Godzi, rencontre autour de Légion du Noun

En septembre 2024, Godzi dévoilait son premier album : Légion du Noun. Un album massif qui nous entrainait dans un univers noir, surréaliste et musicalement fort. On a pris le temps d’échanger longuement avec le musicien autour de ce premier projet, de son écriture, de son évolution et de ses visuels.

La Face B : Salut Arnaud, comment ça va ?

Godzi : Écoute, ça ne va pas trop mal, comme d’habitude.

LFB : J’ai une question un peu spécifique. Je me demandais pourquoi tu avais changé de nom. Pourquoi tu étais passé de Godzilla Overkill à Godzi ?

Godzi : C’est un nom que j’avais depuis un moment, j’avais commencé à faire de la musique tout seul sous ce nom. J’avais genre 17 ans je pense quand je l’ai choisi, au tout début. Et avec le temps en vrai je le trouvais un peu long et je m’en suis lassé. Et puis je trouvais que parfois il aiguillait un peu mal peut-être sur le propos et qu’il était un peu peut-être clivant, je ne sais pas. En vrai, c’est juste qu’à force, avec le temps, moi-même je m’appelais Godzi et mes potes m’appelaient Godzi.

Il y avait la ref un peu sur Motorhead et sur Godzilla. C’était un peu référencé, je voulais garder un truc plus concis, « personnel ». J’aimais bien le côté un peu surnom. C’est drôle parce qu’il y a God, Dieu, en même temps God, un gode en français. Le côté easy, un côté un peu mignon, je trouvais ça drôle comme surnom.

LFB : Du coup, je me demandais si tu trouvais que la musique était un processus de construction et de destruction. J’ai l’impression que dans chaque projet que tu sors, tu utilises un peu les cendres du projet précédent pour en faire quelque chose de complètement différent.

Godzi : C’est intéressant de voir ça comme ça. Je pense qu’il y a toujours dans ma démarche créative un truc de… J’ai pas mal d’influences différentes et des fois pas de m’enfermer dans une influence. Et c’est vrai que des fois j’ai eu un peu des trucs contre-pieds où le moment où j’ai commencé à utiliser beaucoup d’autotune. Avant je faisais plutôt de la cold wave et du coup ça a fait contre-pied. Et du coup il y a un peu un aspect de destruction dans ce sens-là, c’est-à-dire toujours un peu renouveler le propos, ou en tout cas pas rester dans une seule et même case. Après c’est intéressant que tu dises que ce soit les cendres du projet précédent. Moi j’avais plus l’impression sur l’album avec les EPs qui ont précédé que les EPs partaient dans plusieurs directions et que là ça permettait avec le long format de justement agréger toutes ces influences pour qu’il y en ait un peu de tout. Des morceaux un peu avec de l’autotune, des morceaux un peu cold wave et en même temps arriver à unir le tout autour d’un propos qui se retrouve dans les paroles peut-être et même d’une intention qui reste mine de rien assez cold et assez triste dans le général.

LFB : Moi je trouvais que c’était un peu du R&B sous prozac. Je trouve que c’était une idée qui correspondait bien. Dans l’essence, tu vas réutiliser quelque chose que tu avais déjà produit avant. Toujours à chaque fois en faire quelque chose de complètement différent parce que Fatalitas était complètement différent de Padre Pio. Il y avait un côté très club sur Fatalitas que tu as poussé un peu plus loin en faisant un EP de remix après. Et là en fait tu arrives sur l’album et oui effectivement c’est complètement différent. J’ai l’impression que les EPs étaient un peu des centres d’expérimentation pour créer quelque chose d’un peu plus cohérent.

Godzi : C’est vrai qu’il y a des réminiscences vite fait sur l’album de ce qui a pu être fait sur Fatalitas. Il n’y a pas énormément de trucs club. Il y a des moments où il y a un peu de kick avec un côté un peu plus dansant, sans jamais s’épancher dedans. C’est vrai qu’il y a un peu de ça. Je pense que ça a été une manière de garder un peu une vibe de ça et en même temps arriver à l’amener plus loin ou à un autre endroit.

