Si FGO-Barbara est une salle de concert incontournable dans le paysage musical parisien, on identifie beaucoup moins ce qui se passe dans les étages de l’établissement ; ce qui fait l’essence même de cet établissement culturel de la Ville de Paris.
Nous avons rencontré Sylvain Mignot (Sayem) qui épaulé par Benjamin Delobelle, a en charge le Pôle de Création Artistique à FGO Barbara. C’est l’occasion de découvrir avec lui l’envers de l’envers du festival Ici Demain qui se déroulera cette année du 24 au 26 novembre. Ce festival met en avant les artistes soutenus par les dispositifs de soutien proposés par FGO-Barbara, en leur permettant de concrétiser, dans les meilleures conditions possibles, leur travail au travers d’un de leurs premiers concerts.
Nous retrouvons Sayem, dans un lieu essentiel pour un·e musicien·ne où tout peut s’expérimenter et se matérialiser : le studio d’enregistrement.
La Face B : Peux-tu nous expliquer quel est l’ADN de Variation(s), le dispositif parisien de soutien à la création sur lequel s’appuie le festival Ici Demain ?
Sayem : Variation(s) est un dispositif qui est en place depuis maintenant quatre ans. L’idée est de soutenir 15 artistes parisien.ne.s. Il y a une mixité autant dans les candidats que l’on souhaite sélectionner que dans le jury qui les sélectionne. C’est vraiment important. La parité est une mission que l’on a depuis très longtemps. Au-delà de la mixité, nous sommes attentifs à ce que le jury intègre des membres extérieurs à FGO-Barbara.
L’équipe qui le compose comporte 20 membres : cinq personnes de FGO-Barbara, cinq artistes, cinq médias et cinq personnes de la filière.
Il est important d’avoir dans le jury des gens de la filière – labels ou éditeurs – parce que les artistes vont aller vers eux dans leurs carrières. Mais il est aussi essentiel d’avoir des musicien·ne·s car ils comprennent encore mieux la place de l’artiste aujourd’hui ou des médias. Les gens des médias sont souvent des amoureux de la musique, des gens qui ont envie d’aider et qui sont souvent les premières personnes qui mettent de la lumière sur les artistes.
C’est pour cela que l’on est 20 au total.
Et ce jury choisit quinze artistes en assurant le respect de la parité et la mixité des esthétiques.
On essaye aussi de mettre l’accent sur la bonne temporalité des besoins des groupes. 400 groupes candidatent. Des groupes absolument inconnus qui sortent de leurs chambres, des groupes qui sont déjà en majors ou des groupes entre-deux. Ce qui est de notre responsabilité est d’essayer de trouver les groupes avec un timing parfait pour nous et donc forcément pour eux. On est là pour répondre au mieux à leurs interrogations au moment où ils en ont besoin, pour pouvoir aller plus loin avec eux. Que ce soit pour le groupe qui sort de sa chambre ou celui qui a déjà un contrat, signer peut-être le début des problèmes.
Également, on fera beaucoup de choses en collectif. C’est important d’imaginer des groupes qui pourront matcher entre eux, s’épauler et s’entraider.
« On est une forme de laboratoire »
Une fois cette sélection faite, on rencontre tous les groupes et on leur explique notre rôle. On n’est pas là pour qu’ils puissent signer dans une maison de disque ou faire une carrière. Nous sommes là, simplement, pour les aider a y voir plus clair dans leurs projets.
La première chose que l’on fait c’est de questionner leurs projets. Qui sont-ils, que veulent ils faire, et comment veulent ils le faire. Si à la suite de ces questions, il s’avère qu’il y en a qui veulent faire la fête de la musique et jouer avec leurs potes ou alors s’il y en a qui veulent faire le stade de France – je prends ces deux exemples très caricaturaux – en fait ce n’est pas grave. On est là pour aider ces différents groupes.
Après on est une forme de laboratoire. L’idée c’est qu’ils expérimentent. Qu’ils prennent le temps d’essayer.
