En octobre dernier, à l’occasion de la sortie de son second album PICTURA DE IPSE : Musique directe, nous avons rencontré le magnificent Hubert Lenoir. Rencontre durant laquelle on y parle du caractère universel de sa musique, souvenirs sonores ou encore de l’importance de faire un disque honnête et qui donc, prône la bienveillance. Retour sur cet échange avant de le retrouver ce soir et demain pour deux Maroquinerie sold out (!).
La Face B : Ton deuxième album, PICTURA DE IPSE : Musique directe, se présente comme ton autoportrait. Mais il y a quelques années, tu disais dans une interview que les albums personnels étaient je cite « overdone ». Comment es-tu alors parvenu à trouver le juste milieu entre le trop personnel et le pas assez ?
Hubert Lenoir : Je pense que c’était dans le travail d’essayer de rendre l’album le plus universel possible, en prenant un thème personnel tout en essayant de le rendre général. C’est comme lorsqu’on fait un film par exemple, il y a un travail de montage qui doit être fait et ici j’ai coupé plusieurs bouts qui selon moi n’étaient pas pertinents. Le trop personnel n’a jamais été un critère que j’ai utilisé pour couper des trucs mais plus quand je sentais que ce n’était pas de l’ordre de l’universel et que c’était trop intense. Tout ça ce sont des tricks qu’on ne révèle pas trop mais après, à l’écoute, je fais toujours en sorte que ça sonne le plus raw, le plus uncut possible et c’est toute la magie de la musique. Je considère qu’il y a cet aspect personnel mais j’essaie de le contrôler.
LFB : La plupart des interludes de ce disque sont d’ailleurs des enregistrements que tu as fait avec ton téléphone car tu dis avoir une fascination voire une obsession pour les sons. Les souvenirs sonores sont-ils alors pour toi plus importants que les souvenirs visuels ?
Hubert Lenoir : C’est une bonne question. Je crois que oui et je crois que les sons révèlent plus qu’une photo. Par exemple, pour une personne âgée, les mémoires photographiques sont moins forts que lorsqu’elle écoute une chanson qui lui rappelle sa jeunesse.
LFB : Avec Darlène, tu magnifiais les histoires que tu nous racontais ainsi que les émotions. Alors qu’avec PICTURA DE IPSE, tout est plus brut et réaliste. Si je te demandais de qualifier la réalité actuelle, la tienne en l’occurrence, qu’est-ce que tu me dirais ?
Hubert Lenoir : En ce moment ? Je dirais que c’est un peu flou car c’est difficile de la décrire maintenant, de faire des rétrospectives sur soi-même. Ce qui m’a permis d’avoir un step back sur PICTURA DE IPSE, c’est le temps que j’ai pris pour le faire, où j’ai pu analyser comment je me sentais dans telle situation. Je pourrais essayer de décrire comment je me sens en ce moment-même mais ça serait difficile d’avoir l’air juste je crois.
LFB : Dans bon nombre de tes morceaux, tu évoques cette notion de marginalité en société à laquelle toi ou certains de tes proches avez pu être confrontés. Te concernant, est-ce que la musique t’est apparue comme salvatrice face à ce sentiment ?
Hubert Lenoir : Dans mon cas, la musique ne m’a jamais laissé tomber, même dans les pires moments de ma vie.
LFB : Au vu des thèmes explorés sur ce disque, peut-on finalement dire que c’est un disque qui prône la bienveillance mais aussi l’acceptation de soi au delà-des normes sociales ?
Hubert Lenoir : Bien sûr, bien sûr. Il prône la bienveillance dans le sens où je pense que faire de la musique d’une façon honnête, faire une œuvre de manière honnête, c’est quelque chose de l’ordre de la bienveillance car tu ne le fais pas pour nourrir ton ego ou acquérir un statut social.
LFB : Les thèmes explorés sur cet album le rendent presque intemporel finalement car ils font partie de l’existence de chacun, ce qui sera toujours le cas dans plusieurs années.
Hubert Lenoir : C’est vrai ce que tu dis. Après je ne sais pas si cet album est bien ancré dans son époque, s’il va bien vieillir avec le temps, peut-être qu’il est juste représentatif d’une génération je ne sais pas. Je l’espère en tout cas. Personnellement, je ne crois pas tellement en la progression dans l’avenir mais d’une certaine façon, je pense que c’est en étant le plus en phase avec son époque, sans trop le forcer non plus, que ton œuvre peut mieux vieillir.
