Musique Hors-scène #1 : Frédérique de Almeida, Kwaidan Records

À la Face B, on avait envie de donner la parole à celles et ceux qui accompagnent la musique au quotidien sans jamais être sur scène. Parce que ce sont, avant tout, des passionné.e.s de musique ; et que sans eux, vos artistes favoris seraient peut-être encore inconnus. Premier épisode de notre rubrique avec Frédérique de Almeida, qui nous raconte son parcours jusqu’à Kwaidan records, dont elle est actuellement label manageuse.

La Face B : En préparant cette interview, j’ai été pris d’un sentiment de panique : j’ai réalisé assez vite qu’on allait manquer de temps pour évoquer toutes les vies que tu as eues…

Frédérique de Almeida : (Rires) C’est vrai.

LFB : Je me suis dit : « mais par quel bout on va commencer ». Il y a eu la casquette de manageuse, celle de chargée de communication, tu as été attachée presse, tu travailles pour un label maintenant, tu as fait du conseil artistique pour les Inouïs…

Frédérique de Almeida : Et même au FAIR avant ça !

LFB : Absolument. Et pour notre rubrique consacrée aux professionnels de la musique, ça nous fait autant de métiers à aborder. Alors, je te propose de commencer par le commencement : est-ce-que tu pourrais nous raconter ta rencontre avec la musique ? Tes parents en écoutaient beaucoup ?

Frédérique de Almeida : Mes parents n’étaient pas des fous de musique, il y avait juste la radio à la maison. Par contre, j’avais un cousin plus âgé qui écoutait du post punk. Puis, il se trouve qu’au collège j’avais un an d’avance, et donc je traînais avec beaucoup de garçons plus âgés qui écoutaient tous énormément de musique. Certains étaient aussi musiciens… À l’époque, j’habitais à la frontière belge. Alors il y avait beaucoup d’émissions consacrées au rock et de concerts de groupes anglais qui passaient à la télé. Les Cure, Les Clash, U2, Simple minds, j’ai écouté tout ça, la new wave… D’ailleurs, c’est drôle, des années plus tard, que je me sois retrouvée à travailler avec Marc Collin (le fondateur du label Kwaidan records NDLR), qui vient lui aussi de cette culture musicale. On s’est rejoint là dessus.

LFB : Alors, et après le lycée ?

Frédérique de Almeida : J’ai passé mon bac puis suis allée à la fac à Nancy, et ai commencé le management sur le tas pour des copains de fac qui avaient un groupe. Au départ, il n’y avait même pas le nom management d’ailleurs. Il fallait leur trouver des concerts, essayer d’avoir des articles dans la presse locale…

Puis, après la fin de nos cursus respectifs à la fac, je sors, avec mon diplôme en poche, pas de travail, et aucune envie de travailler dans la communication. Il se trouve qu’à l’époque, et depuis l’adolescence, j’allais tout le temps à des concerts. Plusieurs fois par semaine. Et alors, un jour, dans une salle, on me dit « tu voudrais pas aller voir le mec là-bas, il cherche une attachée presse ». Je le connaissais un peu, parce que je fréquentais beaucoup la salle. Il est trois heures du matin, et il me dit « viens lundi, on en parle »… J’ai commencé le mardi suivant.

LFB : Ton premier vrai emploi d’attachée de presse donc…

Frédérique de Almeida : Presse, et assistante de production. On gérait une petite salle de concert à Nancy qui était sur un modèle associatif, mais qui était aussi antenne Lorraine du printemps de Bourges (les salles qui participent à la sélection des artistes pour le tremplin du festival NDLR). Assez vite, on m’a proposé de programmer des choses dans la salle. Le premier artiste que j’ai programmé, c’était Joseph Arthur. Un Américain qui n’avait que deux dates en France à cette période, une à Paris, une à Strasbourg… Première fois qu’il quittait New York.

Trois semaines avant le concert, les places étaient déjà sold out. Mon employeur me dit : si c’est comme ça tu programmes tout ce que tu veux maintenant. J’ai fait ça pendant deux ans, c’était super intéressant. Tous les tourneurs que je connais maintenant, je les ai connus de cette époque-là, Alias, 3C… Ils m’ont connue toute petite !

LFB : Et tu continues le management pendant ce temps…

Frédérique de Almeida : Absolument. D’ailleurs, le groupe de Nancy que je manageais, Orwell, commençait à grossir localement. Je faisais des aller-retours à Paris pour essayer de faire écouter les maquettes à des labels. Et là, coup de bol chez Atmosphériques. Même s’ils ne signent pas le groupe, ils aiment la musique, et on sympathise. Ils me proposent un emploi d’attachée de presse. Je cherchais à quitter Nancy, mais ne voulais pas le faire sans avoir de travail… Puis je passe un entretien, on me dit que je commence une semaine plus tard. Je plaque tout et déménage à Paris.

