Grand Eugène : « Ce qui ressort, c’est vraiment la musicalité »

Si vous suivez nos aventures, vous savez que La Face B porte la scène québécoise émergente dans son coeur. Et autant le dire, Grand Eugène ne fait pas exception à la règle. On a donc profité de leur passage français au printemps pour rencontrer le groupe et pour en découvrir un peu plus sur lui.

La Face B : Comment ça va?

Melyssa : Ça va, je pense qu’on est vraiment excité.e.s pour le premier spectacle de notre tournée. Ça va être le fun, on a hâte!

Jérémy : On est tous.tes fatigué.e.s, mais ça va vraiment bien. 

LFB : Vous venez d’arriver?

Jérémy : Non, mais c’était intense j’ai l’impression : la vie parisienne, ça bouge. 

Nassim : Peu de repos. Mais je pense qu’il faut voir la tournée comme un genre de repos dans un sens? 

Melyssa : Je pense qu’on va être sur l’adrénaline aussi.

Nassim : Ça va faire du bien, je pense! 

LFB : Vous êtes venu.e.s en octobre pour le MaMA, mais c’était dans un cadre plus confidentiel et professionnel. Quelle importance ça a pour vous de faire cette première tournée en France?

Jérémy : J’ai l’impression que le projet est comme né avec cette idée-là de venir sur le territoire français. On est juste vraiment content.e.s qu’il y ait comme une réception qui se passe ici. On aime tous.tes la musique française et ce qui se passe en ce moment sur la scène pop et indé en France. On est vraiment content.e.s de se joindre à ce paysage musical-là! 

Melyssa : Je pense que c’est aussi un espèce de petit rêve que tout musicien.ne a, de sortir de son pays pour jouer de la musique. On se sent choyé.e.s! (rires)

Nassim : Je trouve ça super chill d’être ici, c’est cool. Comme Mel dit, la tournée c’est définitivement un petit rêve quand tu commences à rentrer dans le monde plus pop I guess. Si ça peut-être en France, tant mieux! 

LFB : Si j’ai bien compris, le projet est né d’un échange de mails à distance. Musicalement, comment ça a évolué pour vous de passer du distanciel à être tous.tes réuni.e.s pour créer ensemble? 

Jérémy : En travaillant à distance le son, on s’est trouvé une identité musicale. Maintenant, même si on est proches, on est capables de travailler à travers cette identité-là. Mélissa ne vit pas nécessairement à Montréal, moi pas tout le temps non plus. On n’est pas toujours ensemble mais on est capables de travailler les chansons quand même. 

Nassim : Je pense que ça a définitivement gardé le côté…

Jérémy : Do it yourself?

Nassim : Oui, j’allais dire “broche à foin” (rires). Il y a des chansons, je me rappelle qu’on avait fait les demos dans l’auto à Jérémy alors qu’il commençait à faire froid et qu’on allumait le chauffage…

Jérémy : J’ai un campeur, c’est pour ça (rires).

Nassim : La fois où ça a le plus ressemblé à un studio, on était dans un cabanon. Il y a encore eu beaucoup de distanciel et la démarche n’a pas tant changé que ça entre les albums. 

LFB : Est-ce que vous avez l’impression que jouer les morceaux en live les transforme? 

Melyssa : Oui, surtout quand on commence à les pratiquer pour vraiment les jouer en live tout le monde ensemble. C’est différent que de l’enregistrer pour le studio : il y a des éléments qui ne sont pas là, on a juste une guitare tandis qu’en studio on a plusieurs parties de guitare par exemple. C’est sûr que c’est différent, on essaie d’adapter ça pour que ça sonne aussi bien même si ça ne peut pas être pareil. On essaie de combler avec d’autres choses.

Jérémy : Je pense qu’on trouve aussi un réel plaisir à s’amuser avec les erreurs qu’on fait en live, à jouer avec ça et ne pas trop se prendre au sérieux. En studio, on prend le temps de bien faire toutes les choses mais quand on arrive en live, on se laisse aller un petit peu plus sur la qualité musicale pour donner plus à la qualité du spectacle. 

Melyssa : Ça reste de la qualité, mais reste que les meilleurs shows qu’on a faits sont ceux où on s’amusait et où même s’il y avait des erreurs, on passait par-dessus pis on avait juste du plaisir. C’était vraiment nos meilleurs shows! (rires)

LFB : J’ai l’impression que dans l’un de vos morceaux, il y a une phrase qui résume parfaitement votre musique : “Faire danser les gens qui n’aiment pas parler”.