Et de les calmer. Aujourd’hui un·e musicien·ne est en stress. En particulier en France où il y a souvent un problème de positionnement avec le statut d’intermittent. Les groupes anglo-saxons savent qu’il n’y a pas d’intermittence, s’ils veulent faire de la musique ce sera toujours en plus de leur travail. Ils savent qu’ils doivent travailler pour manger et payer leurs loyers, la musique est en plus. En France, il y a un problème de reconnaissance. Les artistes pensent souvent que pour être reconnus comme musicien·ne·s et quelqu’un qui réussit sa carrière ils doivent être intermittent·e·s. Iels se mettent alors en danger. Iels arrêtent de travailler trop tôt. Je peux le comprendre mais c’est très dangereux parce que du coup ça les mets dans une logique « Vite, il faut que j’y arrive ».
Dans le cadre du dispositif on leur dit : « Il y a votre temps en dehors de FGO-Barbara » et le « Temps ici ». Et le « Temps ici » est justement là pour faire tout ce que l’on ne peut pas faire à côté. Par exemple, lorsque l’on est en session d’enregistrement dans un studio, comme celui que l’on occupe, le coût à la journée est tellement élevé que si l’ingénieur du son nous met un micro en particulier, on ne va pas lui dire « Je peux essayer l’autre micro ? ». On va à l’essentiel.
« L’idée est vraiment de toujours les rassurer et de leur dire qu’au final ce seront toujours eux qui auront raison »
Chez nous, non. On fait tout ce que l’on ne peut pas faire dans la vraie vie. Prendre le temps d’essayer les micros, prendre le temps d’essayer les préamplis, essayer d’enregistrer en rere (piste par piste) ou en live. C’est pareil dans la salle de répétition. On travaille avec beaucoup d’intervenant·e·s extérieur·e·s, tous des professionnel·le·s, et iels ne viennent pas ici pour donner une leçon. Nous ne sommes pas une école. On ne travaille pas avec des coachs ou des professeurs. Notre idée première est de faire se rencontrer les artistes et les gens qui font le métier.
Par exemple, lorsque l’on travaille avec un·e artiste qui va préparer une série de concerts, on va le faire bosser trois jours consécutifs dans le studio 6, un grand studio de 50 m². On va faire aussi intervenir des chorégraphes, des stylistes, peut-être des profs de chant. Mais ces derniers ne vont intervenir que pour une sorte d’état des lieux de la voix. Et si jamais iels ont besoin de travailler leur voix de manière spécifique, iels prennent rendez-vous à l’extérieur de FGO-Barbara.
L’idée est vraiment de toujours les rassurer et de leur dire qu’au final ce seront toujours elles·eux qui auront raison. Souvent, les groupes ont tendance à dire, un peu comme les enfants, « Il y a les parents (nous) et ce sont eux qui savent ». Mais non, on leur dit « En fait, c’est vous qui savez. Et plus vous allez le savoir, plus vous aller être fermes dans vos décisions, plus vous allez être respectés et aurez de l’audience ». C’est ce travail de reconstruction que l’on fait : « C’est vous qui avez les réponses à vos questions ».
Et quand vous n’y arrivez pas tout seul, c’est normal. On est là pour cela, au travers de différents ateliers qui peuvent se dérouler dans nos différents espaces, la salle de danse, le studio d’enregistrement, la salle de concert. Avec nos intervenant·e·s, nous mettons en place ce qu’il faut pour que les artistes puissent prendre confiance en eux et trancher.
Ça c’est la partie individuelle.
« La hantise d’un groupe qui commence sa carrière est d’être tout seul. Il a très vite envie de signer »
Après il y a aussi une partie collective où nous répondons à leurs questions, qu’elles portent sur de la structuration, du juridique, de l’artistique, de la technique. Par exemple, sur les moments collectifs, on fait toujours une session avec un avocat, un des plus gros avocats en propriété intellectuelle et droits d’auteur à Paris. De même, les groupes peuvent parler structuration avec Grand Musique Management, une société est spécialiste dans ce domaine. Elle s’occupe des carrières comme Lomepal ou d’autres gros artistes en leur permettant de se structurer.