LFB : Cet album se définit comme introspectif mais aussi comme une véritable quête d’identité. J’en viens alors à me demander si cette quête était aujourd’hui révolue ?
Hubert Lenoir : Je ne pense pas que ce soit terminé. Après, est-ce que c’est mieux que ce que c’était ? Sur certains points certainement.
LFB : J’ai également l’impression que musicalement, tu t’es davantage tourné vers l’expérimentation. Est-ce que tu t’es alors autorisé plus de libertés sur le plan créatif ?
Hubert Lenoir : Les libertés étaient les mêmes et je pense qu’ici c’est plus de l’ordre de la confiance. Peut-être qu’avec le premier, j’étais moins confiant quant au fait de pouvoir exécuter mes idées. Je suis meilleur que je l’étais à l’époque, c’est certain. Avec mes albums, j’essaie de payer une dette d’amour envers la musique. L’expérimentation pour moi vient plus d’un désir d’ailleurs, où je n’essaie plus de reproduire des thèmes mais où j’essaie d’aller explorer mon propre chemin.
LFB : Est-ce qu’en faisant des morceaux aussi personnels, tu as ressenti un quelconque blocage lors de l’écriture ?
Hubert Lenoir : Avant toute chose, il faut se demander ce que tu es prêt à donner de ta vie privée à l’art. Je crois que c’est relatif à chacun, dans mon cas j’ai toujours essayé d’aller jusqu’au bout même si parfois ça pouvait ralentir quand certains amis étaient présents alors qu’ils ne le voulaient pas car ça pouvait être trop intense pour eux. J’ai coupé certaines choses non pas car je les trouvais personnelles et que j’avais peur des répercussions mais parce que je trouvais ça impertinent pour le public. J’ai vraiment cherché les limites entre l’intéressant, le personnel et ce qui pouvait être malaisant.
LFB : Le cinéma-direct a été l’une de tes principales inspirations dans la composition de cet album. Est-ce qu’à l’avenir tu envisages d’attribuer une portée filmique à cet album ?
Hubert Lenoir : Avec cet album, je ne crois pas car même si c’est inspiré du cinéma direct, je pense que l’histoire se révèle tellement d’elle-même que d’essayer de mettre des images tirées de la fiction, ça irait à l’encontre de l’idée de base de l’album, l’idée de raconter la vérité à partir du réel. C’est aussi pour ça qu’avec les clips on a vraiment fait en sorte d’utiliser des images d’archives pour avoir ce style documentaire ou alors de se tourner vers quelque chose cent pour cent fictif. L’entre-deux n’était pas idéal.
LFB : Parmi les quelques collaborations présentes au sein de cet album, on retrouve l’inégalable Bonnie Banane. Comment en êtes-vous venus à travailler ensemble ?
Hubert Lenoir : Il n’y a pas vraiment d’histoire car je l’ai contactée sur Instagram. Le morceau était quasiment fini avec juste un bout où il n’y avait rien pour sa voix, elle a enregistré un truc et m’a envoyé plusieurs options, ça s’est vraiment fait naturellement.
LFB : Il y a peu, tu as débuté ta tournée aux États-Unis en instaurant cette règle où chacun paie ce qu’il veut. Est-ce que c’est un concept que tu comptes faire perdurer ?
Hubert Lenoir : On est encore en train de travailler le truc donc je ne sais pas vraiment comment ça va se passer, même si j’aimerais beaucoup. Après c’est sûr qu’en festival c’est impossible, j’aimerais juste faire perdurer ce concept, plus il durera mieux ce sera.
LFB : As-tu des coups de cœur récents à partager avec nous ?
Hubert Lenoir : J’ai beaucoup aimé un artiste français qui s’appelle Serane et son album Prise Musique 2, c’est du rap très très smooth. Le dernier single de Bonnie Banane, Cour Des Miracles, est vraiment bien et sinon il y a le projet TDA de mon batteur Samuel Gougoux, c’est de la musique expérimentale. J’ai aussi adoré Annette de Leos Carax, il m’a hanté ce film et une comédie qui s’appelle Spanglish, de James L. Brooks.
© Crédit photos : Inès Ziouane