C’était un peu avant les fêtes de fin d’année. Nous nous étions donné rendez-vous à la terrasse du café de la Mairie, place Saint-Sulpice. Là même où un demi-siècle plus tôt Georges Pérec avait conçu son livre Tentative d’épuisement d’un lieu parisien dans lequel il notait tous les évènements – même les plus insignifiants – qu’il observait depuis la table derrière laquelle il était assis. Il avait su capter dans la répétition de ces moments ordinaires les infimes vibrations du temps qui passe. Gaspar Claus, semble s’inscrire dans cette même démarche – celle d’un conteur des choses simples qui parce que l’on prend le temps de les écouter prennent toute leurs importances.
La Face B : Comment vas-tu ?
Gaspar Claus : C’est l’hiver et je dois dire que j’aime bien cette saison. Je bois des grogs. J’ai la chance d’avoir un toit et que ce soit bien chauffé chez moi. Je ressors mes écharpes. En fait, j’adore ce contraste : « Trouver le moyen d’avoir chaud quand il fait froid ». C’est agréable. Noël arrive et je vais retrouver ma famille. Ça me fait plaisir aussi.
Demain soir je joue Tancade à Sète qui est une ville que j’adore et dans un festival [BAZR] que j’aime beaucoup. Je vais y rester deux-trois jours. Tout va donc plutôt bien.
Après, j’ai des choses plus intimes qui sont un peu plus inquiétantes mais qui vont bien se passer. Et puis beaucoup de travail et donc les tensions qui vont avec mais qui font partie du métier. On est en train de d’adapter cet album, Tancade, à la scène. C’est un énorme défi qui demande beaucoup d’énergie et d’investissement, un peu d’argent aussi. Il y a donc de la pression mais rien d’inattendu.
La Face B : Une pression positive
Gaspar Claus : Oui, j’espère. On verra le résultat. En tout cas je suis très content de la manière dont on travaille, de mon entourage et de la façon dont les choses avancent. Je commence à vraiment prendre du plaisir et à avoir la sensation que l’on a fait les bons choix.
La Face B : Avec Tancade tu as sorti ton premier disque. Comment as-tu décidé de donner vie à un projet solo ?
Gaspar Claus : En fait, ce n’est pas du tout mon premier album. C’est le… Je n’ai pas compté mais j’ai dû en faire une bonne dizaine. Peut-être même plus, entre les duos avec mon père [Pedro Soler], avec le trio Vacarme, avec Marion Cousin, avec Casper Clausen, j’ai fait plein de disques.
Mais là c’est la première fois que je fais un disque où il n’y a que moi sur le disque. J’avais déjà fait un disque où toute la musique était la mienne – en 2012 Jo Ha Kyū – mais j’avais invité, au Japon, de nombreux musiciens.
Pour Tancade, on ne peut pas vraiment parler de disque solo dans le sens où ce n’est pas du tout un disque de violoncelle solo. En réalité, dans ce disque, il y a une multitude de violoncelles. Il y a des couches et des couches de violoncelles. C’est vraiment du violoncelle au pluriel et dans ce sens il s’agit davantage d’un disque orchestral qu’un disque de Gasper Claus solo. Je suis seul mais je dirige les multitudes qui sont présentes dans mon instrument et en moi aussi.
C’est la première fois que j’arrive avec un disque et que je peux dire : « C’est ma musique et je l’ai faite tout seul ».
La Face B : Tu as fait de multiples collaborations aussi bien dans le domaine des musiques nouvelles que dans des répertoires plus traditionnels. Est-ce qu’elles ont nourri ton processus de création ou as-tu su cloisonner tes univers ?
Gaspar Claus : C’est la somme de tous mes voyages, de toutes mes rencontres, de toutes les personnes avec lesquelles j’ai travaillées, avec qui cela s’est bien passé mais aussi avec lesquelles ça s’est mal passé.
Le moment où on lâche une création, où on la dépose, ce moment est la somme d’instantanés, de la synthèse de tout ce qui a été traversé – de façon consciente ou inconsciente dans nos existences. Tous les livres que l’on a lus, toutes les choses que l’on a apprises, toutes les choses dont on connaît l’existence alors que l’on ne les a pas vues ou attendues. Dans le disque, il y a du flamenco car j’ai beaucoup joué avec mon père. J’ai connu des défis difficiles à relever avec des musiciens qui m’ont permis à penser la musique d’une certaine manière ou à penser mon instrument d’une autre manière. C’est forcément présent. C’est l’histoire.