C’est une question essentielle. Il y a toute la partie musique, artistique mais aussi la stratégie à mettre en place pour déterminer de quels partenaires j’ai besoin.
Souvent les jeunes groupes sont mal entourés. La hantise d’un groupe qui commence sa carrière est d’être tout seul. Il a très vite envie de signer. Malheureusement, quand on est au début d’une carrière, on n’attire pas toujours que des gens bienveillants.
C’est pour cela qu’une de nos premières actions est de comprendre leur entourage, de voir s’il est bienveillant ou non. Et alors d’aider l’artiste soit à s’épanouir et à étoffer cet entourage ou soit, au contraire, à s’en séparer.
Et puis, Variation(s) permet d’aider les groupes à se construire, lors de moments individuels, de moments plus collectifs, mais aussi lors de moments de création. C’est pour cela que notre pôle s’appelle Pôle de Création Artistique. L’idée est d’aider la création individuelle mais aussi une création à plusieurs. On peut alors faire appel à des intervenant·e·s extérieur·e·s mais aussi aux groupes eux-mêmes. On les questionne sur leurs spécificités. Si dans un groupe un·e musicien·ne est très fort·e en MAO ou en production, iel peut intervenir sur un autre groupe qui aurait besoin d’aide sur ces domaines-là. Iel est alors payé·e comme un·e intervenant·e extérieur·e. C’est aussi pour le·la responsabiliser et lui montrer, que oui c’est un·e artiste mais iel a également d’autres capacités. Pareil on retrouve ce discours de « Ne Stresse pas, tout va bien. Tu as plein de compétences ».
Et ça crée ce côté famille. Et puis si dans les 15 groupes il y en a qui sont plus connus que d’autres, ils se rendent compte en parlant entre eux qu’ils ont les mêmes problématiques, les mêmes stress. Comme souvent dans la vie, les doutes, le manque de confiance en soi arrivent par le manque de communication. Et là, le fait de communiquer énormément, que ce soit avec nous ou avec nos intervenant·e·s extérieur·e·s ou entre les groupes, permet de relativiser beaucoup de choses. Et finalement iels en ressortent plus serein·e·s.
« C’est très important de faire une première scène. C’est toujours intimidant, d’autant plus lorsque l’on sait qu’il y aura des médias et des partenaires possibles »
Pourquoi je parle de tout cela ? C’est parce que c’est en lien avec le festival Ici demain. Nous avons réfléchi avec notre direction, Léo [Jouvelet] et Naïma [Bourgaut] – Léo est aussi le programmateur du lieu. Nous nous sommes dit que nous allons créer un festival qui a du sens. Les groupes ont besoin de jouer. C’est important de faire un festival alléchant pour faire venir des programmateur·ice·s, des médias pour découvrir cette nouvelle scène. Des festivals comme celui-là, il en existe plusieurs. Notre couleur à nous c’est d’être toujours du côté des artistes. C’est d’assumer, de dire on va faire un festival « découverte » qui se base, vraiment, sur la primo exposition.
Par contre, chaque artiste programmé·e doit pouvoir être aidé·e et doit pouvoir préparer cette date-là. Ce qui ne se fait pas ailleurs. Ce n’est pas pour dire : « Nous c’est mieux ». Ça correspond à notre état d’esprit de dire : « On vous aime bien, on veut vous programmer et en plus on veut préparer cette date avec vous ». Ce n’est pas obligatoire. On propose. Il y a des groupes qui acceptent, d’autres qui refusent. C’est l’occasion d’inclure dans la programmation beaucoup d’artistes du dispositif Variation(s).
