Gojira, guerriers de la sagesse

On ne les présente plus trop. C’est notre petite fierté nationale, des musiciens hors pair, ainsi que les fabuleux portes étendards d’une conscience collective qui s’intensifie sur les questions écologiques. Gojira est l’un de ces rares groupes qui a toujours été à contre-courant, mais trouve de plus en plus sa place et son utilité dans le monde. Leur profondeur résonne enfin avec puissance. Fortitude signera leur septième album, ainsi que leur souveraineté.

Gojira a eu pour le moins une progression en crescendo, qui ne faisait que légitimer peu à peu leur talent et leur impact musical. Ils atteignent des nombres de ventes assez hallucinants pour un groupe de death métal, se glissent dans les chartes jusqu’à devenir sans doute le plus grand groupe français au monde, et le plus digne représentant du genre allant même jusqu’à l’apporter sur la scène des Grammy Awards. Alors oui, ils ne font pas toujours l’unanimité, oui ils ont évolué, voir se sont assagis, et cela peut dérouter. Ces dernières années le Death a laissé un peu de ses growlings, les morceaux laissent moins de temps à l’expérimentation, et les guitares se sont éclaircies. Mais l’influence du groupe est indéniable. L’attente était électrique, chacun allant à son lot de commentaires à chaque morceau dévoilé dont Another World ouvrait le bal. Surtout que la sortie fut plusieurs fois repoussée pour cause de pandémie mondiale (en soi, le contexte idéal pour un album de cette trempe). La tension fut relâchée ce 30 avril, prête à nous exploser en pleine tête. 

Fortitude a, selon Joseph Duplantier, la vocation « d’inspirer les gens à être la meilleure version d’eux-mêmes et à être forts quoi qu’il arrive ». En ces temps tumultueux, c’est forcément un message qui résonne. Peinture de ce dernier, la pochette est bourrée d’inspirations. Entre la Pallas Athena de Klimt, les guerriers indigènes qui peuplent l’album et des chevaliers de la table ronde (so french), se dessine une figure non genrée à la détermination absolue.

S’il y a bien un thème fondateur à cet album et qui marquera tout le long de cet enregistrement c’est sans nul doute l’effondrement écologique. Un engagement de longue date, qui depuis ses débuts martèle ses préoccupations. De la baleine de From Mars to Sirius à un EP au profit de l’association Sea Shepherd, les pirates de la mer, les métalleux donnent de plus en plus de sens et de concret à leur envie d’agir. On peut le dire, Fortitude c’est la consécration de cet engagement avec sa multitude de titres traitant de sujet. Le plus emblématique sera sans nul doute Amazonia et de sa forêt en feu. Hommage aux tributs autochtones, et une mise en garde puissante contre les ravages qu’on lui inflige. Les flammes viennent taillader ses flans lui laissant des cicatrices irréparables. Poumon de la Terre, n’oublions pas qu’elle est aussi la maison de peuples qui assistent impuissants à sa disparition. Musicalement, Gojira rend aussi hommage à leur culture notamment grâce à l’utilisation d’instruments traditionnels tels que le didjeridoo. Un titre qui est aussi l’occasion pour le groupe de s’engager concrètement avec le don des recettes du morceau ainsi qu’une récolte de fonds pour l’ONG Apib qui vient en aide aux autochtones en Amazonie, et a ainsi récupéré plus de 300 000 dollars. Sans bars ouverts, les métalleux ont pu faire de jolies économies et les reverser à des causes bien nobles !

Toujours dans cette thématique mais poussant plus loin le fatalisme, Another World est accompagné d’un clip animé réalisé par Maxime Tiberghien et Sylvain Favre . Dans un scénario apocalyptique qui n’est pas sans rappeler notre situation actuelle, le quatuor se met à construire une fusée pour s’échapper de cette triste réalité. Tout au long de l’élaboration du plan, de nombreuses mauvaises nouvelles sur l’état de santé de la nature s’accumulent : disparition de la faune et de la flore sauvage en plus d’une pandémie. D’un riff de guitare répétitif et d’une voix menaçante, la bande nous interpelle avec des paroles évocatrices de leur végétarisme : « we mock and slaughter all the purest kinds» (« nous nous moquons et massacrons les plus purs d’entre nous »). Sur un plan inspiré de la Planète des Singes, le groupe est confronté à la vision d’une Tour Eiffel en abandon là où la nature a repris le dessus. Un titre pour nous rappeler qu’il est temps d’arrêter de vivre dans le déni, puisque la planète B n’existe pas.  

