Format Court #32 : Serpent, Storm Orchestra, Paper Tapes

Chez La Face B, on adore les EPs. On a donc décidé de leur accorder un rendez-vous rien qu’à eux dans lequel on vous présentera une sélection d’EPs sortis récemment. Aujourd’hui, on vous parle des premiers EPs d’artistes français dans la langue de Shakespeare avec Serpent, Storm Orchestra et Paper Tapes.

Serpent – Time For A Rethink

À bien y regarder, le premier EP de Serpent à tout du résumé clair et net de l’année que l’on vient de vivre. Une pochette, comme un tag, une trainée de peinture que l’on jetterait dans l’urgence sur le mur d’un bâtiment au milieu d’une manifestation, regardant à droite à gauche pour voir si on avait le temps nécessaire de finir la phrase qu’on avait envie de plaquer là pour une durée certes éphémère, mais qui marquerait toutes les personnes qui passeraient devant et prendraient le temps de l’observer : Time For A Rethink.

À bien y penser, le titre de Serpent à tout d’une injonction, pour notre futur certes mais aussi pour la musique. Notre époque regorge d’égo, et de projets solitaires où les instruments sont remplacé par des ordinateurs, qu’à cela ne tienne, Serpent prendra un chemin parallèle, celui du collectif qui revient en force, d’une musique palpable chaleureuse et humaine, qui vrille par moment mais qui existe car les artistes qui la jouent ont le poison au bout des doigts, le venin sur le bout de la langue. Serpent se mouve dans l’ombre pour mieux nous attaquer par surprise, nous mordre pour nous rendre accro.

À bien l’écouter, la musique de Serpent a bien l’ambition de ce qu’elle nous avait vendu, la beauté implacable d’un groupe qui vit ensemble et propose une musique qui frappe le plexus, non pas pour nous couper le souffle mais pour nous envoyer des ondes hypnotiques et nous emmener dans un dancefloor rock dont on ne veut plus retirer les pieds, bien en place à côté des camarades qu’ils citent allègrement que ce soit Pottery et MNNQNS ou les légendes que sont les Talking Heads et Devo.

Tout commence par un riff de guitare, brutal et corrosif, comme le sifflement du Serpent qui approche et s’éloigne pour laisser rapidement à une batterie martiale et une basse ronde qui groove en diable.
Une session rythmique qui donne toute sa puissance à Distant Call sur laquelle viendront s’ajouter ici et la des guitares dissonantes et funky, des sons de cloches ou des nappes électroniques. Surtout, c’est la voix de Lescop qui nous embarque.
Tel un charmeur de serpent, il joue des assonances et des sifflements, transformant un Distant Call très carré en danger de tous les instants, en langage sensuel et charmant au possible.

Ces désirs, ces non-dits nous explosent définitivement à la figure dès le morceau suivant. Don’t Think Twice, comme une extension du titre de l’EP, est une sorte de manifeste incandescent à tout ce qu’est la musique de Serpent : un plaisr physique, basique et humain. Le morceau joue sur la longueur (cinq minutes tout de même) , multiplie les intentions, se refusant à toute baisse de rythme, et s’amusant à répéter à l’envie une phrase qui finit par devenir un mantra fiévreux, jusqu’à nous laissant pantois … Et c’est ce moment que choisi Serpent pour nous asséner sa nouvelle morsure.

Pas le temps de se remettre sur pied donc qu’ils nous balancent l’excellent Love/Hate et nous rappellent une chose simple : la musique est politique. Et ce n’est pas parce qu’on danse, qu’on reprend en chœur un refrain entrainant en diable qu’il est interdit de penser. Love/Hate est un uppercut binaire, une leçon de pensées à l’image de notre époque où tout est noir ou blanc, une manière poétique et politique de nous rappeler que le monde manque clairement de nuances et qu’il devient plus que nécessaire de s’échapper de ces étranges carcans.

Waiting in the park termine cette première aventure de manière qui semble plus calme, pourtant un orage semble planer en permanence sur ce morceau qui finit par une explosion vocale qui ne cherche plus à cacher sa colère.

