Hervé, prose combat

En ce 10 avril, la pluie a décidé d’accompagner nos pas tombant sur notre blouson depuis un ciel gris et terne aux couleurs de l’automne. La veille, on avait à nouveau croisé la route d’Hervé sur scène, en première partie de Cléa Vincent et c’est dans un café à l’ancienne qu’on le retrouve ce jour-là. L’occasion de le découvrir un peu plus et de parler de son premier EP Mélancolie FC, de son amour pour Bashung et Christophe et de son esthétique très travaillée. Rencontre avec un garçon qui a des choses à dire et à vivre.

LVP : Salut Hervé comment ça va ?

Hervé : Ça va, ça va, on est là de bon matin frais et dispo.

LVP : Tu as fait la première partie de Cléa Vincent, tu as aussi joué avec Eddy de Pretto. Te confronter à un public qui ne vient pas pour toi, ça te plait ?

H : Ah ouais. Il y a un truc qui est hyper jouissif en fait. Au début l’idée est un peu tendu, tu te dis « ils viennent pas pour moi, ils ont pas payé pour moi, ils m’attendent pas, ils savent pas qui je suis, on va voir comment ça se passe » (rires). Et en réalité c’est quelque chose d’hyper addictif, il y a ce côté un peu ring, un peu outsider que j’aime beaucoup, c’est une démarche que j’aime bien. C’est un format assez court ou tu dois envoyé rapidement et fort. Donc cet exercice m’a toujours plu.
Et puis ça me permet de vraiment sentir public, sur une première partie tu peux vraiment te planter, si le public est assez âgé, moi ça tape un peu ce que je fais et finalement j’ai pas d’alternative pour eux donc si t’es pas prêt, t’es pas prêt (rires). Avec Eddy de Pretto ça matche de ouf et avec Cléa c’était très bien aussi, le public était très chaleureux et bienveillant. Mais maintenant j’ai envie de jouer plus longtemps, de mettre plus de nuances dans le set et de raconter quelque chose d’un peu plus riche disons.

LVP : Le premier mot qui me vient en tête quand j’écoute ta musique c’est contraste. Je trouve que c’est une musique qui joue la dessus. Est ce que c’est quelque chose que tu recherches ?

: A fond. Sur l’EP j’ai voulu conserver cette notion de drop qui existe en musique électronique, un truc calme qui se transforme en tempête et aussi l’opposition entre ma voix qui est assez légère, qui a beaucoup de souffle avec des grosses basses et des gros kicks. C’était un exercice assez peu évident, mais c’était la chose assez naturelle pour moi d’avoir un truc brut, d’avoir un piano voix qui se transforme en drum’n’bass… En fait je cherchais la liberté de format, garder quelque chose qui soit le plus libre possible.

LVP : Donc ce qui te plaît c’est que les mots et la musique se confrontent non ?

H : Ouais voilà c’est ça. En théorie sur ce genre de musique, chanter en français ça ne va pas et vice versa. A part dans la disco ou ça tapait un peu ou des gens comme Yelle ou Stromae, il y a eu peu de mélange de ce genre et ce sont des mariages vers lesquels on ne va pas forcément. On a quelque chose d’hyper latin dans la musique française et moi je voulais quelque chose d’assez binaire, assez froid et dansant.

LVP : Finalement, on revient vers quelque chose d’hyper anglo-saxon ou les mots sont là pour leur sens mais aussi pour leur sonorité.

H : Disons que quand je produis ce genre de sons, la moindre phrase qui dénote ça finit par déraper. J’essaie de soigner mes textes au maximum. J’écris beaucoup avec des yaourts et il y a des mots qui viennent, qui sortent et que je vais forcément reprendre dans ma version définitive parce que ça sonne, que ça ressort et donc je vais écrire autour et avoir un texte qui sonne le plus fluide pour que la production serve la chanson et inversement.

LVP : Tu as grandi dans les Yvelines. Ce mélange, il est pas influencé par l’endroit ou tu as grandi ? Entre le rap, la chanson française et la musique électronique.

