Auteur il y a trois ans d’un EP fabuleux, et sans doute trop en avance sur son temps, intitulé Mermaids Fade, Floyd Shakim s’était jusqu’ici fait plutôt discret à notre plus grand désespoir. Si il avait fait un retour remarqué en ce début d’année avec une cover subtil et envoutante du Lost de Frank Ocean, le garçon préparait tranquillement son retour. Jusqu’ici l’ombre et enveloppé dans une couche de mystère qu’il affectionne tant, Floyd Shakim laisse percer la lumière et met sa pudeur de côté avec Chambre Noire, premier titre dans la langue de Molière annonçant son nouvel EP, Les funambules. Le tout accompagné d’un clip onirique et sublime.
Bienvenue dans la Chambre Noire de Floyd Shakim. Dans son sens premier, le terme sert à désigner un appareil qui permet de développer des photographies, un appareil qui permet aussi « la mise à plat » transformant la trois dimension en surface plane. C’est donc un objet à forte teneur rationaliste, un objet simple avec un but, une utilité. Mais que se passe t’il lorsque la chose déraille ? Lorsqu’un grain de sable se glisse ?
Ici, derrière le champ lexical de la photographie, il est bien sûr question d’autre chose, d’une image métaphorique de la chambre noire.
Ce que nous offre Floyd Shakim, c’est une plongée dans un esprit que certains dirait malade, dans la chambre noire d’une personne. Cette idée est d’ailleurs développée de manière assez explicite à travers la pochette qui accompagne le single. Une image inversée, qui semble figer un instant de flou et de mouvement et où le ciel prend des teintes rosée, proche du violet.
Cet instant en attente, c’est une des « images dans la tête » qu’à Floyd Shakim quelque chose en développement qui s’entoure de noir, comme si le reste n’était pas encore développer. Ici on est donc en plein dans cette chambre noire, un lieu qui semble être le théâtre d’une lutte acharnée, ou la ligne entre l’esprit sain et la folie se fait de plus en plus fine et poreuse. Intéressant quand on sait que le nouvel EP du garçon s’appelle Les Funambules.
Car ici, il n’est question que de ça : une personne qui avance sur un fil, avec prudence et douceur, jonglant en permanence entre le monde réel et les pensées qui les assaillent au point de les éloigner du monde. D’ailleurs, ces mouvements deviennent de plus en plus évidents à mesure que le morceau avance. Si au départ, on fait face à un être qui semble avoir conscience, et même un peu peur, de ce qui se déroule pour lui, les images qui semblent l’attaquer, le morceau plonge de manière assez claire dans la folie avec une partie qui ressemble plus à un cadavre exquis, l’expression de pensées dissolues et étranges qui se terminent par cette phrase inquiétante, moelle épinière du morceau : « j’ai des images dans la tête« . Comme un soubresaut de conscience avant le silence, le morceau se terminant par une petite partie instrumentale, qui laisse se développer l’instrumentalisation onirique qui nous berce depuis le début.
La beauté du morceau tient aussi à ça, à cette production discrète, et pourtant entêtante, ce beat léger et cotonneux qui à l’image du personnage qui parle s’offre des points de vrillement, des vibrations électroniques dissonantes qui jouent par moment le rôle de mini électrochoc. L’idée semble être simple : maintenir l’auditeur dans une sorte de coton duquel on le ressort par moment pour le maintenir en vie, lui rappeler que le propos compte mais que la musique, aussi. La preuve, c’est quand les mots se taisent que celle-ci prend toute son ampleur, s’offrant un final presque lyrique laissant une grande place à des cordes qui n’apparaissent qu’à cet instant précis. Comme si tout avait été pensé pour nous offrir l’expérience la plus totale possible, celle qui englobe à la fois la réflexion et le ressenti, le palpable et l’indicible.
Cette idée, trouve une extension intéressante et nécessaire sous la caméra de Léo Chadoutaud qui introduit un élément pas forcément explicite dans le morceau : les pulsations de mort. En plaçant une grande partie de la vidéo dans un champ, nimbé par les couleurs irréelles d’un ciel rose, il nous amène dans un lieu mythologique qu’il distord avec bonheur : Les Champs Élysées, lieu des enfers où les gens vertueux trouvaient le repos après la mort. Ici, ils sont un lieu de confrontation et de tourments pour Floyd Shakim, ainsi qu’une zone de rencontre avec ce personnage féminin avide de sang et vêtu de noir qui semble être le reflet de la propre folie de Floyd.
À cette zone irréelle, le clip vient ajouter un autre décor, qui semble nous orienter lui vers un réel tout aussi inquiétant. Dans cette maison délabrée, Floyd Shakim déambule et se multiplie, mais ici, il n’est pas totalement libre de ses mouvements. Obstrué par une camisole de force, il regarde cet extérieur fantasmé, lui proposant de délaisser ces murs qui semblent se détruire au fur et à mesure jusqu’à ce qu’ils se décident finalement à rejoindre sa folie, à l’accepter et à l’embrasser. La vidéo se fait ainsi le reflet presque parfait du propos de Chambre Noire. Un premier morceau percutant, ambitieux et qui permet à chacun de l’interpréter à sa guise. Une sorte de miroir déformant dans lequel on a totalement plongé.