LFB : Et justement, on parlait de long format. 51 minutes, 14 morceaux. A l’époque de la musique extra-consommable et du « single roi », est-ce que cet album-là, ce n’est pas un grand geste punk au final ?

Godzi : Ouais, peut-être involontairement, je pense. Je pense qu’il y a un peu de ça. Limite, ce que j’ai trouvé avec le recul plus considéré comme punk dans le disque, ce n’est pas tant d’avoir fait un long format. Alors c’est vrai qu’avoir plein de morceaux, on m’a dit que 14 tracks c’était un peu absurde. Mais moi c’était comme ça que je le voyais pour vraiment avoir le propos. Je n’ai pas calculé le truc, je voulais qu’il y ait assez de musique pour raconter une histoire. Et moi au final, le truc le plus punk que j’ai trouvé dedans, c’est des fois, quand je l’ai notamment envoyé à des labels, il y avait soit les labels « underground » qui me disaient, enfin plus « underground » entre guillemets, qui me disaient « ah ouais, j’aime bien les morceaux un peu chansons françaises, cold wave, mais les trucs avec l’autotune, tu m’as perdu » et les labels un peu plus gros qui me disaient « ah ouais sympa les morceaux avec autotune, mais sur les trucs un peu Cold Wave, tu m’as perdu ». Et en même temps, est-ce que ça ne serait pas deux EPs ?

Est-ce que tu ne veux pas le diviser en deux, etc. Donc peut-être le geste punk, moi aussi je l’ai vu, c’était de dire, bah non, en fait, moi mon propos c’est justement de faire des deux et de me couper un peu de justement un truc très cadré, très référençable. Je trouve qu’on dit beaucoup de la musique maintenant que les gens s’affranchissent des codes, etc. Alors qu’en vrai, je trouve que les codes sont même limite plus prégnants qu’avant. Qu’il faut créer un nouveau style pour pouvoir dire voilà c’est un style mais il faut qu’on crée ce style genre avec les trucs de hyper pop et tout. Ils sont obligés de créer une dénomination pour mettre les choses dans cette case qui sera ce style alors que moi je voulais justement avoir du texte, avoir des moments où c’est des gimmicks avoir et mélanger les deux, la danse et en même temps la chanson. C’est peut-être ça, au final je me suis trouvé un peu solitaire punk dans mon délire.

LFB : Justement, ce que j’ai trouvé intéressant, puisque tu parlais de propos, j’ai l’impression que la notion de boucle est très importante dans l’album. J’ai l’impression que l’album forme aussi une espèce de boucle parce que tu as les samples de pluie qui apparaissent sur le premier titre et sur le dernier titre. J’ai l’impression que c’est vraiment la volonté de raconter une histoire du début à la fin et d’avoir deux morceaux qui se répondent en fait, qui relancent un peu ce moment.

Godzi : Complètement. En vrai, c’est hyper juste. Il s’appelle Légion du Noun et le Noun c’est le concept de la mythologie égyptienne où le noun, c’est le vide qui est avant toute chose et qu’il y aura après toute chose. La mythologie égyptienne est assez circulaire, c’est plein de cycles, c’est des cycles d’une journée, de crues, de vie et de mort. Même la nuit c’est aussi un cycle. Donc c’est plein de concepts comme ça où c’est finalement assez circulaire. Moi j’aime bien l’image que ça dessine. En vrai le disque qui commence comme ça. Après coup, je me suis rendu compte qu’il était assez symétrique. Qu’au début et à la fin, tu as un peu des morceaux similaires et que le rythme de comment s’enchaînent les morceaux justement entre les morceaux plus club, plus autotune et les morceaux plus chansons, cold, plus portés sur le texte sont assez organisés de manière symétrique. Je ne m’étais même pas rendu compte, je l’ai fait un petit peu de manière inconsciente. Et c’est vrai que c’est complètement ça. Même le fait qu’au début, on parle des têtes à crack, etc. Il y a les vigiles qui reviennent, enfin, vigiles de la nation. Il y a aussi cette réminiscence un peu du vigile qui tourne à côté des crackheds. Et il y a cette idée de revenir, que tout est toujours un peu la même chose, c’est un peu le propos. Malgré tout ce qu’on fait, on n’arrive pas vraiment à endiguer ça.