On charrie nos histoires avec nous. La création se fait à cet instant T qui porte en lui toutes les histoires vécues et non vécues, qui nous précèdent mais aussi celles vers lesquelles on tend. Donc oui très influencé [Rires]
La Face B : Après Vacarme, Tancade semble plus facile d’accès ? Est-ce une volonté de le rendre plus accessible ?
Gaspar Claus : Il y a beaucoup de gens que j’aime énormément autour de moi, dans ma famille, parmi mes amis, dans mon bled d’origine à Banyuls sur Mer. Ils savent depuis longtemps que je suis musicien, que je joue dans des belles salles, que je fais beaucoup de concerts, des disques, mais dès qu’ils tapaient mon nom pour trouver de la musique à écouter… Je sentais par leurs réactions « ça a l’air génial » mais personne n’avait… enfin certains n’écoutaient pas parce que j’étais assez exigeant. On ne peut pas dire sophistiqué. Je trouve belles toutes les musiques que j’aime et même les plus difficiles mais certaines demandent un peu de préparation. Et je comprends tout à fait qu’avec ce que j’ai fait jusqu’à présent, il ne soit – comme l’album avec Vacarme – pas donné à tout le monde de se laisser emporter.
Et là j’avais vraiment envie de faire un disque, qui tout en restant dans la même exigence, soit accessible à tous ceux dont je parle. Ceux qui auraient voulu écouter ma musique. Et j’ai l’impression que cela a marché parce que depuis que l’album est sorti, en septembre, partout où je vais les gens l’écoutent et le réécoutent. Il y a beaucoup d’amis que je sais très exigeants qui me font de très beaux retours. En fait ce n’est pas le fait qu’ils me fassent des retours qui est important, c’est davantage le fait de savoir qu’ils l’ont écouté. Ça me fait tellement plaisir. Et puis plein d’autres, moins exigeants et qui sont davantage dans une consommation ludique et plaisante de la musique, m’en parle aussi. Ça me fait trop plaisir.
L’album est écrit sur une structure assez pop. Je l’ai réécouté une fois seulement depuis qu’il est sorti. Et je me suis dit que j’avais trouvé des structures très étranges. La plupart des morceaux commencent quelque part et finissent complètement ailleurs. Souvent, ils ne tiennent pas leurs promesses. Ils commencent par exemple en étant engageant ou dansant et puis finissent dans un truc planant qui n’a rien à voir avec la façon dont le morceau a débuté. Ça me surprend moi-même. En les réécoutant, j’essaye de comprendre comment ces dérapages sont intervenus.
La Face B : J’ai tendance à appréhender Tancade comme un voyage. Quel fil directeur as-tu suivi lors de la conception de l’album ?
Gaspar Claus : L’album a été conçu en cinq années. Il est passé par plein de phases différentes. Certains bouts de morceaux que j’avais commencés à écrire il y a cinq ans sont devenus autre chose. D’autres ont été éjectés. J’ai aussi recyclé. Des morceaux, que j’avais commencé à écrire pour des musiques de film et qui n’avaient pas été retenus, ont été déployés différemment. Il y a des fulgurances, des morceaux composés en une demi-journée. D’autres qui m’ont donné énormément de fils à retordre. Je les ai attaqués un par un, abandonnés, repris ou définitivement abandonnés.
J’aime bien l’idée qu’une musique soit comme un territoire, un paysage sonore. J’ai l’impression d’avoir dessiné plein de paysages avec leurs dynamiques, leurs lumières, leurs rythmes. Il a fallu les assembler en une même galaxie : l’album. Ça a pris un temps fou.
Quelques semaines avant le rendu du master, j’étais encore en panique totale car j’écoutais les morceaux dans le mauvais ordre. J’avais l’impression de m’être complètement trompé. Et au final, il y a eu un jour où avec David Chalmin, avec qui on a fini de réaliser le disque, on a redéployé les morceaux. On a enlevé une pièce que l’on aimait beaucoup mais qui posait problème. On a remonté un peu les choses et on a pressé la barre d’espace. On a écouté et la galaxie se tenait. Un équilibre comme dans un système solaire où les morceaux seraient devenus des planètes soumises aux lois d’attraction. Ils se mettaient à tourner ensemble de façon stable et avec une révolution régulière.
