Chez La Face B, on adore les EPs. On a donc décidé de leur accorder un rendez-vous rien qu’à eux. Aujourd’hui, on s’intéresse aux dernières sorties de Miae, Domino Lewis et Lucille Mille.
Miae – Bisou

C’est un peu ironique : pour apaiser un amour déçu il y a trois ou quatre ans, on a entendu quelqu’un nous dire « la douleur n’est pas une grande amie, mais elle permet parfois de créer de belles choses« . Évidemment, on n’a pas voulu y croire. On avait le nez dans le guidon, et on se fichait bien de savoir quelles chansons naîtraient d’un pareil épisode. Mais le hic est là : un peu plus tard, on a écouté beaucoup de disques. Et des disques qui nous ont touchés. Alors on a réfléchi. Un cœur brisé n’est pas nécessaire pour faire un bon album ; ciel, non. Mais il arrive parfois qu’il nourrisse une création qui nous touche. Même souvent. Et tout ça nous revient en tête aujourd’hui parce qu’on s’apprête à parler du nouvel EP de Miae. Il est beau, et il s’appelle Bisou.
C’est un EP de reconstruction. Un processus de guérison documenté en sept chansons plus une introduction et une coda ; et il commence par un morceau qui s’appelle 0 janvier. Où la voix de Miae se mêle au son du vocoder. Où elle semble s’apercevoir que quelque chose n’arrive plus à se dire, que les visages ont changé ; pièce d’ouverture d’un ensemble qui avancera désormais à la vitesse de la résilience.
Tout au long de l’EP, on décrochera quelques sourires, parce que la production et l’écriture sont riches. On le fera par exemple pendant L’effet d’une tornade, avec cette drum machine qui avance sans le faire, à deux pas en avant et trois en arrière – l’histoire s’écrit aussi par le son. On le fera à nouveau pendant cet Interlude, où l’on croit écouter un mémo vocal – la voix de Miae qui chantonne près de son téléphone en marchant dans la rue. Un moment de création conservé dans le produit final, et qui, en définitive, contribue à faire de Bisou le témoignage sincère qu’il est. On le fera enfin pendant Mon île, avec ce synthétiseur patiné en introduction, et puis surtout, ce pont où tout s’élargit et respire à nouveau (peut-être les meilleures 40 secondes de musique de notre mois de juin, lorsque Miae chante « tout se réinitialise/je n’ai plus peur du vide/je n’ai plus jamais froid« ).
Dans un EP ou dans un album, il y a toujours un morceau qui se détache des autres. Un moment de grâce. Dans Bisou, il y en a un peu plus qu’un. Mais le premier auquel on pense, c’est certainement celui là : Changer la colo. Peut-être parce que c’est le premier éclaircissement au sein du processus. Peut-être aussi parce qu’on avait vu son clip avant (beau !). Il y a en tout cas quelque chose qui nous y touche tout de suite. Une forme d’efficacité pour dire la relecture que l’on est désormais en capacité de faire d’une relation passée « j’ai changé la colo/t’étais pas fait pour moi ».
Le second, c’est certainement Plus besoin. Pour tout dire, c’est le morceau qu’on a la sensation d’avoir attendu tout l’EP. L’ultime libération. Dans le premier poème de Politique de la beauté, Jean-Pierre Siméon se demande ce qu’est le bonheur. Il écrit « Peut-être le premier sourire du plus perdu d’entre les hommes/après qu’il est sorti du charnier (…) quand le jour silencieux/le prend entre ses bras ». Dit autrement : rien n’est jamais si intense que le moment où l’on aperçoit enfin la lumière. Ici, Miae affirme qu’elle n’a plus besoin d’un regard pour se sentir exister. Qu’elle est libre. Elle le crie puis cède la place à un solo de guitare façon guitar hero. Désormais tout est permis, et le morceau s’envole. C’est juste. C’est vrai. Enfin et par dessus tout : c’est beau.
-Paul P.
Lucille Mille – Les yeux fermés

