En concert pour la première fois en solo, après une tournée automnale aux côtés de Thylacine, le pianiste caennais Grégoire Jokic, porté par la vague néoclassique, savoure les prémices d’une inspiration florissante. Son esprit déverse une musique contemplative, tantôt calme, tantôt exaltée, comme les eaux versatiles d’un fleuve, les états d’âme de la nature et les caprices du ciel. Ensemble, on a parlé avenir, poésie et rêveries.

La Face B : Quels souvenirs gardes-tu de ta tournée avec William, alias Thylacine ?
Grégoire Jokic : Je me souviens d’une soirée à Lyon, où tout était réuni, entre le public, très chaud, et l’assurance que j’avais acquis à ce stade avancé de la tournée. Inoubliable.
La Face B : Quels liens entretenez-vous tous les deux, avec Thylacine ? Comment en es-tu venu à faire ses premières parties ?
Grégoire Jokic : On s’est rencontrés grâce à son tourneur, Tommy, qui nous a mis en contact le 16 mars dernier pour son concert à l’Olympia. On n’a quasiment pas discuté ce soir-là avec William, il évitait de sortir de sa loge pour plusieurs raisons. C’est plus tard qu’on a eu de bonnes discussions. Thylacine voulait un pianiste pour sa première partie, depuis le lien est fait.
La Face B : En quoi peut-on dire que ta musique raisonne avec la sienne et inversement ?
Grégoire Jokic : On a tous les deux compris qu’il y avait quelque chose à creuser entre deux mondes : celui de l’électro et celui du classique. Alors on l’explore, chacun à notre manière.
La Face B : Avez-vous déjà songé à un projet commun ?
Grégoire Jokic : Ce n’est pas l’envie qui m’en manque, mais nous n’en avons jamais parlé. Je lui enverrais bien mes prochaines compositions, pour commencer.
La Face B : Ton dernier single : Awake at Dawn (se réveiller à l’aube) est sorti fin décembre et tu comptes en sortir un autre prochainement. Pourquoi avoir choisi d’évoquer ce moment précis : l’aube ? Est-elle propice à l’inspiration ?
Grégoire Jokic : Comme à mon habitude, j’ai improvisé cette musique, un peu par accident, mais l’aube m’inspire et engendre une musique située à la lisière des rêves et de la réalité. Je compose beaucoup aux premières lueurs du jour, où je me sens frais. Je n’aime pas perdre ma journée.
La Face B : Ton dernier EP s’intitule Silent impact. Pour un musicien, censé le combler, que représente le silence ?
Grégoire Jokic : Le silence c’est aussi le « groove ». Plus tu avances dans la composition et plus tu rajoutes du silence. Au début, tu remplis pour combler le silence, mais quand tu acceptes le silence, tu acceptes de faire de la place, de laisser de l’espace pour respirer.
La Face B : Si tu devais établir un lien global entre toutes les compositions de l’EP, lequel serait-ce ?
JGrégoire Jokic : Je dirais des périodes de vie. Quand je compose, je ne me pose pas de questions, j’y vais comme un artisan, j’essaie de ne pas mettre d’affect dedans, sinon je me retrouve bloqué. Mon premier album, Kairos, je le qualifierais de mélancolique. L’EP, je l’ai voulu plus dynamique. Il comporte d’ailleurs un titre complètement électronique.
La Face B : Pourquoi toujours vouloir retranscrire sa mélancolie à travers l’art ?
Grégoire Jokic : J’ai une théorie sur ça. Dans la vie, il y a deux clans : les pessimistes et les optimistes. Moi, je suis du côté des optimistes, avec une gaieté naturelle. Alors je vais puiser dans la musique ce que je ne suis pas.
La Face B : Seven Seas est un hommage à la nature, et en t’écoutant, on te sent très proche d’elle.
Grégoire Jokic : J’ai grandi en pleine campagne, vers Caen. J’ai évolué au contact de la nature. Je trouve aussi que ma musique se prête bien à l’image, et notamment aux grands espaces sauvages. J’aimerais davantage la porter à l’écran, dans un genre cinématographique. Il faudrait approfondir cette idée.
La Face B : Tu as déjà commencé, notamment pour certains clips comme Awake, où tu te mets en scène au bord d’un canal désertique et Seven Seas, où tu déroules de vieilles archives de films en noir et blanc.
Grégoire Jokic : Pour composer Seven seas, j’avais relu un livre de Jules Verne et en fouillant dans les archives, j’ai retrouvé les images d’un vieux film sur Vingt mille lieues sous les mers. Jointes à d’autres courtes scènes originales mises bout à bout d’une expédition en mer, ça donne quelque chose d’assez poétique et d’assez contemplatif.
La Face B : Comment voudrais-tu que les gens écoutent ta musique pour qu’elle soit véritablement comprise ?
Grégoire Jokic : Je pense qu’on compose pour que les gens ressentent quelque chose. Le simple fait de les toucher, de les inspirer, c’est déjà gagné. La composition est un équilibre entre ce qui sort de soi et l’écoute qu’on en fait.
La Face B : As-tu toujours composé seul ?
Grégoire Jokic : J’ai participé à plusieurs aventures collectives : jazz, funk, électro, tout y est passé, mais quand tu fais tout ça pour qu’au bout de bout de quatre ou cinq ans, le projet s’effondre, que tu dois recommencer, tu ressens une immense frustration. Autant composer solo. C’est moins terre à terre, plus propice à la rêverie.
La Face B : À quoi va ressembler ton année 2023 ?
Grégoire Jokic : En ce moment, je travaille à fond sur des compositions, entre les concerts et les cours de piano que je donne. J’ai pas mal de sorties de single prévues et des projets de collaborations. Dans l’idéal, j’aimerais bien trouver une chanteuse pour m’accompagner sur certains titres. Affaire à suivre. Il y a aussi eu ma première date solo au pop-up du Label le 25 janvier, souvenir mémorable. Sinon, je savoure chaque opportunité qui se présente.