Les Francofolies ont donc célébré leurs 40 ans. On a fait la fête avec elles du 10 au 14 juillet. Entre les concerts, les rencontres et dégustations de glaces en tous genres, je prends le temps de vous emmener avec moi. A la façon d’un journal de bord, je reviens sur mon vécu de cette édition anniversaire.
Jour 1
Pour ce premier jour, on est entrés dans le bain tout en douceur. Place aux folklores régionaux avec Kanta Kanañ un collectif d’artistes dans lequel on retrouve Patxi Garat, Anne Etchegoyen, Francine Massiani et Gwennyn qui nous font redécouvrir la langue basque, le corse et le breton. Patxi Garat nous fait l’honneur de reprendre des grands tubes de la chanson française comme Aline, Allô maman bobo ou encore Caravane. L’écoute se fait attentive et curieuse, compliqué de reprendre à l’unisson mais les applaudissements sont bien présents. L’ambiance se réchauffe davantage avec le folklore basque interprété par Anne Etchegoyen. Ce n’est pas la polyphonie mais Francine Massiani convainc avec sa voix douce. Gwennyn clôt la première partie avec ses morceaux mêlant modernité et traditions. Et enfin, le harpiste Alan Stivell fait son entrée sur le bruit des vagues. La magie des chants celtiques s’échappe et envoûte une salle pleine. Mention spéciale à la merveilleuse interprétation d’An Hini A Garan.
Dans le prolongement breton, on rejoint la grande scène Jean-Louis Foulquier pour aller voir l’indétrônable Etienne Daho. Une setlist mêlant tubes d’antan (Epaule tatoo, Duel au soleil, Le grand sommeil, Tombé pour la France, Week-end à Rome…) et morceaux issus du dernier album (Virus X, Tirer la nuit sur les étoiles), l’emblématique garçon de la pop rassemble les générations autour d’une communion pop. Il ne manque pas de remercier des figures qui l’ont longuement accompagné, soutenu, aimé comme un frère : Elli et Jacno, Françoise Hardy ou encore Jane Birkin. Un show à son image : élégant. Point d’orgue du spectacle le sublime Ouverture sous la lumière de la lune. La nuit tombe doucement pour mieux nous emmener dans le pays des songes. Qu’importent les arrangements si Monsieur était un peu malade, le show était grandiose.
On aurait voulu voir Sting mais c’était plein à craquer. Tant mieux pour les chanceux, tant pis pour nous !
Jour 2
J’ai repris mes habitudes glaces assez vite donc je peux enchaîner plein de concerts ! Pour cette deuxième journée, j’en ai vécu un peu plus. Dans mon planning se glisse ma première interview de la semaine : Jeanne Added.
Liv Oddman au Théâtre Verdière est une véritable belle découverte. Un garçon qui mêle sonorités urbaines et textes profonds. Il arrive dans les rangées sur un plateau aux lumières rares. Sakti ouvre. Une fois sur le plateau, le garçon tout de noir vêtu, longiligne, ondule pour mieux se la jouer robotique plus tard. Au-delà de ses interprétations parfaitement millimétrées, les jeux de lumière soulignent une gestuelle soignée dans un espace scénique occupé brillamment pour un unique interprète total.
Passage furtif par la grande scène pour aller voir une première fois – elle était présente plusieurs fois pendant le festival – Poppy Fusée. La Poppygande enclenchée par notre rédacteur en chef est en marche le temps d’une intercale de deux chansons : Better Place et It’s over. Poppy Fusée débarque sur le podium avec une tenue de scène rayée en rouge et blanc, sa muse Nicolas Mantoux l’accompagne et tous les deux nous transportent dans ce cocon douillet qu’on aime tant. La douceur éphémère avant de retrouver Grand Corps Malade. Statique par la force des choses, dans une scénographie on ne peut plus sobre, le slammer français s’est entouré d’un groupe. Il entre sur scène avec beaucoup d’humour « Il a vu de la lumière alors il est entré ». La poésie côtoie la tendresse, l’album Reflets résonne dans l’espace ensoleillé de La Rochelle.
