On a retrouvé Hélène Sio pour une conversation à la veille de la sortie de son premier EP, Les Ratures. On a parlé des bonnes rencontres à faire, de trouver son style musical et de la nécessité, dans la vie comme dans la musique, de s’autoriser à faire des ratures.

La Face B : Salut Hélène, comment est-ce que ça va?
Hélène Sio : Ça va, mais je suis un peu stressée. J’ai l’impression que c’est le premier saut dans le vrai grand bain, quoi. Le début de l’aventure des sorties.
LFB : La première vraie sortie un peu structurée.
Hélène Sio : Ouais, exactement. Disons que c’est la première fois vraiment que je vais avoir mes chansons réunies dans un seul et même projet, que ce n’est pas éparpillé. Donc pour moi, c’est la vraie première fois. Je suis super stressée. Et en même temps, il n’y a que deux chansons qui vont être inédites, puisque c’est un EP de cinq titres, avec trois singles qui sont déjà sortis. Alors, la terre entière ne les a pas écoutés, mais disons que ce n’est « que » deux chansons inédites. Et c’est pour ça que je me dis : « bon, je ne fais pas assez, ce n’est pas assez ». Cet après-midi, j’étais en mode anxiété.
LFB : Du coup je vais revenir un peu en arrière. Avant l’EP, je me demandais quel regard tu portais sur tes deux premiers titres sortis en 2022 et 2023 : J’aime toucher vous et La fin du film.
Hélène Sio : Un regard assez… Je ne sais pas comment dire. Je suis assez en accord avec ce que j’avais sorti en 2022-2023. J’ai l’impression que c’était il y a dix ans déjà, alors que pas du tout. Je suis trop contente qu’ils existent toujours, je continue de les chanter en concert, de les remanier, de les réarranger. Ils font toujours partie de ma vie. Mais pourtant, je n’estime pas que ce sont mes premiers projets. Ce n’est pas que j’en suis plus fière, mais les deux premiers sont un peu sortis parce qu’il fallait sortir des choses, et qu’on a travaillé vite. Donc non, j’ai un regard doux sur ces titres, mais là j’ai le stress du vrai premier projet.
LFB : Il y a un truc qui m’intéresse, et tu vas me dire si tu es d’accord ou pas, mais j’ai l’impression que la reprise de Mode d’emploi (Disiz) que tu as faite, c’est un peu une base stylistique hyper importante pour ce qui est venu après.
Hélène Sio : Mais tu as totalement raison. Et c’est même ça qui m’a donné l’impulsion. C’est grâce à cette reprise que j’ai rencontré Babou, avec qui j’ai tout refait. C’est-à-dire que j’avais toutes les maquettes que j’avais faites précédemment avec Alto, et Babou a remis une passe sur toute la réalisation. Tous les sons, les batteries, par exemple. C’est lui qui avait eu cette idée sur Mode d’emploi, déjà.
LFB : Je trouve qu’il y a la batterie qui apparaît, qui est hyper importante. Et j’ai l’impression aussi que, sur ce morceau là, tu déconstruis un peu l’utilisation de ta voix. Et tu fais un peu le deuil d’une voix un peu lyrique, qui restait sur les premiers singles.
Hélène Sio : Et en même temps, j’ai essayé quand même de la garder un peu. J’avais mis un point d’honneur à mettre quand même pas mal de chœurs un peu partout, et ça, pour moi, c’est ce qui reste de cette voix un peu aiguë, un peu ronde. C’était trop important pour moi de la retrouver à ce moment-là et à cet endroit-là dans les chœurs. En plus, c’est quelque chose que j’ai toujours fait, de poser plein de chœurs, avant même de savoir bosser sur mon ordi. Moi, je posais mes maquettes et ma topline de voix sur des chœurs que j’avais préalablement enregistrés, parce que c’était ça qui faisait mon instru. Mais effectivement, il y a une petite déconstruction de voix, parce que je ne chante plus du tout de la même manière. Il y a un truc beaucoup plus grave, beaucoup plus… presque plus précis, j’ai l’impression. Mise à part les chœurs, il y a moins d’envolées lyriques. Les Ratures, par exemple, elle est un peu à part sur ce côté-là, je trouve.