La Face B : Dans ton disque les 11 titres qui apparaissent ont été uniquement joués au violoncelle. Cela laisse apparaître l’éventail des possibles de l’instrument. C’est un voyage en solitaire dans les paysages tracés par cet instrument.
Gaspar Claus : Le violoncelle est une bel instrument qui, une fois que l’on arrive à le faire sonner – ce qui prend des années – devient ultra touchant. Un peu trop même car il fait pleurer facilement. J’ai découvert pendant mes études de musique classique qu’il y avait des zones dans cet instruments qui étaient « jouables » – qu’on pouvait faire sonner, mettre en vibration. C’étaient un peu les zones où on me disait de ne pas aller parce que : « Là, le son n’est pas beau ». En fait, j’ai commencé à trouver ces zones extrêmement riches, avec beaucoup d’aspérités.
Il y a un truc microscopique dans ces sons-là. J’ai voulu aussi un peu brutaliser mon instrument parce qu’il est souvent trop doux. Ça m’a plu de me mettre à le saturer, à le faire grincer. J’ai cherché en fonction des situations, des rencontres, des personnes avec lesquelles je travaillais, et j’ai fini par déployer une panoplie de sons. Je ne suis pas le premier à l’avoir fait. Il y a des compositeurs qui ont énormément travaillé là-dessus. Mais je ne les connaissais pas encore à l’époque.
J’avais un peu l’impression d’être un pionnier ou plutôt d’explorer un territoire dont on ne m’avait jamais parlé. J’ai accumulé tous ces instruments et dans ce disque je les convoque tous. Normalement c’est linéaire, je ne peux pas tous les jouer en même temps. Là en les superposant j’ai fait un orchestre avec tous mes violoncelles. Je joue de toutes les manières différentes et il y a tellement de matériaux proches que de ce tout, il y a un quelque chose de très riche qui ressort.
La Face B : C’était une volonté dès le départ de ne faire figurer que du violoncelle ?
Gaspar Claus : Oui. J’ai failli appeler un pote pour faire du piano. Mais j’ai résisté. C’était ça mon projet. Faire un disque avec tous mes violoncelles et rien d’autre. Alors oui, il y a aussi un oiseau, le bruit de la mer et une surprise à la fin. Sinon tout vient de moi. Après il y a la post-prod avec les réverb, les delays, tous ces artifices-là.
La Face B : Peux-tu nous évoquer ton instrument qui a un âge respectable. Lorsqu’on te voit jouer, on a vraiment l’impression d’une relation fusionnelle entre vous deux.
Gaspar Claus : Il date de 1810, il a 210/211 ans. C’est un instrument qui a été joué par d’autres avant moi et qui sont assurément morts depuis. La dame qui me l’a confié était très âgée. Je pense que comme n’importe quel objet qui est passé entre les mains d’autres personnes, il a été redimensionné, redessiné par elles.
Cela doit faire 25 ans que je l’ai et aujourd’hui, il n’a rien à voir avec ce qu’il était quand on me l’a confié. Au travers des différents modelés, ce que je joue intègre aussi les fantômes de ceux qui l’ont joué avant moi. Il a un son qui lui est propre. Les autres violoncelles que j’ai pu essayer sont tous beaucoup plus généreux que le mien. Lui n’est pas généreux. Il ne se donne pas facilement. Mais cela fait qu’entre le silence et le plein son, il existe une gamme de sons que plein d’instruments n’ont pas parce qu’ils explosent immédiatement. Le mien est puissant si j’y mets beaucoup d’efforts. Mais avant ça, il a toutes ses zones que j’adore qui sont des zones abîmées, fragiles, qui ne se donnent pas.
La Face B : Tu sembles, par moment, le pousser à ses extrêmes, comme lorsque tu utilises un archet électrique.
Gaspar Claus : Oui j’ai un archet électrique ou plutôt mécanique et électrifié. Ce sont deux lanières de cuir qui tournent sur les quatre cordes en même temps. C’est un luthier, Léo Maurel, qui l’a fabriqué. Il fait aussi des vielles à roue mécaniques.
