Focus sur Disizilla, l’album monstre de Disiz La Peste

Non on avait pas loupé Disizilla, l’album de Disiz La Peste. Seulement on a pris le temps de le digérer, le comprendre et l’aimer encore plus qu’après sa première impression dévastatrice. Alors qu’il s’apprête à brûler la scène des Trans Musicales, on s’est dit qu’il n’était pas trop tard pour s’intéresser à cet album mais aussi à cet artiste à nul autre pareil, Disiz La Peste, Kaiju du rap français.

 

On a tous une histoire avec Disiz La Peste. Dans nos oreilles depuis bientôt 20 ans, on a tous été un moment touché par Disiz. Peu importe les pseudonymes.
Peu importe qu’il chante avec Yannick Noah ou réinvente le rap avec Grems à travers les projets monstrueux que sont Rouge à Lèvres et Klub Sandwich (et qui à ce jour ont encore 15 ans d’avance sur la majorité du rap français). Sérigne M’Baye Gueye de son vrai nom est une sorte d’ombre sur l’existence de toute personne qui aime le rap et par extension la musique. C’est une sorte de figure historique de nos vies, qu’on a aimé, qu’on a détesté à certains moments, qu’on a retrouvé toujours. On va balancer un avis tranché, sans rougir, sans chercher à avoir honte mais en l’affirmant clairement et calmement : pour nous Disiz La Peste est le meilleur rappeur français en activité, et sans doute le meilleur tout court. Et si vous demandez à n’importe quel rappeur actuel, son nom apparaitra à un moment ou à un autre.

Disiz la peste n’est pas un chat, car il a eu plus de neuf vies. Quitte à continuer dans la métaphore animale, on dirait qu’il est plus proche du serpent, faisant sa mue à chaque projet, changeant de peau pour mieux se réinventer, se mettre en danger et explorer encore et toujours. Tour à tour rappeur, rockeur, écrivain, acteur, la ligne directrice de Disiz reste la même : être un formidable compteur d’histoire. Car c’est ce qui marque, cette envie, ce besoin, cette nécessité de raconter des choses. Sans chercher le succès, sans chercher à devenir un incontournable des radios et des télés, Disiz La Peste a tracé sa route, toujours ambitieux, toujours vrai, toujours en rapport avec lui-même. A ce titre, Disizilla est son album le plus personnel à ce jour. Sans doute jusqu’au suivant mais en attendant, intéressons nous un peu plus à ce nouvel album monstre, fait de souffre et de souffrance, habité par la vie autant qu’il est hanté par la mort.

 

 

Le manichéisme occidental fait qu’on sépare toujours le bien et le mal. La cause et les conséquences. Ce n’est pas le cas des pays asiatiques et c’est sans doute pour ça que Disiz La Peste a pris ce point de départ pour son nouvel album. Car ces deux entités se mélangent et s’affrontent sans cesse. C’est leur dualité qui régit nos vies et ça les Japonais l’ont compris mieux que quiconque. Godzilla est une figure funeste passée d’allégorie de la bombe atomique à défenseur de la nature face aux horreurs faites par l’humanité. Le monstrueux Tetsuo de Akira est avant tout un ami de Kaneda, un enfant perdu comme lui, avant de devenir cet être fait de destruction.
Les 16 titres de Disizilla intègrent parfaitement ces données pour les retranscrire en musique. On a d’abord la première attaque sonore, comme une première destruction vouée à nous laisser K.O. Ainsi de Kaiju à Hendek, Disiz La Peste devient le monstre du rap français, cassant tout, détruisant tout à coup de punchlines bien senties, frondeur et insensible aux conséquences de ses actes. C’est un éveil, une explosion de colère d’un homme en ébullition qui a gardé tant de choses en lui et décide de les exposer à la face du monde. Malgré ces effusions faites de sang et de larmes, on sent la maîtrise. Celle d’un homme de quarante ans qui aura attendu une certaine maturité pour poser ses peines de manière réfléchie là où auparavant, celles-ci auraient pu être réellement destructrices car mal canalisées et mal orientées.
Mahboul tend à cet étant, ce combat quotidien pour canaliser les colères qui nous accablent. Elle agit aussi comme une sorte de transition, quand le monstre disparait dans la poussière et laisse derrière lui le calme après la tempête.

Vient alors ce moment ou l’on regarde ce paysage de destruction. Et là, dans la culture occidentale viendrait le moment d’accabler, de juger sans chercher à comprendre car il est bien plus facile de toujours pointer du doigt plutôt que de chercher à savoir comment nous en somme arrivés là. Mais pas chez Disiz La Peste. Terre promise déchire ainsi le cœur, sous les apparences enfantines des paroles, on est face au constat d’un homme devant tous les sacrifices d’une mère pour un fils aimé. Hiroshima montre l’autre face de cette pièce, celle de l’abandon d’un père et des conséquences lorsqu’on devient soi-même père, envahi par les doutes et l’absence de repères sur une situation finalement jamais vécue. Un à un, Disiz pose les jalons qui ont amené les failles dans son âme, les lignes directrices de sa vie et de ses questionnements, et continue avec Enfants Des Rues charge violente sur l’abandon des cités et la fin d’une innocence arrivée beaucoup trop tard invitant à ses côtés un Sofiane presque posé. L’enfance terminée, c’est une autre phase de son existence qu’il pose avec N*Q**R La Fac, histoire de deux mondes pas forcément conciliables où l’on continue encore et toujours de pointer les différences plutôt que de chercher les points qui les rassemblent. C’est surtout l’histoire d’un combattant, qui n’aura jamais abandonné malgré les embûches qu’on lui aura imposées.
Et revient la colère, dans une nouvelle explosion. Fuck L’époque est un tube monstrueux à l’ambiance proche de la jungle. Les titres passent et Disiz La Peste continue d’ausculter son passé afin de pouvoir vivre son présent comme le prouvent Dialogue entre monstres, Owi et Cercle Rouge.

Monstrueuse est une pause, chanson d’amour qui sonne étrangement hors sujet au milieu de tous ces titres mais qui en même temps trouve sa place au niveau des thèmes sonores évoqués dans Disizilla.
Tout Partira et Ulysse viennent clôturer l’album, les deux seules chansons à dépasser les 4 minutes et sans doute les deux plus belles et importantes de l’album. La première est une analyse franche et incroyable d’un homme face à sa propre mortalité et celle d’un entourage qu’on avait pourtant pensé immortel. Tandis que la seconde, où la fille de Disiz La Peste pose sa voix, nous tire les larmes dès les premières secondes et conclue à merveille un Disizilla de haute volée avec une chanson d’un père pour sa fille, comme une excuse à ce qu’il est. Disiz est sans doute un Kaiju, mais il reste au final un homme et surtout un père.

Avec ce, déjà, douzième album solo Disiz La Peste frappe une nouvelle fois très fort. C’est sans doute son album le plus personnel, le plus honnête. C’est l’album d’un homme et son regard sur une vie sur laquelle il tente de reprendre le contrôle. Adepte de la terre brûlée, Disiz La Peste a une nouvelle fois brûlé tout ce qu’il y avait derrière lui pour s’offrir l’oeuvre qu’il voulait faire. Pas du rap, pas de la chanson, il fait de la musique. Disiz La Peste fait du Disiz La Peste, sans contrainte, sans frontière, sans genre. On est assez curieux de voir où la prochaine aventure va nous emmener.