C’est très important de faire une première scène. C’est toujours intimidant. D’autant plus lorsque l’on sait qu’il y aura des médias et des partenaires possibles. Ça rajoute énormément de stress. C’est pour cela que l’on fait un vrai travail préliminaire à cette date. Nous, notre équipe et nos intervenant·e·s extérieur·e·s, sommes présent·e·s pour tous les groupes aux balances. Le temps des balances est un moment clé. Une balance réussie permet, le plus possible, un bon concert. Surtout, et c’est ce que j’explique aux groupes, le public n’est pas au courant de ce qui se passe pendant les balances. Il ne saura pas que le micro ne va pas ou que le son… tout ce qui va être défaillant pendant le concert – jamais le public ne va incriminer la salle ou le matos.
C’est pour cela que l’on explique que ce temps des balances est un temps très important et qui se travaille aussi en amont. C’est une technique, des choses à mettre en place. Souvent sur les festivals, les line checks vont très vite. Raison de plus pour avoir déjà déterminé les morceaux que l’on va jouer, savoir de combien de temps on dispose, ce que je veux dans mes retours, …. tout cela se travaille énormément et en amont.
Ici Demain est un festival qui reste très ludique, très festif et avec ce petit plus : pouvoir accompagner les artistes, ce qui amènera à présenter le show le plus efficace possible.
LFB : C’est un festival qui ne s’adresse pas uniquement aux artistes du dispositif Variation(s). Il y a un mix entre elles·eux et d’autres.
Sayem : Complètement, en sachant que l’on est vraiment sûr de la primo exposition. D’ailleurs on est très content de cette édition car en discutant pendant le Mama ou avec d’autres professionnel·le·s, on s’est aperçu que tout le monde est assez excité de la programmation de cette année. Et ça, c’est un vrai travail de Léo sur la programmation du festival. Je suis fier de travailler ici pour : « Ce parfait mélange entre bienveillance et professionnalisme ». C’est un lieu qui est capable de créer un vrai festival digne de ce nom, tout en y apportant une valeur d’inclusivité, de mixité, de représentativité. D’avoir vraiment une esthétique différente et avec une bienveillance absolue. Ici Demain est un festival pour les artistes et j’allais dire par les artistes, pas complétement mais presque.
« Tout est mis à leur disposition pour qu’iels puissent faire le meilleur set possible »
Je trouve que trop souvent, les artistes et surtout ceux en développement, sont beaucoup utilisé·e·s. Iels ont envie d’y arriver et, pour cela, ont tendance à accepter un peu tout. Nous sommes attentifs à respecter les cachets, les gens qui les accompagnent. Par exemple, les groupes qui vont jouer pendant le festival vont pouvoir faire des résidences chez nous. Les technicien·ne·s présent·e·s pendant la résidence seront les mêmes pour faire le concert. De ce fait iels connaissent déjà le set, la setlist. La lumière sera déjà faite. Tout est mis à leur disposition pour qu’iels puissent faire le meilleur set possible. Je trouve que par rapport à notre ADN, il en va de notre responsabilité.
On ne peut pas juste créer un festival qui serait un peu comme un marché de la musique, « Venez écouter la nouvelle génération ». Même si de fait, c’est cela. Faire découvrir des groupes auxquels on croit, oui mais aussi avec cette responsabilité de dire « Ce sont des groupes que l’on a aimé et que l’on a décidé d’aider et que l’on a su préparer pour ces dates-là. » Et ça c’est vraiment très important.
Ce qui va être mis en place sur ce festival va l’être pour le confort des groupes. Ce travail en amont du festival, a déjà commencé. Il est en cours depuis début octobre.
LFB : Pour revenir sur le dispositif de Variation(s), en tant que lauréat du FAIR en 2009 tu as connu d’autres structures d’accompagnement. Comment Variation(s) diffère et/ou complète celles existantes ? Comment as-tu pu mettre à profit ton expérience pour concevoir autre chose ?
