On a parlé écriture avec SÜEÜR et Glauque

Du fond et de la forme, des textes et de la production, de la brutalité et de la rage … Les points communs entre Glauque et SÜEÜR sont assez évidents et renforcent la fascination que nous portons aux deux projets. On a profité d’une date commune pour se poser avec Théo et Louis, pour discuter avec eux de leur façon d’écrire et de l’évolution de leur musique dans le temps.

Glauque SÜEÜR photo

La Face B: Salut les gars, comment ça va ?

SÜEÜR : Ça va, le pire est juste derrière nous. Il faut reconstruire la montagne et c’est un peu stressant.

Glauque : C’est un « ça va » global mais…

SÜEÜR : Il y a beaucoup d’enjeux qui arrivent.

LFB : Si je vous ai réunis, c’est parce que j’ai envie de parler d’écriture avec vous. Je voulais vous demander à quel moment vous vous êtes mis à écrire pour potentiellement faire de la musique ?

Glauque : Besoin d’écrire, c’est vieux ça ! Au début de l’adolescence, je dirais.

SÜEÜR : Ouais, pareil. Pour en faire de la musique, vers la quatrième ou cinquième.

Glauque : Moi, pour en faire de la musique, ce serait plus vers 17 ou 18 ans. Mais je pense que le premier déclic, c’est après le premier album des Casseurs-Flowters.

SÜEÜR : Moi, écrire des textes et les mettre en musique, j’ai commencé par rapport au rap que j’écoutais adolescent. Après, je me suis plus mis derrière la drum. Et puis quand je suis arrivé à Paris, un peu trop jeune, il y avait des jam sessions et des errances où je prenais pas mal de trucs par rapport à l’âge que j’avais. Et donc je faisais des sortes de jams et je me disais que ça valait grave le coup de prendre le micro. Et finalement, je ne l’ai pas fait. Par contre, à partir de là, je commençais à faire des maquettes sur Mac avec mes textes.

LFB : Justement, comment vous l’avez vu évoluer, votre écriture ? Est-ce que ça s’est fait plutôt naturellement ?

SÜEÜR : Justement, toi tu n’as pas l’impression que tes textes d’avants sont plus purs, qu’il y a une naïveté ? Ils sont moins matures mais ça ne veut pas dire qu’il sont moins puissants.

Glauque : En fait c’est bien, ce moment où tu n’as pas conscience de ce que tu es en train d’écrire. Tu ne te rends pas compte que tu le fais pour le fait d’écrire, dans le but d’en faire un truc.

SÜEÜR : Écrire le matin, c’est super ! Même si c’est une fulgurance juste de vingt minutes.

Glauque : Il ne faut pas que ça devienne un quotidien. Comme un taf quoi, du genre « je dois écrire, je dois faire de la musique ».

LFB : Du coup, votre bloc-notes téléphonique doit être rempli !

SÜEÜR: Ah ouais, je suis à 1692 notes.

Glauque : Je pense que je dois être plus ou moins pareil. (regarde) Je suis à 1246. Un petit joueur !

LFB : Ce qui est intéressant c’est que, tous les deux, vous faites une musique qui est assez différente…

SÜEÜR : Et invendable ! (rires)

Glauque : Ouais ! On fait un truc que les gens ne veulent pas écouter ! (rires)

SÜEÜR : C’est difficile d’être mainstream pour la radio ! De faire un effort. De se dire « bon ok, celle-là, elle peut passer ». On dit que c’est trop dark mais du coup, Pomme c’est quoi ? C’est quand même darkos, non ?

Glauque : Ouais, mais c’est mieux enveloppé. Enrobé de douceur. Doux amer.

LFB : C’est comme un bonbon avec du sel, tu vois. Qui te pique même si en fait, ça reste doux.

Glauqe: Ouais, donc on va mettre plus de formes quoi (rires).

LFB : Moi, ce que je trouve intéressant, c’est que votre musique est nourrie par la rage, mais vous l’exprimez de manière complètement différente. Il y a chez l’un un côté brutal et direct et chez l’autre, quelque chose de plus réfléchi, alambiqué par moments. La punchline d’un côté et l’envie de défoncer les murs de l’autre.

SÜEÜR : Des fois, j’ai envie de casser la rime car je me sens paralysé par elle. La faire direct en prose, tu vois.

LFB : Oui voilà, sur les derniers morceaux, on ressent une expression de la colère, mais tournée de manière différente.

Glauque : C’est aussi une question de personnalité. Moi, je suis pas du genre à me mettre à gueuler. Il y a plein de trucs qui me cassent les couilles au plus profond de moi-même, mais c’est pas toujours extériorisé. Dans et en dehors de la musique. Mais c’est pas de la pudeur, parce que je pense pas que dans notre musique on soit…

SÜEÜR : Mais c’est beau, la pudeur dans la musique.

Glauque : Oui ! Mais j’ai pas l’impression de l’être, tu vois. Dans ce que j’écris. Mais c’est une plus une manière de le présenter qui est un peu en retrait, avec un côté introverti.