Nouvelle grosse séquence d’émotions fortes avec Jeanne Added Acoustique dans le Grand Théâtre. Sur un plateau nu, la chanteuse est avec son pianiste Bruno Ruder sur un somptueux piano à queue et ses choristes Laetitia N’dyaye et Nael Kaced. Comme une flamme de bougie qui ondule dans son bougeoir, Jeanne Added livre une prestation incroyable. Toujours aussi habitée que pour les versions arrangées, Jeanne Added est dans l’intensité. Tee shirt blanc, jean brut et sorte de creepers blanches aux pieds, la chanteuse se livre sans artifice à un spectacle fait d’ombres et lumières où l’interprétation est saisissante. Mutate, Falling hearts ou encore Radiate et Au revoir se croisent avec Wasting my young years de London Grammar et Anna Stasia de Prince. Un concert riche sur le plan émotionnel. « Les poils ! » comme dirait l’autre.
Le temps de se remettre, le rideau de velours s’ouvre sur un piano-voix masculin : Baptiste Trotignon et Arthur Teboul. Revisiter certains grands standards de la chanson française et déterrant quelques pépites oubliées s’envolant à la mémoire de Jean-Philippe Allard qui a poussé pour que les deux hommes se rencontrent. C’est désormais chose faite et de la rencontre est née une belle expérience scénique qui se traduit par un album qui sortira à la fin de l’été. Comme souvent avec Arthur Teboul c’est une interprétation magnétique, une élégance qui infuse dans tout ce qu’il (trans)porte dans sa voix. Poète de toujours, il se posera le temps d’un poème à un bureau. Jacques Higelin, Georges Brassens, Barbara, Serge Gainsbourg, Léo Ferré se voient accompagnés de traductions françaises de Radiohead et John Lennon. Grand final sur Jacques Brel et sa superbe La chanson des vieux amants dans un éclairage tel une photo à la couleur sépia. Grand moment qu’on vous dit ! Petit rappel pour terminer sur Syracuse d’Henri Salvador.
Jour 3
Pour ce troisième jour, Damien Saez fait partie de ceux qu’on attendait le plus.
Sur le planning des interviews, on en comptait deux : Abel Chéret et la Canadienne Ariane Roy.
C’est dans le Grand Théâtre que commence la troisième journée. Le conteur Thomas Fersen porte son visage au-dessus d’une bassine remplie d’eau. Il nous balance que le grand bain est mal éclairé. Soit. Il nous fait le récit d’une enfance entre le quartier Ménilmontant et celui de Pigalle. Les plus fins connaisseurs du réseau RATP diront que c’est la ligne 2 -. Entouré d’un violon, d’un accordéon et d’une guitare, le poète (en)chanteur fait le récit de Mon frère c’est Dieu sur Terre. Un spectacle concert aux couleurs autobiographiques qui, avec toute sa fantaisie, fait la part belle aux ver(be)s et à la chanson. On sourit, la tendresse au rendez-vous.
Avant de découvrir l’atypique Jacques, place au concert d’une artiste du dispositif d’accompagnement des Francofolies : Nochka. Comme une petite poupée désarticulée ou Mercredi Addams plus urbaine, la chanteuse expose sa fragilité au grand jour. Sans transition, ou du moins celle d’une bien curieuse installation, Jacques et sa Vidéochose invite le quotidien dans sa musique qu’il défend comme étant intégrale. Bribes de vidéos, fusées qui décollent, fouet de cuisine, bébés qui pleurent sont des instruments de musique d’un nouveau genre. Mieux encore, la projection sur écran d’une invention géniale : le « phraseur ». Générateur automatique de phrases. Des trouvailles telles que « Dieu accepte la maturité » / « L’habitude respecte tout le monde » / « L’alcool dessine l’intérieur » / « Le cerveau balise le bon sens » fusent. Atypique ne serait que limitatif, Jacques est la preuve vivante d’une inventivité sans borne. On applaudit !
On ne se lassera donc jamais de ses venues françaises : Ariane Roy sur la scène extérieure Rochelle Océan. Elle fait vivre son album Medium plaisir dans un set généreux dont elle a le secret. Enième moment d’extase sur Le ciel est en place qui prend toujours une tournure plus rock en live. Pour ceux qui la suivent, elle a pu jouer son dernier single Si je rampe du prochain album à venir. La Québécoise lauréate du Prix Félix-Leclerc 2023 a visiblement conquis un public de curieux. On ne peut que s’en réjouir !
