En marge du festival parisien MaMA, La Face B a rencontré Hervé. Le jeune artiste jouera au Bus Palladium le 16 octobre. En attendant mercredi, il s’est dévoilé avec sincérité sur son rapport à l’écriture, aux réseaux sociaux et à Alain Bashung.
LFB : Salut Hervé ! Nous nous retrouvons à la Brasserie Barbès, non loin de Pigalle où se tiendra le MaMA. Qu’est-ce que le festival représente pour toi ?
Hervé : Ça représente Paris, plein d’affiches dans la capitale. J’ai toujours vu les affiches du MaMA, alors je suis content d’y jouer au Bus Palladium.
LFB : Comme d’autres festivals comme Le Printemps de Bourges, il y a un aspect tremplin du festival, puisqu’il y a des représentants de labels, des programmateurs, des journalistes et d’autres artistes. Est-ce que cela pourrait représenter un enjeu pour toi ?
Hervé : Grave. S’il y a des mecs qui viennent écouter, que ça leur plaît et que ça me permet de jouer dans des salles ou des pays où je n’aurais pas eu l’occasion d’aller, c’est important.
LFB : En parlant de tremplins, il y a eu plusieurs moments forts dans ton parcours : la participation au Inouïs du PDB, les premières parties d’Eddy de Pretto, ou encore des passages télévisés. Considères-tu avoir mis un pied dans l’arène de la pop française ? (Rires)
Hervé : C’est des opportunités, des crash tests, où les gens ne t’attendent pas, surtout en festival ou en première partie. Par exemple Eddy de Pretto qui m’invite sur ses dix Zénith, ses deux Olympia. Pareil pour les Inouïs. Tu fais des auditions puis tu te retrouves à avoir la chance de jouer à Bourges. C’est toujours des moments importants, parce que tu as l’impression d’ouvrir un peu le volet. À ce moment, tu as envie de voir le petit rayon de soleil.
LFB : En vue des réseaux sociaux et de leur instantanéité quasi-nécessaire, est-ce que faire de la musique aujourd’hui relève du combat ?
Hervé : Quand tu parles des réseaux sociaux, c’est chronophage et ça n’a pas tant de sens que ça. Aujourd’hui il faut que tu dises ce que tu as bouffé le midi et le soir. (Rires) Puis parfois tu fais des super concerts mais il n’y a pas de réseaux, de posts. Alors tu sais pas si tu as fait un bon ou un mauvais concert ! (Rires) Tu as le réel et un autre prisme du réel que sont les réseaux sociaux.
LFB : Si j’évoque le terme de « combat » c’est pour faire un parallèle avec ta musique. Car il y a quelque chose de violent dans les rythmes, les pulsations mais aussi la sonorité des mots. Est-ce que tu fais attention à cela lorsque tu écris ?
Hervé : Oui et non. Ça vient souvent d’une sorte de yaourt, une langue un peu étrangère, qui n’est pas vraiment du français. Dedans, il y a des mots que j’utilise et réutilise. De toute façon, c’est sonore. Surtout dans une langue aussi bâtarde que le français. C’est une langue qui est tout aussi belle dans le sens que dans le son, alors ce n’est pas évident.
LFB : C’est vrai que dans la langue française un mot n’est pas du tout anodin. Il renvoie à plein de choses, plein de métaphores.
Hervé : C’est ce qui est très beau ! Il y a une différence colossale entre les lexiques français et anglais. Pour dire « Bonjour », il y a deux façons en anglais pour trente en français. Ce n’est pas la même façon de réfléchir non plus. J’ai beaucoup tourné en Angleterre avec mon groupe Postaal, j’étais déstabilisé par le sens des choses. L’avantage du français est de pouvoir s’exprimer même si ça sonne mal. Pour moi, c’est le sens avant le son.
LFB : Tu commences par écrire ou par composer ?
Hervé : Ça dépend… parfois je produis un son mais les mots ne viennent pas, ou un texte et je n’ai pas la prod. Souvent, je fais tout en même temps en ayant des bouts de texte et des idées de son. Après, j’arrive à en faire une chanson ou non. Il n’y a pas de règles.
LFB : En parlant d’écriture… J’ai cru comprendre que tu avais écris pour Johnny Hallyday. Peux-tu m’en dire un peu plus ?
