IDLES explore la rédemption

Un album nous avait explosé à la tête l’année dernière. Les anglais d’IDLES ont provoqué un nouveau choc punk dont Ultra Mono fut un vrai point culminant dans leur carrière. Le covid provoqua déjà un retard dans la sortie, mais aussi empêcha de partir en tournée promouvoir ces nouveaux sons enragés. Sans doute frustrés par la situation, les punks de Bristol n’ont pourtant pas chômé. Ils sont revenus ce 12 novembre avec Crawler, un album plus expérimental et introspectif que jamais. Un accident de la route causé par une vitesse excessive sous substances illicites fut le point de départ pour une remise en question totale. Les IDLES se sont-ils vraiment transformés où opèrent-ils un retour aux sources tout en finesse ? 

Après le très visuel ballon rose de d’Ultra Mono, place au cosmonaute perdu de Crawler. Il flotte au crépuscule devant une maison aux baies vitrées peu pudiques. Bulle de mélancolie ou protection pour hypocondriaque en période de pandémie ? Le groupe décide de nous montrer plus d’intimité, mais semble s’en détourner par peur ou par sentiment de décalage. Question musique, l’influence du producteur de rap Kenny Beats se fait encore plus présente. Déjà présent sur Ultra Mono, Il faut le dire, ce genre de collaboration est une évidence. 

Dès l’introduction, IDLES veut nous faire comprendre qu’ils ne sont plus tout à fait les mêmes. MTT 420 RR est un son qui prend ton temps, ultra épuré qui débutera l’exploration. Quelques notes de synthé, aussi spatiales qu’oppressantes, semblant s’approcher avec menace. Joe Talbot pose une voix gutturale, quelques murmures qui semblent s’envoler avec beaucoup de gravité. Il pose le tableau, un mal-être, une pluie diluvienne, une consommation de drogue, menant à une vison du paradis alors qu’il traverse le pare-brise de la voiture. Répétant frénétiquement « Are you ready for the storm », Joe nous prévient, ce ne sera pas l’album de la facilité. Avec The Wheel, le groupe nous rappelle que toute situation est un cercle sans fin, parfois voué à se reproduire encore et encore. Se revoyant dix ans en arrière, Joe supplie sa mère d’arrêter l’alcool. Une situation qu’il vivra lui même quelques années plus tard… Le rythme se fait frénétique, rageur, renouant avec la verve ultra violente et peu mélodique des premiers albums. Le changement se fera surtout au niveau instrumental, empruntant bien moins au punk anglais qu’à leur début. Moins présente, moins tapageuse. La gravité est de mise tel que dans le morceau When the Lights Come On.

De l’ultra violence, on en aura aussi avec des petites bombes telles que Car Crash. Guitare dissonante qui semble sonner telle une alarme détraquée, batterie violente ponctuée des martèlements de la basse. Joe envoie sa rythmique iconique mais enveloppe sa voix de filtres saturés. Un ultime cri de désespoir avant une accalmie qui ne présage rien de bon. Une tension palpable se forme, allégée en aucune manière par les images qui accompagnent le titre. Les crashs de voitures s’enchainent de façon épileptique. Stockolm Syndrome semble aussi traiter des dérives de Joe avec une haine que l’on ne peut qu’exprimer à la troisième personne. Un nihiliste bourré cherchant à changer le monde, ce ne peut que être Joe. Le pic de violence se produira vers la fin de l’album avec Wizz, un titre de 30 secondes qui reprendra les messages que lui envoyait l’ancien dealer de Joe. On admirera la créativité du bonhomme en terme de noms de drogues tout de même.

Sortant totalement de leur zone de confort, IDLES semble vouloir s’émanciper des rôles que l’on leur colle à la peau depuis le début de leur carrière. Revendiquant en interview qu’IDLES n’est pas « a fucking punk band », ils embrassent avec The Beachland Ballroom le rôle du groupe d’une soirée de promo. Ils se lancent alors dans un slow aussi mélodique qu’il est tourmenté. Pourtant le groupe ne se perd en aucune manière. On aura jamais vu un slow aussi teinté de rage, de désespoir et donc d’absolu érotisme. Le bal de promo va rentrer en conflit avec la modestie. On pourra noter un exercice presque similaire sur Progress, une montée psychédélique qui résonne comme un appel au secours et le moment de la réalisation. On se réjouira tout de même d’entendre dans The End Joe exploser sur « Despite of all, life is beautiful » alors qu’il semble souffrir le martyre en pleine cure de désintox. Un message d’espoir tout de même teinté de souffrance absolu. Si vous en doutiez, IDLES est un groupe tourmenté mais qui a pour habitude prendre les problèmes à bras le corps.

Album sur les vices et les drames qui en découlent, IDLES emprunte une autre voix pour parler des problèmes sociétaux qui les obsèdent tant. Prenant l’angle plus personnel, l’album est plus habité que jamais. La descente aux enfers est rude mais ne peut que conduire à la rédemption. On lui reprochera peut-être sa légère monotonie dans les titres, aucun ne s’aventurera dans l’ironie et l’impertinence qui leur vont si bien. IDLES s’amuse à brouiller les pistes. Ils revendiquent d’un côté ne pas faire du punk, s’éloignent des rythmes iconiques du genre, se lancent dans des champs plus mélodiques. D’un autre, ils n’ont jamais autant exprimé la fragilité et la détresse des punks de la première heure, dépassés par la société dans laquelle ils évoluaient. Le groupe n’a jamais semblé aussi habité, bourré de démons, et semble pour une fois faire son auto critique. Accepter cette fragilité est particulièrement touchant, et certains morceaux sont touchés par la grâce. On ne pourra que s’armer de patience pour découvrir tout de même deux albums en live, promettant des shows dantesques dont ils ont la réputation.