La dream pop de Fleur bleu·e se centre autour de trois axes : sensibilité, humanité et tendresse. Avec leur premier album, Unrequited Love, le duo nous offre un voyage profond et réconfortant dans des sentiments parfois sombres. On s’est posé en terrasse avec Delphine et Vlad avant leur passage à la Boule Noir pour échanger autour de ce premier album paru chez Pan European Recording.
La Face B : Salut Fleur bleu·e , comment ça va ?
Vlad : Ça va. Je suis content d’être là.
Delphine : Ça va, fatiguée mais ça va.
LFB : Comment vous avez vécu la sortie de votre album ?
V : C’est toujours des moments un peu stressants.
D : Ouais, j’étais stressée mais ça s’est bien passé je crois. On était contents parce que ça faisait longtemps qu’on voulait le sortir. Ça fait un an et demi qu’il est enregistré quand même.
V : C’est vrai qu’on était hyper contents mais en fait, c’était une des sorties finalement les plus agréables parce que mine de rien, on était quand même pas mal occupés par la promo. On a fait aussi d’autres interviews et puis là, c’est cool, on est ensemble.
LFB : Quand j’écoute votre musique, il y a un truc un peu étrange qui me vient : j’ai l’impression que Fleur bleu·e, plus qu’un groupe est une entité indépendante qui vient de vos deux esprits. C’est un truc qui s’est créé et qui vit sa propre vie.
D : C’est possible oui.
V : C’est trop intéressant.
D : Je pense que c’est vrai dans le sens où c’était un peu notre inconscient quoi. Donc ouais, c’est possible.
V : Totalement parce que c’est vrai que ça rejoint la manière dont on conceptualise notre façon de faire de la musique. On le voit un peu comme une manière de s’échapper du réel en fait. C’est hyper complexe. Comment les chansons te viennent ? C’est hyper compliqué. Tu te sens un peu connecté à quelque chose au-dessus de toi. Ça serait marrant que ça soit nos deux énergies, univers qui se rencontrent et on se connecte à ça. Effectivement, ça crée cette entité.
D : Ce monstre à tête de fleur. Non, je rigole.
LFB : Il y a un truc un peu flou. Même dans la façon dont tout est chanté et joué, j’ai l’impression que quand c’est Delphine qui chante, ça pourrait très bien être Vlad et inversement.
D : Ouais, d’ailleurs on inverse des fois.
V : C’est totalement vrai et ça, je pense que ça vient aussi du fait… C’est assez étonnant mais j’ai une texture de voix plutôt aiguë pour un homme et Delphine, plutôt grave pour une femme. Du coup, on a un spectre qui est assez large et qui se rejoint en fait. On peut vraiment chanter à l’unisson, à la même tonalité. D’ailleurs, parfois on s’amuse à chanter des chansons l’un de l’autre et on aimerait le faire de plus en plus en live. Les nouveaux morceaux qu’on prépare en ce moment, c’est exactement dans cette direction là qu’on va.
LFB : C’est comme le point à la fin de bleu.e . Finalement, tu pourrais te retrouver sur une espèce de personnage qui n’a pas de genre et tu retires complètement les lignes entre vous deux pour faire quelque chose de beaucoup plus flou et poreux.
D : C’est un peu comme ça qu’on le vit aussi parce que c’est un projet où on est assez fusionnels. De toute façon, on est obligés parce que c’est notre projet à deux et on ne peut pas faire de compromis. Donc il faut qu’on soit en phase.
V : Tous les deux, chacun a vraiment dit ce qu’il ou elle ressent sur chaque morceau qu’on écrit, qu’on compose. On ne les finalise pas sans qu’il n’y ait un accord total. Mais ce qui est marrant, c’est que ce que tu dis sur les voix, ça se retrouve aussi sur les guitares parce qu’en fait, ce sont des guitares qui se mélangent vachement. C’est marrant parce que parfois, on écoute le CD avec des amis et ils me disent qu’ils aiment bien ma ligne de guitare, sauf que ce n’est pas la mienne c’est celle de Delphine.
LFB : C’est votre façon de travailler qui fait ça aussi.
V : Totalement, et on fait pas mal de morceaux en jam.