: Complètement, c’est exactement ça. J’ai grandi dans un triangle d’or en réalité. Avec ma mère on allait tout le temps à Trappes, j’avais des potes là-bas, j’allais y jouer au foot … Il y avait ce truc ou on réalisait que des gens venant de là réussissait dans différents milieux dans le sport, la culture, le cinéma et de l’autre côté à Versailles, il y avait des groupes comme Phoenix ou Air, un espèce de truc un peu fou qui ouvrait le champ de tous les possibles. Et typiquement dans ma musique ça s’est ressenti. J’ai toujours voulu placé une exigence dans le texte et c’est quelque chose qui est à la fois très ancré dans le rap mais aussi dans la musique française que j’écoute que ce soit Bashung ou Higelin, ces gens là sont des orfèvres du texte et de la rime juste. Et de l’autre côté il y avait une exigence de production qui était assez extraordinaire. Et le fait que je grandisse là dedans, ça voulait dire que c’était possible, que j’étais concerné parce que j’étais à côté et que donc j’écoutais beaucoup et ça à fatalement fini par m’influencer.

LVP : Justement tu as repris Bashung. Le rapprochement est un peu facile mais dans l’importance du texte et de l’exploration musicale , tu te rapproches vraiment de cette idée d’exigence totale.

H : Des mecs comme Christophe ou Bashung sont quand même des producteurs incroyables. Bashung il a réalisé ses disques, il utilisait des samplers et faisait des boucles à une époque ou ça se faisait pas. A l’époque ils étaient tous signés en édition chez Dreyfus. Celui qui connaissait les machines c’était Christophe, il avait fait un tube donc il avait du matos qu’il prêtait à Bashung et qui lui montrait comment faire etc … Ces mecs étaient hyper ouverts à la country, à la chanson anglo-saxonne, au rock, au psyché, aux premiers mouvements de la musique électronique, à Kraftwerk. Ces gars là c’étaient des magiciens, ils ont essayé de mélanger des mondes qui normalement se rencontraient pas. Ils sont allaient cherchés , au-delà des chansons et des textes, dans la production ils sont allaient cherché hyper loin. Je te parle de Christophe et Bashung, c’est des mecs qui écrivent pas mais qui drivent les auteurs comme ils drivent des machines. Je parle de ça avec tendresse, mais quand tu vois la nuit je mens qui est écrit avec des morceaux de couplets d’autres chansons, Vertige de l’amour qui existait bien avant … Tous les auteurs qui ont travaillé avec Bashung ont le souvenir d’un monteur ciné quasiment. C’est des chimistes ces mecs là, des scientifiques de la musique. Et quand tu écoutes les albums ça se ressent, ces des mecs qui n’ont fait que chercher.

LVP : On va revenir sur toi. On t’a connu avec Postaal. Quelles ont été les principales différences entre ces deux projets pour toi ?

H : Sur Postaal, j’avais plus une place de producteur. On était deux en studio, je chantais pas beaucoup. Maintenant je suis seul en studio et seul sur scène. Je dirais que c’est différent, c’est pas la même musique, ce n’est pas la même approche moi aussi. Même sur scène c’est différent, comme je chante, je suis en connexion directe avec les gens. La façon de travailler est la même mais ça devient plus personnel et j’ai d’autres responsabilités.

LVP : Et le français, c’était une évidence pour toi ?

H : Ah oui complètement. Avec le niveau d’anglais que j’ai de toute façon il y avait pas de question et je m’en serais pas sorti. Et puis j’ai toujours rêvé de chanter en français et d’être au plus proche du sentiment, du mot et de l’émotion. J’ai pas envie qu’il y aie de filtre et j’essaie d’être le plus précis possible.

LVP : Est ce que ça te semble étrange si je te dis que je trouve ta musique positive ?

H : Ah… Non (rires).

LVP : Je trouve que c’est une musique de combat et donc ça en devient hyper positif.

H : Complètement. J’ai toujours aimé les chansons tristes, mais quand tu regardes bien les chansons tristes, que ce soit dans la mélancolie, dans la nostalgie, dans la tristesse il y a toujours un truc de fou, de beau et de positif. Si tu regardes la chanson de Brel , Jeff, il y a un truc de désespoir mais en même temps il lui dit «  ça va pas du tout mais ça va » parce que la vie c’est bien. Moi je pense que je suis comme ça, que j’ai ce truc là en moi, des moments ou ça va pas très bien et des moments ou ça va pas mais j’ai été éduqué dans cette idée de pas se plaindre.
Hier j’ai entendu cette anecdote de Dr Dre qui disait « avec le temps, tu prends les mêmes gifles, juste tu les encaisses mieux ».
Moi je sais que je suis hypersensible et il y a toujours quelque chose qui va me toucher dans tous les cas. Si c’est positif je le prends fois mille et si c’est un peu triste ou quelque chose qui me choque, une injustice, ça va me toucher. Dans tous les cas je suis en éponge et si je veux l’essorer à un moment je suis obligé de me dire que ça va et qu’il va forcément se passer quelque chose. J’aime l’idée d’être désespérément heureux.
Et puis quand tu es un artiste, tu es un haut parleur et tu es en éponge malgré toi à part si tu as un melon de l’espace. Moi j’écris pas beaucoup à Paris, j’écris beaucoup dans le salon chez des potes ou en Bretagne. Je passe beaucoup de temps dans la vraie vie, je descends sur le chantier avec mes potes … J’ai besoin d’être au contact, d’être au café et d’entendre les autres. Le microcosme de la vie parisienne m’intéresse pas des masses, j’ai besoin de toucher le réel.