Sayem : C’est une bonne question parce qu’en fait tout est venu de là. De ma carrière de musicien, du FAIR. J’ai été lauréat du FAIR avant que Julien [Soulié] en prenne la direction. Pour moi il existe deux gros dispositifs d’aide au développement des artistes : le FAIR et le Chantier des Francos.
Chacun avec leurs spécificités, le Chantier des Francos s’est énormément renouvelé ces derniers temps avec des nouveaux intervenants et il marche bien. Il donne surtout la possibilité de faire les Francos. C’est une énorme opportunité pour les artistes. Maintenant le Chantier, et même si des questions périphériques sont aussi abordés avec leurs différent·e·s intervenant·e·s. Le but est quand même de préparer le live.
Le dispositif du FAIR est un peu plus global. Mais, ils n’ont pas d’espace. C’est presque une aide orientée management. C’est-à-dire que les groupes et leurs managers sont aidés toute une année financièrement mais aussi avec toutes les ressources du FAIR. Elles sont conséquentes puisque le FAIR existe depuis très longtemps. C’est vraiment devenu une marque. Aujourd’hui, le FAIR est un gage de qualité et de confiance pour les partenaires.
Nous, nous sommes ailleurs ; complémentaires avec ces deux entités et pas du tout en compétition.
La vraie différence déjà tient dans le fait que Variation(s) est un dispositif parisien contrairement aux deux autres qui sont nationaux. Nous disposons d’un lieu avec un studio d’enregistrement, deux salles : de danse, six salles de studio de répétitions et une salle de concert. De ce fait, nous essayons d’être davantage sur de la création, en amont du Chantier des Francos. Et d’ailleurs, c’est amusant il y a une sorte de parcours. Les artistes passent d’abord par chez nous, puis vont aux Chantiers des Francos et ensuite font le FAIR. Ce qui est assez logique car nous avons vraiment les groupes très en amont et on peut les aider sur tous les aspects qui les questionnent à ce moment-là.
L’idée est vraiment que le groupe arrive ici et puisse repartir en sachant qui il est, ce qu’il veut faire et comment il veut le faire. Avoir des vraies interrogations sur comment se structurer – monter une boite, être en auto-entreprise, être juste salarié·e ou intermittent·e. Au bout de cette année, iel connait tous les points juridiques, les différentes formes de contrats, comment s’entourer et iel a pu travailler avec d’autres projets ou d’intervenant·e·s sur son projet. Iel est par conséquent plus mûr·e pour évoluer et aller vers d’autres choses.
« C’est super important de toujours coller aux besoins des groupes. »
J’ai commencé à intervenir à FGO-Barbara comme coach en 2008. En tant que musicien, j’intervenais sur tout ce qui relevait de la musique électronique, dont beaucoup de travail au studio. Et quand Karim Kanal qui à l’époque l’ancien responsable du pôle accompagnement, a quitté l’équipe, j’ai repris les rênes. Et en accord avec la Ville de Paris et ma direction – qui n’était pas encore la direction actuelle – nous avons pu réécrire les différentes manières d’aider. Avec Benjamin Delobelle qui travaille avec moi sur ce pôle, chaque année, on continue à réécrire ce projet. On essaye d’apporter des modifications parce que l’industrie change, les envies et les besoins des groupes évoluent aussi. Il est essentiel de toujours coller aux besoins des groupes.
On est d’utilité publique, subventionné par de l’argent public. Et pour moi ces missions-là sont très importantes. C’est pour cela que l’on est davantage sur le·la citoyen·ne, l’individu et sur l’artiste pur·e que sur le côté professionnel. Même si on est « professionnalisant » dans le sens où on parle de tout. Mais pour moi, ma mission n’est pas que tel groupe ait signé à la fin de l’année. C’est plutôt que le groupe sache ce qu’il veut faire. Ma mission est là. Que le groupe ait pu trouver un cadre dans lequel il se sente bien et qu’il ait pu rencontrer des gens. Et c’est ce qui se passe.