LFB : D’ailleurs, le nom de votre projet sonne complètement avec votre façon d’écrire et la façon dont la musique est retranscrite. Il y a un côté vachement « stress physique » et le besoin d’exprimer quelque chose. Et aussi un autre côté qui est plus, je dirais pas intellectuel, mais presque poétique et onirique.

SÜEÜR : Je pense que si le temps d’une soirée, on inversait les noms de nos projets, ça marcherait. Lui, il aurait les gouttes de sueur sur sa tempe et moi, je serais le glauque en tout cas.

Glauque : Et quand on a choisi le nom du groupe, les maquettes étaient tristes. Tristes dans le sens où la musique était nulle. Tout était mauvais. Ça n’avait rien à voir avec ce qu’on fait maintenant. Il n’y avait pas de volonté de faire du ton sur ton. Et même si au final ça colle très bien, c’était à la base surtout une sorte de double sens qui nous faisait marrer, point.

LFB : Tu parlais de pudeur, tout à l’heure. Quand vous écrivez, est-ce que vous faites tout de même attention à vous démarquer du réel et à laisser une part de fiction, ou pas du tout ?

SÜEÜR : Ah ouais, moi totalement. J’aime bien raconter des choses issues de la réalité, mais à travers un personnage, et ça amène donc à la fiction, oui.

Glauque : Moi, ça dépend à mort des périodes. Je vais parfois avoir envie de me détacher un maximum de ce que j’écris pour ne pas rester dans un truc égocentré, car la musique, malgré le partage, est égocentrique.

SÜEÜR : Il y a des morceaux déguisés et des morceaux à poil. Dans le morceau tipi, quand je dis que je prends des ballons dans le tipi, je ne prends pas les ballons dans le tipi. Il y a des gosses qui jouent au ballon, tu l’entends. Et puis j’aime bien le côté indien, chamanique presque. Et il y a un guitare/voix, chose que je n’avais jamais faite encore. C’est grâce aux Belges, qui m’ont aidé à faire un guitare/voix sur Clémence, une meuf que j’avais beaucoup aimé il y a huit ans. Ce sont des rappeurs qui m’ont incité à faire un guitare/voix à l’ancienne, à la Brel et là, ce n’est pas la fiction.

LFB : Est-ce qu’il n’y a pas, des fois, un besoin de protection, de ne pas trop en mettre dans son écriture ?

SÜEÜR : Le problème, c’est que tu te rends compte après que tu en as trop mis.

Glauque : Mais je pense que c’est bien aussi, de ne pas s’en rendre compte sur le moment. Je me méfie à mort de l’autocensure. C’est valable sur n’importe quel sujet, si je veux parler d’un truc et que je commence à écrire dessus… si je me dis « non, c’est trop chaud, je peux pas le dire » alors je le fais pas. Parce que ça n’a pas d’intérêt si c’est pour dire la moitié du quart de ce que je pense ; je le fais pas. C’est aussi une manière de me protéger. Si je me sens à fond d’y aller, j’y vais.

LFB : Ce qui est intéressant aussi, c’est que vous jouez beaucoup avec votre voix, votre flow, pour apporter une énergie différente.

Glauque : Je ne pense pas l’avoir.

LFB : Si, si ! Tu t’en rends peut-être pas compte, mais il y a des morceaux qui sont complètement différents au niveau de la voix. Peut-être pas sur les nouveaux, mais sur les morceaux plus anciens, oui.

Glauque : Tant mieux !

SÜEÜR : Chanter les anciens morceaux, ça me ramène dans un truc qui fait appel à la nostalgie. En concert, la logique ça serait de faire les anciennes, mais je préfère sauter dans le grand bain et faire que le nouvel album.

Glauque : Nous, on fait pareil.

LFB : Au niveau de la prod, dans le process d’écriture, est-ce que la composition influence le choix des mots et la façon d’écrire, ou est-ce que le texte est fixe en fait ?

SÜEÜR : Moi, souvent, le texte est déjà là.

Glauque : Moi, c’est souvent l’inverse.

SÜEÜR : Ah ouais bien ! Bien ! En même temps, avec l’éléctro tu attends que le beat soit fait et après tu composes dessus.

Glauque : Moi je reçois jamais de prod. Je reçois une loop de 30 secondes de quelqu’un du groupe et je pose dessus et je renvoie, genre partie de ping-pong.

SÜEÜR : Moi j’écris en avance, mais en le ciselant en écoutant des time beats pétés. Le rap et le rock, tout est en 4X4. En fait, il faut aller en Turquie ou dans des pays où il y a de vrais cycles. Nous, on est des flemmards. Que ce soit en binaire ou ternaire, on est toujours en 4X4 ou en 8X8. C’est mathématique.

Glauque : Je suis d’accord. C’est mathématique. (Rires)

LFB : L’étape du live, elle représente quoi pour vous ? Parce que, l’un comme l’autre, vous êtes sur des trucs hyper produits, et j’ai l’impression que le live ramène un truc organique et très physique.