Je le reconnais : du petit haut de mes 31 ans, je n’ai jamais vu Damien Saez sur scène. Il a bercé une bonne partie de mon adolescence. Ce soir-là, j’assiste à un immense spectacle. Un fauteuil de cuir, un piano à queue et une table suffisent à peupler le grand espace. Avant qu’il n’arrive, le public réserve une standing ovation pour un certain Renaud qui s’est glissé dans le public. Saez nous arracherait bien des larmes. Entre accords de guitare retrouvés et bières sifflées, le poète écorché nous livre ses meilleurs titres à nu. Caractéristique, sa voix brisée nous ferait bien chavirer. Germaine reprise à l’unisson est un moment sublime. Malgré les « vos gueules » qu’il nous envoie à la tronche avec amour quand on veut l’aider à retrouver son maudit capo, on lui pardonne parce qu’il nous a transporté bien haut. On applaudit pendant une dizaine de minutes. Il revient pour Tricycle jaune et Tu y crois toi en énième rappe. Echarpé, il nous salue le poing levé, il frappe sa poitrine, c’est tout. Des moments si grands, c’est rare.
Jour 4
Quatrième journée, l’avant-dernière. Elle se caractérise par un revival des années Frenchy but chic avec le combo Edith Nylon / Kas Product Reload. Tous les deux nous ont fait l’honneur de répondre à nos questions, rendez-vous à la rentrée ! Et dans un autre genre, rencontre avec les belges pop de Puggy.
En attendant de rejoindre nos premiers interviewés de la journée, nous sommes allés du côté des Folies Littéraires. Tim Dup et Magyd Cherfi sont réunis autour de Didier Varrod pour parler de leurs premiers romans respectifs : Je suis fait de leur absence (Stock) et La vie de ma mère (Actes Sud). Un moment savoureux et plein de drôleries qui s’est terminé sur une lecture d’extraits des deux romans au piano.
Passage furtif au Théâtre Verdière pour aller entrevoir la fin du concert de la singulière Clara Ysé.
Direction l’intimiste Salle Bleue pour notre voyage dans le temps avec Edith Nylon et Kas Product Reload.
Longtemps absents les Edith Nylon sont revenus discrètement en 2019. Les auditeurs les plus assidus ont pu entendre un nouvel objet musical au format court ; La fin de la vie sauvage. Mylène Khaski – coiffée telle une Amy Winehouse aux reflets bleus – et ses garçons n’ont rien perdu de l’énergie punk et livrent ensemble un show qui dynamite l’atmosphère – bien que le public reste sagement assis -. Ne dis pas oui ne dis pas non, Femmes sous cellophane s’enchaînent sans temps mort. Il aura fallu attendre la reprise de Piaf Je ne regrette rien pour que les spectateurs se lèvent – sans pogoter pour autant – et se mettent à chanter. Johnny Johnny les maintient debout et le spectacle s’achève sur Edith Nylon.
On les avait vu il y a quelques mois au Trabendo aux côtés de Guerre Froide. Kas Product Reload fait visiblement un véritable come back. Du moins, pas un come back. C’est une nouvelle identité qui se base sur l’oeuvre passée. Mona Soyoc arrive dans le public avec sa cape, on nagerait presque dans une ambiance goth. Mais très vite ce sont les pistes punk/new wave qui prennent le relai. Le désormais trio prouve qu’il a envie d’arpenter les scènes. A juste titre, le retour des années 80 n’a jamais été mauvais dans les oreilles – à quelques exceptions près, on l’admet ! -.
On court, on court retourner jusqu’à la scène Rochelle Océan pour essayer d’attraper un bout de Puggy. Le trio s’affaire sur un set vitaminé, coloré et franchement enthousiasmant. Goes like this en fera sautiller plus d’un. When you know emballe la foule qui se met à reprendre en cœur. Matthew Irons se prend au jeu et impressionne avec ses capacités vocales. Un show énergique qui s’achève sur le dynamité Something you might like, un public conquis à 200%.
Jour 5
Allez viens, c’est déjà la fin… 14 juillet, fête nationale et on s’apprête à claper la fin de festival. Au programme sur la tablette : interview d’Arthur Fu Bandini, Poppy Fusée au Théâtre Verdière, un petit bout de Black Sea Dahu, Hervé sur la grande scène, la désormais incontournable Zaho de Sagazan, Nach et Hubert-Félix Thiéfaine au Grand Théâtre, les gars de Phoenix sur la grande scène – le feu d’artifices – et l’illustre Jean-Michel Jarre !
Elle en a conscience que le timing – l’heure de la digestion – n’est pas évident, ça ne l’empêche pas de rayonner. On parle ici de Poppy Fusée qu’on retrouve avec le même agréable plaisir. Ses petits mouvements de bras, le jeu de lumières qui nous confine dans la petite bulle de bonheur. La parenthèse enchanteresse des concerts de Poppy Fusée fait toujours office de piquouze du bien-être. S’enchaînent Empty, Insomnia party, Better place, For Better and For Worse et Paranormal. Une fois n’est pas coutume, le band termine sur It’s over repris avec le public.