LFB : J’ai l’impression que c’est un morceau qui est peut-être plus ancien et qui a un côté un peu piano-voix qui te ressemble plus à l’époque.
Hélène Sio : Oui, c’est vrai. Il a deux ans de plus que les autres. C’est un des premiers morceaux que j’ai écrits et composés.
LFB : C’est un morceau de bascule dans l’EP aussi, je trouve.
Hélène Sio : Oui, et en même temps, tu vois, je ne peux pas m’empêcher de dire que c’est mon préféré. Mais je pense que c’est aussi lié au temps, à l’attachement émotionnel. J’avais essayé plein de choses sur ce titre-là, et finalement je suis revenue à la base des bases, à ma première maquette, avec mon petit piano, deux-trois fioritures, mais vraiment ces chœurs qui accompagnent la chanson.
LFB : Et si je ne me trompe pas, il est placé au milieu ?
Hélène Sio : Oui, il est en quatrième. Avant-dernier.
LFB : Je trouve qu’il fait beaucoup le deuil de ce qui est dit avant. Et il ouvre une porte complètement différente sur la chanson qui vient après.
Hélène Sio : Oui. Cette chanson, et c’est pour ça que je lui ai donné la place du titre éponyme de l’EP, elle est ultra importante pour moi. Elle boucle quelque chose. Il y a une petite boucle bouclée avec le label aussi, par exemple, parce que c’est cette chanson-là qui leur a donné envie de travailler avec moi. Donc je me suis dit que, pour ce premier projet ensemble, c’était une belle histoire.
LFB : Ce nom d’EP, justement, je trouve le mot hyper fort, hyper intéressant. Je voulais te demander ce qu’il représentait pour toi.
Hélène Sio : Les ratures, c’est vrai qu’il y a tellement de lectures possibles. Quand j’ai écrit le morceau, je n’y avais même pas pensé. J’écrivais, j’adorais ce mot. Je trouve qu’en français, le mot « rature », il peut paraître un peu ingrat. Ce truc de re-re-re, la redondance. On pourrait se dire que c’est pas terrible.
Et en fait, je trouve ça super doux. Même dans la diction. J’aime beaucoup ce mot, juste pour sa sonorité. Et puis, quand j’ai pensé à l’EP, je me suis dit que ça serait peut-être pas mal d’en faire le titre. Alors tout bêtement, j’ai cherché « rature définition » sur Google. Et ça m’a sorti : une rature, c’est le trait qu’on fait pour corriger, modifier quand on a fait une erreur. Et j’aimais bien ce truc-là. Pas de l’erreur, mais de l’accident.
Ce n’est pas grave, on ne va pas effacer, mais on rature pour avancer, et on laisse une trace. Et puis après, il y a eu tout ce truc de la trace, ce que ça voulait dire pour moi. Évidemment, il y a ma rature dans mes cheveux, parce que je ne peux pas ne pas en parler. Tu vois, j’avais pensé à Angèle qui disait que Brol, c’était le bordel, et que son album représentait ça. Moi, j’ai qu’un EP de cinq titres, mais j’ai l’impression que ma rature, c’est tous ces trucs que je n’ai pas voulu effacer, que je raconte quand même, que j’ai peut-être essayé de corriger, de raturer, de faire un peu n’importe comment. Et ça a donné tout ça.
LFB : Moi j’y vois un double sens. Il y a effectivement l’idée de faire des erreurs pour trouver son style. Mais aussi l’idée que l’existence, elle nous laisse des traces, et que ces traces permettent d’avancer. Et c’est pour ça que je trouve le titre hyper intelligent. Parce que ces deux idées-là, on les retrouve dans les cinq morceaux.
Hélène Sio : Complètement. Et je pense même qu’en réalité, c’est pour ça que je suis trop contente de la phase qui va arriver après. Même si j’ai encore tout ça à défendre, et que j’ai mis toute mon âme dedans. Je sens que je suis qu’au début de ce que peut représenter Les ratures, en gros et en grand. C’est toute mon histoire, en fait. Cette idée de double sens, de trace et d’accident. Je suis trop contente que ça t’ait évoqué la même chose, parce que c’est exactement ça. Ma rature, c’est ma mèche. Ma mèche, c’est mon accident. Ce n’est pas très original, mais c’est vrai.