Jérémy : Ouais! Une grande partie de ces compositions-là est née pendant la pandémie, c’était un moment beaucoup reculé sur soi pis je pense que toute notre musique est achetée de cette phrase-là d’une certaine manière. C’est de la musique sur laquelle on est supposé.e.s être capable de danser ou du moins bouger dessus. 

Melyssa : C’est drôle parce que c’est quand même assez planant pour la plupart des chansons, mais les gens dansent quand même. C’est le fun à voir je trouve. Les gens se laissent aller. (rires)

LFB : Si je dis ça, c’est parce que, si on regarde votre musique, j’ai l’impression que les paroles sont volontairement floues pour laisser plus de place à la musicalité. 

Jérémy : C’est moi qui écrit les paroles surtout, et c’est vraiment ça. On ne se pose pas trop de questions sur les paroles pis on se pose plus des questions sur la musique et comment ça sonne. Ça reste qu’on aime beaucoup les paroles comme elles sont! Mais ce n’est pas des chansons à texte à la Gainsbourg.  

Melyssa : C’est peut-être un peu inspiré de l’anglo, cette espèce de simplicité. Souvent, quand on essaie de traduire une chanson en anglais vers le français, les mots sont des fois super simples. Ce qui ressort, c’est vraiment la musicalité.  

LFB : C’est vrai que si tu regardes les Beatles, au final, les paroles ce n’était pas ce qu’il y avait de plus compliqué. Ce qu’il y a d’intéressant, et ça marche sur votre musique, c’est le fait que ça soit une simplicité, quelque chose qui est peut-être personnel mais aussi volontairement flou et masqué : ça permet aux gens de se connecter et de se reconnaître dans ce que vous faites.

Jérémy : 100%!

Melyssa : Ça laisse place à plein d’interprétations un peu différentes.

Jérémy : Au point où ce qu’on pensait que ça voulait dire n’a plus d’importance du tout. La dernière chanson qu’on a sorti avec Dani Terreur, il y a des reviews qui ont été faites dessus où est-ce que les gens parlaient de quelque chose qui était zéro ce qu’on pensait que c’était. Ça fait bien mon bonheur. (rires) 

LFB : J’ai l’impression que ça parle beaucoup d’amour vos chansons. On ne va pas se mentir. (rires)

Jérémy : Non, c’est des chansons d’amour! Mais après ça, chaque personne peut s’y identifier d’une autre manière. 

LFB : C’est des chansons d’amour malgré tout qui musicalement sont très joyeuses, mais qui dans le texte sont quand même assez tristes. Ça vous amuse de jouer sur ce contrepoids? 

Jérémy : J’ai de la misère à écrire des chansons joyeuses la plupart du temps. Je pense qu’à défaut d’être capable d’en faire, j’écris des chansons qui sont tristes. J’ai toujours été porté à aller chercher vers le côté plus triste, pis ce n’est pas nécessairement que je suis quelqu’un de triste mais c’est comme ça.

Melyssa : Je pense que c’est bien des fois. Le texte est triste mais la chanson n’est pas trop lourde : ça fait que c’est une plus belle balance que juste être full depressed au complet. 

LFB : Dans cette idée de flou, je trouve qu’il y a un rapport à la mémoire et au souvenir qui est hyper important dans votre musique. Ça se transfère bien sur vos visuels : il y a beaucoup de photos mal cadrées, où le visage est effacé… On a vraiment l’impression que ça ramène aussi au texte et à cette idée de souvenir. 

Jérémy : Ouais! C’est moi qui m’occupe beaucoup des visuels, et j’ai vraiment ce souci-là. J’ai étudié en art visuel à l’époque, en photographie plus spécifiquement. Je prenais souvent les photos de ma mère pis je me les réappropriais d’une certaine manière pour faire des parallèles avec la mémoire pis tout ça. Je pense qu’inévitablement, tout ce que j’ai appris en art visuel s’est transféré dans l’esthétique musicale du groupe. 

LFB : Il y a un côté hors du temps sur les photos, on ne sait pas de quelle époque elles viennent… Je trouve intéressant le fait que les idées de la musique se transportent sur l’image que vous renvoyez du groupe. 

