Quand on est chroniqueur musical, il y a des moments un peu parfaits, un peu uniques, ou on a l’impression de se connecter avec un artiste mais surtout avec un être humain. Lorsqu’on a écouté “Pas Grand Chose”, le « premier » titre de Ian Caulfield, on a eu l’impression de retrouver un ami perdu de vue depuis longtemps. Alors on a eu envie d’en parler à tout le monde, et la meilleure des manières était surement de parler avec lui. Voici donc notre rencontre avec Ian Caulfied, éternel enfant au cœur pur et tendre.
La Face B : La première question que je pose toujours c’est comment ça va ?
Ian Caulfield : Ça va trop bien. C’est une sacré bonne période de ma vie en ce moment.
LFB : Est-ce que tu peux te présenter pour les gens qui te connaissent pas encore ?
IC : Ouais, je suis Ian Caulfield et je raconte des histoires en musique. Et je fais tomber des bières quand je parle ! Je raconte des histoires en chansons, et voilà. J’essaye d’être poétique comme je peux et de faire de la musique qui provoque des émotions.
LFB : Je t’ai vu en concert il y a un an, et j’ai l’impression que ton projet a tellement évolué qu’on peut dire que tu as eu plusieurs vies avec ce projet-là, que tu es sur un renouveau complet de ton projet. Qu’est-ce qui t’a poussé à changer tout ça ? Même sur scène, maintenant vous êtes deux…
IC : En fait c’est juste un cheminement personnel. Je ne sais plus trop qui disait « on a deux vies, la deuxième commence quand on se rend compte qu’on n’en a qu’une ». (NDLR : Confucius, philosophe chinois) C’est un truc auquel je pense souvent. Quand on commence à créer, on fait tout ce qui nous plaît et puis petit à petit, on apprend à se connaître de plus en plus pour ne garder que ce qui nous caractérise vraiment. Pour moi, faire de la musique c’est assez philosophique, on en apprend sur soi chaque jour. C’est ce qui fait que je suis passé par des phases un peu incertaines au début. J’ai sorti deux chansons pour pouvoir me trouver des concerts mais j’ai quand même pris soin de pas en dire trop pour prendre le temps de me trouver vraiment artistiquement.
LFB : C’est pour ça que tu as retiré ces chansons-là quand tu as sorti “Pas Grand Chose” ?
IC : Alors je n’ai pas retiré les clips, car mine de rien je les aime bien et je les ai fait tout seul, donc c’est une fierté quand tu fais ça seul sans moyen, sans rien, et que ça a plutôt bien tourné à l’époque où s’est sorti. Donc je suis quand même content de ces clips-là et ça fait partie de l’histoire, mais ce n’est pas forcément ce que j’ai envie de défendre maintenant. Et puis il y a aussi plein de trucs personnels qui rentrent en compte : le parcours que j’ai eu avant, à Reims, a été semé d’embûches et d’obstacles. Petit à petit, quand je suis arrivé à Paris, j’ai du me séparer de pleins de choses de là-bas, et finalement la musique en fait partie.
LFB : Ce qui est intéressant dans ce que tu dis c’est que, pour ceux qui connaissent un peu la scène rémoise (à part Rouge Congo) qui est essentiellement anglophone, tu n’aurais peut-être pas quitté l’anglais, si t’avais pas quitté Reims, non ?
IC : Je pense qu’il y a un peu de ça. Il n’y a pas du tout de groupes qui font du français à Reims. Il y a une grosse scène avec The Shoes, Jeanne Added, Woodkid… tous ces gens-là dont on parle encore maintenant, mais ils ne font que de l’anglais. C’est une scène qui a presque 10 ans aujourd’hui, donc qui est assez vieille… mais depuis eux la scène rémoise a eu plus de mal à exister. D’ailleurs on parle de la scène rémoise mais ils sont un peu tous partis. Alors c’est vrai que finalement on baigne tellement dedans là-bas qu’on s’en inspire au début (NDLR : pour le fait décrire en anglais) parce qu’ils ont l’air d’être assez accessibles puisqu’ils viennent du coin. Mais c’est aussi parce que j’aime l’anglais que j’ai voulu en faire au début. Sauf que mon frère était en Irlande et écoutait mes démos que je lui avais envoyé, et certains collègues lui disaient « ouais il veut rien dire son refrain… ». Donc j’ai dit ok, je vais pas repasser mille fois sur la chanson, au bout d’un moment ça décourage. Du coup voilà, ça m’a permis de me concentrer sur le français.
LFB : Parlons de tes nouvelles chansons, car j’ai eu accès à tes démos, quand j’écoute ta musique, j’ai l’impression d’être face à une personne qui recherche un échappatoire à ce qui l’entoure. Ce que tu racontes finalement c’est peut-être ton propre cheminement ? Dans tes chansons c’est souvent quelqu’un qui cherche sa place dans le monde qui l’entoure et qui ne lui correspond pas forcément.
