Françoiz Breut nous plonge dans un conte urbain avec Flux Flou de la Foule. La musicienne et illustratrice dessine des paysages d’asphalte à travers son dernier album. Pourtant, l’artiste conserve sa patte poétique en donnant à ses décors un aspect poétique, presque métaphysique.
Quoi de plus paradoxale que de parler de foule alors que depuis plus d’un an les villes se dépeuplent, les rues se vident et les trottoirs se figent. C’est peut-être ce qu’est parvenu à saisir Françoiz Breut avec cet album : le Néant. Car c’est l’invisible, les ondes qui vibrent et se dressent devant nous à l’écoute de ce magnifique disque.
Villes et décors fantômes
Le titre de l’album est tiré du refrain de Dérive urbaine dans la ville cannibale. Entre ce nom et la pochette, on sait qu’il sera question de ville. Une métropole dévorante, qui va jusqu’à prendre – graphiquement – les entrailles de la chanteuse, sur la photographie illustrant le disque. Une balade filmée par Simon Varie au travers d’un clip. On y voit Françoiz Breut avancer d’un pas fier et déterminé dans un décor minimaliste. Bien loin de celui évoqué par le titre : “Le fraca, tout devenait flippant (…) il était vital qu’on sorte de là.” Les paroles décrivent une ville bruyante, chaude, dévorante et hyper-sensorielle. Une idée reprise par une musique naïve, légère mais répétitive, obsédante, sur laquelle on peut entendre des sons de sirènes.
Alors, pour s’éloigner de tous ces stimuli, on nous propose de vivre Comme des lapons. Dès le début du morceau, les percussions nous ancrent sur un nouveau continent. Le rythme est régulier, répétant le même motif à l’infini. En somme, la musique est tribale, à l’instar des mots étrangers que l’on entend à la fin du titre. Mais, des violons viennent apporter de la nuance. Il y a des cordes rappelant celles de la Fantaisie Militaire d’Alain Bashung. Comme une rupture qu’évoque également les paroles : « Il faudra que tout, que tout recommence », le vide, la page blanche. Le silence.
Pour rester sur cette idée de grand espace, la chanteuse s’accompagne du musicien Jawhar pour nous emmener dans la forêt. La fissure est un titre qui pourrait faire penser aux fissures d’un arbre. Car il y a une sensibilité dans les mots évoqués, qui s’appuie sur un chant profond que ce soit celui de Françoiz Breut ou de Jawhar, dont la voix grave nous évoque celle de Bertrand Belin. Une gravité dans l’âme du morceau, qui raconte des plaines écrasées par le béton et la destruction : « On a fermé les yeux sur les fissures (…) que du feu on y verra. »
Reconnexion
Ainsi, ce disque semble être une invitation à se déconnecter de la ville, pour retrouver la nature, comme pour se reconnecter à soi et aux autres. Alors, Françoiz Breut nous fait faire la connaissance de Vicky. Une mystérieuse femme qu’on imagine aussi vibrante et énergique que le titre éponyme. Le texte nous parle d’elle comme si elle incarnait la métamorphose du rire : les gorges qui se déploient, les gens qui s’esclaffent, « plus elle riait plus nous rions. » Vicky est communicative, à l’écoute du morceau, on se sent comme rempli de légèreté et de joie.
Il y a aussi un mouvement intérieur avec certains titres plus intimistes. On pense tout de suite à Mes péchés s’accumulent. Les mots sont prononcés avec précaution comme une chose aussi fragile que précieuse. Elle nous confie à demi-voix : “Je te palpe, tu te donnes. Autour de nous, tout nous échappe” Les textes frappent par leur sensualité, leur rapport au corps que retranscrit le réalisateur Simon Vanrie au sein du clip. Puisque l’on y aperçoit Françoiz Breut et Julia Farber danser avec lenteur et langueur.
Au-delà du corps, la chanteuse nous plonge dans son introspection avec le titre Mon dedans Vs mon dehors. Ce morceau dichotomique est comme une confidence, on entend d’ailleurs la chanteuse murmurer des paroles comme des secrets : « J’écrase du pied le demi-siècle passe, je ne vois pas la ligne d’arrivée. » Car c’est bien du temps qui passe, qui est évoqué dans cette chanson. Un peu comme une balade musicale à travers les âges, ou on admirerait son reflet – devenu étranger – dans le miroir. Une observation de ces propres métamorphes mentales et physiques.
Métamorphe est d’ailleurs le nom d’une chanson de l’album. Tel l’indique son nom, tout bouge, tout change, à travers ce morceau. La musique, elle-même, semble être en pleine mutation. Les sons sautillent, semblant se déplier, se plier comme une chenille s’apprêtant à devenir papillon. Face à ce constat, Françoiz Breut admet : « Je n’ai plus rien reconnu. » Ce que l’on retiendra de ce titre est son appel à laisser mourir certaines choses pour en accueillir de nouvelles. L’avènement d’un nouveau monde.
Voyage poétique et métaphysique
Et si ce nouveau monde évoqué était éloigné de toute réalité ? Des étranges créatures peuplent le Flux Flou de la Foule. L’artiste convoque esprits, démons et anges qui se mélangent dans plusieurs morceaux. D’une voix vaporeuse, elle nous présente Le fantôme du lac… À moins que ce fantôme soit Françoiz Breut, puisque c’est à la première personne qu’est écrit cette chanson. On devine aussi les traits d’une autre femme : L’Ophélie d’Hamlet, figée dans les marécages par le peintre John Everett Millais.
« Gantée de vases jusqu’au bout des doigts,
Je flotte sur le lac,
fendant les eaux tranquilles.
Mes cheveux lourds, laqués,
ondulent sur l’eau argenté.
Nul ne sait combien d’heures se sont écoulées
Depuis que mon âme m’a quitté. »
Françoiz Breut use de ses talents d’illustratrice pour dessiner d’autres peintures. En ce sens, on reconnaît les traces de La chute des damnés de Dirk Bouts, dans un titre éponyme. Comme une réponse métaphysique à Ophélie, on entend des croassements de grenouille qui pourraient hanter la toile de Millais. La première personne est remplacée par un « nous » et les violons semblables à la Fantaisie Militaire de Bashung, semblent refaire leur apparition. Tout comme la peinture, l’artiste évoque dans ses paroles des corps tombants, des couleurs, du feu, tandis que la musique parvient à nous maintenir en l’air en nous faisant planer.
Enfin, l’album débute par un message autant fort qu’existentiel : Nous sommes Juste de passage. De part sa position, c’est un morceau important qui détermine l’entrée dans le disque. Il parvient à faire la synthèse des thèmes que nous évoquions. La ville par ses bruits en introduction, l’introspection métaphysique par le propos de la chanson.