D : Il y en a aussi beaucoup où on vient avec une base, avec des paroles et accord/voix. Mais on les retravaille toujours à deux, c’est vrai.
LFB : Ce qu’il y a d’intéressant et de marrant, c’est que cette idée de fusion, je trouve qu’elle va un peu à l’opposé du titre de l’album.
V : Totalement.
LFB : Justement, je me demandais d’où venait ce titre d’album et pourquoi vous en étiez arrivés là ?
D : En fait, c’est aussi ce qui nous rejoint à la base. Unrequited Love, ça veut dire amour non réciproque. Ce sentiment de non-réciprocité, on le partage tous les deux. Pas forcément entre nous. Quoique parfois, oui, comme dans toutes relations humaines. Mais je pense que quand on s’est rencontrés pour faire de la musique, avant tout, il y avait une rencontre humaine. C’est très cliché de dire ça mais c’est vrai.
On avait envie de raconter la même chose, notamment de raconter une certaine souffrance et de trouver quelque chose de plus idéal et de plus lumineux, plus positif en le faisant. En tout cas, les paroles et les thèmes des chansons viennent d’une souffrance un peu commune. On s’est grave rapprochés parce qu’on s’est reconnus dans cette souffrance. Du coup, c’est quand même un truc commun même si le titre peut faire penser le contraire.
V : Toutes les chansons sont liées au sentiment de non-réciprocité, de non-appartenance.
D : Et de difficulté de relationnel avec les autres.
V : Pas que amoureux. C’est vraiment le rapport aux autres.
D : Ce n’est pas que de l’amour romantique, c’est de l’amour filial, amical, avec tes parents, avec toutes les relations de la vie.
V : En fait, ça vient de notre histoire parce qu’on est tous les deux enfants d’immigrés. Enfin, à moitié pour Delphine mais moi, je ne suis pas né en France. Je suis venu en France quand j’avais 6-7 ans. On a eu un peu du mal à s’intégrer. Enfin, moi je ne me considère pas vraiment 100 % français. C’est vrai que j’ai eu du mal à trouver ma place. C’est aussi que j’ai vécu dans un milieu… Au niveau classe sociale, je ne me suis pas toujours senti à l’aise. Il y a ça aussi.
Au début, on parlait beaucoup de politique et de choses niveau justice sociale, en plus de la musique. D’ailleurs, dans nos premières chansons, ça ressort aussi. Sur l’album aussi. Mais je pense que c’est un peu ça qui nous a réunis. C’est pour ça que toutes les chansons qu’on a écrites à cette époque-là parlent de ce thème. Mais effectivement, il y avait un peu la volonté dans le nom de l’album de créer un peu une espèce de questionnement.
D : Comme on s’appelle Fleur bleu·e , souvent, les gens pensent qu’on est hyper fleurs bleues. Mais dans le sens très naïf du terme. Après, peut-être qu’on est naïfs, je n’en sais rien. On l’est certainement mais ça nous énerve un peu qu’on nous projette un truc qui ne nous ressemble pas. Pour nous, ça veut dire autre chose.
V : Fleur bleu·e , c’est attaché au côté naïf, et au côté féminin de manière sexiste. Alors qu’à l’origine, c’est vraiment le sentimentalisme romantique, un peu grandiose. Tout le monde a des sentiments. La société nous pousse à les cacher mais en fait, c’est peut-être mieux de les exprimer. Ça nourrirait une empathie collective et ça permettrait peut-être d’atteindre un monde meilleur. C’était ça vraiment l’objectif de l’idée romantique.
D : Après, on n’avait pas non plus cette ambition en s’appelant comme ça. On ne prétend pas autant. C’est juste que nous, on se retrouvait dans l’expression.
LFB : C’est intéressant parce que j’ai noté que vos chansons, plus que de parler d’amour, elles parlent de romance, qui est un terme comme tu dis un peu suranné. Mais j’ai l’impression que vous le modernisez beaucoup. Vous parlez du sentiment amoureux mais vous parlez surtout de ce qu’il provoque, de ce qui vient avant et de ce qui peut le détruire en fait. Ce n’est pas forcément le sentiment en lui-même qui vous intéresse mais ce qui se passe autour.