LFB : Et puis c’est les choses qui s’imposent à toi. Tu ne serais peut-être pas là sans tout ça. Sans cette rature-là, en fait.
Hélène Sio : Exactement. Et c’est pour ça que je trouve ça cool de ne pas le mettre sous le tapis. Je n’ai pas envie de l’effacer. Sinon, je l’aurais appelé L’Effaceur, tu vois. Ou La Gomme, mais déjà, c’est un mot moche. (rires)
LFB : Tipp-ex.
Hélène : Voilà, ce sera mon prochain EP ! (rires) Ce que j’aime dans Les ratures, c’est qu’on voit qu’il y a eu un essai, une erreur peut-être, qu’on a corrigé pour avancer. Et c’est vraiment ça, pour moi, ce titre-là.
LFB : Quand on écoute les morceaux, on peut y voir des histoires d’amour au premier abord. Mais moi, j’ai surtout l’impression qu’ils parlent aussi beaucoup de soi. Pour te plaire, Je veux tout savoir, j’ai l’impression que ça parle beaucoup de la personne qui écrit, en fait.
Hélène Sio : Et d’ailleurs, c’est pour ça que Celle que je crois se glisse aussi très bien dans l’EP. J’avais peur que les gens pensent que je fais uniquement des chansons d’amour. Pour te plaire, quand je l’ai écrite, je me suis dit : « Ah mais je peux écrire des choses comme ça ». J’avais 23 ans, dans ma tête je n’étais pas une adulte, et il y avait ce truc de : « Ah c’est marrant que dans mon for intérieur, j’ai envie de raconter ces choses-là. » Et Je veux tout savoir, pareil. Je trouve qu’il y a un truc un peu d’écrire pour grandir. J’ai l’impression que J’aime toucher vous et La fin du film, ce sont des chansons d’adolescente.

LFB : C’est vrai que le premier titre que tu as sorti, il a un côté un peu plus candide. On pourrait presque dire un truc très sixties. Alors que là, dans l’EP, on est dans des ambiances plus seventies. Et si on reste sur cette idée de progression, je trouve qu’il y a une vraie évolution dans l’EP entre le premier et le dernier morceau. Entre Pour te plaire et Le choix, il y a une prise de pouvoir. Tu me diras si je me trompe, mais dans Pour te plaire, il y a presque une forme de soumission à l’autre, alors que dans Le choix, tu dis : « En fait, c’est pas toi qui comptes, c’est moi ». Il y a cette idée de sortir de l’ombre. Et tout ça se fait à travers cinq morceaux.
Hélène Sio : Totalement. Et en même temps, je sais que ce sont mes deux facettes. Je ne renie ni l’une ni l’autre. Il y a des moments où, comme tout le monde, je pourrais me mettre à nu, et d’autres où, comme dans Le choix, où je peux me barrer si quelque chose ne me plaît pas. Et en même temps, je suis Bélier, ascendant Bélier, lunaire Bélier. Donc est-ce que ça m’étonne d’écrire des trucs comme ça ? Pas vraiment. (rires)
LFB : Mais c’est intéressant, parce que ce sont des ratures aussi. Des contradictions qui permettent d’avancer. Et réussir à faire ça sur un EP de cinq titres, c’est peut-être idéal en fait. Ça permet d’avoir un objet qui est une ouverture. Pour moi, le dernier morceau est clairement une ouverture vers autre chose.
Hélène Sio : Oui, totalement. Et pourtant, je sais pas si pour autant je vais délaisser les autres facettes. Le choix, je trouve qu’il est un peu à part. Il est beaucoup plus lumineux. Pour te plaire, c’est un peu grave. Celle que je crois, aussi, il y a de la gravité.
LFB : Et Le choix, il est beaucoup plus énergique aussi.
Hélène Sio : Beaucoup plus énergique. C’est le seul d’ailleurs qui est comme ça. Moi, je n’avais pas envie que la tracklist soit plombante. Je n’avais pas envie de finir sur Les ratures, alors même que c’est le titre éponyme. Je trouvais que ça faisait beaucoup de petits violons. Le choix, je trouve que ça ramène un truc plus frais, plus léger. Je suis pas une personne triste, donc c’est bien d’avoir ce contrepoids.