LFB : C’est marrant parce qu’on parle de boucles, mais pour moi, Légion du Noun, ça parle d’obsession et d’une personne qui est tellement sur ses obsessions personnelles qu’elle finit par en perdre pied avec la réalité. C’est-à-dire que, pour moi, le propos de l’album a un côté très ancré dans le réel mais toujours j’ai l’impression que ça part sur des délires presque psychotiques à chaque fois. J’ai l’impression que le personnage de Godzi creuse ses obsessions jusqu’à en devenir fou.

Godzi : C’est tout à fait ça. En vrai, je voulais pousser le curseur du côté… Comment dire… très refermé sur soi-même et limite un peu entre mégalomane et un peu autocentré. Et qu’en fait, le fait d’être tellement autocentré aussi dans le rejet de l’autre, tu vois il y a quand même beaucoup de trucs de genre rejeter les hommes etc. Il y a énormément de rejet de ça, de l’autre. Et au final, à force de rejeter l’autre, il y a aussi un truc où tu te retrouves tout seul et tu te rejettes toi-même. Et ça finit un peu fatalement sur un suicide. Et j’aimais bien ce côté à pousser le curseur parce que je sais qu’on m’a déjà fait la remarque que j’utilise beaucoup je, que c’est quand même une musique qui est très centrée sur soi et qui peut être un peu nombriliste. J’aimais bien pousser justement ce curseur au max du nombrilisme pour le mettre à son paroxysme quoi. Sans forcément que ça soit intellectualisé du début à la fin. C’est juste plus un constat que j’ai fait après.

LFB : Ce qui est intéressant, c’est que je trouve que c’est aussi ton projet le plus personnel dans l’écriture. Même si Godzi est un personnage, parce que tout ce qui se passe est surréaliste. J’ai l’impression que tu as injecté beaucoup de toi et de ton histoire personnelle dans l’album, ce qui n’était pas forcément le cas sur les EPs.

Godzi  : Ouais, c’était plus dilué. On va dire qu’il y avait toujours quand même des réminiscences ou des histoires plus personnelles. Mais disons qu’il y avait quand même aussi des histoires un peu plus d’amour, un peu plus charnelles, etc., où je cherchais plus la formule que vraiment le réalisme. Et là c’est vrai que c’est un disque qui ne parle pas d’amour, au sens charnel du terme quoi. Mais ouais c’est assez personnel. Je l’ai vu un peu comme le personnage que je rejette. C’est une partie de moi que je rejette et j’essaye de magnifier ou en tout cas de comprendre. Et du coup je la mets un peu dans tous les sens et c’est ça qui crée ce personnage un peu misanthrope, obsessionnel, refermé sur lui. C’est un peu la voix que j’ai silenciée dans la vie de tous les jours, que j’exprime là.

LFB : Oui, parce qu’il y a des trucs hyper intéressants sur certains titres, notamment sur l’absence de transmission ou sur le fait de grandir sans forcément avoir de figure masculine. Des choses comme ça qui sont très intimes forcément, et qui n’apparaissaient pas avant. Mais ce que je trouve intéressant, tu parlais d’histoires d’amour et de formules, j’ai l’impression que la crudité et le cynisme sont toujours hyper présents dans l’écriture de l’album. Mais la provocation l’est beaucoup moins. Je trouve que c’est une évolution hyper intéressante dans la façon que t’as d’écrire en fait sur l’album.

Godzi : Ouais, c’est vrai que j’ai un peu enlevé la provocation. Même si là, avec des nouveaux morceaux, j’avais envie de la réintégrer un peu. Enfin, pas de la réintégrer, mais disons que ça revient par-ci par-là. Mais j’avais envie d’arrêter. Parfois, la provocation, c’est se cacher un peu. Et je voulais un peu dénuer mes textes de ça. Et arriver à trouver des formules qui soient toutes aussi crues et un peu choquantes en vrai. Parce que j’aime bien le côté un peu « on n’ose pas le dire mais on le pense ». Du coup, c’est ça qui m’intéresse aussi un peu. Quand c’est provoquant en fait ça a déjà été un peu dit et je trouve que dans la manière… Non pas que j’ai révolutionné les paroles ou le fait d’écrire mais juste c’est un truc qui m’intéresse de justement dire des choses crues, un peu directes, un peu inavouables on va dire.