D : Pour moi, c’est vraiment lié à notre personnalité. De mon côté en tout cas, je me reconnaissais là-dedans, et c’est moi qui écris plus les paroles. C’est le fait de rester dans cet acte et de ne pas passer à l’action. Tu deviens fou parce que tout est possible dans ta tête mais il ne se passe rien dans la réalité. Tu peux t’imaginer le pire comme le meilleur et du coup, tu es bloqué dans ta vie. Tu te crées un peu ce monde de fantasmes.
V : Moi, personnellement, j’ai rarement pu accéder à la chose en vrai. J’ai souvent connu que les à-côtés de la romance et de l’amour. Il y a ça aussi en fait.
D : Oui, moi pareil.
V : C’est ça qui fait que ça se ressent dans certaines chansons je pense. Typiquement, Pyjama Princess. C’est tous les questionnements quand tu rencontres quelqu’un mais en fait, le truc n’aboutit pas forcément.
LFB : Même un titre comme L’été ivre où c’est limite réducteur de dire que Fleur bleu·e, c’est des chansons d’amour parce qu’en fait, ce n’est pas du tout ça. Il y a vraiment quelque chose de bien plus profond et de beaucoup moins superficiel dans les morceaux je trouve.
D : Ça fait plaisir.
V : Ça fait grave plaisir. C’est exactement ça qu’on aimerait défendre.
D : C’est toucher à notre propre profondeur et potentiellement… Parce que c’est comme ça que nous, on écoute de la musique aussi. Enfin comme tout le monde mais il y en a qui le prennent plus comme un divertissement. Et il y a des gens qui ont plutôt une connexion hyper deep. Ça dépend peut-être des moments. Mais moi en tout cas, je ne la vois pas comme un divertissement. C’est vraiment un truc hyper profond. Du coup, je pense qu’on la compose comme ça aussi.
LFB : J’ai l’impression que du coup, c’est évident que vous fassiez de la dream pop. C’est vraiment le genre musical par excellence qui peut se rattacher à cette idée de fantasme.
D : C’est vrai qu’on ne connaissait même pas le terme dream pop quand on a commencé. C’est juste qu’on s’est dit que ça nous correspondait bien.
V : On aimait quand même des groupes de dream pop même si on ne connaissait pas forcément le terme. Dès nos premières démos, c’est vrai qu’on était vachement guidés par la reverb et par les effets qui…
D : Qui détachent du réel.
V : Ce que tu dis par rapport à l’album, super intéressant aussi. Parce que l’album, on aimerait aussi le concevoir un peu comme un safe space. On aimerait parler des choses qui ne sont pas forcément mises en avant et dans lesquelles des gens pourraient se reconnaître pour se connecter à leur propre sentimentalité, à leurs propres rêves et souffrances. Pour trouver une certaine forme de réconfort. C’est peut-être un peu prétentieux de dire ça mais j’aimerais bien m’imaginer que des gens qui écoutent l’album se sentent…
D : Comme nous on l’a ressenti avec d’autres albums.
LFB : Si tu fais de la musique, c’est aussi pour qu’elle se connecte aux autres.
V : Oui, totalement, c’est ça. C’est un peu exprimer cette souffrance pour inviter les gens à exprimer la leur et se sentir potentiellement moins coupable ou plus légitime.
D : Il n’y a pas beaucoup d’espaces dans la société où tu peux exprimer tes émotions. La musique, c’est l’endroit où tu peux te lâcher.
LFB : Ce qu’il y a d’intéressant, et c’est ce dont tu parlais avant : votre musique ne se consomme pas, elle s’écoute. Le terme consommation de la musique est vraiment devenu horrible.
D : Je n’ai pas du tout envie de tomber un jour dans un truc où on conçoit la musique comme un produit qu’il faut vendre. Même si tu as envie de gagner ta vie avec ta musique. Tu as envie que ça marche et tout. Donc oui, parfois, tu te dis qu’il faut qu’il y ait des formules et tout. Mais c’est triste d’en arriver là, de voir la musique comme un produit.
V : C’est vrai que j’ai déjà entendu ce terme « les consommateurs de musique » dans des enquêtes. Mais ouais, totalement. Ça rejoint ce que tu dis dans le sens où tu ne veux pas faire de la musique juste pour divertir.
