Chez La Face B, on adore les EPs. On a donc décidé de leur accorder un rendez-vous rien qu’à eux dans lequel on vous présentera une sélection d’EPs sortis récemment. Aujourd’hui on vous parle des EPs de Murman Tsuladze, Albinos Congo et Moto & Bandit Voyage.
Murman Tsuladze – Abreshumi (La Soie)
Qui est donc Murman Tsuladze ? Personne ne le sait vraiment, et ces trois gaillards venant des quatre coins de l’Europe s’en amusent clairement. Murman est un personnage, légendaire marchand de tapis volants venu d’un endroit mystérieux coincé entre la mer Noire et la mer Caspienne, devenu un groupe suite à l’association de trois garçons aux liens familiaux assez troubles, qui débarque aujourd’hui avec un premier effort, Abreshumi, qui nous ramène à des souvenirs teintés d’enfance et de poésie.
Ces cinq morceaux ont l’odeur et la douceur des vieilles cartes poussiéreuses qui trainent au fond des salles de classe et qui nous montrent un pays qui n’existe plus : l’URSS. Un pays formé de pays, un paysage tout en un ou tous se rencontrent, voilà l’image poétique que l’on pouvait se raconter plus jeune, avant de découvrir l’Histoire avec un grand H.
Mélangeant avec bonheur punk, influences électroniques et instruments traditionnels géorgiens, c’est une musique qui se vit à travers le corps et l’âme, car très clairement on ne comprend rien aux paroles et on s’en moque un peu. Le grand talent de ces trois gaillards est de rendre leur musique complétement universelle, de contaminer tous ceux qui s’en approchent. Il est clairement difficile de résister à la folie douce qui émane de la musique de Murman Tsuladze, notamment car ils nous offrent des morceaux qui nous attaquent d’un coup, à l’image de l’imparable Ras Dva Tri et son rythme dingue ou des évidentes Abreshumi et La Flemme de danser qui ont servi de présentation à leur univers déglingué.
Mais parce qu’elle prend aussi racine dans un monde qui n’existe plus, la musique du trio est aussi teintée d’une profonde mélancolie, comme le prouvent Teti Gedi et Au soleil, je ne veux plus me marier. Le genre de morceaux qui donnent envie de faire couler nos larmes dans un grand verre de vodka, le bras enroulé autour des épaules d’une personne que l’on ne connait pas, que l’on ne comprend pas, mais qui partage avec nous ce qu’il y a de plus important : les vibrations et l’amour de la musique de Murman Tsuladze.
Finalement, Murman Tsuladze c’est un peu ça : l’idéal bolchévique mis en musique. L’union des genres musicaux, des émotions, des langues au service d’une cause commune : nous faire danser et nous faire vivre, nous faire pleurer et nous faire rire, nous offrir un pont entre le passé et le présent, un moment hors du temps où l’on est bien ensemble.
Albinos Congo – Space Jam
Si la scène nantaise a été récemment mise en lumière pour la qualité de sa production pop et électronique, un vilain petit canard à deux têtes habite ses rues pour le plus grand plaisir de nos oreilles : Formation mouvante dont la colonne vertébrale est composée de Tristan D’Hervez et Pierre Stroska, Albinos Congo est un combo venu d’ailleurs, une folie musicale qu’on avait découverte avec l’excellent Maxi Best of Zummer Zongs et qui revient deux ans plus tard un nouvel opus encore plus barré au nom qui sonne doux aux amateurs de délires 90’s : Space Jam.
Si on les avait quittés en chantre d’un surf-rock aussi solaire qu’énervé, la bande d’Albinos Congo a décidé de mettre les doigts dans ses amplis, le pied sur la pédale de fuzz et d’emmener sa navette spatiale du côté sombre de la planète rock, tant la musique des nantais semble aujourd’hui guidée par un sens du glam et du psychédélisme bien perché comme il faut, le tout nous offrant un voyage en six titres qui ne se refuse rien et qui se libère de tout.