LFB : C’est marrant, parce que Le choix est très solaire comme morceau, alors que tes photos, tes visuels, eux, sont beaucoup plus graves.
Hélène : Mais parce qu’il y a un truc grave aussi que, pour l’instant, je n’ai pas encore totalement touché du doigt. J’ai l’impression de vouloir raconter des choses plus graves, des sensations, des trucs que j’ai vécus, et que je n’avais pas encore eu la force de pointer du doigt. Pourtant, je sais que j’ai toujours été quelqu’un de grave. Quand j’ai rencontré Loïc (Pillet, ndlr), mon manager, c’est une des premières choses qu’il m’a dites. Il m’a dit : « Toi, il y a un truc qui s’est passé. Un jour, on en parlera, parce que ça se voit dans ton âme ». Et je sais qu’au fond de moi, j’ai ce truc-là. Donc je le parsème un peu, mais je n’ai pas envie que ce soit tout le temps là non plus.
LFB : Ça vient peut-être aussi du fait que ta vie aurait pu s’arrêter beaucoup plus tôt.
Hélène Sio : Bien sûr. C’est clairement ça. Il n’y a pas de secret. Et pourtant je n’ai pas envie d’en parler comme ça, même dans mes chansons. Je veux dire, pas de façon dramatique. Il y a toujours de l’espoir dans mes sons, dans la couleur de mes chansons, et j’y tiens beaucoup. J’ai pas envie que ça sonne pathos ou qu’on ait pitié. Donc c’est un peu l’enjeu à chaque fois : trouver l’entre-deux.
LFB : Il y a aussi un truc très onirique, comédie musicale presque. Dans l’utilisation des chœurs, ou dans une certaine « réalité floue ». Ta réalité, mais à travers le prisme de la musique. Et ça ne peut pas être complètement sérieux non plus.
Hélène Sio : Oui, complètement. Mais c’est vrai que cette tension entre le sombre et le solaire, ce que je suis dans la vraie vie, parfois on ne sait pas trop où se positionner. Déjà dans l’EP, il y a une tendance à aller chercher des choses plus « deep », mais je ne sais pas encore où ça va nous mener visuellement. En tout cas, moi, j’apprécie ce double truc. C’est ce qu’il y a dans mes cheveux, tu vois. Ils sont tout soleil, mais en fait il y a un endroit où ça pêche.
LFB : Je vais revenir sur les morceaux. Dans le texte, est-ce que tu avais une volonté particulière de t’amuser avec les carcans de la pop-musique ? Parce que je trouve qu’il y a un jeu avec les structures, parfois même un refus du couplet-refrain, notamment sur Les ratures. Et j’ai l’impression que tu t’amuses à moderniser tout ça.
Hélène Sio : Carrément. J’ai la chance d’être avec des équipes qui ne me formalisent pas et qui sont ok avec le fait de ne pas faire une chanson « couplet-refrain-couplet-pont-refrain ». Et ce n’est même pas quelque chose auquel j’ai vraiment réfléchi pendant des heures. Pour te plaire, quand je l’ai écrite, j’ai zéro pensé qu’il n’y avait pas de refrain. C’était juste comme ça que j’avais envie de la sortir. De la sortir, littéralement, de moi. On avait essayé de structurer un peu, d’amener un refrain instrumental au milieu mais ce n’était que des mauvaises idées.
LFB : Et le fait de répéter Pour te plaire, tu as une progression presque hypnotique, en fait.
Hélène Sio : Oui, voilà. Même Le choix, tu vois, à la fin, il y a un refrain avec une troisième passe. Au départ, on devait aussi le mettre sur le deuxième passage. Moi, j’étais pour. Mais finalement, mes équipes m’ont dit : « Non, si tu fais un refrain avec une phrase, un autre avec une deuxième, puis un troisième avec encore autre chose, ça va devenir illisible. » Et ils avaient raison. C’est eux qui réfléchissent à ça, c’est leur métier. Moi, je m’en fiche un peu de faire une chanson qui rentre dans les codes de la pop. Ce n’est pas mon enjeu.