Premier emploi dans une maison de disques. Mais finalement, les missions d’attachée de presse ce n’était pas trop mon truc, il fallait rappeler les gens tout le temps, pratiquement les supplier pour qu’ils écoutent un disque… C’est un métier assez ingrat. Après ça, j’ai fait plein de choses en même temps, de la production de concerts, je travaillais un peu dans l’édition, je faisais du conseil, je continuais le management, je faisais des missions presse quand j’avais besoin d’argent…

Et en 2002, Orwell que je manage est accompagné par le FAIR (Un fonds créé par le Ministère de la Culture à destination des artistes émergents, et qui, depuis 1989, a accompagné rien de moins que 150 futures nominations aux Victoires de la musique, NDLR). Le courant passe bien avec l’équipe, et dans l’année qui suit je commence à travailler pour le FAIR. D’abord en indépendante, puis un poste s’est libéré, et j’ai fini par rester presque dix ans là-bas… J’y faisais plusieurs missions : la programmation des tournées du FAIR, un peu de communication, du conseil en management, je m’occupais des concerts qu’on organisait avec les alliances françaises à l’étranger, c’était large, c’était cool… Je continuais aussi le management pendant ce temps avec Kiss Kiss Bang Bang et Alister.

LFB : Tu me disais que tu n’aimais pas tellement le métier de RP parce que tu le trouvais un peu ingrat… Mais je me dis que le management d’artistes c’est presque pire, non ?

Frédérique de Almeida : Peut-être, mais ce qui intéressant, c’est le développement. En tout cas, moi, c’est ce qui m’intéresse. Partir de pas grand chose ; finalement, c’est moins excitant quand l’artiste est déjà bien établi, on fait des missions de secrétariat personnel, du business… Alors que chercher des partenaires, chercher un tourneur, une RP, un éditeur, une maison de disques pour quelqu’un qui débute… C’est ça le challenge. On ne gagne pas d’argent, mais c’est intéressant ! (rires)

LFB : Comment tu as rencontré les artistes que tu as managés ?

Frédérique de Almeida : Sur scène la plupart du temps. À l’époque, je pouvais faire entre trois et sept concerts par semaine…

LFB : C’est énorme, je n’en fais pas autant…

Frédérique de Almeida : Je me suis un peu calmée depuis (rires). J’en faisais autant surtout quand j’étais au FAIR, parce qu’on faisait de la découverte…

LFB : Et puis tu as fini par quitter le FAIR…

Frédérique de Almeida : Oui, il y a eu un changement de direction, et puis j’avais envie de changer un peu… On a beau avoir quinze artistes par an, on finit quand même par être dans une forme de routine. Au bout de sept ans, j’ai eu envie de partir, je crois que c’est la durée de mes cycles (rires).

LFB : C’est marrant, j’ai en effet l’impression qu’on a tous des cycles au bout desquels on a besoin d’un changement, d’une nouvelle métamorphose…

Frédérique de Almeida : Oui c’est vrai. 7 ans c’est déjà pas mal. J’ai managé Alister aussi pendant 7 ans. Tout comme La Féline d’ailleurs. Je la connaissais déjà mais son chef de projet chez Kwaidan m’appelle un jour pour me faire écouter ses nouvelles maquettes, me dit qu’elle n’a pas de management et que ça commence à devenir important. Il me demande si ça ne pourrait pas m’intéresser. J’ai un gros coup de cœur, j’y vais. On s’est très bien entendues avec La Féline. On s’entend encore bien d’ailleurs. Enfin, immédiatement après avoir quitté le FAIR, les Inouïs du Printemps de Bourges m’ont appelée pour être conseillère artistique. Il y en a 5, et ils changent assez régulièrement. Donc, j’ai fait ça, en continuant le management…

LFB : Tout ça m’amène à une question : ça fait sept ans que tu es chez Kwaidan non ?

Frédérique de Almeida : Non, pas encore. Mais, pour reprendre le fil, du fait de manager La Féline, j’allais souvent en réunion avec Kwaidan records… À un moment, une chargée de projet quitte le label, et l’administratrice en parle à Marc, qui me propose le poste.

Au début je pensais que ce serait essentiellement du marketing, ce qui me faisait un peu douter… Mais finalement j’aime énormément ce que j’y fais. On travaille sur du développement d’artistes en cherchant leurs partenaires, mais aussi en développant leur image, en suivant leurs projets.

LFB : Est-ce-que, lorsque tu accompagnes un ou une artiste, notamment en management, il y a un moment où tu as l’impression que ta mission arrive à sa fin ? Que tu l’as emmené.e là où tu pouvais ?

Frédérique de Almeida : Pas vraiment. La mission est jamais finie. Il y a des étapes, la sortie d’un album qu’on a travaillé pendant un long moment par exemple, mais pas de point d’orgue à un développement d’artiste. Après, lorsque je sens que je suis plus à cent pour cent sur un projet, peut-être parce que j’ai trop de travail ailleurs, ça serait malhonnête de ma part de continuer à travailler dessus, on peut s’arrêter d’un commun accord.

