Flora Fishbach : Val Synth ou la vie à l’écran

Depuis maintenant 10 ans, Flora Fishbach a le don de figer les souvenirs et les époques dans chacun de ses albums. Avec Val Synth, elle vise juste une nouvelle fois. 8 titres qui vous plongent immédiatement dans son univers, une nouvelle fois réinventé.

Quand on pense à Fishbach, on pense souvent années 1980. Détrompez-vous, Val Synth nous parle d’aujourd’hui comme peu d’albums le font. Le franc-parler qu’on lui connait se ressent de bout en bout, avec et sans les mots, puisque, comme toujours avec elle, c’est sa liberté déconcertante qui nous parle le mieux. Un jeu de miroirs s’opère naturellement entre chaque morceau, musicalement, mais aussi textuellement. L’image est au centre de cet album, à la fois cinématographique et profondément ancré dans la réalité.

Val Synth s’ouvre sur Rends-moi ma vie, qui est certainement le titre qui se rapproche le plus de la discographie passée de Flora Fishbach. On y retrouve sa mélancolie, des chromatismes qui vous plongent tout droit vers la noirceur qu’on lui connaît, et pourtant, c’est probablement l’une des chansons les plus lumineuses de l’artiste. « Qu’est-ce qui te fait si peur que tu aies besoin de me blesser pour en guérir ? » se demande-t-elle, avant de scander « Allez rends-moi ma vie ». Des paroles qui parleront à tous celles et ceux qui se seront déjà vu voir dédoubler entre leur réalité et celles des autres, dont l’identité se transforme peu à peu en une photographie, figée dans le temps. Un titre fort, libérateur et annonciateur de ce qui s’en vient ensuite.

Co-écrite avec Arthur Navellou et co-composée avec Gary Agglutiner, Comme Jean Reno se veut à la fois universelle et autobiographique. Elle chante « Je plonge dans les abysses / Comme Jean Reno / J’ai vu en rêve la vie / Sans qu’elle ait eu ma peau », une nouvelle confusion entre réalité et imagination, où Jean Reno agit comme un guide : « Tous les malheurs dont tu parles / Tu les appelles / Il te faut reprendre ta place / Et quoi que tu fasses / N’oublie pas qui tu es ». Mis en image par Fleur Nivet, cette chanson honore les années 80, sa synth-pop et son esthétique, mais est avant tout le morceau qui opère une bascule entre Fishbach et Flora Fishbach. La lumière prend désormais le pas sur la noirceur.

Vient ensuite Des bêtises (part I), un morceau sur la séduction et la maladresse. Elle chante « J’en ai fait des bêtises / Mais alors toi, alors toi / Je sens qu’on va faire une bêtise », et la musique vient servir le propos en passant d’un univers à l’autre, avec un arpégiateur entêtant qui laisse place à des chœurs et des synthétiseurs plus lumineux.

Ce sont ces découpages subtils qui donnent à cet album son aspect cinématographique, la musique devient l’image la plus éloquente, image omniprésente dans le texte également : « Tout ce que je fais / C’est vraiment pour te plaire / […] Je pourrais m’y faire ». Nous on s’y fait, et c’est tant mieux puisque Des bêtises (part II) suivent les premières pour le plus grand bonheur de nos oreilles. On retrouve l’arpégiateur des premières secondes du morceau précédent, qui cette fois-ci se déploie pour mieux faire résonner le propos de Flora Fishbach. « Tout c’qui bouge en toi / Tous tes gestes / Je les aime tous / Qu’on vienne à mon secours / Car je tombe » et oui, on tombe tout droit dans les sonorités des années 1980,  et dans ce qui fait le son de Flora Fishbach. Elle y est lugubre et lumineuse en même temps, et chaque nouveau son de synthé fait voir une nouvelle texture, un grain différent qui offre une belle porte d’entrée au morceau suivant. 

Avec Meryl Streep libre, un titre à l’image de la filmographie de l’artiste, une sorte de traversée du désert, libre et mystérieuse à la fois. On retrouve un arpégiateur beaucoup plus doux et planant, des sons de dulcimers qui viennent renforcer l’intemporalité du morceau et la voix de l’artiste comme un cri au loin, presque fantomatique et vulnérable.

Flora Fishbach vient casser ce calme de la façon la plus géniale avec La Machiavela, une ode à la liberté, un hommage à la folie de Nina Hagen, une expérimentation des voix plus poussée que jamais. C’est le morceau que personne n’attendait et pourtant, qui à part elle aurait pu le faire ? C’est du grand Flora Fishbach, c’est sa liberté peu commune qui nous a toujours déroutés qui se révèle inépuisable ici. 

C’est avec simplicité que l’artiste raconte l’amitié dans Mon copain. « On est des tortues Ninja / On s’amuse tant qu’on est là / Et quand il pleut on danse encore / T’es pas en sucre / Toi t’es en or » chante-t-elle sur un air enivrant et dansant. « Si t’es persona non grata / Moi j’m’en fous ils le savent pas », Flora Fishbach laisse entrevoir ici une spontanéité propre à tout l’album, une manière d’envoyer valser le monde extérieur tout en livrant un texte et musique sincère qui fait du bien.

Val Synth se ferme sur Dulcimer, le morceau plus long de l’album qui, malgré l’absence de paroles, concentre un univers. Des transitions intelligentes, des sonorités qui se déploient les unes après les autres, comme des voix qui veulent nous dire quelque chose. Un dernier titre qui clôt un album, mais laisse place à la suite qu’il nous tarde de découvrir sur scène.

Dans une époque où la forme l’emporte souvent sur le fond, Flora Fishbach manie le tout à merveille. Intemporel et synthétique, Val Synth est avant tout un des albums qui parle le mieux de son époque. 25 minutes magistralement orchestrées suffisent pour comprendre que nous y sommes, peut-être, en 1987. Elle incarne cette liberté que peu s’accordent. À la lisière du cinéma, Flora Fishbach signe un album plus lumineux que les précédents, mais toujours en marge de ce que les codes et l’époque voudraient, comme toujours, et pour notre plus grand plaisir.

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