LFB : Même un morceau comme Celle que je crois, pour moi il a un côté très anglo-saxon dans la façon dont il est chanté et écrit.
Hélène Sio : C’est une première, en plus. De chanter un peu comme ça, pour moi, dans mes chansons. Moi qui, à chaque fois, chante soit plutôt dans l’aigu, en voix de tête, soit plutôt grave. C’est une voix que je n’utilisais que quand je faisais des reprises en anglais, quand j’avais 12 ans. Quand on a fait Celle que je crois, j’avais envie d’être vraiment sur le fil du rasoir de ma voix. Si on écoute l’EP, on ne s’en rend pas forcément compte. Mais il y a eu plus d’expérimentations qu’on ne le pense. Ce ne sont pas des chansons expé du tout. Mais dans le processus de création, il y a eu de la recherche.
LFB : Et ça s’entend. Ce qui est cool, je trouve, c’est qu’à travers la production, ça sonne comme un tout, mais chaque morceau a ses spécificités. Que ce soit l’absence de refrain, un piano-voix très pur, une chanson plus pop, ou un morceau très énergique qui se coupe brutalement à la fin. Il y a des détails qui montrent la profondeur du travail dans chaque morceau.
Hélène Sio : C’est vrai qu’on a pris du temps. Et encore une fois, j’ai eu trop de chance d’avoir des gens autour de moi qui attendent. Je tiens à mes équipes, qui me laissent le temps d’apprendre plein de choses, d’écouter plein de choses. Quand j’ai commencé à écrire l’EP, je n’écoutais rien. J’essaie de ne pas trop me dénigrer, mais je sais que j’ai tellement de trucs à apprendre. Au début, j’étais paumée, je n’avais jamais eu la curiosité d’écouter autre chose que de la chanson française, à part quand j’étais petite et que j’achetais mes CD. Il m’a fallu quasiment un an de recherche. Savoir ce que j’aime, ce que j’ai envie d’avoir comme son, comme texture, comme batterie, comme type de snare… Je ne connaissais rien. Et je ne sais toujours pas vraiment ce que je veux à 100 %, mais c’est un processus.
LFB : Mais ça te permet d’avoir un truc qui n’appartient qu’à toi. Il y a des artistes avec une culture musicale immense, et ça se ressent aussi. Mais à l’inverse, ce chemin-là crée autre chose.
Hélène Sio : Oui, bien sûr. Je ne sais pas ce qui est « mieux », en tout cas, moi, je suis en constante recherche. Comme tous les artistes, j’imagine. Aujourd’hui, je suis fière de chaque morceau. Il n’y en a pas un où je me dis « j’aurais dû creuser plus, j’ai été trop dans la facilité ». Et si on sent qu’il y a eu un minimum de recherche, c’est déjà un pari gagné pour moi.

LFB : Ce que je trouve intéressant, c’est que tu es très influencée par les comédies musicales françaises des années 70, Peau d’Âne, le plus évident, et ça se ressent à travers l’utilisation du piano, des chœurs très présents. Et en même temps, t’as une production hyper moderne, notamment dans l’usage des batteries. Du coup, ça crée un équilibre qui te permet de ne pas tomber dans un truc trop passéiste.
Hélène Sio : Oui, bien sûr. Presque désuet. Moi, j’avais super peur de faire de la chanson désuète. On a fait des versions de Les ratures que je trouvais très belles, mais aussi très grandiloquentes, avec des violons… En fait, ça devenait une chanson française, mais cliché. Et ça n’aurait pu être que ça : une mauvaise variété à l’ancienne. Mais Babou et Alto m’ont un peu forcée à écouter plein d’autres choses. Du coup, on a trouvé cet équilibre, je crois, entre chanson française et quelque chose de plus moderne.
LFB : Ça montre aussi à quel point c’est important, même quand tu composes toute seule, d’aller chercher d’autres cerveaux.
Hélène Sio : Déjà, je pense que je n’aurais pas su le faire toute seule. Il m’aurait fallu des années d’apprentissage. Et pourtant, ça me faisait trop peur au début. J’avais l’impression que si je faisais pas une chanson en une journée, c’était naze. Aujourd’hui, je ne suis même plus du tout avare de sessions de travail. Même avec des gens que je ne connais pas, au contraire, ça me stimule trop. C’est trop bien qu’ils m’aient un peu prise sous leur aile. Et surtout qu’on ait trouvé un truc à trois, à bosser ensemble, entre la modernité et la chanson. C’était vraiment ça qu’on voulait faire : de la chanson française moderne.