La Face B : C’est donc pour cela que ça m’avait fait penser aux productions de France
Gaspar Claus : Oui, il fabrique les instruments pour Yann Gourdon. Donc c’est tout à fait ça. C’est un peu un instrument de torture pour mes cordes. Pour mon instrument, je pense que cela lui fait du bien. Ça pousse l’instrument au maximum de ce qu’il peut sonner. Pour moi, je pense que je m’abîme un peu les oreilles avec ce truc-là – parce que je suis vraiment très proche du son. En tout cas, ça fait du bien de casser les codes de l’instrument. Là, j’ai une amie Alice Daquet qui vient de composer une pièce pour moi que je vais enregistrer mardi prochain.
La Face B : Peux-tu nous parler des trois featurings qui apparaissent sur ton album et peut-être pour commencer celui de Lyna Zouaoui qui prend place sur Mer des mystères amoureux, le dernier titre de l’album.
Gaspar Claus : Elle m’avait envoyé ce poème en l’enregistrant sur son téléphone, un an et demi auparavant. Je n’avais pas trop réagi. Et pendant que l’on finalisait le disque, je m’en suis souvenu. Je l’ai réécouté et j’ai lu la traduction. C’est un poème en arabe mais dans un arabe cassé, abimé. Elle vit à Marseille, issue d’une troisième génération d’immigrés. La langue s’étiole, s’abîme. Si tu fais écouter ce poème à quelqu’un qui parle très bien l’arabe, il sera un peu « étonné » parce que ce n’est pas du tout parfait. Pour autant la langue est très belle, et les gens ne l’identifient pas forcément comme étant de l’arabe. Certains pensent à une langue scandinave.
En fait, j’ai trouvé que c’était une belle manière de finir l’album. Déjà quand ça fait 45 minutes que tu écoutes que des violoncelles et que tu t’es laissé emporter par leurs flots… Tout d’un coup, une voix débarque et te parle. Il y a cette surprise. Et j’adore les surprises. J’aime lorsque les choses arrivent au moment où on ne les attend pas. Elle permet de se reconnecter avec les humains. C’est en quelque sorte comme réattérir. Pendant tout l’album, on a voyagé dans des zones hyper indéfinies dans lesquelles la musique prend le pas sur les mots. A la fin, on se raccroche à la langue. Le dernier son de mon disque, c’est la voix de Lyna et son très beau poème.
La Face B : Il y a aussi deux featurings plus mystérieux dont celui de Tontoloko Txoria du jardin de Tontola (E.T. Extra Terre Version), Txoria signifie oiseau en basque.
Gaspar Claus : Lors de la première prise de ce morceau, E.T. Extra Terre Version, on avait ouvert les fenêtres. Je jouais la base du morceau, les archets et par la fenêtre ouverte un oiseau s’est mis à m’accompagner de son chant. On l’a conservé tel quel, on a rien ajouté. Je me suis dit en réécoutant le titre que tout le monde va croire que j’ai été cherché un chant d’oiseau sur internet. Mais non, il était vraiment là, exactement comme on l’entend. C’est assez cool.
La Face B : D’autant, que sur les plateformes de streaming, il est crédité en tant qu’artiste.
Gaspar Claus : C’est drôle, il est considéré effectivement comme un artiste [Rires]. Je l’ai fait figurer en renseignant les exadatas liées au morceau. Je me demande même… Non je ne pense pas qu’il ait des droits à la SACEM. C’est à vérifier [Rires]
La Face B : Il y a aussi le ressac de la plage de Tancade (dans Une île). Un lieu qui semble revêtir une importance particulière dans ton disque.
Gaspar Claus : C’est un lieu où il se passe beaucoup de choses. Un lieu où beaucoup de gens viennent, se réunissent les étés. Les photos de la pochette et du livret sont des photos de vacances. J’y suis retourné au moment où je finissais le disque. Je venais d’acheter un micro binaural, c’était en hiver, en décembre, j’avais froid. J’ai passé une demi-heure tout seul sur cette plage. J’étais vraiment tout seul, la nuit tombait et comme tout est minéral, c’est un peu flippant.