IC : Oui, peut-être de manière inconsciente, mais pour moi c’est plus le fait que je n’ai pas envie de grandir, tout ça… Du coup j’essaye un peu de retrouver les états de l’enfance dans les chansons. Je pense que si je ne faisais pas de musique, je serais un gars dangereux, parce que quand tu regardes bien, les gens sont méga casse-couilles pour rien dans la vie. Ils rendent les choses reloues pour que dalle. Alors la musique ça m’aide à me calmer un peu, et si je peux aider aux gens de se détendre aussi c’est merveilleux.
Et c’est ça qui est génial aussi dans le fait de faire plein de concerts. Tu apprends à connaître comment procurer du plaisir aux gens, à les rendre heureux un instant. C’est la chose la plus épanouissante, quand j’y arrive, je sais que je ne suis pas là pour rien. Par exemple, au Chantier des Francos il y avait des gamins qui étaient là, au concert, et j’ai vachement communiqué avec eux. Et les adultes qui étaient là l’ont vachement ressenti, et ça m’a fait vraiment du bien car je me suis dit que j’arrivais enfin à faire ça, à refaire basculer les gens dans une pureté de soi : une simplicité de l’émotion car on s’endurcit tout le temps. Et les émotions changent, elles sont brutes à fond… et en même temps, il y a un peu une incompréhension de tout ce qu’il se passe autour, et ça crée des émotions.
LFB : Le syndrome de Peter Pan, c’est un truc qui te parle ou pas du tout ? J’ai ressenti ça aussi dans ta musique.
IC : En fait on a tous un peu ce syndrome là quelque part, c’est juste que certains l’acceptent plus que d’autres, et après je pense qu’il faut savoir se dire que ce n’est pas parce qu’on grandit qu’on ne peut pas rester des enfants aussi. En vrai on vieillit, on grandit, et finalement des fois je regarde et je me dis qu’il y a plein de bons côtés. Ce n’est pas que nul, ça fait aussi les chansons que j’ai fait avant. J’avais un personnage très sombre, très triste, et maintenant je me rends compte qu’en ayant ce discours, ce n’est pas parce qu’on grandit qu’on peut pas prendre du plaisir comme quand on est gosse. Le discours est plus fun sur scène quand on le présente comme ça.
LFB : Il y a aussi une idée de lettre ouverte où tu t’adresses à des personnes, tu parles directement à quelqu’un. Dans ta façon d’écrire, ça t’aide à dire des choses que tu n’arrives pas à dire dans la vraie vie ?
IC : Je ne sais pas trop, en fait mon mode d’écriture est un peu spontané, il n’est pas trop dans la réflexion. Je ne cherche pas trop à savoir exactement le fond de ma pensée. Je veux juste que ça sonne et que ça raconte quelque chose qui provoque. Je ne me dis pas toujours tout de suite « je parle à telle personne ». Après c’est vrai que dans certaines chansons oui, dont une où je m’adresse à l’enfant que j’étais avant. Ou quand je m’adresse à mon meilleur pote « où t’es maintenant ? », car je ne le vois plus. On se demande ce qu’ils deviennent tous ces amis d’enfance, si ça va… car au final on se perd. Je sais pas, c’est des trucs simples qui ne vont pas chercher très loin. Je crois que si on réfléchit trop, on ne va pas trop dans l’essentiel.
LFB : C’est la simplicité qui rend le propos universel finalement.
IC : Ouais c’est que ça puisse parler à des gamins comme à des adultes, et qu’il y ait des niveaux de lecture différents. Même si je peux me prendre la tête longtemps sur un texte, parfois une semaine, j’essaye de faire en sorte que ça reste le plus simple possible. Je ne veux pas chercher la petite subtilité qui va faire qu’on va se dire « oh là là, mais quel auteur ! ». Je suis pas dans cette branche-là.
LFB : Je vais revenir sur le fait que tu disais que tu voulais que ça sonne, et c’est un truc que j’ai remarqué. Finalement tu utilises des mots pour le sens mais aussi pour leur sonorité ? Et ça pour le coup c’est un truc qui se fait pas trop dans le français.
IC : Si mais dans le rap. C’est ce que j’essaye de faire et ça me vient de mon amour pour la musique anglo-saxonne. Après je pense pas que j’ai le talent d’écrire des textes magnifiques, même s’il y a des textes pour lesquels je suis fier de moi, je pense pas qu’on m’étudiera à l’école non plus. J’essaye de faire en sorte que la musique ne soit pas vide de sens, car c’est important. Et puis je chante en français maintenant donc il faut que ça raconte des choses. J’ai envie de raconter de belles choses et que ce soit agréable à écouter, que même si on n’a pas envie d’écouter les paroles, qu’on apprécie quand même d’écouter le chant. Car il y a plein de musiques en français où, si tu n’écoutes pas les paroles, il te manque quelque chose à l’écoute. Et je n’ai pas envie de faire ça.