LFB : Si ça peut te rassurer, je trouve que c’est très réussi. Est-ce que c’était important pour toi de finir avec Le choix ? Parce que je trouve qu’il ressemble plus à une chanson d’ouverture qu’à une chanson de clôture. Et en plus, il s’arrête de manière un peu frustrante.
Hélène : Si, carrément. On en parlait tout à l’heure. Moi, j’avais déjà ma tracklist de début. Je savais que Pour te plaire était une introduction. C’est une grande déclaration. Et on a vraiment pensé ce hook-là de début comme un truc un peu cinématographique. Donc je voulais que ce soit l’intro. Après, je savais que je voulais Celle que je crois, parce qu’elle allait bien dans le thème. Et ensuite, couper avec le piano-voix brut de Je veux tout savoir. Par contre, je ne pouvais pas revenir avec Le choix tout de suite après, ça me semblait trop en dents de scie. Et en même temps, finir sur Les ratures, ça me plombait l’EP. J’avais l’impression que ça aurait pu être très beau, de finir dans une espèce d’écrin de douceur, mais ce n’était pas sa place. Donc à la place, c’était Le choix. Je me suis dit que c’était très bien de finir sur un truc un peu brut comme ça.
LFB : Ça fait un peu Cliffhanger. To be continued…
Hélène Sio : Mais tant mieux ! Moi, je n’attends que ça : continuer à écrire des chansons. Et ça donne d’autres idées pour la suite aussi. Donc tant pis si ça frustre. Et tant mieux si ça frustre.
LFB : Tu as beaucoup joué avant la sortie de l’EP, même avant de sortir de la musique. Là, tu sors un projet qui est esthétiquement très fort. Comment tu vois tout ça vivre sur scène ? Et surtout, comment tu gères les contraintes d’une artiste en développement qui ne peut pas avoir quatre musiciens à chaque date ?
Hélène Sio : Oui, c’est des sujets qu’on aborde un peu à tâtons. Si ça tenait qu’à moi, j’aimerais même un orchestre symphonique, évidemment. Je l’appréhende pas trop mal parce que je travaille avec des gens hyper adaptables. On essaye toujours d’arranger les morceaux, pas en faire des sous-arrangements, parce que sinon c’est pas intéressant, mais de les adapter avec ce qu’on a. Les résidences qu’on a faites pour le Café de la Danse, ou pour les festivals cet été, ça donne une version un peu plus intimiste que j’adore aussi. Hier, on a joué en formule duo, juste avec mon guitariste qui est aussi au clavier. Et finalement, je trouve qu’il y a une autre lecture des chansons. On écoute beaucoup plus les paroles du coup. Parce que Celle que je crois, par exemple, elle est overproduite. Il y a beaucoup d’informations tout le temps. Le choix, pareil, il y a une sorte de course permanente. Et là, en réduisant, on revient au sens, aux mots, à la base. Ça me ramène à comment je les avais pensées à l’origine. Donc non, je suis pas inquiète. Je crois qu’on fait du bon travail sur le live.
LFB : Pour finir, si tu devais ranger Les Ratures à côté d’un film, d’un album et d’un livre, lesquels choisirais-tu ?
Hélène Sio : Un film, je dirais Princess Bride. C’était l’unique cassette qu’il y avait chez mes grands-parents quand j’étais petite, grosse madeleine de proust. C’est une histoire d’amour of course mais c’est surtout très drôle et au millième degré, et je crois que j’aime bien raconter moi aussi des histoires d’amour tellement love qu’on peut les imaginer à la frontière du premier autant que du millième degré.
Pour l’album je suis obligée de citer le premier disque de Juliette Armanet, immense disque qui m’a vraiment donné envie d’écrire des chansons. Et pour le livre, un barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras. Après promis j’arrête avec ma passion Duras mais c’est avec ce livre que je l’ai découverte et je suis tombée raide dingue de son écriture, de son histoire et de sa façon très précise d’écrire.