I Am Digital, I Am Divine : La mécanique du cœur d’Erin LeCount

À 22 ans, Erin LeCount ne cherche pas à cacher ses failles. La chanteuse pourrait passer pour une énième chanteuse pop façonnée pour les playlists. Mais derrière ses longues mèches blondes et son esthétique d’ange déchu, l’autrice-compositrice d’Essex s’impose avec une écriture brute et hyper-sensible, qui ne cherche jamais à lisser l’émotion.

Cover de l'EP I Am Digital, I Am Divine d'Erin LeCount
crédit : Samuel Ibram

Après deux singles qui l’ont propulsée sous les projecteurs, Erin LeCount apparaît comme l’une des voix les plus sensibles et intéressantes de la scène pop émergente, amie avec d’autres figures qui commencent à se faire un nom comme Alessi Rose et Nieve Ella. Elle construit un univers intime et éthéré où la vulnérabilité n’est pas un défaut mais une force. Avec ses chansons, Erin se jette à corps perdu dans les tumultes de l’adolescence et du passage à l’âge adulte, là où les « big feelings » n’ont jamais peur d’être trop grands.

Son nouvel EP, I Am Digital, I Am Divine, est l’aboutissement d’années passées à apprivoiser cette intensité. Conçu dans une cabane au fond de son jardin, avec des productions faites maison mêlant enchevêtrements de textures digitales et instruments célestes comme l’utilisation de la harpe, ce projet explore l’étrange dualité entre mécanique intérieure et débordement émotionnel. « C’est l’impression d’être une machine cassée ou une statue vivante qui ressent trop fort », confie-t-elle. L’EP met en scène une conscience écartelée entre deux extrêmes, qui tente de rester debout malgré le chaos.

D’un côté, elle décrit que « le ‘digital’, c’est cette partie de moi très froide, analytique, presque obsessionnelle. Puis il y a le ‘divine’, tout ce qui est grand, débordant, hypersensible. Deux faces d’une même pièce, que j’essaie toujours d’équilibrer. Ces chansons racontent toutes les déséquilibres, les hauts et les bas. »

Le projet s’ouvre avec une phrase qui frappe d’entrée « There’s no use crying over spilt milk, he doesn’t understand why it’s such a big deal to me. » Une expression familière « inutile de pleurer sur le lait renversé » qui signifie que ça ne sert à rien d’être triste pour des choses qui ne peuvent pas être changées, suivie d’un constat plus personnel : « il ne comprend pas pourquoi c’est si important pour moi ».

D’emblée, Erin plante le décor : celui d’une incompréhension tenace, qui traverse tout l’EP. Elle y explore ce sentiment d’être toujours à côté, d’avoir des émotions trop fortes ou au contraire absentes, jamais comme il faut. Dans ce déséquilibre, elle répète en boucle “to ache is to be alive”. Souffrir, c’est être en vie, comme un mantra, un rappel que la douleur fait partie intégrante de l’expérience humaine. Quand tout devient trop lourd, le réflexe peut être de vouloir éteindre ce qu’on ressent. Mais l’apathie est un sentiment déroutant et déshumanisant.

Ensuite vient Marble Arche, l’un des deux singles de l’EP, qui s’enchaîne naturellement avec le titre d’ouverture. Erin y creuse la sensation de déconnexion : celle de devenir une silhouette, un corps à disposition, une image montée de toute pièce, figée, pour plaire à l’autre. Comme si jouer à être une version parfaite de soi-même revenait à ne plus vraiment exister. Ces sentiments, le doute, l’effacement, la perte de repères, parcourent tout le projet.

Sweet Fruit évoque l’envie d’être sauvée, de se débarrasser d’un mal enraciné. Silver Spoon est le morceau le plus joué du projet, la pierre angulaire. Ce dernier donne plus de contexte sur son vécu. A travers son observation de la vie parfaite de son partenaire, elle laisse comprendre qu’elle a vécu une enfance sans les repères affectifs nécessaires. Il en résulte une tendance à l’auto-effacement pour se fondre dans le décor. Erin observe les autres, les imite, masque ses zones d’ombre pour mieux se faire accepter. Elle se construit une version idéalisée d’elle-même, tout en ayant conscience du décalage. De ce jeu de rôles émerge un sentiment de profonde imposture.

La « cuillère d’argent » du morceau symbolise à la fois le privilège matériel et émotionnel. Grandir dans un foyer stable et aimant. Erin semble en avoir été privée. Son hésitation face à la question des enfants le laisse entendre. Peut-être doute-t-elle de sa capacité à aimer pleinement, à prendre soin, d’être une bonne mère. Il naît l’idée de corrompre l’arbre généalogique de son partenaire qui ne soupçonne pas tous les bagages de trauma générationnels qu’elle traîne derrière elle.

En filigrane, la métaphore de la nourriture revient. Pour elle, l’amour est un nutriment vital, un manque qui creuse. Mais en réalité, apprendre à le recevoir est un processus long et complexe. Parfois si difficile qu’il semble nécessiter une autre vie.

L’imagérie d’Erin LeCount est marquée par le divin, par la religion, venue à elle dans une tentative d’avoir des réponses et d’être sauvée. Alors qu’elle ne se définie pas comme pratiquante d’une croyance en particulier, elle reconnait le besoin de se tourner vers quelque chose de plus grand que sois, alors qu’elle réapprends à vivre et est traversée par des sentiments de gratitude et d’admirations pour les choses simples de la vie.

Musicalement, Erin tisse un paysage dense et mouvant d’une pop théatrale et grandiose qui donne envie de crier chaque parole. Elle superpose battements de cœur, chants d’oiseaux, bribes de guitare ou de harpe, touches de batterie, synthés, basse, sons métalliques… Le tout traversé de chœurs vaporeux. Elle s’amuse à découper, inverser, distordre, ajouter de la réverb : rien n’est figé, elle fait évoluer chaque morceau en continu. Cette richesse sonore sert une narration intime, presque viscérale.

À travers ses chansons, Erin LeCount capture une fracture interne : l’obsession de tout contrôler, de tout rationaliser et, en contrepoint, la nécessité irrésistible de ressentir, même lorsque ça brûle. Erin explore ce sentiment lancinant que « quelque chose cloche ». Une sensation d’inadéquation permanente, de contradiction entre ce que l’on ressent et ce que l’on montre, en particulier dans ses anciennes relations amoureuses.

Elle raconte ce réveil brutal où chaque sentiment frappe comme s’il était le premier. Ce n’est pas une renaissance douce ; c’est violent, imparfait, terriblement humain. Chaque chanson creuse ce sillon avec une justesse rare, portée par une écriture crue et imagée accompagnée d’une voix angélique. C’est dramatique, dans le meilleur des sens.

Retrouvez Erin LeCount sur Instagram.

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