D : Le monde du spectacle me fait un peu peur aussi. Jouer le jeu de se mettre en scène… C’est un truc, au début, avec lequel on avait du mal. Là, on comprend l’intérêt parce que c’est comme ça aussi que tu crées ton univers. C’est important pour que les gens comprennent de quoi tu parles. Du coup, c’est cool de jouer le jeu mais à la base, ce n’était pas évident pour nous.
V : Le truc, c’est de rester sincère je pense. De jouer le jeu, de te mettre à nu, de présenter ton univers sans que cela soit quelque chose que tu construis pour coller.
D : Même si c’est difficile de ne pas vouloir plaire parce que c’est humain.
LFB : Tu auras toujours l’obligation de te rattacher à un genre de musique ou à une étiquette mais ce n’est pas ce qui doit t’empêcher de faire les choses avec sincérité. Du coup, pour aller un peu en contradiction avec cette idée de langueur qui colle avec le type de musique que vous faites, vous l’avez enregistré en 4 jours l’album, en groupe complet. J’ai l’impression qu’il y a quand même cette espèce d’urgence qui ressort aussi beaucoup de l’album.
D : C’est vrai.
V : C’était intense. Je suis content de l’avoir fait, mais on n’avait quasiment zéro expérience de studio en live. On avait juste enregistré avant nos titres et nos démos chez nous.
D : C’était stressant de le faire parce qu’il n’y avait pas beaucoup de temps. On n’avait pas beaucoup répété, même si on avait des supers musiciens, musiciennes. Ils sont géniaux. Et ils aimaient bien la musique, donc c’était facile.
V : Ouais, on avait fait trois répet’ avec eux avant.
D : Ils aimaient trop nos morceaux donc c’était naturel.
V : C’est vraiment le label qui nous a encouragé à faire ça et c’est marrant parce que ça rejoint ce que tu dis parce qu’ils disaient qu’il y avait une tension dans notre musique qu’ils aimeraient vachement capturer en live. Effectivement, on était grave en accord avec ça. C’est pour ça qu’on a voulu le faire malgré le challenge, parce que vraiment, c’était assez short comme deadline.
D : C’était une semaine un peu difficile aussi. Il y a eu des événements un peu durs cette semaine-là. Du coup, peut-être que ça se ressent aussi dans l’album.
LFB : Ça permet de garder aussi la spontanéité.
V : Ouais, totalement. On est très contents du résultat. On est vraiment contents de l’avoir fait comme ça et c’est super. Maintenant, l’album on l’a écouté, mixé, ça fait un an et demi, on n’a plus du tout de recul dessus. Ça me fait plaisir que tu aies remarqué ça.
LFB : Ça participe aussi à l’effet de corps dont je parlais tout à l’heure. Le fait que vous alliez enregistrer ça dans les conditions du live, en étant ensemble. Ça donne vraiment un côté très complet à la musique.
V : Ouais, je sens aussi ce truc-là, peut-être un peu enveloppant. Je vois ce que tu veux dire.
D : Je pense que tu voulais dire qu’il y avait une sorte d’urgence aussi. C’est un peu un cri du cœur « on a besoin de s’exprimer, on ne l’a pas fait et on a envie de le faire depuis longtemps ». On n’a pas osé le faire avant ou on n’a pas eu l’occasion de le faire avant. Du coup, on en avait vraiment besoin je pense.
V : C’est très vrai parce que tous les deux, c’est là où on se retrouve, autour de ça. On voulait tous les deux faire un projet musical mais depuis l’adolescence. On n’avait jamais eu l’occasion, ça n’avait pas marché mais là, c’est vrai que dès la première fois où on a joué ensemble, on a fait un jam et il y a tout de suite un truc qui est sorti. Ces petites notes de Waterfall Spring au début.
Plus d’autres trucs qu’on n’a pas encore exploité mais voilà. Ça nous a vraiment insufflé beaucoup d’espoir. On a eu une énergie où on s’est dit « waouh, on peut faire de la musique ensemble ». Après, il a quand même fallu un an ou deux avant qu’on fasse les démos sérieuses. De 2019 à 2020, c’était vraiment que pendant le Covid qu’on a eu le temps de se poser. Mais effectivement, cette urgence de s’exprimer vient de là aussi. Totalement, oui.