Hervé : C’est un bel accident par un ami d’ami musicien, je me suis retrouvé en studio. On nous a dit que si on était tenté d’écrire, on pouvait y aller. On s’est rendu compte après coup que c’était pour Johnny, parce qu’on ne nous l’avait pas dit. Une semaine après il a enregistré, puis c’est sorti. C’était complètement fou !
LFB : Il n’y a pas quelque chose de complexe dans la fait d’écrire pour quelqu’un d’autre ?
Hervé : C’est un exercice qui est intéressant. C’est différent, pas la même énergie car tu ne vas pas chercher la même chose.
LFB : Pour quels autres artistes aurais-tu aimé écrire ?
Hervé : J’aimerai bien travailler avec Christophe, ou avec James Murphy de LCD Soundsystem, King Krule.
LFB : … Et Alain Bashung ?
Hervé : Ouais ! Bien sûr ! C’était le meilleur, par sa façon d’agencer ses textes avec Jean Fauque, Bergman, Tardieu. Ses qualités de producteur aussi. C’est un chercheur d’or, il s’est toujours renouvelé. Je pense que c’est l’artiste qui est allé le plus loin, qui s’est le plus pris la tête. Il était dans ce paradoxe d’être dans ce mouvement de « J’existe, aimez-moi, regardez-moi », un peu comme les stories aujourd’hui mais en même temps il était très discret. Il a su créer une intimité avec son public. Je pense que tout ça sert à ça au final.
LFB : Alain Bashung n’est pas non plus écouter par n’importe quel public. Ce sont souvent des mélomanes, ou d’autres artistes.
Hervé : Dans le cœur des gens, c’est fort. C’est comme Christophe, Arno, Thiéfaine, Miossec. Ils ont été importants pour beaucoup d’artistes. Ce sont des « artistes d’artistes », énormément écoutés par des artistes, des passionnés de musique ou de concerts. C’est des personnes qui ont été importantes dans la vie des gens.
LFB : Pourtant, il n’a pas eu de nombreux grands titres connus.
Hervé : Ouais il a cinq tubes : La nuit je mens, Osez Joséphine, Gaby Oh Gaby, Madame Rêve, et Vertige de l’amour, sur 150 titres. À toute échelle, c’est un peu le jeu de la musique. Il y a une intimité très forte avec Bashung lorsqu’on l’écoute. Il y a une proximité par son interprétation, la façon dont il agence les mots.
LFB : C’est un peu des accidents, non ?
Hervé : Quand tu prends Gaby, qui à l’origine est un son country, blues, avec un texte de Bergsman. Il n’a qu’un journée de studio avec pas beaucoup de moyens et il parvient à faire un tube avec Dominique Blanc-Francard.
LFB : Aussi chez Bashung il a ce mélange des genres, impressionnant. C’est quelque chose de très actuel. Tout à l’heure je parlais du numérique et des réseaux sociaux, avec Deezer ou Spotify, on écoute plein de genre. Alors ça se ressent dans la musique d’artistes actuels. Donc, il y a cet impression qu’Alain Bashung était un pionnier de ce mélange des sonorités.
Hervé : Ça voudrait dire que les plateformes de streaming, les réseaux sociaux invitent à la curiosité. Ce qui est assez intéressant en soi. Bashung comme d’autres artistes est allé chercher le son ailleurs, Daho en Angleterre, Lavilliers en Amérique latine. C’est des légendes. Il y a cette sincérité là qui fait que beaucoup de titres n’ont pas marché et que les succès ont été mal vécus.
LFB : Pour conclure, je voulais te faire réagir à une citation d’Alain Bashung au sujet de Fantaisie Militaire : « Il y a quand même des choses qui arrivent et qui nous bousculent de telle manière. Ça nous fait imploser, ou exploser, je sais pas. Moi j’ai la chance de pouvoir le raconter mais d’autres ne savent pas comment le sortir ou le raconter alors ça peut se traduire par de la violence. Pour moi faire un disque ça peut être aussi un acte de violence. »
Hervé : Bien sûr, c’est un combat contre toi-même, c’est de la torture. La plus belle des tortures. Ce que tu vas chercher pour faire un disque c’est de la monomanie, dans les détails, les fêlures. Dans ce qui a été de beau, ce qui a été de moins beau. Si tu regardes les choses de manière passive et transversale, la vie passe super vite. Quand tu fais un disque, tu zoomes et cherche en toi. Ce que tu ne fais pas forcément au quotidien. Il y a quelque chose du domaine de l’introspection.
Crédit photo couverture : Jules Faure.