Depuis maintenant quelques années, un artiste est parvenu à percer la coquille du Rap britannique pour en devenir une figure importante et influente. Le londonien Loyle Carner a su se faire remarquer de par une patte reconnaissable, oscillant entre Rap old-school, influences Jazzy et R&B et textes intimes. Trois ans après son dernier projet, Not Waving But Drowning, l’anglais marque un retour très attendu avec son troisième album studio, dénommé hugo.
Ce troisième disque fait partie des projets surplombés par des questionnements précis, occupant les messages qui y sont proposés. En ce qui concerne hugo, ces derniers peuvent se diviser en deux parties : l’introspection, la compréhension de sa propre personne et de son rapport à sa récente paternité, ainsi qu’un message politique clairement affiché. Une partie de ce propos n’est pas inconnu au poète, cependant, l’autre moitié elle, constitue une nouveauté dans le registre de l’anglais. Les opinions politiques ne s’étaient jamais frayées un chemin dans les écrits de Loyle Carner. Ces dernières concernent un sujet tout particulièrement, qui réside dans le contexte actuel de lutte envers les discriminations raciales, l’artiste lui-même se considérant comme faisant partie intégrante des deux cultures. Cette idée se retrouve d’ailleurs notamment dans les singles Nobody Knows (Ladas Road) et Georgetown, dans lesquels il confronte directement les nuances de noir et de blanc. De surcroît, cette intention est spécifiquement marquée par la présence au sein du single Georgetown du poète John Agard, récitant son poème Half-caste. Une délibération axée sur la division au sens général du terme, énoncée par un auteur présentant le même caractère mixte identitaire que le rappeur londonien.
Cette thématique est liée et entremêlée avec celle de la paternité, prenant place dans la facette plus introspective du disque. Cette récente parenté constitue l’un des aspects majeurs de ce disque, et s’affirme comme un égard primordial pour le britannique. On peut nommément observer ce lien dans le troisième titre promotionnel, Nobody Knows (Ladas Roads), dans lequel il parle de son lien avec son père, tout en faisant référence à une célébration citation de l’activiste Malcom X.
‘You can’t hate the roots of a tree, and not hate the tree. So how can I hate my father without hating me?’
Nobody Knows (Ladas Road)
L’évocation de ce vécu se retrouve aussi dans ce sens, en prenant par exemple la sixième piste Blood on my Nikes. Au sein de cette dernière, il prend comme point de départ le meurtre par arme blanche d’un jeune homme noir, évènement s’étant produit l’année de ses 16 ans, pour en faire un commentaire sur les conséquences des inégalités économiques. On observe dès lors une sorte de dichotomie, prenant des chemins s’entre-croisant. Le vécu et les considérations politiques et idéologiques se rejoignent, et par certains moments forment un seul et même discours.
Musicalement parlant, hugo s’inscrit dans une démarche de mettre en avant une instrumentation acoustique, jonchée de parties jouées et non programmées via la M.A.O (Musique Assistée par Ordinateur). C’est dans ce sens que l’on retrouve une nouvelle fois le producteur Kwes, collaborateur de longue-durée de Loyle Carner, derrière les manettes de ce nouvel album. L’exception se trouvant être le second single, Georgetown, signant une association avec le légendaire Madlib. On peut dès lors retrouver des morceaux écrits avec brio, comme notamment les pistes Blood on my Nikes, Hate ou encore Plastic, offrant des compositions fortes et accrocheuses. De plus, cette mise en musique s’accorde parfaitement aux considérations traitées, en prenant le soin d’adapter les ambiances au ton choisi.
C’est dans cet ordre que l’on retrouve des pistes très énergiques et directes, comme Hate ou encore Georgetown. Cependant, on observe également des atmosphères plus douces, avec notamment des pistes comme HGU ou encore Pollyfilla, toutes deux servies par une production soignée. Musicalement, l’album ne met pas en avant des idées et prétentions complexes, mais illustre à merveille son propos, et avance une interprétation simple, mais efficace.
Avec hugo, Loyle Carner offre une pièce au propos on ne peut plus personnel. C’est un projet au sein duquel il énonce des propos ‘qu’il n’aura jamais la chance de dire de nouveau’. Le rappeur veut ici faire usage de sa notoriété et de son influence afin de délibérer et mettre en avant des thématiques importantes. Certes, une partie de ces dernières se révèlent être profondément intimes, mais auxquelles certaines personnes pourront tout de même s’identifier. Quant à l’aspect politique, nouveauté dans la carrière de l’artiste, il embrasse un contexte propice à un tel discours, prenant le parti d’adopter un point de vue nuancé, inspiré de son vécu et de sa propre identité. Une nouvelle fois, le londonien se montre comme étant l’une des têtes de proue d’un génération dorée, désireuse de créer de l’art fort, et surtout propre à son auteur.