Devenir adulte peut s’avérer terriblement barbant. C’est un âge auquel il ne nous est plus permis de rêver, et au sein duquel l’innocence n’a plus vraiment de place. Le multi-instrumentiste tourangeau Vincent Fenton cultive une certaine nostalgie de cette période simple et insouciante appelée l’enfance. C’est cette même mélancolie qui a poussé celui plus connu sous le nom de FKJ –pour French Kiwi Juice– à écrire en laissant place à des inspirations plus brutes et ingénues. En résulte le deuxième album studio du Français, V I N C E N T.
Il faut dire que s’adonner à une telle démarche demande un certain courage, mais aussi une certaine adaptation. En effet, cesser de trop intellectualiser la production musicale tout en réussissant à terminer des morceaux assez aboutis pour les inclure dans un projet n’est pas tâche aisée, surtout lorsque l’on atteint un tel niveau. Mais une fois ce processus intégré et maîtrisé, on se rend compte de tous ses bienfaits et de ses qualités, ce disque en étant un témoin saisissant.
À travers V I N C E N T, Vincent Fenton met en avant une facette très futile et ludique de son jeu. C’est cette même innocence qui permet au musicien de construire des morceaux entiers basés sur des idées brutes et très spontanées. En découlent des passages comme Us, Different Masks for Different Days, The Mission ou encore Does It Exist, des pistes instrumentales ou du moins presque vierges de toutes paroles, exceptés quelques mots ou phrases isolées ou répétées frénétiquement.
Au sein de ces dernières, FKJ développe une vraie aisance à interpréter des compositions mettant l’accent sur le groove, en mêlant différents genres musicaux. Désireux de ne pas s’enfermer dans une case particulière, on peut alors l’entendre user de plans de guitares Rock dans des titres aux élans Neo-Soul et RnB. On retrouve également une influence provenant de la musique électronique, mais aussi beaucoup d’inspiration puisée du monde du Jazz, avec notamment la présence assidue d’un saxophone.
L’un des autres instruments jouant un rôle prépondérant au sein de ce deuxième album s’avère être le piano et toute autre forme de clavier. Le morceau introductif, Way Out, met par exemple en exergue une maîtrise indéniable du support et offre des mélodies subtiles, mais aussi entêtantes. Ces dernières tirent leurs origines de genres comme la musique classique ainsi que du Jazz. Les palettes sonores analogiques permettent ici d’œuvrer à une certaine ambiance à la fois apaisante, mais servant également l’aspect très contemplatif que désirait entretenir Vincent Fenton.
V I N C E N T ayant été écrit lors de l’isolement mandaté par l’expansion de la pandémie de Covid-19, sur l’île sur laquelle il vit aux Philippines, il est nul surprenant de constater un tel caractère dans les idées ici étalées. La jungle l’entourant a mené à une mise à l’écart des sonorités dansantes, pour laisser place à un style plus subtil, mais tout aussi lumineux et chaleureux.
Cependant, même les morceaux comportant des paroles écrites dégagent cette impression de spontanéité, donnant lieu à un ensemble très fluide. On peut prendre comme exemple le premier single promotionnel de l’album, Greener, en collaboration avec Carlos Santana. Ce dernier laisse une place prépondérante au jeu et aux parties de l’invité, mettant premièrement à l’honneur le légendaire guitariste, mais permettant aussi de mettre l’emphase sur la simplicité structurelle accordée au travers de V I N C E N T.
Ça n’est de plus pas le seul moment où l’on peut voir d’autres musiciens partager l’affiche. On note ainsi la présence de Toro y Moi sur la piste A Moment of Mystery, de Little Dragon sur Can’t Stop ou encore celle de ((( O ))) (ou The Sundrop Garden) sur Brass Necklace. Tous les trois s’adaptant parfaitement au genre mis en place et contribuent avec beaucoup de talent au résultat final, en y apportant un timbre et une tessiture différente, offrant de la diversité dans les diapasons du disque.
Avec un album qualifié par son auteur de transitionnel, vers une nouvelle identité musicale, French Kiwi Juice se démarque une nouvelle fois en montrant sa capacité à faire muter son art pour lui donner une nouvelle forme. Avec ce second recueil, Vincent Fenton nous montre qu’il est possible de mêler l’innocence à la maturité, et que malgré l’âge grandissant, il est magnifique de penser la musique avec indolence, et de percevoir le monde à travers des yeux d’enfant.