Deux ans après nous avoir invités au voyage dans son album les fleurs du mal où « … tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté. », François Marry nous embarque avec son album Banane Bleue dans un périple à travers l’Europe – Paris, Berlin, Athènes.
Banane Bleue, c’est ainsi que se nomme son dernier album, est Le nom donné en géographie à la mégalopole européenne qui s’étend de Londres à Milan concentrant dans sa chair plus de 70 millions d’habitants. Mais ça pourrait tout aussi bien être le nom du pendant lunaire de l’orange bleue chère à Paul Eluard ou le fruit complice porteur d’espoir du professeur Tournesol. Ou encore le nom musicalement associé à Andy Warhol qui avait fait de la banane une icône pop en la représentant dans une version à peler sur la pochette de l’album The Velvet Underground & Nico. Icone que, d’ailleurs, Leonard Cohen détournera d’un coup de dents en la croquant sur la photographie illustrant son album I’am your man.
Banane Bleue, trois bananes bleues comme un signal émis, un écho reçu.
L’utilisation d’une image totem n’est pas anodine. Elle est présente pour marquer une évolution. François, poussé peut-être par la crainte de se trouver enfermé dans un style d’écriture, a souhaité se réinventer. Mises de côté les grandes envolées de Solide Mirage, Banane Bleue cherche – en suivant le chemin esquissé par Les Fleurs du Mal – une introspection nostalgique des sentiments emprunte de simplicité et de sobriété.
Ce projet est né à l’été 2019. Accompagnant sa démarche Domino, le label de François and The Atlas mountain, lui avait proposé de collaborer avec un autre de leurs artistes – Jaakko Eino Kalevi qui cultive depuis sa Finlande natale une électro-pop élégante.
L’envie de voyage a fait le reste. Initié à Berlin, poursuivi près de Paris à la Maison des Artistes située à Nogent-sur-Marne que François Marry avait découvert quelques mois plus tôt lors des siestes électroniques organisée en septembre 2019 dans le parc de la fondation des artistes. Un concert en compagnie de Sébastien Forrester durant lequel il avait exploré des sillons plus électro. Le voyage s’est prolongé à Athènes accompagnant le déménagement de Jaako Eino Kalevi.
Mais le voyage musical est aussi un voyage intérieur que l’on vit lorsque, le temps du cheminement, dans un avion, un train, une voiture, nos pensées vagabondent. Les souvenirs renaissent et s’entremêlent. Une photo retrouvée dans un portefeuille devient le sujet de rêveries furtives.
L’album Banane Bleue est composé de ces moments d’égarements où le passé et le présent s’entrelacent.
Il est des chansons, comme Coucou, qui sont des portes d’entrée qui une fois franchies permettent à celles plus discrètes de nous toucher. The Foreigner – qui ouvre l’album – fait partie de celles-ci.
C’est la chanson douce de l’écho lointain des voix de voyageurs que nous recevons, immobile, pris dans un tourbillon, étranger par la langue mais sensible aux sentiments exprimés. Capter les phrases perçues qui évoluent dans une triangulation topographique sans borne. Ces voix diverses et qui se superposent dans les souvenirs.
« Coucou, comment vas-tu ? », comment chanter en décaler sur un air, de rien, gai et entrainant, une rupture qui change un amour en bleuette, voire en bluette. Ce « Coucou, comment vas-tu ? », désinvolte, comme un émoji verbalisé qui standardise les sentiments, leur fait perdre tout sens. Se succèdent, des souvenirs racontés en mode cadavres exquis, suivent les espoirs, les attentes, les interrogations, même très masculine. Une seule issue, consommer la rupture de cet amour consumée, se défaire de ce qu’il en reste « jeter sa brosse à dent », …le diable se cache dans les détails….
Julie est écrite à deux voix, deux cultures – l’anglais et le français se complètent avec nostalgie dans des phrases partagées comme les souvenirs qu’elles évoquent. Laura Etchegoyhen répond en écho aux paroles de François Marry.
Par le passé sur une musique itérative, comme un clin d’œil à Steve Reich, évoque le repentir en douceur des blessures d’une séparation infligée à un être aimé… La mélodie égrène et accompagne les sentiments qui voyagent, comme s’écoule l’eau, pour revenir à la source. La voix suave au intonations parfois languissantes prend les accents chers à Dominique A.
Dans Holly Golightly, le ton devient enjoué et entrainant. Il est fait référence à l’espièglerie du personnage interprété par Audrey Hepburn dans Diamants sur canapés ; doux mélange de joie de vivre, d’inconscience assumée, d’une fuite en avant à la recherche d’une protection « Hush up in the bough, colour up my eyes and I’m ready ; I’m ready too ; And I follow you »
Avec une voix épousant une musique, Lee-Ann & Lucie surfe par une torpeur bienveillante sur le rivage d’un paradis rêvé d’un endless summer.
Tourne Autour comme dans le chant XII de l’Odyssée d’Homère – celui des sirènes – la stratégie d’approche d’un Ulysse, sur son 31, patient et déterminé qui s’est satellisé dans des mondes fabuleux dont il maitrise la magie pour mieux atteindre un amour séducteur, versatile, parfois indifférent mais inexorablement attractif.
Bien que cette satellisation concentrique et hypnotique traverse des univers fantasmés, on n’est pas loin du Twenty two bar ce soir-là ….
Si le thème de la rupture est très présent dans cet album, Revu évoque, au détour de retrouvailles fortuites (?), celui de vivre des sentiments passés que l’on tente de faire renaitre maladroitement sans comprendre ce que l’on souhaite, entre gêne et désir.
L’apaisement revient avec Gold & Lips, une balade solaire et aérienne avant de replonger dans l’univers urbain de Dans un taxi. Le rythme devient nonchalant, pour traverser flegmatique, cette jungle urbaine. Cadencé par une boite à rythme, cette course indolente se déroule en clair-obscur. La chaleur de la nuit suinte et ralentit les mouvements. Seule la scansion impulsée par un gimmick électronique nous sort de la torpeur.
Lorsqu’une banane murit elle émet une luminescence bleue dans le spectre des UV, invisible pour nous humains, mais véritable marqueur pour de nombreux animaux. Si on ne peut plus vraiment parler de maturité après le septième album, le temps de l’âge de raison est peut-être venu. Apprivoiser ses souvenirs, ses pensées, ses sentiments, ses écorchures et garder ce côté bohême, celui qui permet de ne pas appartenir à un lieu tout en se sentant bien partout ; et comme en intro du morceau Revu, pouvoir soupirer.