Jérémy : C’était ça le but, bien vu! (rires)

LFB : Jérémy, est-ce que dès le départ tu avais eu envie que tes textes soient chantés par une voix féminine? 

Jérémy : Non, pas du tout. Au début, je voulais que ce soit moi qui chante ces textes-là sous un alias qui n’était pas mon nom, mais ça n’allait nul part. À un moment donné, j’avais fait un show avec notre batteur qui a un projet solo qui s’appelle Niall Mutter, je joue de la basse dans ce show-là. Melyssa était venue, pis elle disait que c’était vraiment bon comme style de musique, et le style de Niall Mutter est similaire à Grand Eugène quand même. Donc j’étais comme “Oh! J’ai peut-être un projet pour toi!”. Pis là, on s’est rencontré.e.s dans mon campeur (rires). On avait essayé les chansons, pis après-ça on a comme travaillé longtemps le son pis tout ça, et c’est de même que c’est parti. Au début, ce n’était pas supposé être une voix féminine mais quand la voix féminine est arrivée, ça a fitté

Melyssa : On a travaillé aussi la voix, à savoir qu’est-ce qu’on veut comme voix. Habituellement, par réflexe, je ne chante pas de façon aussi aérée et douce que ça. Je prends un moule différent pour le son de Grand Eugène

LFB : Il y a un peu un travail de créer un personnage pour incarner Grand Eugène. La musique telle qu’elle est présentée, je la verrais pas avec une voix masculine. Elle apparaît un peu dans le featuring que vous avez sorti et sur les chœurs, mais j’ai l’impression que c’est une musique qui se prête plus à une voix féminine.  

Melyssa : Je pense que la voix féminine ajoute beaucoup à l’aspect dreamy, angélique, aigu et en hauteur. C’est sûr que cette particularité-là est une signature de Grand Eugène aussi. Je pense que ça se prêterait bien avec une voix masculine, mais c’est sûr que les mélodies et les registres seraient différents. 

LFB : Ce que j’aime beaucoup dans votre musique, c’est l’importance de la section rythmique. Dans toutes les chansons, la vraie colonne vertébrale c’est la basse. Je trouve que c’est de plus en plus rare et ça se ressent énormément dans la musique : c’est peut-être pour ça que ça fait danser les gens.

Jérémy : Je pense qu’en jouant de la basse avec Niall, j’ai appris beaucoup de choses, comment jouer de la bass pis que ça soit mélodique. C’est ça qu’on fait dans Grand Eugène. C’est une bass d’un guitariste qui joue de la bass

Melyssa : C’est souvent un des premiers éléments qui est là au début, pis on construit autour de ça.

LFB : Même la batterie! Les guitares elles sont là, mais ce ne sont pas des guitares rythmiques, c’est vraiment des guitares dans l’atmosphère. Le vrai corps de la musique vient de la basse.

Jérémy : Je suis d’accord!

Nassim : Aussi, dans le processus d’enregistrement, c’est une des fondations quand on stack tous les éléments d’une chanson. Je pense qu’après ça, ça guide définitivement nos choix pour les autres instruments qui viennent après. 

LFB : Votre premier mini-album était très dream-pop. Je trouve que sur le nouveau, il y a beaucoup d’éléments musicaux différents : il y a des touches un peu blues, un peu soul aussi dans la façon qu’il est composé. Ça amène les chansons autre part tout en restant sur cette idée de basse en colonne vertébrale.

Jérémy : Il y a comme de la place pour des solos de guitare dans le deuxième. Dans le premier, je n’avais pas les guts de le faire j’ai l’impression.

Nassim : C’est drôle parce que pour le deuxième EP, on était vraiment crinqué.e.s sur la basse, on était comme “Let’s go la basse, let’s go!”. On a reçu une première version des masters où en l’écoutant on était comme “OK, on a abusé un peu(rires). On a tout ré-équilibré, mais la basse a définitivement une grande place dans nos cœurs. 

LFB : Il y a un côté un peu plus lancinant dans la musique du nouvel EP.

Melyssa : C’est vrai, c’est moins dansant. 

Nassim : C’est plus vibey

Melyssa : C’est plus calme mais pas d’une façon plate, je dirais. D’une façon plus recherchée. 

LFB : On voit qu’il y a vraiment une ouverture musicale.