Et j’ai enregistré ce truc là en n’étant pas certain que je l’utiliserai. Et puis, dans le premier morceau, on a trafiqué le son du ressac de Tancade en le transformant en une sorte de void interstellaire. Il n’y a rien et puis au bout d’un moment, pour moi, comme un lever de jour. Les cordes arrivent et on est projeté comme si on atterrissait sur une planète. On arrive avec le son du ressac de Tancade, sur cette plage vierge. Ce sont des histoires que l’on peut se raconter, mais après ce n’est pas nécessaire de les suivre. [Rires]
La Face B : Tu as aussi utilisé ce décor pour mettre en images des morceaux.
Gaspar Claus : Effectivement pour Ô Sélénite et avant Une foule. Une foule, c’était davantage la récupération de vidéos d’un copain à moi. Ma sœur les a montées et ça a donné un clip génial. Pour Ô Sélénite, avec mon ami Ilan [Cohen] on devait faire un autre clip mais on a eu des problèmes de calendrier. Il a fallu que l’on fasse un clip en urgence. Ce clip-là, mine de rien, est vraiment en termes d’images d’une grande beauté. On l’a tourné en quelques jours, sur la plage, à la lueur de la lune. On avait envie de faire un clip en mettant en scène les habitants de la lune, les sélénites ainsi que les Grecs les nommaient.
La Face B : Au sujet du passage à la scène, comment jouer les compositions de Tancade sur scène alors qu’elles ont été conçues en studio ? J’ai l’impression que c’est une sorte de gageure.
Gaspar Claus : C’est un défi énorme, c’est hyper complexe. Lorsqu’ils ont commencé à vendre des concerts, je n’avais pas encore commencé à penser à comment j’allais faire. J’en ai eu des sueurs froides. Je déteste les concerts où il y a qu’un musicien, seul sur scène avec plein de bandes préenregistrées derrière ou des pédales de boucle. Avec des pédales de boucles, au bout d’un moment elles s’accumulent et tout fini par se coincer. Je ne pouvais pas faire ça et en même temps je ne pouvais pas écrire pour douze violoncelles et les faire jouer les titres de l’album.
Du coup j’ai été aidé par Basile3 qui est un jeune musicien génial qui est aussi chez Infiné. Il est sur scène avec moi et il justifie tous les sons qu’on entend parce qu’il les remplace par de l’électronique, parce qu’il y a plein de boucles que je joue et que lui enregistre et relance depuis son ordinateur. Et puis parce qu’il fait des vraies propositions. Sur le live c’est devenu les mêmes morceaux que sur l’album mais avec des versions un peu plus électro. Et c’est trop bien, je me régale. Mais alors c’est d’un complexe.
La Face B : Ton cheminement me fait un peu penser à celui de Chapelier Fou qui à l’inverse s’appuie sur des instruments organiques pour recréer le son électronique de ses disques. Il revisite son répertoire entouré de six autres musiciens – regroupés sous le nom Ensemb7e – dans un set purement acoustique. C’est quelque chose qui te tenterait ?
Gaspar Claus : J’ai déjà monté un sextet de violoncelles que j’adore mais faire tourner six violoncellistes c’est une tannée. On n’arrive pas à avoir beaucoup de dates parce que cela revient très cher. Là c’est mon premier solo et j’avais un peu envi de l’assumer comme cela. Je l’ai fait tellement de fois, de monter des orchestres, de monter des ensembles, comme Vacarme. Là j’avais envie même d’être basique
La Face B : Quel regard portes tu sur la scène française? Y a-t-il des projets que tu suis ou que tu as découverts et que tu souhaiterais nous partager ?
Gaspar Claus : J’écoute beaucoup de choses qui viennent de l’étranger en ce moment. Je suis d’assez près et avec beaucoup d’amour mes amis Borja Flames, Marion Cousin, évidemment Sourdure que je produis par ailleurs. Tout cela constitue une très belle famille, exigeante et qui contre vents et marées continue à travailler, à offrir des matières à entendre. Je trouve cela trop beau. Basile3 me fait découvrir plein de jeunes musiciens qui sont dans leurs petites vingtaines et qui font en électro des choses hallucinantes, hyper osées et audacieuses. Pas du tout vendeuses mais tellement bien faites, des pièces d’orfèvrerie.