LFB : La mélodie sur “Pas Grand Chose” reste en tête car justement tu retiens le mot mais aussi la façon dont tu le fais rouler. Je trouve ça vraiment cool.
IC : “Pas Grand Chose” c’est la première chanson que j’ai faite en français, mais elle date d’il y a longtemps, elle a trois ans cette chanson. Elle était vraiment si spontanée que je n’y ai jamais retouché, à part les arrangements. Du coup je n’écrivais pas exactement pareil sur celle-là que sur les autres, qui sont plus récentes. Mais je trouvais que ça me ressemblait quand même donc je l’ai sorti, c’était la première quoi.
LFB : C’était important pour toi de commencer par celle-là ?
IC : Oui et il y a aussi le fait que je trouve qu’elle fait un pont entre ce que je faisais avant et maintenant. Je me suis dit que si je passais tout de suite sur les titres les plus récents que j’ai fait, le peu de gens qui me suivent auraient trouvé ça un peu brusque. C’est une bonne transition et comme je l’ai toujours jouée sur scène, ça avait du sens aussi.
LFB : Dans les articles qui sont sortis récemment sur toi, ça vient aussi du clip, il y a beaucoup de gens qui te parlent de Tim Burton. Moi, au-delà de Tim Burton, je trouve que ta musique me fait penser un peu à Danny Elfman (son compositeur). Ton univers musical est à la fois sombre et enfantin. Il y a des choses un peu simples, lumineuses et qui ramènent à ce monde enfantin, et dans tes paroles on est limite dans le conte macabre et des choses plus dures. Comment tu travailles ça ?
IC : Danny Elfman est l’un des piliers d’influence de ma musique. Quand je ne suis pas inspiré, j’écoute Danny Elfman. C’est quand même autre chose que de faire de la chanson, mais ce qui me plaît ; et qui se retrouve dans pleins d’autres choses que j’aime comme la B.O. de Suspirium de Thom Yorke ou des trucs comme ça ; c’est ce que ça amène la chanson à des textures plus cinématographiques, plus imagées, et j’aime bien qu’on puisse imaginer des images sur de la musique car c’est ce qu’on fait toujours. Si on ne s’imagine pas quelque chose, on va en général se rappeler de quelque chose. Moi j’aime bien qu’on puisse s’imaginer quelque chose parce que c’est un plus gros challenge quelque part de pouvoir assimiler sa musique à quelque chose. Danny Elfman c’est le dieu de ça, donc ça m’inspire vachement.
LFB : Tu es au Chantier des Francos et tu reviens d’une semaine de résidence, est-ce que tu peux nous en parler ?
IC : En gros ça m’a apporté plus de confiance en moi. J’ai pris des cours de chants et ils m’ont fait faire des progrès de fou en trois jours. Tous les trucs que j’avais du mal à chanter avant dans mon projet, et j’ai plus de problèmes en 3 jours. C’est un remède miracle. Il y avait quelqu’un avec qui on travaillait juste sur les yeux, le rapport à l’espace…donc sur scène ça fait grandir la perception qu’on a et l’aisance qu’on peut avoir. Mademoiselle K était là aussi, elle est super, et on a beaucoup parlé de ce que je pouvais faire sur scène : des choses que j’entreprenais à moitié par exemple, notamment quand je commence à parler aux gens et que je m’arrête en cours de route. Elle me disait « mais vas-y, va jusqu’au bout, c’est chiant que tu t’arrêtes au milieu ! ». Et c’est vrai, c’est des trucs tous bêtes, et t’accumules tout ça. Je suis sorti de la semaine vachement grandi. On a mis en place un nouveau morceau. Franchement tous les trucs où j’avais du mal, sans en avoir conscience ou où arrivais pas à aller jusqu’au bout, ils m’ont aidé à le faire.
LFB : C’est quoi le plan pour Ian Caulfield en 2020 ?
IC : Le plan c’est d’ouvrir un grand restaurant où on cuisinera essentiellement les patates sous toutes ses formes, et beaucoup de bières. Non je pense que le but est de ressortir un morceau dans pas trop longtemps. Là il y a 18 dates qui arrivent, du coup j’ai beaucoup de choses à faire. Et il y aura un EP je pense, car au début j’étais plus sur une démarche d’album, mais je pense qu’il y aura un EP quand même entre temps. En fait maintenant que je suis bien entouré et que j’ai des personnes bienveillantes autour de moi et que j’ai l’esprit plus libre, je vais pouvoir composer beaucoup plus. Donc j’ai hâte de faire ça, de jouer, de faire mon travail.
LFB : Est-ce que tu as des coups de cœurs récents à partager ?
IC : Je suis un peu sur de la réécoute en ce moment, et je ne suis pas allé beaucoup au cinéma ces derniers temps. On va dire le dernier album de Cage The Elephant, j’adore, je l’ai découvert il y a pas longtemps. J’ai écouté Nekfeu récemment, et James Blake que je réécoute beaucoup. Et Ryder The Eagle, voilà.