LVP : Cet EP, c’est un peu une psychanalyse non ?

H : Bizarrement, c’est quelque chose que je ne réalise qu’après coup. C’est des choses qui me marquent avec le recul, que j’avais pas vu, des choses que j’avais dites ou qui m’étaient arrivées et qui sont sorties malgré moi. Je fais pas d’exercice de style donc finalement c’est introspectif et les mantras qui se baladent à un moment ils s’approchent d’un truc un peu profond. Je sais pas si c’est une psychanalyse, je sais pas si tu soignes grand-chose avec la musique mais en réalité ça finit par sortir si tu fais de la musique sincèrement. Même moi sur scène parfois ce que je chante ça me ramène à des émotions assez fortes et à des souvenirs. C’est le jeu quoi.

LVP : Et donc ça te marque plus quand les gens trouvent une caisse de résonance dans ta musique ?

H : Le seul ressenti que j’ai c’est sur scène. Je reçois des messages tout ça, mais c’est vraiment sur scène que ça prend sens, quand les gens dansent, s’éclatent, ça me fait kiffer. Il n’y a que là ou ça à du sens. Des lors que les gens viennent. Surtout que pour l’instant j’ai fait que des premières parties. Moi je joue à 20 heures, les gens viennent voir un artiste qui est fat, ils viennent à trois, ils mettent de l’argent… Donc quand ils viennent te voir, t’es obligé de te donner à fond et si par chance, ce que tu as proposé ils le prennent, c’est magnifique en fait. Il s’est passé un truc dans leur vie, dans ta vie et c’est chan-mé. Moi je garde ça en tête, même en première partie, ces gens viennent pour passer un putain de moment avec des artistes et nous on est là pour tout donner. Moi je propose, si les gens s’y retrouvent, magnifique et si non c’est pas grave du tout non plus.

LVP : Je vais revenir sur le contraste . Tu es quelqu’un de très volubile et souriant et tu es à l’opposé de ta promo qui est plus sur un versant cold vawe presque punk très anglais encore une fois.

H : A fond. Ça s’est fait naturellement en réalité ça vient des films que j’ai regardé, des albums que j’ai écouté. Les fringues c’est des pièces que j’aime bien. Comme je te disais, quand j’écris, je suis seul, je suis dans une ambiance et dans mon délire. Je pense que je suis plus chaleureux dans ma vie que dans ma musique pour l’instant. Je sais pas si je suis plus volubile dans la vie par pudeur ou inversement. Je pense que j’ai les deux en moi en réalité, je peux pleurer aussi vite que de démarrer une bagarre. Le contraste toujours.

LVP : Est ce que tu as des coups de cœur récents que tu veux partager avec nous ?

H : La j’ai lu un bouquin de Cantona qui s’appelle Mon Carnet, qui est bien une tuerie. Petits dessins, petites phrases, il y a des belles punchlines et c’est très cool. Je kiffe bien Sleaford Mods, le chanteur faut le suivre sur instagram, c’est des gars de Manchester qui sont assez marrants, ils annoncent la sortie de leur album en sortant les poubelles.

LVP : Pour finir une question assez bête : Tu as réalisé que c’était une galère pour te trouver sur internet quand tu as choisi ton nom ?

H : Complètement. Je réfléchissais trop et au bout d’un moment j’ai arrête de me prendre la tête et j’ai décidé de gardé un blase simple. Le plus drôle c’est que Herve c’est un fromage assez connu en Belgique. Du coup quand tu tapes Hervé sur Internet soit t’as des têtes de gars assez sombre ou alors tu as un fromage .