Depuis que l’on a commencé, beaucoup de groupes accompagnés ont finalement embrassé une carrière, d’Eddy de Pretto à Aloïse Sauvage, d’Agar-Agar à Bonnie Banane. Beaucoup de groupes, qui sont passés ici, reconnaissent l’intérêt du dispositif. Et si le bouche à oreille est autant efficace c’est qu’il est porté par les groupes eux-mêmes. On ne fait quasiment pas de promo. Ce sont les groupes qui parlent entre eux en disant « Va à FGO-Barbara parce que … » Ce qui fonctionne, c’est que l’on associe des choses qui vont rarement ensemble. Sans faire de généralités, soit il existe des structures bienveillantes mais qui ont des carences par rapport à des questions très spécifiques et très techniques. Soit il existe l’inverse, des gens très compétents mais pour qui tout de suite, la question financière va être d’intérêt premier.
« Et ça, je sais que c’est un luxe que les groupes adorent. Enfin avoir quelqu’un sans lien d’intérêt financier »
Nous sommes un lieu où nous allons pouvoir être autant bienveillant·e·s que très précis dans nos compétences et ceci sans être intéressé·e·s financièrement au projet. J’avais mis ça en route tout de suite, parce que c’est quelque chose dont j’aurais aimé pouvoir bénéficier à l’époque où j’étais musicien. C’était difficile de pouvoir juste rencontrer quelqu’un qui t’aide et qui te donne un avis constructif et bienveillant sans te demander de l’argent. Quand tu es un jeune groupe, même si tu as un accompagnement – un label, un tourneur, un manager – à un moment donné tu ne sais plus te situer. Tu es perdu.
Avoir un lieu dans lequel on peut être aidé d’une manière très objective, sans intérêt financier. C’est ce que j’ai toujours souhaité, c’est ce que l’on propose aux groupes : « Plus vous aller être honnête avec nous, montrez-nous vos contrats et tout ce qui se passe, plus on pourra vous aider et surtout dans votre propre intérêt puisqu’on ne va pas faire de l’argent avec vous. On ne va pas chercher à vous séduire. On ne demande rien. On est juste là pour vous aider ». Et ça, je sais que c’est un luxe que les groupes adorent. Enfin avoir quelqu’un sans lien d’intérêt financier.
C’est cela qui est génial et c’est pour cela que j’ai envie de continuer dans le contrat qui me lie avec ma direction. Je suis libre. Je ne travaille pas à plein temps parce que justement je suis aussi manager, photographe. Je travaille par exemple, pour des artistes comme Julien Doré et d’autres. Et cela me permet de travailler en vases communicants : tout ce que j’apprends à l’extérieur, tout ce que je continue de voir dans ma vraie vie, je peux le mettre ici. Et inversement. C’est extrêmement intéressant. Ça me permet aujourd’hui, quand je parle à un·e artiste, de ne pas être déconnecté et de pouvoir lui donner les mêmes conseils que ceux je donne à mes artistes et, là, pour le coup gratuitement.
Ce que recherchent les artistes aujourd’hui, c’est de fréquenter un lieu où iels vont pouvoir prendre le temps d’essayer. Pareil, le mot « essayer » est important. On n’a plus le temps de rien aujourd’hui. Venir ici trois jours et essayer d’enregistrer un morceau de différentes manières, c’est super important.
Même chose pour la grande question du live : j’ai un projet qui marche bien, mon tourneur veut bien que je fasse des concerts mais ils n’ont un budget que pour trois personnes alors que moi dans ma tête on est six. Que fait-on ?
Ton tourneur dit que vous devez être trois, toi tu veux être six… Ok, on va travailler les deux shows, on va faire venir le tourneur et on va lui montrer à quel point, si c’est le cas, six sera peut-être plus cher mais aussi beaucoup mieux et donc plus facile à vendre. Ça fait partie de notre bienveillance. C’est un travail que l’on peut faire alors qu’un tourneur ne peut le prendre à son compte.