LFB : Est-ce que t’as l’impression d’avoir créé un album qui est doux ? Il y a énormément d’éléments forts sur l’album, dans le texte, etc. Je trouve que dans la production, l’album est très produit et que ça crée un contraste hyper intéressant entre les paroles et la façon dont l’album est produit et que ça soit hyper lisible et hyper accueillant malgré tout en termes de musique.

Godzi : Ouais, c’est une volonté. Que ça soit agréable à écouter. Même cette douceur, même sur des morceaux comme Couronne d’écailles, il y a un truc où j’ai envie que ça soit agréable à écouter. C’est aussi dans la démarche que j’avais déjà, parfois, de faire danser tout en étant triste. Sur Couronne d’écailles, j’ai une influence… Dans la musique, des fois, tu as des influences que tu aimes, des trucs que tu écoutes, mais tu n’as pas forcément envie de le faire en musique. Et il y a des morceaux où tu te dis, putain, cette émotion qu’ils ont transmis, elle me rend fou. Modeselektor, sur Monkeytown, il y avait des morceaux notamment les featuring avec Thom Yorke. J’aimais bien le côté un peu club, qui galope mais qui est hyper agréable à écouter. Tu as l’impression d’être dans un cocon, un peu un câlin musical et en même temps il y a une mélancolie qui vogue et ce côté mélancolie agréable, j’aime bien en vrai.

LFB : Ce qui vient d’ailleurs énormément sur l’utilisation de ta voix parce que musicalement tu explores énormément de choses comme tu disais, mais j’ai l’impression que la voix c’est vraiment la colonne vertébrale de l’album. C’est un peu aussi le guide sentimental de l’album en fait.

Godzi : Je suis content que tu le dises.

LFB : Pour moi, tout passe par la voix. J’ai l’impression que l’utilisation de la voix était hyper importante sur cet album.

Godzi  : C’est hyper important, surtout qu’elle est dans plusieurs registres. Je la voyais comme l’épine dorsale, que ce soit la voix ou les textes. J’aime bien les albums où il y a plein de voix différentes. J’avais lu une interview de Sidi Sid, c’est un rappeur qui est dans Butter Bullet, c’est du rap un peu niche, bandcamp quoi, que j’aime beaucoup. Et lui il disait par exemple que l’album Good Kid M.A.A.D City de Kendrick, il trouvait ça insupportable le fait qu’il change de voix tout le temps, et qu’il ait mille voix. Moi je pense exactement l’inverse, j’aime trop qu’il y ait plein de voix, que ça soit genre comme une pièce de théâtre où il y a plein de voix. Toujours une surprise sur les voix. Ça ne veut pas dire la même chose, ça ne veut pas dire le même sentiment. Jouer du fait d’avoir une voix très grave aussi, sur laquelle j’aime bien jouer. Mais sur cet album, je voulais que ça soit la synthèse de tout ce qui a précédé dans ma création. Et que ça soit la synthèse du fait d’avoir découvert l’autotune, ça m’ouvre aussi à d’autres manières d’utiliser ma voix. Et en même temps, le fait de quand même kiffer, faire des textes qui sont posés avec une voix grave, et des moments très chantés, assez ouverts, colle-wave, ou post-funk, ou assez 80. Et du coup, je voulais que ça soit un peu la synthèse de tout ça. Et qu’à chaque fois ça ne dise pas la même chose. Parce que si tu dis quelque chose de particulièrement triste avec une voix aiguë, c’est un truc plus mélancolique qui va se différencier de quand tu as une voix très grave où ça va être un truc beaucoup plus grave, beaucoup plus posé, beaucoup plus fataliste au final.