LFB : Pour continuer sur l’idée d’expression, il y a des morceaux anglais et en français. Quand j’écoute l’album, j’ai l’impression que les chansons en anglais, on est plus sur du storytelling alors que les morceaux en français, on est presque sur l’essence du poème. Quelque chose de très poétique et plus imagé.
D : C’est vrai. Je n’y avais pas réfléchi avant qu’on me demande mais comme on m’a demandé, j’ai été un peu obligée d’y réfléchir. Mais oui, c’est l’analyse que j’ai faite après. Comme c’est toujours un peu inconscient, c’est difficile à expliquer mais effectivement, ce sont des références qu’on a qui sont très anciennes, des sortes de Madeleine de Proust de la musique, de l’enfance. Du coup, en français, j’écoutais plutôt du Françoise Hardy, je lisais des poèmes à l’école comme tout le monde. Il y a des références de poèmes qui reviennent facilement en français dans lesquels il y a une distance. Tu n’oses pas dire les choses très crûment. Tu as envie de les dire avec une sorte de détachement. Ce que je veux dire, c’est que tu as besoin de les suggérer plus que de les dire crûment pour garder une forme de pudeur alors qu’en anglais, c’est plus facile d’être un peu plus direct.
LFB : Surtout que sur des scènes françaises, il y a beaucoup de gens qui ne comprennent pas forcément ce que tu dis en anglais.
D : C’est vrai.
LFB : Mais typiquement, un morceau comme L’été ivre, je trouve qu’il a un côté presque hypnotique parce que les mots se répètent. Ils se mélangent, prennent la place des autres, reviennent. Le texte pourrait tenir en tant que poème.
D : C’était un poème à la base, je n’avais pas mis de musique dessus. C’était un été où j’étais avec ma tante et ma mère en vacances. Ma mère et ma tante ne se voyaient pas depuis longtemps et par hasard, elles ont pris une semaine, la même semaine, dans le même hôtel au Monténégro sans se concerter. WTF tu vois.
V : Tu te dis : quel est le pourcentage de chance quoi ?
D : Elles ont la même manière de penser et voilà. Moi j’étais invitée par ma mère. Un soir je m’étais un peu embrouillée avec ma tante, ma mère et tout, sur des sujets de société politiques. J’étais un peu ado virulente à l’époque. Du coup, je m’étais un peu échappée. Il y avait un orage sur la mer et j’avais écris ce poème pour m’apaiser en me disant « bon, on ne se comprend pas mais ça ne veut pas dire qu’on ne s’aime pas ». C’était un peu ça le message, en termes d’amour intergénérationnel. C’est un peu le thème de la chanson. Je voulais dire que ce n’était pas grave. Il y a des conflits mais ce n’est pas grave.
V : C’est marrant parce que moi, j’ai ressenti exactement la même chose en entendant la chanson pour la première fois et en lisant le texte. C’est vrai. J’ai trouvé ça très beau moi aussi.
LFB : Tu parlais de bulle de réconfort tout à l’heure mais le hasard du calendrier fait que l’album sort quand même au moment où on a le plus besoin d’une bulle d’évasion. Je trouve que cet album joue parfaitement son rôle de cocon chaleureux dans lequel se fixer.
D : Ça fait plaisir.
V : Ça fait hyper plaisir ouais.
LFB : Je pense qu’on a tous besoin de musique comme ça en ce moment.
V : Je suis d’accord. Moi aussi, je ne me sens pas très bien en ce moment. Bon après, je ne peux plus écouter mon album. (rires). Moi, j’avais écouté un album qui m’avait fait ça, c’était Mitski. Elle avait sorti un album folk il y a deux-trois semaines je crois. Ça m’a fait du bien de l’écouter. Effectivement, on a besoin de musiques réconfortantes, je suis d’accord. Avec l’hiver qui arrive. Bon là, c’est l’automne.
D : L’automne, où la sève ralentit dans les arbres, il faut se tourner vers l’intérieur.
LFB : A partir du moment où ta musique est diffusée pour les autres, elle n’existe plus que pour toi mais pour ceux qui l’écoutent.
D : C’est ça qui est beau dans la musique aussi. Ça fait toujours étrange de lâcher le bébé. Mais on a eu de bons retours et ça fait plaisir.