Aujourd’hui, il existe une vraie problématique. C’est pour cela qu’en tant que lieu Ville de Paris, on essaye d’accueillir le plus de monde possible. A côté de Variation(s) – 15 artistes – il existe aussi deux autres dispositifs mis en place pour aider la scène féminine. Le prix Cécile Pollet aux Trois Baudets qui récompense une auteure-compositrice-interprète chanson française parce que c’est l’esthétique des Trois Baudets. Et maintenant Planètes Elles qui va récompenser une rappeuse et une beatmakeuse à FGO Barbara plus proche de l’esthétique générale du lieu. En fait, ces deux dispositifs, sélectionnés par un jury différent, intègrent le pool des 15 artistes. Ils ont les mêmes droits, assistent aux mêmes ateliers et travaillent dans les mêmes espaces.
« Souvent le fait d’avoir une info peut débloquer tout le reste »
En plus avec Benjamin, nous recevons aussi des artistes issu·e·s de ce que l’on appelle des sessions d’écoute. Cela représente à peu près 30 artistes de plus par an. Lors des sessions d’écoute, il n’y a pas besoin d’inscription. Iels ont une demi-heure pour nous faire écouter un morceau et présenter leur projet. Nous leur apportons un premier retour. On y tient beaucoup même si cela demande beaucoup de temps. Quelqu’un qui souhaite avoir un avis, peut prendre un rendez-vous sans appel à candidatures. Cela peut-être une première porte d’entrée pour ici parce que suite à ce qui se passe, on peut les orienter, ou non, vers nos dispositifs.
C’est déjà arrivé avec pas mal d’artistes où suite à un premier rendez-vous, un échange de deux ou trois mails, iels s’inscrivent et réussissent à être sélectionné·e·s. C’est cela qui est génial. Le suivi de groupe est important. C’est pour cela que dans notre pôle, sur l’année, on accompagne entre 40 et 60 projets différents. C’est conséquent mais je ne vois pas comment on pourrait faire autrement.
C’est important de pouvoir aider. Des fois on a des questions très jeunesMais ce n’est pas grave. On les a reçus et ils ont eu leurs réponses. Souvent le fait d’avoir une info peut débloquer tout le reste.
« La base de toute réflexion est la création »
LFB : Julie [Bataille – Attachée de Presse de FGO Barbara] faisait la distinction entre accompagnement et soutien.
Sayem : « Accompagnement », c’est vrai que j’ai un problème avec ce terme, même si je trouve que c’est un joli mot mais il y a un aspect : « Tu es fragile, je vais t’aider à être plus fort ». Je ne veux pas parler de fragilité. Je n’ai pas à faire à des personnes fragiles. Il y a des artistes aujourd’hui qui arrivent et qui ne sont pas du tout fragiles. Iels savent où iels veulent aller. Iels ont juste des questions et iels n’ont pas forcément envie d’aller, tout de suite, en label. Iels préfèrent rester encore un peu tout seul·e et essayer des choses.
Pour moi la base de toute réflexion est la création. C’est pour cela qu’un des lieux qui se prête le plus à ces réflexions, est celui dans lequel nous nous trouvons actuellement : le studio d’enregistrement. Il permet de poser des idées, de les écouter, de se dire : « Ah non, pas bien », de travailler le son, de rencontrer des gens. C’est vraiment ici que les idées naissent.
Cela permet, ensuite, de développer tout le reste. Les photos que je souhaiterais, le son que je voudrais affirmer ou la réalisation que j’aurais choisie. Cela indique une direction. Cette direction permet de mieux situer la photographie, les photos de presse, le clip, comment je veux être sur scène. C’est ce qui fait que, par rapport à l’accompagnement, dans le soutien on est davantage autour de la création. Le terme d’accompagnement est trop réducteur même s’il est joli. Je préfère dire soutenir.
