants et au buzuq, mélangeant sons anciens et modernes, électro et instrumentations orientales. (Interesting fact : Les profits des premières ventes du single ont été donnés à une association caritative pour soutenir la reconstruction de Beyrouth.)
FICTION, le titre éponyme de l’EP est une balade suspendue par des sons électroniques où les grattements frénétiques sur des beats endormies se fondent en un conte dystopique en apesanteur. Le EP se clôt avec l’anxieux TROUBLE EVERYDAY reprenant les paroles de Frank Zappa et de ses Mothers of Invention dont le morceau du même nom figure sur l’album Freak Out! sorti en 1966. Si la version de SUUNS la rend paranoïaque à l’extrême et complètement dystopique, les paroles d’alors sont toujours d’actualité : “Well I’m about to get upset / From watchin’ my TV / Checkin’ out the news / Until my eyeballs fail to see / I mean to say that every day / Is just another rotten mess / And when it’s gonna change, my friend / Is anybody’s guess” (« Je suis sur le point de devenir contrarié / à regarder ma TV / en regardant les nouvelles / jusqu’à ce que mes yeux ne puissent plus voir / Je veux dire que chaque jour / est juste un autre bordel pourri / et quand cela va changer, mon pote / on n’en sait strictement rien. »). Le morceau conduit à un climax étouffant, des paroles scandées d’une voix trafiquée, à la batterie jazzy, peu à peu rejointes par une instrumentation dissonante. Le tout nous fait penser à l’univers timbré et parano de l’écrivain beat William Burroughs…
Avec FICTION, SUUNS nous offre de la musique ultra précise, dé-construite et démontée tournée vers le futur et nous projette dans des contrées sombres et surprenantes aux thèmes noirs et apocalyptiques. Entre mysticisme et dystopie, le EP est aussi abrasif que spectaculaire.
FICTION est sorti sur le label indépendant Joyful Noise Recordings et est en écoute partout.