Lucille Mille, nouvelle signature du label vaguery records, se présente comme une artiste aux multiples influences. Elle s’exerce sur plusieurs terrains, alliant la folk, l’instrumental et l’électronique avec un soupçon de musique ambient. Nous vous proposons de partir à la découverte de son tout premier EP, intitulé les yeux fermés. Celui-ci débute par le titre avant l’été, où l’on oscille entre moments doux de choeurs vaporeux et de sonorités électroniques surplombés de percussions lentes, et moments plus soutenus, rythmés par une guitare et des “la la la” mélodieux accompagnés d’une flûte discrète mais efficace.
Sans attendre, nous passons au titre rayon vert où les instruments à vents introductifs nous plongent dans un film d’animation japonais. Il vient se mélanger à un son électronique assez saturé, suivi d’une douce voix harmonieuse. Lucille Mille nous transporte dans un univers fantastique et coloré, aux milles nuances auditives.
Des paroles apparaissent sur le troisième titre, demain matin, et celui-ci nous permet d’apprécier la voix douce et cristalline de Lucille Mille. Les paroles nous dépeignent un coucher de soleil, devant l’océan. La musicienne semble attendre l’aube du lendemain, où tout pourra recommencer, jusqu’à l’infini. C’est beau, puissant et apaisant.
Tout recommence
À l’aube du souvenir
De demain matin
Et tout ira bien
Le titre clôturant ce joli EP porte un nom enfantin, presque innocent : est-ce que la brume c’est des nuages. Ce morceau nous laisse entendre une flûte ensorcelante, et nous embarque en pleine forêt, que nous pouvons imaginer à la fois sombre et magique. Les percussions nous donnent une sensation d’empressement, d’urgence et presque d’inconfort. On sent une certaine tension, comme si nous étions en pleine quête dans un jeu vidéo. La fin de la musique se radoucit, la flûte devient plus aiguë et légère et se fond avec les harmonies vocales de la chanteuse.
Lucille Mille, pour ce premier EP les yeux fermés, définit déjà clairement son univers unique. Un monde entre le réel et l’onirique. Les morceaux sont voués à l’introspection, et semblent nous inviter à une quête intérieure, à la découverte de nous-même. A l’écoute de ce quatre-titres, nous partons finalement dans notre jardin secret, dans un espace qui n’appartient qu’à nous. On se ressource, on s’apaise et on dessine nos pensées.
C’est aussi une histoire de famille, puisque son frère, Lilian Mille, a participé à l’enregistrement et la pochette a été dessinée par sa sœur (aussi auteure de BD) Mirion Malle. La cover représente parfaitement l’univers musical de l’artiste, où l’on on peut voir une jeune femme perdue dans ses pensées au pied d’un arbre. La nature autour semble à la fois réelle et imaginaire, avec des couleurs vives et un ciel rose féérique.
-Mathilde V.
Domino Lewis – Live at Kerwax

En apercevant le titre du nouvel EP de Domino Lewis, on s’est tout d’abord demandé ce que c’était au juste, Kerwax. Alors on a tapé le nom sur Google. On a peu tardé à avoir une réponse : Kerwax, c’est un studio d’enregistrement en Bretagne, et pas n’importe lequel : un de ceux qui fonctionnent encore majoritairement à l’analogique. Qui chinent un matériel rare et vintage, et même, pour être précis : un matériel daté entre 1940 et 1970 (c’est le site qui le mentionne). Alors, forcément, on s’élance dans l’écoute de ce Live at Kerwax avec une forme de curiosité ; ça va sonner comment, cette histoire, au juste ? On s’y élance d’ailleurs avec d’autant plus d’enthousiasme que Domino Lewis tient à la face B une place toute particulière : pour ceux qui ne le savent pas, c’est elle qui a créé notre série de podcasts consacrée au songwriting : Craft.
Live at Kerwax, quoiqu’il en soit, commence par un titre qui s’appelle Moving on. Il y a la pedal steel guitar à gauche, il y a le banjo à droite, une guitare au centre. Il y a une batterie jouée aux balais et une contrebasse. Il y a, par dessus tout ça, la voix de Domino Lewis. Et ce beau monde a d’emblée des airs capsule temporelle – de celles que l’on se réjouit de retrouver. Peut-être s’agit-il d’une capsule émise entre 1940 et 1970 ; le son en premier lieu date un disque et raconte une histoire. Mais il n’est pas le seul.
Il y a aussi l’écriture de Domino Lewis. Sa manière de raconter des vérités sans âge. Celle d’une difficulté à passer à autre chose (Moving on), d’un gangster sans foi ni loi (Time to kill), d’une prophétie malheureuse (Gipsy song). L’idéal, en country music, c’est peut-être ça : exprimer le plus simplement possible la vérité de l’expérience humaine. Three chords and the truth, comme le formulait le singer-songwriter Harlan Howard. Ici, on a la sensation d’y goûter.
Et la vérité d’un chagrin d’amour par exemple, lorsqu’on se demande avec Domino Lewis « why you don’t love me anymore« , n’est pas toujours fraîche et neuve. Elle est vieille comme le monde. Elle s’exprime dans le dépouillement d’une guitare seule et d’une voix. Au fond, 1940, 1970, 2025, quelle importance ? L’essentiel est dire la vérité avec grâce. Et de cette réussite là, Domino Lewis peut déjà être assurée.
-Paul P.