V : Ça nous fait du bien aussi.
LFB : De vous sentir compris ?
D : Oui, on n’a pas trop confiance en nous je pense.
LFB : Au-delà de ça, tu parlais des gens un peu à part mais le fait que ton album soit partagé et compris par d’autres personnes, c’est un peu le but ultime sur ce genre de musique.
D : Grave, totalement. C’est le meilleur truc qu’on peut espérer.
V : Totalement.
D : On l’a compris aussi. Au départ, on pense qu’il faut donner une explication à tout, on a l’impression de devoir se justifier comme à l’école. Je pense qu’avec la musique, tu ne peux pas trop faire ça. Il faut bien sûr donner des indications mais les gens font leur interprétation et c’est ça qui est génial aussi. Chacun peut le prendre différemment, même un truc qu’on n’aurait jamais imaginé.
V : Ça nous est arrivé sur un morceau.
D : Sur l’un de nos premiers morceaux, c’est comme ça qu’on s’en était rendus compte. Sur le deuxième qu’on avait sorti, on nous avait dit qu’on avait fait une sorte d’ode à mère nature, pour l’écologie. Ce que je trouvais trop cool dans l’idée mais ce n’était pas forcément ce qu’on voulait. Ça nous avait fait plaisir et en même temps, bizarre.
LFB : On en a parlé au début, c’est un truc qui apparaît dans vos clips et dans les réflexions sur certains morceaux dans la quête des origines, je me demandais si cette idée-là et vos origines en tant que tel, quelles influences elles ont eu dans votre construction musicale et dans la construction du groupe.
D : Comme on disait tout à l’heure, on s’est rapprochés avec Vlad au début pour faire de la musique mais aussi humainement sur ces questions-là. Je pense qu’on avait en commun le sentiment de non-appartenance. Ça, c’est lié… pour moi, je pense, à mon métissage. Je ne me sens jamais à ma place. Et c’est un peu la « matière première » de notre musique. Ça se retrouve je pense certainement dans les paroles et dans les thèmes des chansons. Ça peut être de la colère, dans L’inconnu par exemple. Un peu de colère face à la société individualiste.
Ça parle d’un inconnu comme d’un amour impossible mais ça parle encore plus de la relation impossible aux autres et du fait qu’on est dans une société hyper individualiste, qui ne prend pas soin des autres. Il y a de la colère, il y a des monstres de l’enfance aussi dans une chanson qui s’appelle Monstres. On parle des traumas de l’enfance et comment ils disruptent ta vie d’adulte, et comment ils ne te rendent pas fonctionnels. Ils viennent s’immiscer dans tes cauchemars, dans ton inconscient ou dans ton quotidien. Comment tu dois accepter de vivre avec eux parce qu’ils sont là, et en faire tes alliés.
V : Au-delà du truc de la construction personnelle liée au fait d’être un enfant en partie d’immigré, il y a aussi le fait que tous les deux, on a grandi avec des parents qui écoutaient beaucoup de musique anglo-saxonne. Mon père écoutait des radios pirates, il était dans le bloc communiste et ils écoutaient des radios pirates, genre les Beatles, Pink Floyd. Du coup, quand j’ai grandi, il passait beaucoup ça à la maison et pas beaucoup de chanson française.
D : Moi pareil. Ma mère est née sous le Commonwealth et après, ils ont eu leur indépendance quelques années plus tard. Du coup, elle avait plein des références anglo-saxonnes aussi qui passaient à la maison. Genre Blondie, les Beatles, The Jam, des groupes comme ça. J’avais quand même mon père qui est français donc il passait quand même des trucs français. J’ai plus la chanson française que toi du coup. Mais ça se voit dans nos influences. A l’époque, je n’aimais pas forcément ce que passaient mes parents mais au final, je les ai retrouvés. Même si ce ne sont pas des musiciens ou qu’ils ne sont particulièrement mélomanes, ça t’influence quand t’es petit.
V : Mais du coup, tu m’as influencé moi aussi parce que sur les nouvelles démos, il y a deux morceaux où je chante en français. Ce qui est vraiment difficile. C’est trouver une nouvelle manière d’écrire où tu prends du recul sur toi et en même temps, tu acceptes quand même de parler de choses personnelles, que tu sais que les gens vont comprendre. Je suis très heureux d’y arriver.
