L’histoire commence par un besoin de retrouvaille, un besoin nécessaire, vibrant, intime pour Jesse Tabish. Une envie de se retrouver soi-même d’abord, mais aussi de retrouver les autres, ses amis, ceux qui forment le corps et l’âme d’Other Lives. De vivre à nouveau dans un sens collectif, une vie de groupe que semblait avoir perdu le bonhomme avec Rituals et la tournée qui suivit. Pas forcément de nostalgie derrière tout cela, mais la nécessité de se réinventer, d’apprivoiser à nouveau ce qui faisait la moelle épinière de son projet. C’est à Cooper Mountain dans l’état de Washington que la bande de l’Oklahoma s’est retrouvée, ensemble, pour créer For Their Love. Une cabane dans les bois qui a fini par devenir un élément central de l’univers d’Other Lives, à tel point qu’elle devint la représentation de ce troisième album ainsi que le personnage central des clips de Lost Day et Hey Hey I, envoyés en éclaireurs pour annoncer le retour flamboyant du quintette . Pourtant, si c’est dans la verdure que celui-ci a été conçu, c’est bien dans la poussière, les yeux hypnotisé par le soleil couchant qu’on se retrouve transporté.
Du sang, des larmes, la vie, la mort, la solitude et le collectif : bienvenue dans For Their Love, le western romantique et sentimental d’Other Lives.
Au crépuscule, le ciel est bas, le tonnerre gronde, des boules de poussières roulent autour de nous : le monde que l’on semblait connaitre disparait peu à peu, laissant place à des contrées arides et inexplorées. Il aura suffit de quelques accords de guitare, qu’une voix enivrante trouve sa place et que les instruments à cordes arrivent jusqu’à nos oreilles pour qu’Other Lives nous emmène ailleurs, dans un univers pictural et sec, aussi sombre et tendu qu’il est pourtant étrangement chaleureux et accueillant. Sound Of Violence trouve son chemin dans nos esprits et en une chanson une seule nous décrypte le programme de For Their Love : le choc de Tanner Animals est passé depuis longtemps, la perfection mélodique recherchée sur Rituals n’a plus lieu d’être. Jesse Tabish est sa bande optent pour un retour à l’essentiel : les émotions. Parfois imparfaites, parfois bancales, parfois grandiloquentes, ce sont elles qui guident les dix chansons qui constituent cette nouvelle œuvre qui, comme l’indique sa pochette pourrait être un refuge, autant pour le groupe que pour nous. Un refuge thérapeutique qui nous bouscule et laisse s’exprimer la peur et la colère autant que l’amour et l’amitié.
Ici, ombre et lumière se confondent et se mélangent pour créer une peinture poétique du monde d’aujourd’hui, à la fois intime et universelle. On se laisse bercer par la cinématographie musicale de Other Lives, notamment des morceaux comme Sound Of Violence ou We Wait, et qui trouve sont point d’orgue dans le morceau central de l’album, le diptyque All Eyes-For Their Love, composée d’une longue introduction qui bascule sans prévenir vers une épopée épique. Le sens mélodique du groupe est toujours aussi aiguisé, même si la volonté est clairement ici de se recentrer vers quelque chose de plus humain, limitant au maximum le nombre d’instruments utilisés, laissant une grande place aux chœurs féminins présents dans presque toute les chansons, offrant à l’écoute un sentiment organique, laissant l’humain revenir au centre du projet du groupe. Un projet finalement assez court mais qui nécessite de nombreuses écoutes successives tant chaque chansons regorgent de détails, d’éléments qui se dévoilent patiemment nous poussant parfois jusqu’à l’obsession (pour être tout à fait honnête, on a écouter une bonne dizaine de fois d’affilée des morceaux comme Sound Of Violence, Hey Hey I ou Nites Out.)
For Their Love est donc un album de forme, mais il est aussi un album de fond. Other Lives joue sur tous les tableaux, interrogeant toujours mais ne donnant jamais de réponses définitives. Même si des morceaux comme Lost Day, qui parlent des tourments d’un homme perdu à la recherche de soi-même ou Sideways, lumineuse et déchirante déclaration d’amour de Tabish à sa femme laissent peu de place à l’interprétation, d’autres, dans une volonté poétique et onirique, laissent une grande place à la réflexion. On retrouve ainsi ici est là, bien cachée, une colère rentrée qu’on avait rarement connu jusqu’ici chez Other Lives. Cops, qui parlent de la perte d’un ami, est un morceau tout en tension qui finit par se transformer en petit brûlot politique au vu de la situation actuelle aux états unis. Who’s Gonna Love Us nous interroge sur l’égoïsme et sur la solitude qui envahissent de plus en plus notre quotidien et sur notre rapport au collectif dans la société. Chaque morceau raconte une histoire, un instant, une interrogation que Tabish pose sur le papier pour mieux s’en débarrasser. Et si la vision du monde du leader d’Other Lives n’est pas des plus réjouissante, si le tableau qui est peint devant nous, l’espoir reste le guide, et comme une éclairci dans un ciel d’orage, We Wait et Sideways nous montre que l’amour nous sauvera tous et que malgré les embuches, l’existence reste un chemin à traverser.
A mi-chemin entre Ennio Morricone et The National, Other Lives trace sa route, celle d’une folk cinématographique et habitée, portée autant par l’onirisme que par des mélodies imparables. For Their Love n’est pas le retour en arrière qu’on a pu vous vendre, c’est un album merveilleux ou le poétique et le politique se mélangent pour le meilleur et contre le pire. Un album qui remet l’humain et le collectif au centre du jeu. Et à l’heure actuelle, cela veut dire beaucoup.