Il faisait particulièrement beau le jour où Gael Faure nous a consacré cet entretien. Un temps radieux, dissonant avec les mauvaises nouvelles du monde qui nous arrivaient sans discontinuer. Alors, tandis que je le questionnais sur sa musique, sa vocation et sa nouvelle vie en province, une gravité traversait son discours. Au-delà de l’urgence à dire, à avertir, se dessinait en filigrane ce qu’on pressentait en écoutant le très bel objet L’eau & la peau, et particulièrement The Healer, dont nous vous présentions le clip, paru cet automne, il y a deux semaines. Soit, comme il le dira, de « la musique comme thérapie ». Entretien.
La Face B : Bonjour Gael, merci du temps que tu m’accordes lors de ton passage à la capitale ! Parlons-en justement. Qu’est-ce que cela t’a apporté, de t’éloigner de cette ville, notamment dans ton processus créatif ?
Gael Faure : Ce que quitter Paris m’a apporté ? Alors, déjà du temps, mais aussi d’avantage de sérénité, de respiration… Je me suis retrouvé, en fait ! C’est vrai, Paris est une très belle ville, mais c’est une ville dont je ne suis pas originaire, et où je pense avoir fait mon temps. Je pense qu’elle absorbe trop de nous : il y a beaucoup d’énergies, et souvent malheureusement, des mauvaises… J’avais besoin de revenir à la base. Du coup, le processus créatif en a bénéficié, forcément.
LFB : Tu as commencé ta vie d’artiste sous le feu des projecteurs. Comment s’affranchit-on des attentes d’un public aussi présent pour être au plus près de sa vérité ?
Gael Faure : Et bien, encore une fois, je pense que c’est une question de temps. C’est vrai que j’ai commencé un peu fort, un peu tôt. C’était très soudain, en fait : j’avais 18 ans, j’étais en pleine construction et des gens criaient mon nom ! C’était ridicule, je ne les connaissais pas, et quelque part même, il y avait quelque chose d’effrayant à cet emballement. Je sentais bien que viscéralement, ce n’était pas ce que je voulais. J’ai décidé de me faire plus discret, de rester focus surtout sur le bien-être que me faisait la musique, qui agissait sur moi comme une forme de thérapie… Le temps, finalement, juste le temps, a été nécessaire pour me permettre de m’affranchir de tout ça et de revenir avec mes chansons… avec ma patte, en fait !
LFB : Pourquoi la thématique de l’eau est-elle si présente dans ton œuvre récente ? Est-ce une symbolique liée à la renaissance ?
Gael Faure : Je pense qu’elle doit être présente à peu près à hauteur de 65% sur l’album… Puisque nous sommes constitués à 65% d’eau ! C’est un élément qui fait du bien, qui est précieux, qui aide à se calmer, qui nous permet de nous laver, de nous hydrater, de vivre et de respirer, mais de prendre du plaisir, en nous retrouvant, comme lorsqu’on était bébé, dans le ventre de notre maman ! Je pense que ce sont des choses qui ne s’expliquent pas. Mais je trouvais ça beau, L’eau & la peau. C’était une fois encore un moyen de m’affranchir de bien des choses, et je pense à Françoise Sagan qui disait qu’on renaît sans cesse, dans la vie. Je me range à son avis. Un peu comme un lézard qui mue continuellement ! Le titre de l’album est aussi très sensoriel, et ça, ça me plaisait beaucoup… (pause). C’est drôle, je parlais tout à l’heure avec mes attachés de presse du jeûne, le jeûne hydrique notamment, où tu ne manges plus mais tu bois seulement, et en fait le corps n’attend que ça ! C’est un bien-être absolu de faire ça.
LFB : Donc c’est ça, c’est très connecté à quelque chose de l’ordre du renouvellement…
Gael Faure : C’est ça… Et puis peut-être aussi s’agit-il de se rendre compte que cet élément est là pour tout lier.
LFB : Il y a quelque chose de très humble qui se dégage, je trouve, de la façon dont tu en parles. C’est finalement te ramener à quelque chose de très organique…
Gael Faure : C’est ça. Il s’agit d’arrêter de s’envoler un petit peu et de revenir un peu sur Terre, pour le coup. J’avais besoin de me rapprocher des éléments simples, qui nous entourent et qu’on ne voit plus. Je pense que le monde est malade, d’une manière générale, et que les gens ont un besoin viscéral de se retrouver dans des espaces purs, pour arrêter toute forme de guerre… Alors comme ça, évidemment, ça paraît utopique, mais j’en suis persuadé !
LFB : Je pense à ton clip, La mémoire de l’eau, très fort en enjeux narratifs comme esthétiques : quelle place occupe l’image dans ta musique ?
Gael Faure : Alors, la moitié, du coup ! (rires) Aujourd’hui, on regarde quand même beaucoup la musique, et j’aime beaucoup cet aspect-là. J’aime que ce soit aussi maîtrisé que la musique que je fais, que ça aille chercher du côté de l’originalité sans que ce soit nécessairement absolument fantasque. Mais sur Renoncer par exemple, j’avais envie de ce voyage avec cette vache, de la côtoyer, lui faire la cour, je trouvais ça beau et sympa de rendre hommage à ces animaux qu’on ne voit jamais ! Et avec Tu risques quoi, de mettre en lumière ce 4e âge qu’on enferme et qu’on enterre avant l’heure. C’était aussi une sorte de clin d’œil malheureux à mes grands-parents, aussi, pendant le Covid… Il faudrait repenser tout ça d’ailleurs, les structures dédiées à la vieillesse… Nos places dans la société, en fait.
LFB : Cet album est du coup très connecté à l’actualité, à ce qui te touche dans ce qu’on traverse collectivement ?
Gael Faure : C’est ça, il est né des choses qui nous concernent tous et toutes ! J’avais envie que les gens, en l’écoutant, se disent que s’il y avait des choses à changer dans leur vie, c’était le moment de le faire.
LFB : Question un peu intime… Quelles sont tes obsessions, et ce que tu cherches à faire passer à travers cette poésie toute en transparence qui affleure dans tes chansons ?
Gael Faure : Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c’est que j’ai besoin de le faire passer. Ça me traverse, j’ai pas de mots, c’est un truc qui émane, me dépasse, et j’ai besoin d’en parler. Je ne me dis jamais « tiens, je vais faire de la poésie ! », non, je ne suis pas Flaubert. J’ai mon chemin propre, jonché de mes qualités et de mes défauts, de ma personnalité, de mes maux et mes mots. Ça se traduit par de la poésie parce que j’aime autant l’abrasivité que la douceur, le côté transcendantal comme la boucle qui vient se faire colorier au fur et à mesure… Je crois que c’est un genre de folk-chanson française-progressive, ce que je fais ! (sourire) Et je suis content de ça.
LFB : Est-ce que tu as des envies particulières pour cette année ?
Gael Faure : Oui, bien sûr ! Mais c’est difficile. On est tellement nombreux, à faire des choses… On a monté une tournée, déjà, et puis je viens d’avoir une fille aussi, donc il y a ces priorités-là : m’occuper d’elle, et de sa mère ! Globalement, c’est ça : continuer à faire de la qualité, des choses que j’aime bien, arriver à trouver des sujets qui me touchent et qui touchent des gens… Faire de l’art, même si je n’invente rien, ne transcende rien, avancer malgré tout ! Ça paraît bien futile aujourd’hui, la musique de Gael Faure quand il se passe la guerre en Ukraine… J’en ai conscience, mais le monde est fait comme ça.