LFB : Mais c’est marrant parce que ça permet d’explorer plein de genres musicaux. Je parlais de R’n’B sous Prozac, mais il y a vraiment ça sur l’album. Il y a des trucs un peu plus kickés, il y a même des ritournelles presque enfantines en termes de production et qui sont drivées par la voix. Du coup, la voix permet de garder une cohérence sur l’album et dans la production aussi, tout en allant chercher des styles musicaux qui sont vraiment hyper variés et qui permettent de naviguer et de garder l’intérêt sur un album de 14 titres et 50 minutes.

Godzi : Ouais, c’est vrai. Je suis content que ça Enfin c’est l’objectif donc je suis content que tu aies compris.

LFB : C’est intéressant le décalage constant et le truc de te dire, quand t’écoutes certains morceaux tu secoues la tête et en fait tu te rends compte que tu secoues la tête sur un mec qui est en train de te parler de sa dépression et de ses envies de suicide.

Godzi : J’aime bien parce que des fois ça permet de faire passer des messages aussi sans glorifier. Il y a toujours un fond de rendre ça un peu plus esthétique donc c’est un peu une forme de glorification dans certains sens. Mais ce n’est pas non plus glorifier dans le sens trop stylé mais aussi arriver à avoir des choses qui restent pop avec des thèmes profonds et qui aient plusieurs niveaux de lecture. Moi ça m’est arrivé qu’il y ait des gens qui me voient en live et qui me disent à la fin « j’ai dansé sur ta musique et après je me suis rendu compte des paroles et je me suis dit est-ce que je dois danser ou pas ». Et en fait si, c’est cool. Et d’avoir plusieurs niveaux de lecture, on peut aussi danser sur des trucs plus tristes et des trucs plus graves et c’est le moment où on en a envie.

LFB : Oui ce qui est intéressant c’est ça, c’est que les gens puissent s’approprier ta musique comme ils l’entendent quoi.

Godzi  : Ouais carrément.

LFB : Et justement, tu parles de live. Comment as-tu fait évoluer ta musique en live ? Parce que moi je t’ai vu mais il y a très longtemps, c’était assez intense et assez frontal. Est-ce que c’est quelque chose que tu gardes ou est-ce que tu respectes plus l’ambiance de l’album justement ?

Godzi  : Ouais, j’ai essayé de faire quelque chose qui se rapproche quand même de l’album parce que je pensais que c’était important de le présenter sur scène. Là du coup, je suis accompagné avec quelqu’un sur scène qui joue des pads et qui fait de la guitare aussi sur des morceaux, il s’appelle Dorian. Avant, le fait d’être seul, j’aimais bien le côté un peu DJ set, que ça ne s’arrête pas, et ça me permettait d’explorer un peu la scène différemment. Et là, on va dire qu’on est plus chanson par chanson. A essayer de les présenter au mieux. Du coup, moi, ça me permet de me concentrer sur l’interprétation aussi, et sur comment organiser les morceaux pour que ça raconte une histoire. Donc j’ai essayé d’être plus proche de l’album. Je joue quelques anciens morceaux, mais pas énormément en vrai. Je vais essayer de faire en sorte de jouer les nouveaux morceaux. Donc c’est un peu plus formel on va dire, plus structuré.

LFB : Il y a un morceau dans l’album qui s’appelle La gloire et les médailles, est-ce que tu vois Légion du Noun comme un grand accomplissement ?

Godzi  : J’aurais aimé.

LFB : C’est important un premier album.

Godzi : Oui, il y a un côté très accomplissement. Justement, il y a un côté où je suis fier. Le format album, c’est un peu le truc quand tu es ado, tu t’imagines quand tu commences à faire de la musique. L’album, ça paraît à une fin en soi. Pendant longtemps, j’ai réfléchi. Je ne voulais pas le prendre à la légère. Je voulais faire quelque chose qui corresponde au format, qui soit réfléchi pour, et je suis content d’avoir réussi à le faire. En tout cas moi je suis content de l’œuvre. Donc ouais, c’est un accomplissement. Je l’ai travaillé et je l’ai mis sous cette forme et je trouve que ça représente bien ce que je voulais dire. Donc ouais, il y en a beaucoup. Après La gloire et les médailles, il y a aussi un peu ce truc de chercher la gloire un peu vainement et se casser les dents un peu aussi.