Melyssa : À force de jouer ensemble, aussi. Tu demandais ce qui avait évolué depuis le début : on a joué ensemble, ce qu’on avait pas fait avant.  

Jérémy : On a travaillé ensemble sur les enregistrements.

Melyssa : Sur le premier, ça s’est beaucoup fait de façon séparée. Le deuxième, on a pris un moment tous.tes ensemble pour enregistrer en même temps. C’est sûr que ça a donné quelque chose de différent.  

LFB : Jérémy, tu leur donnes de la place dans la composition?

Jérémy : Surtout dans les parts. Je fais pas vraiment les parts de keys : s’il y a de quoi, c’est comme des idées très floues. 

Nassim : S’il y a de quoi, je vais reprendre des mélodies que tu as composées à la guitare. 

Jérémy : La voix, je pense que c’est souvent très croche mais je fais jamais vraiment des harmonies. 

Melyssa : Des fois, je modifie un tout petit peu la mélodie parce que je m’approprie la façon de la chanter, mais ça reste presque as is. Après, j’ajoute des harmonies.

Jérémy : C’est pas que je veux pas, mais on arrive avec des démos assez avancées souvent. 

Melyssa : Souvent, c’est bon! Des fois, quand il m’envoie des démos, je dis comme “C’est bon mais pour telle partie de la mélodie, on dirait que j’entendrais autre chose” pis là il m’envoie quelque chose de différent. On se donne des cues comme ça, mais c’est beaucoup Jérémy. (rires)

LFB : Vous avez sorti un titre avec Dani Terreur, vous avez aussi un remix fait par Courrier Sud. Est-ce qu’il y a d’autres artistes français.e.s avec qui vous aimeriez travailler?

Jérémy : Tout plein! (rires) J’adore la scène française. Personnellement, il y a plein de groupes avec qui j’aimerais travailler et avec qui je vais sûrement jamais travailler parce qu’il y en a trop. Je n’ai pas de noms à te donner particulièrement en ce moment. Mais il y a une artiste qui fitterait vraiment beaucoup selon moi avec Grand Eugène, c’est Klara Kristin

Nassim : Est-ce qu’elle est française?

Jérémy : Elle n’est pas française, elle vient du Danemark mais elle chante en français et vit à Paris. C’est des drum machines, des petits synthés… On est super ouvert.e.s à travailler avec des artistes français.e.s ou des artistes en général. On aime la collaboration.  

LFB : Pas de noms à donner? La porte est ouverte! (rires)

Jérémy : Ben il y a un gars en ce moment, ses trucs ont l’air de vraiment pop off pis ça fait un bout que je l’écoutais : Claude. J’écoute ça depuis longtemps pis là on dirait qu’il a explosé. On va namedrop Claude.

LFB : On lui passera le message!

Jérémy : Parfait, merci!

GRAND EUGÈNE · Portrait La Maroquinerie, Paris, 18/03/2024 Célia Sachet • Celia Seven Photography

LFB : Si on pouvait vous accorder trois vœux, là tout de suite : de quoi vous auriez envie?

Jérémy : Trois vœux, c’est un chaque! J’aimerais ça qu’on soit capable d’en vivre assez pour bien manger, ça serait mon vœu.

Melyssa : Je partage ce souhait-là, mais pour faire différent j’aimerais beaucoup aller jouer en Allemagne.

Nassim
: On va souhaiter la paix dans le monde, on pourrait utiliser ça un peu. On en a besoin.

LFB : Est-ce qu’il y a des choses qui vous ont beaucoup plus récemment? 

Melyssa : J’ai regardé Poor Things, c’était tellement incroyable! À chaque fois que ça avançait, j’étais comme “Voyons donc!”. C’était tellement bizarre mais tellement bien fait et bien réalisé. 

Jérémy : Je vais partager ça. Ça m’a vraiment pogné. 

Nassim : On dirait que des fois j’ai tellement trop la tête dans le projet que quand j’ai du temps libre, je me détache de toute culture (rires). Ces temps-ci, j’aime beaucoup la scène à LA même si c’est des styles complètement différents. Beaucoup des tones et des sonorités d’artistes comme Pedro Martins m’inspirent beaucoup. 

LFB : Merci beaucoup!

Jérémy : Merci à toi, c’était super cool! T’as fait tes recherches! 

Crédit Photos : Célia Sachet
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