Parfois il y a aussi une grande frustration lorsque malgré tout le boulot fait sur un artiste, on n’arrive pas à obtenir ce qu’ils méritent… Je me demande parfois pourquoi un Benjamin Biolay et pas un Orwell, alors que Orwell a des qualités de composition et d’arrangement exceptionnelles. Alors on arrive à un constat : je n’arrive pas à l’emmener plus loin, je ne peux pas faire mieux…

LFB : Tu es chez Kwaidan depuis combien de temps ?

Frédérique de Almeida : Six ans.

LFB : Aïe aïe aïe… Plus qu’un an…

Frédérique de Almeida : (Rires) Mais en même temps mon poste a beaucoup évolué, donc je ne m’ennuie pas du tout. Et puis il n’y a pas le même timing pour chaque artiste. Pour certains projets ça s’étale sur quatre ans, des fois deux… Ça évite la routine.

LFB : Et alors chez Kwaidan vous fonctionnez uniquement au coup de coeur ?

Frédérique de Almeida : Oui. C’est Marc (Collin, NDLR) qui signe. Il reçoit beaucoup de demandes, il écoute énormément de choses aussi, il est impressionnant. Il écoute parfois un titre, juste une voix, et il peut se dire « j’adore, ça me branche, on fait des essais en studio ».

LFB : C’est vrai que la spécificité de Kwaidan c’est que Marc est aussi producteur et réalise souvent les disques…

Frédérique de Almeida : Oui. Souvent, mais pas toujours, il passe parfois la main à quelqu’un d’autre, ce n’est pas toujours lui aux manettes !

LFB : Est-ce-que vous avez l’impression d’avoir une ligne éditoriale cohérente, est-ce-que c’est important pour vous ?

Frédérique de Almeida : Pas forcément. C’est un peu cohérent mais on s’y force pas. Marc a les oreilles très grandes ouvertes, et il a une culture musicale énorme. Il ne se donne pas de limites. Là on va sortir l’album d’une artiste libanaise qui fait de l’électro en arabe, à côté de ça on sort de la pop française, de l’électro pop en anglais, en italien…

Un jour, Marc est venu me voir en disant « Fred, je suis trop content, ça fait 20 ans que j’en rêvais, je viens de signer un groupe de ska ! » (Rires) Et on est en train de finir l’album de The Mercurials, il est magnifique.

LFB : Tu as encore d’autres casquettes cachées ou Kwaidan prend tout ton temps désormais ?

Frédérique de Almeida : Kwaidan prend presque tout mon temps. Mais il peut m’arriver de faire d’autres choses en parallèle, comme chargée de projets musicaux pour des artistes ou labels indépendants. Au MaMA (la convention des professionnels de la musique à laquelle nous avons rencontrée Frédérique, qui a lieu chaque année à Paris NDLR) je suis en renfort au PAM depuis cinq ans. Pam c’est le réseau des musiques actuelles du Sud. Je fais une mission de relation publique pour pour aider les trois artistes de leur showcase. Je cible et contacte les principales personnes à inviter à ce dernier, s’ils ont besoin d’un éditeur, d’être vus par des programmateurs… Tout ça est lié au réseau que j’ai développé à travers les années.

LFB : Je pense que beaucoup de musiciens lisent La Face B, et souvent, il m’arrive d’en rencontrer qui attendent monts et merveilles de la part d’un label, parfois même de manière complètement irréaliste. Afin d’éviter quelques quiproquos, tu pourrais nous dire ce qu’un artiste peut attendre d’un label ?

Frédérique de Almeida : C’est vrai que beaucoup attendent absolument tout d’un label. Le label est là pour apporter l’aide financière bien sûr mais pas seulement. Produire l’album rêvé de l’artiste, mettre tout en oeuvre pour qu’il soit vu et écouté, développer son image, son public. Si le succès arrive c’est la cerise sur le gâteau. Mais le principal déjà c’est que l’artiste et le label soient content du résultat. Et que les deux aient envie de continuer.

LFB : Le mot de la fin : tu pourrais nous dire quels sont les trois derniers disques que tu as aimés ?

J’écoute beaucoup les disques sur lesquels je travaille en ce moment, évidemment. Je découvre aussi énormément de musique sur scène. Sinon, l’album de Tahiti 80, qui vient de sortir. Mais j’ai bossé un peu avec eux, il y a vingt ans, quand je faisais de la promo chez Atmosphériques… Tu vois, même si certains cycles durent sept ans, les liens perdurent avec les artistes (rires)…

J’attends avec impatience le prochain de The Cure, c’était ma musique d’ado ; et puis, dernièrement en vacances, j’ai vu une réédition du premier album des Strokes en vente à la Fnac, en vinyle rouge. Je me suis dit « alors là, je ne l’ai pas en rouge, il faut absolument que je l’achète. » (rires).

Merci à Margaux Charmel et au MaMA d’avoir rendu cette interview possible.