On ne parle pas encore le Fourchelang, mais on a l’impression avec ces quatre titres introductifs de parler le langage de Serpent. On ne peut que vous inviter à plonger dans ce Time For A Rethink du plus bel effet et de venir partager avec nous le venim du groupe.

Storm Orchestra – Storm Orchestra

De grosses guitares, des riffs sauvages et fracassants, Storm Orchestra a la rage, celle de vivre pleinement et de fuir la noirceur de ce monde qui semble condamné. Le trio parisien nous offre avec ce premier EP éponyme des morceaux viscéraux et introspectifs. Lose My Breath Away nous plonge dans l’univers sombre et intense du groupe. La chanson d’amour passionnée est parcourue de soundscapes de guitares énergiques qui laissent place à un moment aux notes légères d’un piano pour un pont tout en apesanteur avant de reprendre de plus belle.

Drowned, le quatrième morceau, prend des airs de fin du monde et livre un message engagé devant une civilisation qui s’enlise petit à petit vers une fin certaine : “Drowned, drowned, everything’s going to be drowned, drowned, (…) We’re losing the final round, round”. La chanson s’éclaire parfois du désir d’entrevoir un futur meilleur : “Make me believe that there’s a way out ».

The Shining of My Soul avec ses riffs sophistiqués et ses guitares saturées et le plus groovy Call rappellent les sonorités de la scène post-punk U.S. des 90’s. Et si le dernier morceau de l’opus, Through The Motions, lâche les guitares au profit d’un piano, celui-ci n’en garde pas moins d’urgence et de tension et nous tient dans d’intenses profondeurs.

Avec Storm Orchestra Max, Adrien et Loïc livrent un cri du cœur, une lutte pour ne pas sombrer où le rock à la verve effrénée prend une tournure salvatrice dans un monde qui va mal.

Paper Tapes – Homecoming

Vous avez besoin d’un petit moment de douceur dans ce monde de brute ? On a la solution pour vous ! Si Homecoming était apparu au prémisse de l’automne, la chaleur de contagieuse du premier projet de Paper Tapes nous aura suivi avec bonheur jusqu’à l’hiver qui vient tout juste d’arriver. Et autant le dire, ce genre de petit bonbon pop merveilleux à de quoi faire plaisir peu importe les saisons.

Paper Tapes. Derrière ce nom étrange qui se déroule à l’infini et a la bonne odeur des années 80 se cache Cyril Angleys, membre des excellents Brace! Brace!, qui s’offre une échappée mélancolique avec ces cinq titres vaporeux et attachants qui se diffusent sans fin dans l’air et dans nos tympans. La musique de Paper Tapes est définitivement de celles qui s’écoutent les yeux fermés, tant ses ambiances nous entrainent dans des paysages et des voyages que seule l’imagination la plus pure est à même de proposer.

Si le garçon nous propose une bedroom pop du plus belle effet qui gagne en profondeur dans des morceaux mouvants tels que Past Night ou In The Heat, ou frappe l’efficacité ronde, classieuse et hors du temps qui émerge de l’excellente ouverture A Promise Can’t Get Old ou You And I la musique du lyonnais n’est pas qu’un simple travail de réinterprétation passéiste mais nous propose une vraie prise de position intelligente et moderne.

Ainsi que ce soit dans sa manière de casser brutalement certains codes, dans son son de guitare (notamment sur Birth Date ou la guitare se mêle à la perfection aux synthés) , sa nonchalance ronronnante ou l’utilisation par moment du vocoder associé à la sensation d’être face à un véritable terrain d’expérimentations ou tout semble possible la musique de Paper Tapes se range avec bonheur à coté de contemporains tels que Steve Lacy ou Tyler The Creator pour son travail le plus récent, chacun de ces artistes devant beaucoup au travail de pionner des illustres Neptunes.

Vous l’aurez compris avec Homecoming, le retour à la maison se fait comme une sorte de catharsis libératrice, permettant à Paper Tapes de s’offrir une collection de titres qui rappellent ce que la pop se doit d’être : un lieu d’émancipation, de recherche et de liberté totale qui permet de diffuser des émotions qui seront partagées par le plus grand nombre.

Welcome Home, Paper Tapes.