D’un autre côté il y a aussi les Thomas de Pourquery, Jeanne Added qui viennent des conservatoires ou des hautes écoles et qui ont réussi à décloisonner la musique. Il y a Babx dont j’adore le dernier disque. David Chalmin avec qui je travaille beaucoup et dont j’aime toutes ses propositions, la richesse et l’amplitude de ses univers. Dans le rap il y a Hyacinthe que je trouve d’une grande fraîcheur. Je suis, comme tout le monde, fasciné par l’ascension d’Orelsan. Je ne suis pas hyper fan du dernier disque mais j’adhère énormément au personnage et à son parcours.
Dans la grande scène française, je vois ma copine Barbara Carlotti qui continue d’inventer, de souffrir aussi parce que c’est dur. On est de moins en moins soutenus dans ces musiques-là. Quand tu n’es pas dans le haut du panier c’est compliqué. C’est dur de ne pas se décourager. Malik Djoudi, également que je suis depuis des années et qui a un très joli parcours. Malibu, Rone, j’en ai tellement que j’aime du fond du cœur. J’en découvre tous les jours et je sais que je suis un peu en retard. Je suis très impressionné par la quantité de musique qui se crée encore. Par le fait que l’on arrive toujours à se renouveler. Chez les anglo-saxons c’est de la folie. Même ce qu’a fait Billie Eilish, je trouve ça dingue – d’épure, de justesse.
La musique, c’est un milieu. J’ai 38 ans, il y a plein de gens que j’aime et qui font de la musique que j’admire et avec qui je suis devenu ami. Et des fois, on voit de l’extérieur des gens venir un peu râler du fait des entre-sois, du parisianisme qui pourrait exister. J’ai envie de leur répondre, que ce sont d’abord des questions de rencontres d’amitié, de fidélité. Mais c’est aussi un entre soi qui sait rester ouvert. On n’arrête pas de se faire de nouveaux amis. Mais oui on travaille principalement avec des gens que l’on connaît et avec lesquels on aime collaborer. C’est peut-être vu comme du copinage mais c’est surtout du partage de plans. Plutôt que de râler, j’ai envie de dire « devenons potes ». Ce sont des cercles qui perpétuellement s’élargissent.
La Face B : Quels sont tes projets en cours hormis la préparation de la tournée et en particulier de ton concert au Café de la Danse le 20 janvier
Gaspar Claus : Je vais beaucoup me concentrer sur la tournée. Je lève le pied sur tout le reste mais j’ai encore en route un projet d’avant confinement qui n’a pas assez tourné et que j’adore. On va le jouer fin janvier à Brest et à Paris. Il s’appelle Les Cahiers de Nijinski. C’est un projet qui s’appuie sur les cahiers que Vaslav Nijinski avait rédigés avant d’être interné. Denis Lavant prête sa voix et son corps, il y aura Matthieu Prual au saxophone, moi-même au violoncelle et Thomas Rabillon à la caméra. On est quatre. La scénographie est hyper belle. On ne souhaitait pas prendre un danseur. Nous sommes torse nu sur scène et Thomas vient chercher avec sa caméra notre chair en mouvement. Elle est retranscrite comme un corps d’enfant.
Après en projet, j’ai un autre disque dans les tuyaux, des clips en préparation. Et il question que je fasse une musique pour une pièce de théâtre de Mathilde Delahaye, au Théâtre National de Strasbourg [Je vous écoute]. Ça va se faire en février.
Et puis un ou deux concerts avec mon père qui a 83 ans. Sinon je vais me concentrer sur Tancade.
Du côté de la maison de disques que je gère [Les Disques du Festival Permanent], je sors le prochain Cri du Caire qui va être très bien.
Retrouvez Gaspar Claus en concert :
20.01.22 – PARIS – Release party @ Café de la danse
04.02.22 – GENEVE – Festival Antigel
18.02.22 – ST-GERMAIN-EN-LAYE – La Clef w. Chapelier Fou Ensemb7e
19.03.22 – NIORT – Festival Nouvelle(s) Scène(s)
01.04.22 – TOURS – Festival Super Flux
08.04.22 – PERPIGNAN – Les Dominicains
20.05.22 – NANTES – Jazz en Phase, La Psalette
Mais aussi en compagnie de Denis Lavant, Matthieu Prual et Thomas Rabillon dans Les Cahiers de Nijinski :
27.01.22 – BREST – Mac Orlan
29.01.22 – PARIS – théâtre de la Reine Blanche
30.01.22 – PARIS – théâtre de la Reine Blanche