Les suisses de Black Sea Dahu prennent la suite. Ils auront fait 32h de route pour les festivaliers. Après la douceur de la dreampop, un nouveau moment de poésie suspendu dans l’air.
On rejoint Hervé sur la scène Jean-Louis Foulquier. Alors là le Breton n’avait vraiment pas de chance : le tourbus qui tombe en panne en pleine nuit. Mais ça ne l’a pas empêché de rejoindre La Rochelle. Il a le maillot Adrénaline sur le dos floqué 14 « parce que 14 juillet ! ». Le garçon n’a pas fini de partager ses bonnes ondes, sa bonne humeur contagieuse. Le voilà qui sautille partout, véritable Zébulon. Tout ira mieux demain, Sémaphore, Addenda, Si bien du mal s’enchaînent. Sans aucun temps mort, le jeune homme oscille entre délicatesse et énergie revitalisante avec un humour mordant. Il croque la vie à pleines dents et ça fait du bien !
Il est l’heure de retrouver la grande révélation féminine de l’année 2023 : Zaho de Sagazan. La jeune fille tout de noir vêtu -elle a laissé le cycliste au vestiaire au profit d’une robe ample – est au piano. Elle ouvre sur Dis-moi encore que tu m’aimes, toujours plus incarnée. Le morceau lui suffit pour partir sur Aspiration durant lequel ses acolytes Rémy, Tom et Greg vibrent avec elle. Elle avance progressivement sur le podium, se pose dans les marches pour entonner Mon inconnu et Je rêve. Cette dernière s’achève sur une sortie théâtrale pour mieux s’ouvrir sur Tristesse possédée. L’histoire on la connait mais elle la répètera pour mieux qu’elle infuse dans les esprits. Celle de La symphonie des éclairs qui est reprise à l’unisson pendant que Rémy prend contrôle du piano. Ne te regarde pas fait danser les corps encore timides, sur un tempo lent mais puissant. « Les Francos ils ont pas compris la chanson ! » prétend-elle. Dansez prend le relai pour déchainer les foules. Elle s’effondre pour mieux terminer sur sa reprise enflammée de Modern love. 300 dates dans les pattes, ça vous forge une femme.
On retrouve la benjamine de la famille Chedid, Nach au Grand Théâtre. Robe et cape dorées, elle scintille pour mieux s’envoler entre deux claviers : un piano à queue et un synthé. La jeune fille qui veut prendre Le temps de vivre se joue des tempos. Elle démontre qu’elle a fait le plein d’énergie. La couleur de l’amour fait battre la mesure avec les applaudissements. Elle donne tout sur Âme mélodique, tout s’accélère, elle nous impressionne lorsqu’elle se met à danser sur ses hauts talons. Un show scintillant dopé à la liesse.
En 45 ans de carrière, grande première rencontre avec une grande figure de la chanson française : Hubert-Félix Thiéfaine. Si le monsieur a beaucoup oeuvré en acoustique, c’est un concert hautement électrique qui se jouait au Grand Théâtre. Premier artiste à se produire au festival, il est honorable qu’il célèbre les 40 ans. La setlist pioche dans les nombreux albums rassemblant ainsi les fidèles comme les plus novices. Si Thiéfaine reste grandement statique, il incarne une certaine idée de la grande classe – mention spéciale à Eux -.
On court, on court jusqu’à Foulquier. L’objectif : espérer trouver une petite place en fosse et voir un bout de l’une de nos meilleures exportations : Phoenix. La belle scénographie les accompagne où qu’ils aillent. A la tombée de la nuit, les écrans nous projettent dans des jardins, dans l’infini de la galaxie. Le leader Thomas Mars s’offre un plongeon dans la foule pour aller récupérer avec succès une bière. Le garçon revient sur la scène en nageant entre les festivaliers. L’aperçu est réussi.
On vous passe le détail sur l’annuel feu d’artifices vu d’entre les voiliers. Juste le temps de vous faire profiter d’un instant unique ; le duo de Zaho de Sagazan et Jean-Michel Jarre. Ils nous font l’honneur de revisiter Les mots bleus du dandy regretté Christophe. Une adaptation hors du temps pour mieux fermer le festival.