LFB : Il y a ce truc cynique de chercher la gloire et de jamais vraiment la trouver.

Godzi : Ouais, c’est clair. Et c’est totalement ça. Mais après, oui, c’est un accomplissement personnel, c’est clair. Un accomplissement de réussite dans le milieu de la musique. Par définition, ça n’a pas l’air de l’être pour l’instant. Mais en même temps, ça va bien aussi avec le propos du disque, je trouve.

LFB : Il y a une notion qui est importante dans l’album, c’est la notion du chien. J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de gens qui n’ont pas réalisé que tu parles autant du chien qui est l’animal, mais aussi du chien du fusil, qui revient énormément dans l’album. Ces deux idées-là reviennent énormément dans l’album.

Godzi : Ouais, c’est vrai. En gros, j’aimais bien la figure du chien parce que c’est quelque chose qui est hyper familier. Et qu’en même temps, c’est un sujet que j’ai beaucoup abordé dans Arrachez-moi les dents par exemple. J’aime justement cette figure parce que je trouve qu’en gros, quand tu vis, quand tu bosses, le fait de travailler, le fait de vivre pour un salaire, le fait même d’être nos sociétés modernes, en tout cas les sociétés modernes démocratiques, Il y a un truc un peu où la figure du chien, le chien ça reste quelqu’un avec que tu aimes mais il y a une position de subordination qui est indéniable et qui fait partie de la relation. C’est-à-dire que le chien, tu le tiens en laisse, tu décides quand il mange, c’est toi qui décide, quand il va chier, c’est toi qui décide. Donc il y a une figure d’asservissement qui est hyper importante, enfin qui est primordiale dans cette relation, et en même temps, tu ne vas pas forcément non plus remettre en question cette relation. C’est à dire que c’est un état de fait et ça ne t’empêche pas non plus d’aimer le chien.

Ça n’empêche pas que le chien t’aime mais parce qu’on considère le chien comme une espèce qui est quand même plutôt inférieure aux hommes, ça reste quand même quelque chose d’assez spéciste. Ça reste quand même totalement spéciste. Parfois dans la société on a ce même truc quand t’es dans une entreprise tu peux avoir des très bonnes relations avec ton boss, tu peux avoir un respect mutuel, une sorte d’amour mutuel si on peut appeler ça amour mais mine de rien c’est lui qui va décider. Il y a le code du travail quand même. C’est lui qui décide comment ta journée va s’organiser, qu’est-ce que tu vas manger, quand tu vas manger, etc. Et j’aimais bien ce côté justement pas tout noir tout blanc et qui était assez représentatif aussi de ma manière de penser les choses.

C’est-à-dire que malgré la subordination il n’y a pas tout qui est… enfin c’est un état de fait quoi. Et c’est vrai qu’après, sur le chien du fusil, j’aimais bien le côté, que ça soit aussi un côté un peu mortel. Ce n’est même pas un jeu de mots en vrai, parce que c’est le vrai nom du truc, mais genre, rappeler ce mot. Même dans La fin d’un règne, à la fin, sur les dernières paroles, j’hésitais entre j’appuie sur la gâchette ou j’appuie sur la détente.

Et j’aimais bien l’idée de j’appuie sur la détente pour amener un suicide. Je trouvais que c’était rigolo. Enfin rigolo, je ne sais pas.

LFB : J’aimerais bien parler des visuels de tes projets. Je me demandais si c’était toi qui les faisais.

Godzi  : Les pochettes ? Ou les clips ?

LFB : Non, les pochettes.

Godzi : Alors tous les singles c’était Renaud Artaban, qui est un très bon pote à moi, que je connais depuis longtemps, qui est peintre. Et comme on se connaît depuis longtemps, on a plein de codes communs. Et je trouve que ça met un peu un visuel qui n’est pas non plus exactement les morceaux mais qui en même temps rappellent. J’aime bien ce décalage entre la peinture. En vrai la peinture, j’aime trop, je trouve qu’il y a toujours un truc où ça amène une autre vision et tu ne peux pas la maîtriser autant que tu maîtrises par exemple une photo où tu peux vraiment choisir exactement.