Même si la spiritualité (ou l’antispiritualité) ont toujours été des titres chers au métal, il est indéniable que Gojira les transcende. Sortant du carcan catholique, ils insufflent une rage bouddhiste (faut croire que ce n’est pas antinomique) et leur recherche du sens de la vie. 

Born for one thing est une nouvelle super production explosive. Tourné par Charles Meyer au Musée Royal de l’Afrique Centrale à Bruxelles (astuce pour rentrer dans un musée : tournez y un clip). Admirant les derniers spécimens d’une biodiversité  empaillée, un vieil homme avale une pilule étrange. Il se transforme en jeune fille sous le regard ébahi d’un gardien. Une course poursuite s’ensuit à travers les différentes salles d’expositions alors que le vieux monsieur ne cesse de se transformer et de changer de forme. Message d’unité, Joe Duplantier scande dans les refrains que nous sommes tous nés pour une chose : apprivoiser la plus grande peur de toutes qu’est la mort. Inspiré des philosophies tibétaines et thaïlandaises, c’est un cri du chœur pour un retour à plus de simplicité matérielle afin de se consacrer à notre richesse spirituelle. Fortitude sera décidément un rempart contre le capitalisme destructeur de notre planète.

Bien que beaucoup de titres résonnent de façon assez fataliste, Gojira est dans l’action et conserve un espoir indéfectible. De nombreux morceaux insufflent cet esprit guerrier et des mantras de courage tel que Hold On et ses airs de Metallica, ou le superbe The Chant qui relate le génocide du peuple Tibétain. On l’aura compris, le groupe souhaite nous transcender et faire de nous des soldats de l’environnement. Le furieux Into The Storm et sa batterie qui résonne telle une mitraillette est un appel à la désobéissance civile. On se sent pousser des ailes et prendre les armes au refrain et son incroyable envolée. Le style puissant et violent du métal servira à autre chose que vous poussez au pogo, mais servira la noble cause qu’est la survie d’une planète contre ses ennemis. 

Connu aussi pour son talent musical exceptionnel et ses innovations dans le domaine, le groupe n’hésite pas de pousser ses retranchements un peu plus loin. Les morceaux sont moins longs, plus directs et rentres dedans sans doute, mais le groupe expérimente indéniablement. Que ce soit sur le domaine des outils, à la manière de Amazonia et son incroyable Didjeridoo (non, on n’en pas encore assez parlé), ou de façon beaucoup plus surprenante en incluant des mélodies plus lisibles à leur style. The Chant et son intro Fortitude résonnent telle une transe indigène avec ses chœurs puissants. Une vraie rupture dans l’album. The Trails, plus sombre, possède de vraies sonorités à la Deftones avec ses envolées désespérées qui leur vont décidément à ravir. Il y a moins d’effets vocaux, mais la pureté de la technique et des instruments procure des frissons inédits. Mais bon Gojira reste un goupe bien bien vener qui use et abuse avec talent de la double pédale et des guitares stridentes. La clôture de l’album Grind ravira les plus puristes. Difficile de faire aussi intense et furieux. 

Comme le disait Platon, la parfaite sagesse a quatre facettes : la Sagesse (le principe de bien faire), la Justice (agir avec équité), la Tempérance (surmonter ses désirs et avec modération) et la Fortitude (affronter ses peurs et repousser ses ennemis). Alors que le monde est de plus en plus en proie au chaos et à l’autodestruction, il faut en effet beaucoup de courage pour ne pas se faire envahir par la détresse, décider d’agir et affronter les problèmes de front. Gojira choisit donc de nous bousculer à coup de messages incisifs et de chocs instrumentaux. Une vraie sincérité se dégage de Fortitude, pour un groupe qui n’a jamais été aussi puissant et moderne. L’urgence se dessine, et son peuple prend les armes. S’il y a une apocalypse, elle se fera au son de Gojira.