SÜEÜR : Je t’avoue que par rapport à l’album, que j’avais grave ultra Hip-Hop dans la tête, que j’ai fait avec un gars de New-York à distance, on est grave Rock sur scène, et j’aimerais rééquilibrer. Revenir quand même à l’album, qui enveloppe d’une manière Rap. J’adore le Rock. On a une énergie Rock. Le groupe, c’est des zikos de Rock. Et il faut trouver la distance. Trop d’organique, ça peut aussi t’éloigner de ta vibe et de ta personnalité.

Glauque : En ce qui nous concerne, le projet est né autour du live. A la base, on était deux et on faisait de la merde. On a donc fait un concert où on était à deux à faire de la merde et on s’est dit qu’on connaissait plein de gens qui avaient fait le conservatoire, autour de nous, et on ne se sentait pas à l’aise avec une simple formation DJ + rappeur, du coup on a demandé à des musiciens de nous rejoindre, et le groupe est né comme ça. Mais à la base pendant un an, on a fait que des morceaux pour le live. C’est-à-dire qu’on faisait des morceaux selon la durée des concerts. Une fois vingt minutes. Six mois plus tard, quarante minutes. On a fait comme ça pendant quasi deux ans. Et le studio, c’est une punition pour moi. J’ai appris à aimer ça quand on a bossé sur l’album qui va sortir, mais avant c’était l’enfer pour moi.

LFB : C’est pour ça que tu n’aimes pas tes morceaux une fois qu’ils sont finis.

Glauque : Mais ouais, vraiment ! Finis, je les déteste.

SÜEÜR : Moi aussi ! (Rires) Après, tu es obligé de les vendre et tu te dis que c’est de la merde (Rires).

LFB : Vous êtes comme ça vous, les artistes (Rires) ! J’ai interviewé Mr Giscard et il m’a dit pareil. Il me reste deux questions. D’abord, pour vous foutre dans la merde tous les deux : comment vous voyez la musique de l’autre ? Est-ce qu’il y a un truc que vous aimeriez lui piquer ?

Glauque : Ah oui, moi il y a un truc que j’aimerais leur piquer. La première fois qu’on a joué ensemble, je me suis dit que j’allais passer après lui et… l’énergie qu’il a sur scène !

SÜEÜR : Eh bien moi, c’est la tension qu’il met dans sa retenue. Parce que la retenue, j’apprends à la faire en studio mais… c’est surtout l’inverse. Et puis être audible aussi. Ne pas s’époumoner, Moi des fois, je m’époumone comme si le message allait encore plus te transpercer. Donc ouais, la tension dans la retenue.

Glauque : Wow ! On s’entrebranle depuis quarante minutes, c’est merveilleux ! (Rires)

LFB : C’était le but ! (Rires)

Glauque : Ah ben moi j’étais venu pour ça.

SÜEÜR : Moi, pareil ! (Rires)

LFB : Du coup, est-ce que vous pouvez nous parler un peu de vos albums ?

SÜEÜR : Le mien, il est dark avec des faisceaux de lumière. Il s‘appelle Ananké, c’est la déesse de la destinée, de la fatalité, de la nécessité et de la cruauté. Un jour, Victor Hugo est rentré bourré, il a vu le tag Ananké qui est sur Notre-Dame. Il est resté quatre jours dans sa mansarde et il est revenu avec Notre-Dame de Paris. C’est le crash test et j’ai envie de croire que si ça ne marche pas, si ça ne fait pas le bruit que ça fait, alors je foutrai la merde. Dans ma maison de disques, dans des scènes, des happenings, les concerts des autres…je foutrai la merde si ça ne marche pas.

Glauque : Ca a le mérite d’être clair ! (Rires)

SÜEÜR : Et le tien d’album, il s’appelle comment ?

Glauque : On ne le dit pas encore.

SÜEÜR : D’ailleurs, j’aime bien la définition du dico dans le merch, je trouve ça mortel. Je savais pas du tout que c’était « d’un vert qui tire sur bleu ».

Glauque : Ah ben, c’est pour ça qu’on s’est appelé comme ça. C’est le jour où on a découvert que ça voulait dire ça. Et uniquement pour cette raison.

SÜEÜR : Mais vous saviez que ça voulait dire louche et sordide, quand même.

Glauque : Oui bien sûr, mais le jour pu on a découvert que c’était une couleur on a trouvé que c’était trop marrant. Mais bon, notre album, il est pas sombre avec des touches de lumière. Il est sombre, sombre, sombre. 100% sombre mais assumé. Et entier. Sans compromis, vraiment.

SÜEÜR : Pareil, sans compromis. J’ai signé dans une major qui m’a laissé faire ce que je voulais du coup, je suis le vilain petit canard, un marginal de la major. Et ça, tu peux vraiment l’écrire. Mais aussi leur caution punk.

Photos : David Tabary