Composé sur l’île grecque d’Hydra, l’excellent premier album d’Oracle Sisters nous plonge avec élégance et poésie dans l’univers onirique et intemporel du trio.
Oracle Sisters, c’est d’abord Lewis Lazar, peintre américano-danois, et Christopher Willatt, mathématicien nord irlandais. Les deux amis d’enfance passent leur jeunesse en Belgique, où ils composent leurs premières chansons d’abord dans des groupes différents, puis ensemble. Après plusieurs années séparés, à New-York pour Lewis et à Édimbourg pour Chris, les deux amis se retrouvent en 2017 à Paris. Tous deux fervents musiciens et songwriters accomplis, ils se remettent à écrire des chansons ensemble dans leur petit appartement de Pigalle. Puis le destin place sur leur chemin la finlandaise Julia Johansen, elle aussi fraichement arrivée à Paris avec sa guitare, qui ne tarde pas à rejoindre les deux musiciens, se révélant aussi talentueuse à la batterie qu’au chant.
Le trio ainsi formé commence rapidement à enregistrer ses premieres chansons, sortant tour à tour les EP Paris I (2020), Paris II puis Midnight afternoon (2021), dont notre chronique est à retrouver ici.
C’est durant l’été 2020 que le groupe s’évade sur l’ile d’Hydra en Grèce, pour y écrire et enregistrer les chansons qui allaient former Hydranism. Durant deux mois, le trio s’est laissé envoûter par l’atmosphère mystique de l’île, qui fut source d’inspiration pour nombre d’artistes dont Leonard Cohen. Installés à la Old Carpet Factory, une ancienne fabrique de tapis devenue résidence artistique et studio d’enregistrement, le groupe compose pas moins de 35 morceaux, dont 11 seront finalement gardés pour Hydranism.
Pour les accompagner dans la réalisation de leur vision artistique, les Oracles ont de nouveau fait appel à Noah Georgeson (Marlon Williams, The Strokes) au mixage, Maxime Kosinetz (Papooz) à la production, et Philip Shaw Bova (Andy Shauf, Feist) au mastering.
Hydranism est sans nul doute l’un des plus beaux albums de cette année au moins, rassemblant toute la poésie, l’élégance et la force créatrice des trois artistes, dont les talents de composition et d’interprétation ne sont plus à démontrer. Avec un son unique fusionnant à merveille la subtilité et la profondeur lyrique de chansons folks intemporelles avec des mélodies teintées d’une douce nostalgie et des instrumentations aux accents rock-psyché, Hydranism nous transporte dans un univers de rêveries poétiques hors du temps, bien loin des tourments de la période troublée à laquelle il fut écrit.
L’album s’ouvre avec Tramp Like You, qui était sorti sous forme de single en janvier dernier. Le morceau parle d’être sans racines, agité, à la recherche d’une vie sans attaches dans un monde pesant. Inspiré de leurs propres voyages et des films silencieux de Charlot ‘le petit vagabond’, ce morceau parle d’un désir naïf de liberté associé à l’image intemporelle du voyageur vagabond. Pour Oracle Sisters, ce titre est « une lettre d’amour à l’artiste plus libre sur son chemin que le roi, au destin, à l’expérience, à la trahison, à l’extase et aux ruptures, aux relations ratées et réparées, et tout cela avec un œil porté sur l’horizon. »
S’ensuit Hail Mary, une chanson inspirée par le confinement et par la vision de l’avenir qui se dessine dans les yeux d’un enfant enfermé dans un immeuble à Londres, en quête d’absolution spirituelle, de sens, et de connexion dans un environnement qui contraint l’enthousiasme. C’est Christopher Willatt qui écrivit l’essentiel de cette chanson durant les premiers jours à Hydra, avant même d’entrer en studio. Lewis Lazar travaillait alors sur une autre chanson qui s’intégra parfaitement à l’ébauche de Chris, puis les paroles furent écrites à trois mains sur la table de la cuisine de l’Old Carte Factory.
Avec un début brumeux, le morceau suivant, RBH, se transforme rapidement en du rock tapageur avec un hook de guitare des plus accrocheurs, propulsé par une section rythmique entraînante et rehaussé par les harmonies à trois voix désormais caractéristiques du groupe. Le titre inclut également une subtile référence à James Joyce : « La chanson est née très rapidement au cours d’une répétition. Les paroles ont été écrites autour de la table dans l’appartement de Lewis. L’un des couplets est tiré presque mot pour mot d’Ulysse de James Joyce. » Le clip qui accompagne le morceau est constitué d’extraits de concerts donnés par le groupe en Ecosse, dans un format Super 8:
Puis avec Hot Summer, le groupe incorpore de nouveaux éléments de cuivres et de bois dans ses arrangements bucoliques caractéristiques, nés d’une rencontre fortuite avec un saxophoniste un soir d’été. Ce titre, qui évoque un sentiment heureux de nostalgie, monte doucement en crescendo avec une grande fanfare de cuivres pour souligner sa nature douce-amère. « Cette chanson s’est écrite toute seule en Grèce, nonchalante et pas trop compliquée dans son allure, c’est un monologue que l’on se raconte à soi-même, sous le souffle, lors d’une promenade clandestine » explique le groupe.
Le morceau Cigale Song est peut-être notre préféré de l’album, capturant tout autant la beauté des harmonies vocales que la subtilité des instrumentations du groupe, tendant ici plutôt vers des sonorités rock évoquant en filigrane des influences comme The Velvet Underground.
Avec un début sobre et jazzy et un élégant interlude instrumental, Peat Fire Morning, d’une durée de près de 5 minutes, évoque l’Irlande, dont est originaire Christopher. Le groupe enregistra la chanson aux premières heures du jour, après une soirée qui dura une nuit entière autour d’un bon repas et de quelques verres.
Sur Ruby On the Run, c’est Julia Johansen qui prend le lead au chant pour une chanson rythmée aux sonorités plus latines, suivie par Paris III, qui comme son nom l’indique rappelle l’atmosphère des premiers EPs Paris I et II, avec un morceau léger et upbeat. Avec Chris au chant sur un fond piano – guitare nostalgique, Sailor Song fait de nouveau la part belle aux harmonies vocales du trio lors de son refrain particulièrement entêtant.
Lunch and Jazz Chords est peut-être la chanson la plus atypique de l’album, née fortuitement d’un déjeuner avec Armand Pénicaut du duo français Papooz (voir notre interview ici) qui avait entrepris d’enseigner des accords jazz aux Oracles.
L’album se referme enfin sur Modern Love, qui sous ses airs de ballade paisible prend une direction narrative plus douce amère.
Vous l’aurez compris, on ne peut que vous recommander l’écoute d’Hydranism qui est devenu pour nous un instant classic, présageant qu’avec tant de talent, les trois oracles n’ont pas fini de nous surprendre.
Oracle Sisters seront au Café de la danse à Paris le 25 avril prochain, puis en tournée en Europe (avril et mai) et en Amérique du Nord (juin et septembre).