Dès le premier titre, un sentiment de lourdeur nous envahit, une certaine violence à la fois rentrée et explosive semble nous atteindre pour ne plus nous quitter. Space Jam débarque et frappe fort dans ses montées instrumentales et cette voix venue d’ailleurs qui semble nous offrir une incantation martienne pour que l’on se soumette à la toute puissance d’Albinos Congo.
Pari gagné, ce premier morceau nous emporte et ouvre la porte à une suite tout aussi enlevée, grandiloquente et réjouissante : Ohnooohyeah et sa batterie dingue couplée à des bruitages supersoniques, You Know What I Mean and You ? qui semble jouer sur la ligne rouge du malaise tant le morceau se révèle aussi jouissif que bordélique et pourrait marquer autant l’adhésion que le rejet.
Le tout étant en effet fait pour nous préparer aux deux uppercuts qui suivent Mon pti yoshi, qui scotche nos pieds au sol alors que notre tête se balance tranquillement dans les étoiles et Stay or Die qui nous fracasse dans un mur du son complètement dingue nous laissant la tête en vrac pour Paralysis of Dream, Pt.1, sorte de générique de fin qui ouvre la porte à la suite des aventures de ces démoniaques Albinos Congo.
Space Jam nous offre donc une épopée sonore blindée de références à la pop culture et gorgée par un amour fou du rock dans toutes ses composantes, une musique de groupe, faite pour être écoutée très fort et si le monde nous l’autorise, en live. En tout cas, la navette Albinos congo n’a pas fini de nous faire voyager, quelle sera la prochaine étape ? Mystère et boule de gomme. Une chose est sure : on sera au rendez-vous.
Moto & Bandit Voyage – Les chansons des autres
On a tous des plaisirs coupables, celui qui dira le contraire est un vilain menteur. Pour l’auteur de ces lignes, cela se traduit par un amour infaillible pour Femme que j’aime de Jean Luc Lahaye, amour qui ressurgit souvent en fin de soirée lorsque le taux d’alcoolémie devient aussi irraisonnable que le fait de chanter ce titre a cappella dans la rue. Mais en réalité, aimer une chanson, aussi mauvaise soit-elle pour les autres, est-ce vraiment coupable ? Nous on pense que non, et avec les chansons des autres, Moto et Bandit Voyage rejoignent notre gang de gens décomplexés quant à leur affection pour une chanson francophone populaire et finalement connue de tous.
Entre la France et la Suisse est donc née cette collaboration fructueuse, qui prend naissance dans une amitié et une envie de travailler ensemble sans vraiment savoir sur quoi. Des discussions, des échanges et puis cette idée qui émerge donc, aussi bête que brillante : offrir des versions à la fois DIY et personnelles de morceaux que l’on connaît tous et que l’on a tous au moins entendus 100 fois dans la vie, cette idée n’étant pas nouvelle pour Moto puisqu’elle avait déjà repris, pour notre plus grand plaisir, Allan Theo et Billy Ze Kick.
Cachées derrière une fausse nonchalance, les reprises de Moto et Bandit Voyage jouissent pourtant d’une vraie ambition : ramener un peu d’humour et de tendresse dans nos petits cœurs. Et c’est un véritable EP bonbon qu’ils nous offrent, le choix des morceaux n’étant pas étranger à la sensation de chaleur qui nous envahit dès la première écoute.
Ainsi se côtoient ici Laurent Voulzy, Bernard Lavilliers, Stomy Bugsy ou encore Pow Wow, des morceaux qu’on oublie parfois mais qui resurgissent dans nos esprits dès les premières notes emmenant avec elles son lot de souvenirs, de voyages d’été sans fin à l’arrière du break familial ou des premiers amours de vacances en camping. Bref les chansons des autres nous offrent un grand bol de nostalgie et d’humanité dans une période qui en manque cruellement. Ces reprises ont la douceur et la naïveté de l’enfance, la tendresse qu’on espérait plus et font de Moto et Bandit Voyage des enfants perdus qui nous emmènent à nouveau au pays imaginaire.
C’est drôle, doux, groovy, c’est une musique qu’on reprend en chœur avec une facilité déconcertante. Au fond, c’est tout ce dont on avait besoin en ce moment (et on finira cette chronique en faisant un cœur avec les doigts).