« C’est la conviction qui va faire que le projet va marcher »
Finalement iels n’ont pas besoin de nous. Quand je pense aux gens connus qui sont passés par chez nous et qui ont réussi leurs carrières, je suis persuadé qu’ils auraient aussi réussi sans nous. Par contre, le fait de passer par chez nous aura probablement permis d’accélérer leur projet ou du moins de leur apporter une bienveillance et un havre de paix qui leur ont été agréables. Ils ont gagné du temps parce qu’ils ont pris ce temps à essayer beaucoup plus de choses. Cela leur a permis d’avoir davantage confiance en eux.
C’est un métier où, comme toujours dans la vie, si tu montres et que tu sais ce que tu veux, tu es davantage écouté.
Comme il s’agit d’éléments très subjectifs, il n’y a pas de valeur absolue. C’est la conviction qui va faire que le projet va marcher. Si un·e artiste a pu se poser toutes les questions, expérimenter, et se dire en final : « Je sais pourquoi je fais ce disque et voilà comment je le fais et à qui je m’adresse », iel trouve son public. Iel a une direction.
« Souvent ce qui fait la particularité du groupe réside dans quelque chose qui leur fait un peu honte et qu’ils veulent cacher, gommer »
Par contre avoir la démarche de créer une audience, ne pas chercher à sortir un tube mais rester fidèle à ce que tu es, à ta personnalité, à la manière dont tu fais les choses, ça va être plus long et les gens vont ensuite venir à toi pour de bonnes raisons, s’attacher à toi. C’est ce qui va te donner de la force.
Notre travail ici est de questionner les groupes sur leurs particularités. Et ce qui est amusant, c’est que souvent ce qui fait la particularité du groupe réside dans quelque chose qui leur fait un peu honte et qu’iels veulent cacher, gommer.
C’est en étant fidèle à ce que l’on est qu’on réussit à fédérer.
« Artiste = Sensibilité + Technique »
Pourquoi fait-on de la musique ? Pour moi, tout le monde est un peu artiste quelque part.
Artiste = Sensibilité + Technique. Un·e artiste, c’est quelqu’un qui a su développer une technique par rapport à sa propre sensibilité. C’est ça faire de la musique. Après on est artiste parce que l’on a décidé de travailler à partir de cela. Il y a des gens qui disent « Ok, je pourrai le faire mais je ne le fais pas parce que soit j’ai peur, soit je n’ai pas envie, soit ça ne m’intéresse pas ».
« La scène c’est un métier, un truc physique, tu ne peux pas y arriver comme ça »
LFB : Derrière de la musique qui nous touche, il y a de l’humain, il y a des émotions. Arriver à les transmettre est essentiel.
Sayem : On le constate avec la scène rap par exemple. C’est une scène qui arrive très vite à avoir une grande audience, parce qu’aujourd’hui elle représente la nouvelle chanson. La nouvelle variété, c’est le rap. Iels arrivent très vite au travers de réseaux à faire des millions de vues et du coup à susciter un réel intérêt de la part du public. Mais iels vont sur scène comme ils sont allé·e·s en studio. Et iels se plantent souvent. La scène c’est un métier, un truc physique, tu ne peux pas y arriver comme ça. En studio c’est possible. Tu as les effets. Tu mixes. Tu arranges. Tu peux tout refaire…
La scène c’est l’instant T. Tu ne peux pas dire : « Stop, attendez ! Je recommence le concert ». En même temps avec les nouveaux outils c’est facile de faire de la musique. Et ça aussi, c’est génial. N’importe qui avec un ordinateur portable peut utiliser un DAW et, en regardant trois tutos sur internet, faire un morceau en un week-end et le poster le mardi sur Soundcloud et même sur Spotify et autres Deezer. Iel n’était pas musicien·ne et en une semaine, iel l’est devenu·e, écouté·e aussi bien par des Français.e.s que par des Japonais.e.s ou autres. C’est complètement fou et c’est juste génial. Le progrès technologique qui a permis que cela soit possible est extraordinaire. En même temps, comme sur internet ou le pire côtoie le meilleur, ça créé énormément de problématiques.