D : Et juste, pour finir, parce que je pense que c’est important et que ta question était sur les origines. Je pense que dans mon cas, il y a vraiment le besoin de s’exprimer parce que tu n’es pas écouté, etc., mais il y a aussi le fait d’être en quête d’identité en permanence et de trouver sa place. Je pense que la musique, c’est un peu une maison où on se sent bien.
V : C’est vrai que je ne me suis rarement senti fier de moi et là, avec la musique, c’est l’une des premières fois où je le suis. Cette fierté vient aussi de la quête d’identité parce que la fierté, c’est quand tu es fier de ton identité au final. Finalement, mon identité, je me vois comme quelqu’un qui aime faire de la musique et qui est musicien.
LFB : C’est quoi l’horizon à venir pour Fleur bleu·e?
D : On a la release party à La Boule Noire le 10 novembre. Après, on attend de confirmer des dates un peu en dehors de Paris.
V : On a 2-3 dates qu’on est en train de confirmer et puis, ensuite, on espère d’autres à venir. On commence tout juste à travailler avec nos tourneuses. Je pense qu’il faut attendre un peu de temps.
D : Là, au niveau musical, c’est vrai qu’on a accumulé pas mal de démos depuis qu’on a enregistré l’album. On a trop envie d’explorer de nouvelles sonorités, de continuer. C’est vrai que là tout est sorti comme ça, on a réfléchi à une direction. Mais on a envie d’expérimenter d’autres choses.
V : On progresse. Moi, j’adore David Bowie, c’est l’un de mes musiciens préférés. Lui, c’est vrai que c’était une quête perpétuelle de textures et de sons. Naturellement, on a commencé à écrire avec des guitares.
LFB : Il y a un peu de piano sur l’album d’ailleurs.
V : Ouais, totalement. Du clavier aussi. Là, on a pris le temps depuis un an, on a commencé à bosser un peu des sonorités… Ouais, finalement, c’est pour suivre cette quête de notre son.
D : D’expression.
LFB : Est-ce que vous avez des livres ou films à rapprocher de votre musique ?
D : Unrequited Love, j’avais découvert le terme autour d’un film qui s’appelle Nos années sauvages de Wong Kar-Wai. J’avais bien aimé ce film qui est un peu chaotique. Le scénario part dans tous les sens. C’est un de ses films qui a eu le moins de succès par rapport aux autres. Mais, moi, c’est l’un de mes préférés parce que c’est un peu un triangle amoureux, d’amour impossible. Il y a aussi cette histoire de rejet des parents ou d’amour non-réciproque avec la famille quoi. Il y a une montre qui revient plusieurs fois dans le film. Le message que j’ai interprété, c’est que le temps et l’espace, ce n’est pas trop important dans l’amour.
Ça m’avait vraiment marquée comment il avait réussi à capturer ce sentiment de non-réciprocité.
V : Peut-être un livre pour moi. C’est le premier truc qui me vient à l’esprit, c’est un livre que je lisais au moment où on commençait Fleur bleu·e, où on avait conceptualisé le projet. C’est un livre très touchant d’une écrivaine islandaise, son nom c’est Olafsdottir. C’est un roman contemporain qui s’appelle Rosa Candida.
C’est l’histoire d’un jeune homme, dans le sens où il vient d’avoir 20 ans, sa mère est décédée et il a une petite fille. Il a eu une relation un peu soudaine et il fait un voyage vers un pays du sud, on ne sait pas où c’est, pour retrouver une rose qui n’a pas d’épine. C’était un peu une légende que sa mère racontait parce qu’il avait un rosier chez eux. Tu le suis dans cette quête, c’est un peu un voyage initiatique. Le voyage qui te permet d’en apprendre plus sur toi et de mieux te connaître. C’est un jeune garçon qui a été formaté et qui apprend à se connecter à sa sensibilité. Je l’ai trouvé très beau. Je le connecte un peu au début de Fleur Bleu.e. C’est vrai que je lis rarement des bouquins contemporains et celui-là, je l’avais beaucoup aimé.
Crédit Photos : Cédric Oberlin