LFB : Ce qui était déjà le cas sur Fatalitas.

Godzi : Et après l’album, Renaud a fait le fond de l’album et c’est Amélie Bigard qui est une autre peintre, amie à moi aussi, qui a fait les personnages. Qui a une peinture plus graphique, qui met souvent en scène des ados et des scènes de vie, mais peintes de manière un peu naïve. Enfin, naïve non, mais il y a quand même un côté très dessin. Et en même temps avec des textures de peinture, et elle fait des scènes assez symboliques aussi, où ce sont des objets qu’on connaît de notre vie, ou des chambres d’enfants, et tout comme ça.

LFB : C’est vrai que je trouve qu’il y a toujours un vrai soin sur les pochettes de tes projets à chaque fois, qui rappelle un peu le projet, mais qui en même temps l’emmène un peu autre part aussi.

Godzi : Oui, et puis j’aime bien aussi la collaboration. En général ce sont des amis à moi, même sur Fatalitas c’était aussi une amie à moi, Léna. J’aime bien le fait aussi de demander à quelqu’un, de ne pas savoir ce que tu vas recevoir. Il y a un peu une prise de risques. En plus avec les économies dans lesquelles je vis, tu ne peux pas non plus imposer, dire non ça ne va pas du tout. Tu es obligé de prendre aussi ce que la personne va te donner. Tu sais que tu ne vas pas pouvoir beaucoup y toucher. J’aime bien ce côté un peu faire confiance.

Même si là j’avais quand même beaucoup l’idée de la structure. Mais j’aimais bien ce côté, tu fais confiance à quelqu’un dont tu aimes le travail et tu ne vas pas pouvoir faire des milliers d’allers-retours, lui dire ah non ça je n’aime pas, parce qu’en plus la peinture tu ne peux pas autant retoucher que sur d’autres choses, que sur la photo par exemple. Et puis même ça amène aussi dans un autre monde et ça met un décalage aussi : c’est des personnages, de la peinture, c’est aussi une représentation de quelque chose et non pas la chose que tu vois de manière « réelle ».

LFB : Si tu pouvais ranger Légion du Noun à côté d’un livre, d’un album et d’un film, tu choisirais quoi ?

Godzi : En film, je pense que je choisirais peut-être There will Be Blood. Je ne pense pas que ça soit la copie conforme, mais j’aime bien le côté très désenchanté et en même temps hyper ancré dans une période. En fait, il y a une relation humaine qui se passe dedans. Visuellement, c’est un film que j’aime trop en plus.

Un album ? Je ne sais pas, j’aimerais pouvoir prétendre à la hauteur d’un album de Bashung, par exemple. Que ça soit Fantaisie militaire peut-être pour la diversité qu’il y a dedans. Et je ne sais pas, en ce moment j’aime trop l’imprudence de Bashung qui est un peu impinable aux premiers abords mais qui… Après ça m’a mis trois ans à arriver à l’écouter donc ça a été un combat fort. Et j’aime bien aussi cette idée de défi aussi dans une proposition artistique. Et le livre… C’est très pompeux, mais peut-être un Céline, Voyage au bout de la nuit. Je trouve que c’est très critique envers soi-même. Enfin, je trouve que le personnage que Céline dépeint est aussi dégueulasse que le personnage qu’il est en vrai. Donc ça ne m’étonne pas trop. Je trouve que c’est ça qui est intéressant. Mais j’aime bien le côté justement, dans ses livres, que ce soit Voyage au bout de la nuit ou même Mort à crédit, déjà le choix des titres, j’aime bien. Et puis le fait de montrer un personnage horrible que tu n’as pas envie d’être aussi, que je trouve assez intéressant, où tu vas montrer justement, un peu dans ce que je te disais, de dire ce qu’on n’ose pas dire. Et de finir par défendre.

Crédit Photos: Cédric Oberlin

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